I - Responsabilité des agences de voyages : état des lieux ou état d’urgence ?
Les principes de la responsabilité de plein droit des agences ne semblent pas devoir être modifiés. Ils sont le résultat d’une évolution inéluctable de la notion d’obligation de moyens vers l’obligation de résultat des agences et se traduisent par une sévérité certaine des juges à l’égard des professionnels face aux consommateurs.
Malgré le travail permanent de lobbying d’organismes comme le SNAV (1), la tendance semble se confirmer à ce jour.
Par Emmanuelle Llop*
Le métier d’agent de voyages ou de tour-opérateur est voué aux loisirs, à la découverte et à la détente tout en étant une activité particulièrement réglementée.
Rappelés à l’ordre et surveillés depuis longtemps par le législateur, souvent punis par les juges, les vendeurs de voyages font preuve de constance dans la poursuite de leur activité quand pèse sur eux la responsabilité de plein droit de la bonne exécution intégrale d’un voyage, par nature soumis à de multiples aléas.
Un état des lieux de cette responsabilité civile particulière s’impose ; à moins qu’il ne s’agisse de l’état d’urgence d’un secteur en pleine mutation, confronté à la rigueur parfois excessive des principes de protection du consommateur. Réglementée dès 1937 (2), et sans doute à cause de cette mise en lumière précoce, la profession a rapidement été confrontée au souci de protection des consommateurs.
Traditionnellement responsable de ses fautes prouvées en liaison avec son obligation de moyens (3), l’agent de voyages est devenu responsable de ses fautes présumées du seul fait de l’inexécution du contrat de voyage, en liaison avec son obligation de résultat (4).
Les agences de voyages sous haute surveillance
La loi du 11 juillet 1975 n’abordait pas la question de la responsabilité des professionnels titulaires d’une licence, laissant à la jurisprudence le soin de dessiner les contours d’une responsabilité de plus en plus étendue…
• De la loi de 1975 à la loi de 1992
L’arrêté du 14 juin 1982, pris en application de l’article 32 du décret du 28 mars 1977 relatif aux modalités d’application de la loi du 11 juillet 1975 (5) et destiné à régir les « conditions générales de vente » des agences, abordait expressément le principe de l’obligation de garantie de l’agent de voyages (l’agent est garant de l’organisation du voyage ou du séjour et responsable de sa bonne exécution…) et annonce l’article 23 de la loi du 13 juillet 1992.
On ne parlait pas alors de responsabilité du fait d’autrui, dont le principe a tout d’abord été admis dans les relations entre les agences et les transporteurs maritimes : l’organisateur de croisières (donc l’agence de voyages) était responsable personnellement des dommages survenus aux passagers et à leurs bagages, dans la limite de la responsabilité du transporteur maritime (6).
Le désormais fameux article 23 de la loi du 13 juillet 1992 intègre en droit français les dispositions de l’article 5 de la directive européenne 90/314 du 13 juin 1990 concernant les voyages, vacances et circuits à forfait, selon lesquelles les États membres doivent prendre :
« les mesures nécessaires pour que l’organisateur et/ou le détaillant partie au contrat soient responsables à l’égard du consommateur de la bonne exécution des obligations résultant de ce contrat, que ces obligations soient à exécuter par eux-mêmes ou par d’autres prestataires de services (…) ».
Responsable présumé de son propre fait mais également de celui de ses prestataires, le vendeur de voyages n’a pas une grande marge de manœuvre face à la protection juridique du consommateur, hormis le recours à la force majeure conçue très restrictivement, et au cas d’espèce le plus souvent, par les juges…
Même si l’article 9 de la directive autorise les États membres à adopter des dispositions plus strictes pour protéger le consommateur, la loi française apparaît, nous semble-t-il, comme inutilement restrictive en instituant le vendeur (le « détaillant ») de voyages comme interlocuteur unique du consommateur acheteur, et responsable de plein droit du contrat de voyage.
L’organisateur du voyage (le tour-opérateur) est donc assimilé à un prestataire contre lequel le détaillant exercera son recours en garantie en cas de poursuites par le consommateur :
la tâche de ce dernier en est certes facilitée, mais sûrement pas celle de l’agence de voyages, qui ne maîtrise pas la composition du forfait qu’elle a vendu et qui doit, bien souvent, indemniser son client avant que le fournisseur n’ait examiné le dossier de réclamation.
• De l’obligation de moyen à l’obligation de résultat
Traditionnellement, l’activité des agences de voyages revêtait deux formes : soit elles réalisaient un service elles-mêmes (réservation de chambre, de place de train…), soit elles assemblaient les services réalisés par d’autres prestataires (séjour, transport…).
Dans le premier cas, elles étaient responsables de leur faute personnelle en qualité de mandataire de leur client, dans le second, elles étaient responsables en qualité d’entrepreneur.
