"On commence, par construire une majorité, avant de nommer un Premier ministre"
"On commence, par construire une majorité, avant de nommer un Premier ministre" selon Emmanule Rivière, politologue - Crédit photo : Depositphotos @Andrew_Rybalko @oxygen64
TourMaG - La motion de censure a finalement été votée, malgré les discours de Michel Barnier et d'Emmanuel Macron expliquant qu'il existait une voie possible pour que le Gouvernement reste en place. Comment analysez-vous la situation ?
Emmanuel Rivière : Depuis le 8 juillet 2024 (le lendemain des résultats des législatives, ndlr), je suis un petit peu déconcerté, par ce qu'il se passe en France.
Je travaille sur les systèmes politiques et les opinions publiques en Europe et je pense que personne, nulle part, n'imagine que l'on puisse nommer un Premier ministre sans s'assurer d'abord qu'il dispose d'une majorité.
Logiquement, on commence par ça : construire une majorité, puis voir comment elle peut se mettre d'accord sur un programme. Ce socle de départ comprend des grandes orientations sur le budget.
Se demander si le gouvernement avait pu éviter la censure (retrouvez le débat sur France Inter, avec l'interview d'Emmanuel Rivière) c'est prendre les choses par le petit bout de la lorgnette.
La question fondamentale : est-ce que les acteurs politiques de ce pays ont créé les conditions pour le rendre gouvernable en attendant une prochaine échéance ? Et la réponse est non !
Le scénario que nous avons vécu était écrit d'avance.
Après, je pense que beaucoup de Français se disent aujourd'hui que leurs responsables politiques, la classe politique, sont un petit peu en deçà de ce qu'ils devraient réussir et produire.
Les gens raisonnent de moins en moins en termes de camp, la gauche, la droite, l'extrême droite ou mes amis, mes ennemis. Ils regardent le personnel politique avec une certaine distance, mais avec un jugement qui est de plus en plus sévère.
Emmanuel Rivière : Depuis le 8 juillet 2024 (le lendemain des résultats des législatives, ndlr), je suis un petit peu déconcerté, par ce qu'il se passe en France.
Je travaille sur les systèmes politiques et les opinions publiques en Europe et je pense que personne, nulle part, n'imagine que l'on puisse nommer un Premier ministre sans s'assurer d'abord qu'il dispose d'une majorité.
Logiquement, on commence par ça : construire une majorité, puis voir comment elle peut se mettre d'accord sur un programme. Ce socle de départ comprend des grandes orientations sur le budget.
Se demander si le gouvernement avait pu éviter la censure (retrouvez le débat sur France Inter, avec l'interview d'Emmanuel Rivière) c'est prendre les choses par le petit bout de la lorgnette.
La question fondamentale : est-ce que les acteurs politiques de ce pays ont créé les conditions pour le rendre gouvernable en attendant une prochaine échéance ? Et la réponse est non !
Le scénario que nous avons vécu était écrit d'avance.
Après, je pense que beaucoup de Français se disent aujourd'hui que leurs responsables politiques, la classe politique, sont un petit peu en deçà de ce qu'ils devraient réussir et produire.
Les gens raisonnent de moins en moins en termes de camp, la gauche, la droite, l'extrême droite ou mes amis, mes ennemis. Ils regardent le personnel politique avec une certaine distance, mais avec un jugement qui est de plus en plus sévère.
Le gouvernement Barnier : "ce n'était pas une question de casting, mais de méthodologie"
TourMaG - Selon vous, Michel Barnier n'a pas été assez dans le consensus ? A-t-il délaissé la Gauche ?
Emmanuel Rivière :Il aurait fallu que le gouvernement Barnier ou autre, ait un projet. C'est autour de ce projet que se décide une nomination à Matignon.
Sauf que la nomination s'est faite d'abord sur un profil.
Et là, on peut se demander à quel point les hommes politiques et la manière de penser la politique, sont obsédés par la question des personnalités, alors que ce n'était pas une question de casting, mais de méthodologie.
Ce qui a manqué surtout : le fond. Un projet.
Certes il y avait un socle commun d'un côté et des oppositions de l'autre, mais nous avions quand même l'impression que l'Assemblée nationale, depuis la nomination de Michel Barnier, ressemblait plutôt à 50 millions de nuances d'oppositions.
Pour moi ça remonte au péché originel, qui consiste à avoir pensé qu'il n'était pas la responsabilité des partis politiques de chercher à constituer une majorité.
C'est quand même un paradoxe que nous ayons cru que Marine Le Pen consentirait au prolongement du gouvernement de Michel Barnier, alors qu'elle constitute depuis 6 ou 7 ans l'opposition radicale. Et qu'elle se présente, elle-même comme la meilleure opposition au macronisme. Ensuite, l'électorat du Rassemblement national considère très majoritairement que Michel Barnier représente le prolongement du macronisme.
C'est très curieux.
Emmanuel Rivière :Il aurait fallu que le gouvernement Barnier ou autre, ait un projet. C'est autour de ce projet que se décide une nomination à Matignon.
Sauf que la nomination s'est faite d'abord sur un profil.