Mais, dans les deux cas, les agences n’étaient responsables que de leur faute prouvée, reposant sur la violation d’une obligation de moyens : si l’agence avait commis une faute dans le choix ou la surveillance de ses prestataires, elle en était garante (7) au profit des clients.
Alors que l’obligation de sécurité, notion ancienne en jurisprudence, était traditionnellement considérée comme une obligation de moyens, la jurisprudence a tant facilité la preuve de la faute de l’agence que rien ne la distingue plus d’une obligation de résultat.
Amorcé en matière de transport et de vente de titres secs (8), le recours à l’obligation de résultat a été consacré par l’arrêté précité du 14 juin 1982.
La faute de l’agence est toujours une faute personnelle, mais elle est désormais constitutive d’un manquement à son obligation de résultat, le plus souvent liée à son obligation de sécurité (le choix et la surveillance des prestataires).
En effet, les décisions retenant la responsabilité des agences comme le corollaire de leurs obligations de résultat ont souvent été rendues en matière de sécurité : accident d’autocar (9), chute sur un sol glissant (10), blessure au cours du transport (11), etc.
Désormais, cette obligation est protéiforme : prudence dans le choix des prestataires, surveillance des prestataires, prudence dans l’organisation du voyage, obligation d’information et de conseil, et enfin obligation d’assistance.
Ce rapide survol de l’évolution des textes démontre que le rôle de la jurisprudence — qui a suscité ou conforté cette évolution — a été déterminant. Les juges s’attachent aujourd’hui à appliquer strictement les principes tirés de la loi, mais semblent s’évertuer également à aggraver la responsabilité des professionnels.
La sévérité jurisprudentielle
Certes prévenus et respectueux — pour les plus sérieux d’entre eux — de la rigueur de leurs obligations, les professionnels sont également déclarés responsables de circonstances qui, pourtant, leur échappent, au nom du principe bien ancré de la responsabilité de plein droit.
Que le juge décline les principes de responsabilité issus de l’article L. 211-17 ou semble innover, on constate, à la lecture de la jurisprudence récente, une sévérité généralisée à l’encontre des professionnels vendeurs de forfaits touristiques et une déresponsabilisation juridique corrélative du client.
• Une sévérité classique
De la première visite du client en agence ou sur le site de vente de l’agence jusqu’à son retour de voyage, l’agence répond de la bonne exécution des prestations composant le forfait.
L’obligation d’information est désormais un classique de la mission de l’agence de voyages ; sous cette rubrique, les « formalités administratives de franchissement des frontières (12) » donnent pourtant lieu à des interprétations parfois contradictoires de la part des juridictions.
La Cour de cassation a justement déclaré un pourvoi comme dénué de sérieux contre un jugement du tribunal d’instance de Millau du 26 juillet 2005 (13) qui avait débouté un client reprochant à son agence de ne pas lui avoir donné les informations correctes sur le visa que devait se procurer sa compagne bulgare pour aller en Thaïlande.
Pour la cour d’appel de Paris, lorsque les informations en brochure sont très claires et destinées, en l’espèce, aux natifs de Cuba qui devaient se rapprocher de leur consulat, l’agence n’est pas responsable des changements soudains de réglementation émanant du pays souverain, car cela constitue pour elle un aléa impossible à maîtriser, affectant l’exécution du contrat mais pas le respect de son obligation d’information (14).
Jusqu’alors, il était d’usage de considérer que cette obligation d’information ne concernait que la vente de forfaits touristiques.
Mais pour la Cour de cassation (15), l’agence mandataire de la compagnie aérienne dont elle vend les billets doit informer le passager des conditions précises d’utilisation du billet, parmi lesquelles figurent les formalités d’entrée sur le territoire de l’État de destination.
Il nous semble que la Cour de cassation est allée à contre-courant des principes, bien établis en la matière, selon lesquels l’agence de voyages mandataire n’est responsable que des obligations découlant de son mandat, notamment celle de vendre un titre efficace.
La Cour ne motive pas sa décision, ce qui laisse planer une incertitude pour les agences : s’agit-il ici d’une confusion ou d’une évocation implicite de l’obligation générale d’information que tout vendeur professionnel doit au consommateur (16) ?
Afin d’éviter toute ambiguïté, il est primordial de veiller à la rédaction claire et précise de cette rubrique « conditions particulières de vente » et de les destiner expressément aux ressortissants français, majeurs ou mineurs, en renvoyant les clients étrangers à leur consulat ou ambassade.
Encore faut-il que l’information préalable destinée aux clients ne comporte aucune clause abusive, au risque, pour le tour-opérateur, de se faire condamner lourdement.
Un jugement (17) récent a notamment déclaré abusive la clause dont l’objet est d’écarter tout remboursement du consommateur lorsque la première et/ou la dernière journée du séjour se trouve(nt) écourtée(s) par une arrivée tardive ou un départ matinal en raison des horaires imposés par les compagnies aériennes.
Les juges considèrent que le voyagiste ne peut s’exonérer de sa responsabilité de plein droit dans la bonne exécution du contrat de voyage prévue à l’article L. 211-17 du code du tourisme (cf. encadré p. 14).
Sur le même fondement, sont également déclarées illicites les clauses ayant pour objet d’écarter tout dédommagement en cas de modification des horaires de vol, de report d’une date ou de retard dans l’acheminement ou encore en cas de perte, avarie et vol d’effets personnels et de bagages.
Illicite aussi, la clause imposant au client de s’informer auprès des ambassades et consulats des formalités nécessaires pour l’entrée sur le territoire, car contraire à l’article L. 211-9 du code du tourisme.
Afin toutefois d’adoucir les sanctions, certaines juridictions tiennent compte de l’attitude réactive du professionnel, qui aurait supprimé la clause illicite dès la réception de la mise en demeure, réédité ses brochures ou diffusé un erratum.
La clause demeure abusive, mais le quantum des dommages-intérêts s’en trouve réduit et les mesures de publication dans la presse paraissent alors, pour certaines juridictions, inutiles (18).
Quant à l’exécution des prestations, il suffit au client de démontrer qu’elle n’est pas conforme au contrat pour que le juge condamne l’agence (19) garantie par son fournisseur tour-opérateur ou compagnie aérienne si la faute leur est imputable.
Un partage de responsabilités (20) peut toujours être prononcé, tandis que le remboursement intégral des prestations consommées en partie ne peut avoir lieu (21).
Des prestations de qualité inférieure après la modification des termes du contrat (22) entraînent également la condamnation de l’agence à des dommages et intérêts compensant la déception des clients.
Enfin, la force majeure demeure la cause principale d’exonération de responsabilité des agences lorsqu’elle présente un caractère d’irrésistibilité empêchant le professionnel de délivrer ses prestations. Il en va de même pour le fait imprévisible et insurmontable d’un tiers, à l’occasion d’un accident de la route et en l’absence de toute faute du chauffeur de l’autocar affrété par l’agence (23).
On ne peut que conseiller aux professionnels de s’inspirer de ces décisions pour veiller à la conformité de leurs « conditions particulières de vente », de leurs contrats avec les clients ou les fournisseurs, ou lors du traitement précontentieux des réclamations clients.
La sévérité jurisprudentielle est certes contraignante, mais elle est relativement acceptée ; qu’en est-il quand les juges semblent ne pas tenir suffisamment compte des difficultés du métier et rendent le professionnel responsable des péripéties qui frappent le voyage ou le séjour ?
• Une sévérité accrue
Tous les vendeurs de voyages savent que leur relation avec le client est formalisée par un contrat, qu’ils le nomment bulletin d’inscription, facture ou autre. Mais savent-ils toujours que le document doit être établi en deux exemplaires signés comportant 19 rubriques précises (24)?
Selon nous, ces règles n’ont qu’une valeur probatoire dans un but de protection du client, elles ne visent pas la validité de l’accord passé puisque, conformément au droit commun, la validité d’un contrat dépend uniquement des quatre conditions posées par l’article 1108 du code civil, indépendamment d’un écrit (25).
Ce n’est pourtant pas ce que décide la jurisprudence, pour laquelle un contrat non signé n’est pas formé : malgré l’annulation du client au dernier moment (ce qui suppose donc qu’il se sent engagé par le contrat…), le prix ne pourra lui être réclamé et l’agence devra restituer l’acompte versé (26).
Dans le cadre des relations avec les fournisseurs de l’agence, et en cas de poursuites par le client, le recours en garantie doit être mené le plus rapidement possible afin que le juge accepte de juger les affaires ensemble (il n’y est pas obligé).
L’intérêt du consommateur passant, semble-t-il, devant celui d’une bonne administration de la justice, l’agence peut être jugée et condamnée séparément de son prestataire et ne pas pouvoir bénéficier des limitations de garanties que ce dernier pourra ensuite opposer pour sa défense (27).
Quant aux prestataires, leur défaillance (sans même aller jusqu’à la faillite) ne peut exonérer l’agence, car elle ne représente pas un événement insurmontable dans la mesure où l’agence aurait pu s’informer avant le départ des clients et prendre des mesures de remplacement (28).
Il est pourtant des cas où la cessation brutale des activités d’un prestataire sérieux et bien choisi au préalable ne peut être anticipée et devrait pouvoir être assimilée à des circonstances de force majeure pour l’agence.