Et là, on peut se demander à quel point les hommes politiques et la manière de penser la politique, sont obsédés par la question des personnalités, alors que ce n'était pas une question de casting, mais de méthodologie.
Ce qui a manqué surtout : le fond. Un projet.
Certes il y avait un socle commun d'un côté et des oppositions de l'autre, mais nous avions quand même l'impression que l'Assemblée nationale, depuis la nomination de Michel Barnier, ressemblait plutôt à 50 millions de nuances d'oppositions.
Pour moi ça remonte au péché originel, qui consiste à avoir pensé qu'il n'était pas la responsabilité des partis politiques de chercher à constituer une majorité.
C'est quand même un paradoxe que nous ayons cru que Marine Le Pen consentirait au prolongement du gouvernement de Michel Barnier, alors qu'elle constitute depuis 6 ou 7 ans l'opposition radicale. Et qu'elle se présente, elle-même comme la meilleure opposition au macronisme. Ensuite, l'électorat du Rassemblement national considère très majoritairement que Michel Barnier représente le prolongement du macronisme.
C'est très curieux.
"La démission d'Emmanuel Macronest jugée fortement improbable"
TourMaG - Le Rassemblement national a demandé des ajustements du PLF 25, jusqu'au dernier moment et Marine Le Pen a expliqué ne pas demander la démission d'Emmanuel Macron. Est-ce que ce parti est encore dans la peur du pouvoir parce qu'il est plus confortable de rester dans la contestation ?
Emmanuel Rivière : Je parlerais moins de peur du pouvoir que de choix draconiens.
Quand vous regardez les électeurs du RN vis-à-vis de Michel Barnier depuis le mois de septembre, ils ont basculé. Malgré la nomination de Bruno Retailleau, qui leur plaisait bien, ils considèrent quand même assez largement que Michel Barnier ne leur convient pas.
Courant septembre ils étaient aux 30% à penser qu'il fallait une motion de censure. Et puis, ces derniers jours, ils étaient passés à 60%.
Marine Le Pen a tenu compte de ça. À un moment, ils ont écrit un scénario selon lequel Marine Le Pen aurait pu se vanter d'avoir obtenu un budget moins douloureux.
Mais il y avait assez peu de chances que cela plaise à son électorat.
TourMaG - Quid de l'avenir ? Le président de la République va prendre la parole ce soir, pourrait-il annoncer sa démission ?
Emmanuel Rivière : Le suspense est total, quant à l'avenir du pays.
La démission est jugée fortement improbable. Et de mon point de vue, elle n'est pas souhaitable.
Après une campagne législative de 3 semaines, plonger dans une campagne présidentielle de 40 jours, générerait de nouvelles frustrations. Les Français ont déjà la gueule de bois d’une élection qui, de leur point de vue, est passée à côté des enjeux.
Pour ces raisons, ce serait le pire des scénarios, mais il n'y en a pas 36 dans les cartons.
Emmanuel Rivière : Je parlerais moins de peur du pouvoir que de choix draconiens.
Quand vous regardez les électeurs du RN vis-à-vis de Michel Barnier depuis le mois de septembre, ils ont basculé. Malgré la nomination de Bruno Retailleau, qui leur plaisait bien, ils considèrent quand même assez largement que Michel Barnier ne leur convient pas.
Courant septembre ils étaient aux 30% à penser qu'il fallait une motion de censure. Et puis, ces derniers jours, ils étaient passés à 60%.
Marine Le Pen a tenu compte de ça. À un moment, ils ont écrit un scénario selon lequel Marine Le Pen aurait pu se vanter d'avoir obtenu un budget moins douloureux.
Mais il y avait assez peu de chances que cela plaise à son électorat.
TourMaG - Quid de l'avenir ? Le président de la République va prendre la parole ce soir, pourrait-il annoncer sa démission ?
Emmanuel Rivière : Le suspense est total, quant à l'avenir du pays.
La démission est jugée fortement improbable. Et de mon point de vue, elle n'est pas souhaitable.
Après une campagne législative de 3 semaines, plonger dans une campagne présidentielle de 40 jours, générerait de nouvelles frustrations. Les Français ont déjà la gueule de bois d’une élection qui, de leur point de vue, est passée à côté des enjeux.
Pour ces raisons, ce serait le pire des scénarios, mais il n'y en a pas 36 dans les cartons.
François Bayrou et Sébastien Lecornu : "le sentiment d'une prolongation du macronisme"
TourMaG - Quels sont-ils ?
Emmanuel Rivière : Soit nous allons vers la nomination d'un gouvernement technique et dans ce cas, je vais me contredire, mais ce sera avant tout une question de casting.
Il faut trouver le chef de gouvernement qui donne le sentiment d'être mu uniquement par l'intérêt général.
Ou alors le balancier passe à gauche et Emmanuel Macron se retrouverait face à sa contradiction : il a toujours refusé cette option, avançant l'instabilité de ce type de gouvernement.
Sauf qu'avec la chute de Michel Barnier, cet argument ne tient plus.
L'autre scénario est assez dangereux, compte tenu du résultat des élections législatives. Il consisterait à se rapprocher un peu plus du RN en nommant un Premier ministre plus à droite que Michel Barnier.