L’exercice de la profession est évidemment rendu plus difficile dans un monde où il ne semble plus possible d’ignorer les risques politiques, religieux, sectaires, terroristes, etc.
L’affaire « Ultramarina » (29) est un récent exemple de l’amalgame entre information et sécurité, dont le seul responsable demeure l’agence de voyages sans pouvoir invoquer la force majeure, tandis que le client, même très informé des risques, doit être protégé en toutes circonstances.
À la lecture de ce rapide panorama législatif et jurisprudentiel, il nous semble que les professionnels français ont du mérite à poursuivre et à développer leurs activités, créant sans cesse de nouveaux produits et de nouveaux modes de distribution à destination d’une clientèle surprotégée toujours plus exigeante et informée.
D’autant que leurs cotisations de responsabilité civile professionnelles — quand ils parviennent à trouver un assureur — ne cessent d’augmenter au fil des décisions judiciaires (30).
À quand un aménagement de l’article L. 211-17, la mention des limitations de responsabilité issues des conventions internationales (31) et la prise en compte de (certaines) décharges de responsabilité ?
La future réforme de la directive européenne de 1990 est peut-être une piste, mais on ne peut que souhaiter que le législateur français l’anticipe en conciliant vraiment les intérêts des vendeurs et des acheteurs.
*Avocate, CLYDE & CO
Malgré le travail permanent de lobbying d’organismes comme le SNAV (1), la tendance semble se confirmer à ce jour.
Par Emmanuelle Llop*
Le métier d’agent de voyages ou de tour-opérateur est voué aux loisirs, à la découverte et à la détente tout en étant une activité particulièrement réglementée.
Rappelés à l’ordre et surveillés depuis longtemps par le législateur, souvent punis par les juges, les vendeurs de voyages font preuve de constance dans la poursuite de leur activité quand pèse sur eux la responsabilité de plein droit de la bonne exécution intégrale d’un voyage, par nature soumis à de multiples aléas.
Un état des lieux de cette responsabilité civile particulière s’impose ; à moins qu’il ne s’agisse de l’état d’urgence d’un secteur en pleine mutation, confronté à la rigueur parfois excessive des principes de protection du consommateur. Réglementée dès 1937 (2), et sans doute à cause de cette mise en lumière précoce, la profession a rapidement été confrontée au souci de protection des consommateurs.
Traditionnellement responsable de ses fautes prouvées en liaison avec son obligation de moyens (3), l’agent de voyages est devenu responsable de ses fautes présumées du seul fait de l’inexécution du contrat de voyage, en liaison avec son obligation de résultat (4).
Les agences de voyages sous haute surveillance
La loi du 11 juillet 1975 n’abordait pas la question de la responsabilité des professionnels titulaires d’une licence, laissant à la jurisprudence le soin de dessiner les contours d’une responsabilité de plus en plus étendue…
• De la loi de 1975 à la loi de 1992
L’arrêté du 14 juin 1982, pris en application de l’article 32 du décret du 28 mars 1977 relatif aux modalités d’application de la loi du 11 juillet 1975 (5) et destiné à régir les « conditions générales de vente » des agences, abordait expressément le principe de l’obligation de garantie de l’agent de voyages (l’agent est garant de l’organisation du voyage ou du séjour et responsable de sa bonne exécution…) et annonce l’article 23 de la loi du 13 juillet 1992.
On ne parlait pas alors de responsabilité du fait d’autrui, dont le principe a tout d’abord été admis dans les relations entre les agences et les transporteurs maritimes : l’organisateur de croisières (donc l’agence de voyages) était responsable personnellement des dommages survenus aux passagers et à leurs bagages, dans la limite de la responsabilité du transporteur maritime (6).
Le désormais fameux article 23 de la loi du 13 juillet 1992 intègre en droit français les dispositions de l’article 5 de la directive européenne 90/314 du 13 juin 1990 concernant les voyages, vacances et circuits à forfait, selon lesquelles les États membres doivent prendre :
« les mesures nécessaires pour que l’organisateur et/ou le détaillant partie au contrat soient responsables à l’égard du consommateur de la bonne exécution des obligations résultant de ce contrat, que ces obligations soient à exécuter par eux-mêmes ou par d’autres prestataires de services (…) ».
Responsable présumé de son propre fait mais également de celui de ses prestataires, le vendeur de voyages n’a pas une grande marge de manœuvre face à la protection juridique du consommateur, hormis le recours à la force majeure conçue très restrictivement, et au cas d’espèce le plus souvent, par les juges…
Même si l’article 9 de la directive autorise les États membres à adopter des dispositions plus strictes pour protéger le consommateur, la loi française apparaît, nous semble-t-il, comme inutilement restrictive en instituant le vendeur (le « détaillant ») de voyages comme interlocuteur unique du consommateur acheteur, et responsable de plein droit du contrat de voyage.
L’organisateur du voyage (le tour-opérateur) est donc assimilé à un prestataire contre lequel le détaillant exercera son recours en garantie en cas de poursuites par le consommateur :
la tâche de ce dernier en est certes facilitée, mais sûrement pas celle de l’agence de voyages, qui ne maîtrise pas la composition du forfait qu’elle a vendu et qui doit, bien souvent, indemniser son client avant que le fournisseur n’ait examiné le dossier de réclamation.
• De l’obligation de moyen à l’obligation de résultat
Traditionnellement, l’activité des agences de voyages revêtait deux formes : soit elles réalisaient un service elles-mêmes (réservation de chambre, de place de train…), soit elles assemblaient les services réalisés par d’autres prestataires (séjour, transport…).
Dans le premier cas, elles étaient responsables de leur faute personnelle en qualité de mandataire de leur client, dans le second, elles étaient responsables en qualité d’entrepreneur.
Mais, dans les deux cas, les agences n’étaient responsables que de leur faute prouvée, reposant sur la violation d’une obligation de moyens : si l’agence avait commis une faute dans le choix ou la surveillance de ses prestataires, elle en était garante (7) au profit des clients.
Alors que l’obligation de sécurité, notion ancienne en jurisprudence, était traditionnellement considérée comme une obligation de moyens, la jurisprudence a tant facilité la preuve de la faute de l’agence que rien ne la distingue plus d’une obligation de résultat.
Amorcé en matière de transport et de vente de titres secs (8), le recours à l’obligation de résultat a été consacré par l’arrêté précité du 14 juin 1982.
La faute de l’agence est toujours une faute personnelle, mais elle est désormais constitutive d’un manquement à son obligation de résultat, le plus souvent liée à son obligation de sécurité (le choix et la surveillance des prestataires).
En effet, les décisions retenant la responsabilité des agences comme le corollaire de leurs obligations de résultat ont souvent été rendues en matière de sécurité : accident d’autocar (9), chute sur un sol glissant (10), blessure au cours du transport (11), etc.
Désormais, cette obligation est protéiforme : prudence dans le choix des prestataires, surveillance des prestataires, prudence dans l’organisation du voyage, obligation d’information et de conseil, et enfin obligation d’assistance.
Ce rapide survol de l’évolution des textes démontre que le rôle de la jurisprudence — qui a suscité ou conforté cette évolution — a été déterminant. Les juges s’attachent aujourd’hui à appliquer strictement les principes tirés de la loi, mais semblent s’évertuer également à aggraver la responsabilité des professionnels.
La sévérité jurisprudentielle
Certes prévenus et respectueux — pour les plus sérieux d’entre eux — de la rigueur de leurs obligations, les professionnels sont également déclarés responsables de circonstances qui, pourtant, leur échappent, au nom du principe bien ancré de la responsabilité de plein droit.
Que le juge décline les principes de responsabilité issus de l’article L. 211-17 ou semble innover, on constate, à la lecture de la jurisprudence récente, une sévérité généralisée à l’encontre des professionnels vendeurs de forfaits touristiques et une déresponsabilisation juridique corrélative du client.
• Une sévérité classique
De la première visite du client en agence ou sur le site de vente de l’agence jusqu’à son retour de voyage, l’agence répond de la bonne exécution des prestations composant le forfait.
L’obligation d’information est désormais un classique de la mission de l’agence de voyages ; sous cette rubrique, les « formalités administratives de franchissement des frontières (12) » donnent pourtant lieu à des interprétations parfois contradictoires de la part des juridictions.
La Cour de cassation a justement déclaré un pourvoi comme dénué de sérieux contre un jugement du tribunal d’instance de Millau du 26 juillet 2005 (13) qui avait débouté un client reprochant à son agence de ne pas lui avoir donné les informations correctes sur le visa que devait se procurer sa compagne bulgare pour aller en Thaïlande.
Pour la cour d’appel de Paris, lorsque les informations en brochure sont très claires et destinées, en l’espèce, aux natifs de Cuba qui devaient se rapprocher de leur consulat, l’agence n’est pas responsable des changements soudains de réglementation émanant du pays souverain, car cela constitue pour elle un aléa impossible à maîtriser, affectant l’exécution du contrat mais pas le respect de son obligation d’information (14).
Jusqu’alors, il était d’usage de considérer que cette obligation d’information ne concernait que la vente de forfaits touristiques.
Mais pour la Cour de cassation (15), l’agence mandataire de la compagnie aérienne dont elle vend les billets doit informer le passager des conditions précises d’utilisation du billet, parmi lesquelles figurent les formalités d’entrée sur le territoire de l’État de destination.
Il nous semble que la Cour de cassation est allée à contre-courant des principes, bien établis en la matière, selon lesquels l’agence de voyages mandataire n’est responsable que des obligations découlant de son mandat, notamment celle de vendre un titre efficace.