Parmi les noms qui circulent, celui de Bruno Retailleau revient avec insistance. Mais il aurait une très très lourde signification parce que repartir à l'assaut des voix du RN après la motion de censure, ça me paraissait un peu baroque.
Puis vous avez dans les noms qui circulent d'anciens ministres de la présidence Macron (comme François Bayrou et Sébastien Lecornu, ndlr) pour prendre le poste de chef du gouvernement. Des noms qui donneraient encore plus le sentiment d'une prolongation du macronisme.
Ces noms s'exposeraient encore davantage à une censure.
Emmanuel Rivière : Soit nous allons vers la nomination d'un gouvernement technique et dans ce cas, je vais me contredire, mais ce sera avant tout une question de casting.
Il faut trouver le chef de gouvernement qui donne le sentiment d'être mu uniquement par l'intérêt général.
Ou alors le balancier passe à gauche et Emmanuel Macron se retrouverait face à sa contradiction : il a toujours refusé cette option, avançant l'instabilité de ce type de gouvernement.
Sauf qu'avec la chute de Michel Barnier, cet argument ne tient plus.
L'autre scénario est assez dangereux, compte tenu du résultat des élections législatives. Il consisterait à se rapprocher un peu plus du RN en nommant un Premier ministre plus à droite que Michel Barnier.
Parmi les noms qui circulent, celui de Bruno Retailleau revient avec insistance. Mais il aurait une très très lourde signification parce que repartir à l'assaut des voix du RN après la motion de censure, ça me paraissait un peu baroque.
Puis vous avez dans les noms qui circulent d'anciens ministres de la présidence Macron (comme François Bayrou et Sébastien Lecornu, ndlr) pour prendre le poste de chef du gouvernement. Des noms qui donneraient encore plus le sentiment d'une prolongation du macronisme.
Ces noms s'exposeraient encore davantage à une censure.
Le RN bientôt au pouvoir : "tout ne peut pas tout le temps leur profiter"
Autres articles
TourMaG - Et l'hypothèse d'un gouvernement qui expédierait les affaires courantes, jusqu'à de prochaines législatives l'été prochain ? Il faudra attendre un an, avant deux dissolutions de l'Assemblée nationale.
Emmanuel Rivière : Je ne suis pas constitutionnaliste pour savoir si cette hypothèse peut fonctionner.
Politiquement, il est possible de gérer les affaires courantes pendant un mois. Mais par rapport aux tensions qui ont été créées, ce ne serait pas la meilleure idée.
Puis sachez qu'un gouvernement démissionnaire ne peut pas être renversé.
TourMaG - Vous n'avez pas l'impression que tout ce qu'il se passe, participe au récit du Rassemblement national et de sa future prise de pouvoir ?
Emmanuel Rivière : Oui, après je vous rappelle que les élections législatives ont montré que la dernière marche pour atteindre le pouvoir, était difficile à gravir pour le RN.
L'image de ce Parti ne semble pas fléchir, la côté de ses leaders reste inchangée, le procès à l'encontre de Marine Le Pen ne semble pas avoir le moindre impact sur son image.
Il a fait 35% aux dernières législatives, c'est un score très important, mais il manque toujours 15%. Il reste du monde à séduire pour passer ce cap et surtout, mieux vaut avoir des alliés, un autre parti fort, bien plus fort qu'Eric Ciotti.
Et je ne suis pas sûr que les Républicains, qui ont eu la bonne fortune d'avoir un de leurs à Matignon, soit dans cette optique. Après tout ne peut pas tout le temps leur profiter.
Quand vous êtes à 35%, vous avez plus de chance de retomber que de continuer à monter...
Emmanuel Rivière : Je ne suis pas constitutionnaliste pour savoir si cette hypothèse peut fonctionner.
Politiquement, il est possible de gérer les affaires courantes pendant un mois. Mais par rapport aux tensions qui ont été créées, ce ne serait pas la meilleure idée.
Puis sachez qu'un gouvernement démissionnaire ne peut pas être renversé.
TourMaG - Vous n'avez pas l'impression que tout ce qu'il se passe, participe au récit du Rassemblement national et de sa future prise de pouvoir ?
Emmanuel Rivière : Oui, après je vous rappelle que les élections législatives ont montré que la dernière marche pour atteindre le pouvoir, était difficile à gravir pour le RN.
L'image de ce Parti ne semble pas fléchir, la côté de ses leaders reste inchangée, le procès à l'encontre de Marine Le Pen ne semble pas avoir le moindre impact sur son image.
Il a fait 35% aux dernières législatives, c'est un score très important, mais il manque toujours 15%. Il reste du monde à séduire pour passer ce cap et surtout, mieux vaut avoir des alliés, un autre parti fort, bien plus fort qu'Eric Ciotti.
Et je ne suis pas sûr que les Républicains, qui ont eu la bonne fortune d'avoir un de leurs à Matignon, soit dans cette optique. Après tout ne peut pas tout le temps leur profiter.
Quand vous êtes à 35%, vous avez plus de chance de retomber que de continuer à monter...