La Cour ne motive pas sa décision, ce qui laisse planer une incertitude pour les agences : s’agit-il ici d’une confusion ou d’une évocation implicite de l’obligation générale d’information que tout vendeur professionnel doit au consommateur (16) ?
Afin d’éviter toute ambiguïté, il est primordial de veiller à la rédaction claire et précise de cette rubrique « conditions particulières de vente » et de les destiner expressément aux ressortissants français, majeurs ou mineurs, en renvoyant les clients étrangers à leur consulat ou ambassade.
Encore faut-il que l’information préalable destinée aux clients ne comporte aucune clause abusive, au risque, pour le tour-opérateur, de se faire condamner lourdement.
Un jugement (17) récent a notamment déclaré abusive la clause dont l’objet est d’écarter tout remboursement du consommateur lorsque la première et/ou la dernière journée du séjour se trouve(nt) écourtée(s) par une arrivée tardive ou un départ matinal en raison des horaires imposés par les compagnies aériennes.
Les juges considèrent que le voyagiste ne peut s’exonérer de sa responsabilité de plein droit dans la bonne exécution du contrat de voyage prévue à l’article L. 211-17 du code du tourisme (cf. encadré p. 14).
Sur le même fondement, sont également déclarées illicites les clauses ayant pour objet d’écarter tout dédommagement en cas de modification des horaires de vol, de report d’une date ou de retard dans l’acheminement ou encore en cas de perte, avarie et vol d’effets personnels et de bagages.
Illicite aussi, la clause imposant au client de s’informer auprès des ambassades et consulats des formalités nécessaires pour l’entrée sur le territoire, car contraire à l’article L. 211-9 du code du tourisme.
Afin toutefois d’adoucir les sanctions, certaines juridictions tiennent compte de l’attitude réactive du professionnel, qui aurait supprimé la clause illicite dès la réception de la mise en demeure, réédité ses brochures ou diffusé un erratum.
La clause demeure abusive, mais le quantum des dommages-intérêts s’en trouve réduit et les mesures de publication dans la presse paraissent alors, pour certaines juridictions, inutiles (18).
Quant à l’exécution des prestations, il suffit au client de démontrer qu’elle n’est pas conforme au contrat pour que le juge condamne l’agence (19) garantie par son fournisseur tour-opérateur ou compagnie aérienne si la faute leur est imputable.
Un partage de responsabilités (20) peut toujours être prononcé, tandis que le remboursement intégral des prestations consommées en partie ne peut avoir lieu (21).
Des prestations de qualité inférieure après la modification des termes du contrat (22) entraînent également la condamnation de l’agence à des dommages et intérêts compensant la déception des clients.
Enfin, la force majeure demeure la cause principale d’exonération de responsabilité des agences lorsqu’elle présente un caractère d’irrésistibilité empêchant le professionnel de délivrer ses prestations. Il en va de même pour le fait imprévisible et insurmontable d’un tiers, à l’occasion d’un accident de la route et en l’absence de toute faute du chauffeur de l’autocar affrété par l’agence (23).
On ne peut que conseiller aux professionnels de s’inspirer de ces décisions pour veiller à la conformité de leurs « conditions particulières de vente », de leurs contrats avec les clients ou les fournisseurs, ou lors du traitement précontentieux des réclamations clients.
La sévérité jurisprudentielle est certes contraignante, mais elle est relativement acceptée ; qu’en est-il quand les juges semblent ne pas tenir suffisamment compte des difficultés du métier et rendent le professionnel responsable des péripéties qui frappent le voyage ou le séjour ?
• Une sévérité accrue
Tous les vendeurs de voyages savent que leur relation avec le client est formalisée par un contrat, qu’ils le nomment bulletin d’inscription, facture ou autre. Mais savent-ils toujours que le document doit être établi en deux exemplaires signés comportant 19 rubriques précises (24)?
Selon nous, ces règles n’ont qu’une valeur probatoire dans un but de protection du client, elles ne visent pas la validité de l’accord passé puisque, conformément au droit commun, la validité d’un contrat dépend uniquement des quatre conditions posées par l’article 1108 du code civil, indépendamment d’un écrit (25).
Ce n’est pourtant pas ce que décide la jurisprudence, pour laquelle un contrat non signé n’est pas formé : malgré l’annulation du client au dernier moment (ce qui suppose donc qu’il se sent engagé par le contrat…), le prix ne pourra lui être réclamé et l’agence devra restituer l’acompte versé (26).
Dans le cadre des relations avec les fournisseurs de l’agence, et en cas de poursuites par le client, le recours en garantie doit être mené le plus rapidement possible afin que le juge accepte de juger les affaires ensemble (il n’y est pas obligé).
L’intérêt du consommateur passant, semble-t-il, devant celui d’une bonne administration de la justice, l’agence peut être jugée et condamnée séparément de son prestataire et ne pas pouvoir bénéficier des limitations de garanties que ce dernier pourra ensuite opposer pour sa défense (27).
Quant aux prestataires, leur défaillance (sans même aller jusqu’à la faillite) ne peut exonérer l’agence, car elle ne représente pas un événement insurmontable dans la mesure où l’agence aurait pu s’informer avant le départ des clients et prendre des mesures de remplacement (28).
Il est pourtant des cas où la cessation brutale des activités d’un prestataire sérieux et bien choisi au préalable ne peut être anticipée et devrait pouvoir être assimilée à des circonstances de force majeure pour l’agence.
L’exercice de la profession est évidemment rendu plus difficile dans un monde où il ne semble plus possible d’ignorer les risques politiques, religieux, sectaires, terroristes, etc.
L’affaire « Ultramarina » (29) est un récent exemple de l’amalgame entre information et sécurité, dont le seul responsable demeure l’agence de voyages sans pouvoir invoquer la force majeure, tandis que le client, même très informé des risques, doit être protégé en toutes circonstances.
À la lecture de ce rapide panorama législatif et jurisprudentiel, il nous semble que les professionnels français ont du mérite à poursuivre et à développer leurs activités, créant sans cesse de nouveaux produits et de nouveaux modes de distribution à destination d’une clientèle surprotégée toujours plus exigeante et informée.
D’autant que leurs cotisations de responsabilité civile professionnelles — quand ils parviennent à trouver un assureur — ne cessent d’augmenter au fil des décisions judiciaires (30).
À quand un aménagement de l’article L. 211-17, la mention des limitations de responsabilité issues des conventions internationales (31) et la prise en compte de (certaines) décharges de responsabilité ?
La future réforme de la directive européenne de 1990 est peut-être une piste, mais on ne peut que souhaiter que le législateur français l’anticipe en conciliant vraiment les intérêts des vendeurs et des acheteurs.
*Avocate, CLYDE & CO
Vente en ligne de « vol sec » : quelle responsabilité ?
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Le e-commerce de vols secs fait encore l’objet d’une interrogation d’importance pour les agences de voyages on-line : quelles responsabilité retenir en cas de mauvaise exécution des prestations ?
La responsabilité de plein droit de l’article L. 121-20-3 [issu de la loi no 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), art. 15, II, JO du 22, p. 11168, D. 2004-1868] du code de la consommation, ou la responsabilité pour faute du mandataire, issue de la combinaison des articles L. 211-17 et L. 211-8 du code du tourisme ?
Le régime du code du tourisme est dérogatoire, spécial, tandis que le régime issu de la LCEN est général et s’applique à tous les cybervendeurs. Or « le spécial déroge au général », ce qui devrait conduire, nous semble-t-il, au maintien de l’exonération de la responsabilité de plein droit des cybervendeurs.
Responsables de leurs seules fautes prouvées, ils ne répondront pas non plus des fautes de leurs prestataires de services n’entrant pas dans un forfait touristique.
À ce jour, seul un tribunal de première instance s’est prononcé en ce sens dans une décision dont les professionnels on-line espèrent qu’elle fera jurisprudence (TI de Fougères, 19 décembre 2006, RG no 11-06-000064 ; cf. Valérie Boned : « Vente de vols secs en ligne : les agences de voyages hors LEN », in T&D no 86/2007).
La responsabilité de plein droit de l’article L. 121-20-3 [issu de la loi no 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), art. 15, II, JO du 22, p. 11168, D. 2004-1868] du code de la consommation, ou la responsabilité pour faute du mandataire, issue de la combinaison des articles L. 211-17 et L. 211-8 du code du tourisme ?
Le régime du code du tourisme est dérogatoire, spécial, tandis que le régime issu de la LCEN est général et s’applique à tous les cybervendeurs. Or « le spécial déroge au général », ce qui devrait conduire, nous semble-t-il, au maintien de l’exonération de la responsabilité de plein droit des cybervendeurs.
Responsables de leurs seules fautes prouvées, ils ne répondront pas non plus des fautes de leurs prestataires de services n’entrant pas dans un forfait touristique.
À ce jour, seul un tribunal de première instance s’est prononcé en ce sens dans une décision dont les professionnels on-line espèrent qu’elle fera jurisprudence (TI de Fougères, 19 décembre 2006, RG no 11-06-000064 ; cf. Valérie Boned : « Vente de vols secs en ligne : les agences de voyages hors LEN », in T&D no 86/2007).
NOTES
(1) Syndicat national des agences de voyages ; cf. Valérie Boned : « Vente de vols secs en ligne : les agences de voyages hors LEN », in T&D no 86/2007, p. 39 ; cf. Valérie Boned, Rachid Temal, Thierry Vialabeix : « Fiscalité du tourisme : tour d’horizon et libres propos », in T&D no 85/2007, p. 36. (2) Loi du 19 mars 1937, JO du 8 avril, p. 4018. (3) Loi no 75-627 du 11 juillet 1975, JO du 13, p. 7230. (4) Arr. du 14 juin 1982, JO du 27 octobre, p. 9693 ; dir. CEE. no 90/314 du 13 juin 1990, JOCE L 158 du 23, p. 59-64, D. 1990-264 ; loi no 92-645 du 13 juillet 1992, JO du 14, D. 1993.33, obs. Pierre Py ; décr. no 94-490 du 15 juin 1994, JO du 17, p. 8746, D. 1994-219, obs. Pierre Py. (5) JCP 1982, III, 53331, et JCP 77, III, 45613. (6) Loi no 66-420 du 18 juin 1966, JO du 24, p. 5206, art. 49, al. 1er. (7) D. Tandonnet-Gency, « Les tendances récentes de la jurisprudence relative à la responsabilité des agences de voyages et la loi du 13 juillet 1992 », in Gaz. pal., 7-8 mars 2003, p. 25. (8) Civ. 1re, 31 mai 1978, DS 1979, p. 49 (9) Civ. 1re, 23 février 1983, DS 1983 p. 481. (10) Civ. 1re, 16 février 1999, n° 96-21.883 rev. Lamy dr. aff. 1999, no 15, no 936. (11) Paris, 19 septembre 1989, DS 1989, IR, p. 429. (12) C. tour., art. R. 211-6-5°. (13) TI Millau, 26 juillet 2005, RG, no 04-000073. (14) CA Paris, 7 décembre 2006, Juris-Data no 2006-321545. (15) Civ. 1re, 7 février 2006, D. 2006, no 8. (16) C. consom., art. L.111-1. (17) TGI Bobigny, 21 mars 2006, RG no 04/04295. (18) CA Rennes, 6 octobre 2006, Juris-Data no 2006-317055. (19) TI Paris IVe arr., RG no 91-06-000081. (20) Cf. supra. (21) CA Paris, 16 novembre 2006, Juris-Data no 2006-321544 ; CA Metz, 5 janvier 2006, Juris-Data no 2006-296119. (22) Sur le fondement de l’ancien art. 103 du décr. du 15 juin 1994 devenu l’art. R. 211.13 du code du tourisme, cf. TGI Paris, 28 février 2006, RG no 04/13101 ; sur le fondement de l’ancien art. 101 devenu l’art. R. 211-11, cf. CA Paris, 28 septembre 2006, Juris-Data no 2006-313156. (23) CA Nancy, 6 février 2006, LPA no 4 du 4 janvier 2007, p. 9. (24) C. tour., art. R. 211-8. (25) « Quatre conditions sont essentielles pour la validité d’une convention : le consentement de la partie qui s’oblige ; sa capacité de contracter ; un objet certain qui forme la matière de l’engagement ; une cause licite dans l’obligation. » (26) CA Paris, 3 novembre 2006, Juris-Data no 2006-317454.
Ce que dit la loi
« Toute personne physique ou morale qui se livre aux opérations mentionnées à l’article L. 211-1 est responsable de plein droit à l’égard de l’acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat, que ces obligations soient à exécuter par elle-même ou par d’autres prestataires de services, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci.
Toutefois, elle peut s’exonérer de tout ou partie de sa responsabilité en apportant la preuve que l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable soit à l’acheteur, soit au fait, imprévisible et insurmontable, d’un tiers étranger à la fourniture des prestations prévues au contrat, soit à un cas de force majeure. » [C. tour., art. L. 211-17, anc. L. 13 juill. 1992, art. 23]
Toutefois, elle peut s’exonérer de tout ou partie de sa responsabilité en apportant la preuve que l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable soit à l’acheteur, soit au fait, imprévisible et insurmontable, d’un tiers étranger à la fourniture des prestations prévues au contrat, soit à un cas de force majeure. » [C. tour., art. L. 211-17, anc. L. 13 juill. 1992, art. 23]
La force majeure
Une récente illustration de la force majeure : un ouragan, imprévisible lors de la conclusion du contrat un an auparavant et qui a détruit 95 % des capacités hôtelières du Yucatan, a rendu impossible pour l’agence la délivrance de la totalité des prestations : l’agence est libérée de la totalité de ses engagements en raison de cet événement imprévisible et irrésistible (TC Rouen, 15 janvier 2007, RG n° 2006-003846 ; cf. cependant la position nettement plus stricte de la cour de cassation : civ. 1re, 3 mai 2006, no 04-11.920).