Passé la peur de la maladie, l’effroi de l’annonce du confinement et les difficultés d’adaptation à l’isolement, le plus difficile est de tenir sur la durée, surtout sans connaître précisément la date de la sortie de ce long tunnel. Le risque de dépression existe, surtout pour les personnes ayant déjà une vulnérabilité aux troubles de l’humeur du fait de leurs antécédents ou de leur sensibilité au stress.
Voici donc dix recommandations pour s’en protéger.
1. Préservez votre horloge biologique
Ne plus avoir d’emploi du temps imposé, surtout quand on n’a pas accès au télétravail, expose à une certaine dérive des habitudes de vie : lever tardif le matin, horaires de repas aléatoires, siestes à répétition, séances de télévision ou de vidéo nocturnes, etc.
Si ces comportements rappellent les écarts que l’on peut s’accorder durant un week-end de récupération ou lors d’une semaine de vacances bien méritée, de telles journées anarchiques peuvent devenir problématiques si elles s’étendent sur une longue période.
Il existe en effet un lien assez direct entre les rythmes d’activité quotidienne et la régulation de l’humeur, probablement par l’intermédiaire de certains neurotransmetteurs comme la mélatonine. Les horaires de sommeil, surtout, sont assez cruciaux sur le long terme pour éviter une fragilité dépressive.
Dans la mesure du possible, il est donc important d’essayer de conserver des heures de coucher et de lever assez stables, proches des horaires classiques et garantissant une durée de sommeil conforme aux besoins.
2. Cherchez la lumière
Le manque de lumière peut augmenter le risque d’altération de l’humeur, comme c’est le cas dans certaines dépressions dites saisonnières ou hivernales. Les variations de luminosité au cours des 24 h que dure une journée aident l’horloge biologique à se synchroniser, et agissent favorablement, via les cellules de la rétine, sur la mélatonine et la sérotonine, deux hormones qui jouent un rôle dans la lutte contre la dépression.
L’idéal est de s’exposer à une intensité lumineuse assez forte pendant au moins une demi-heure voire une heure en début de matinée. Le printemps qui s’installe le permet, condition de pouvoir sortir de son logement, grâce à un jardin ou une cour, ou éventuellement lors des sorties autorisées pour les courses ou l’activité physique.
À défaut, il est possible de se positionner à proximité d’une fenêtre pendant une durée suffisante le matin, voire d’utiliser les lampes de « luminothérapie » si on en dispose.
3. Soignez le contenu de votre assiette
On le sait maintenant, la nutrition participe de manière non négligeable au bon fonctionnement cérébral et ainsi à l’équilibre émotionnel et de l’humeur.
Sans rentrer dans le détail, encore assez discutable, à propos d’éventuelles vitamines ou nutriments susceptibles d’avoir des effets antidépresseurs, l’objectif le plus important est de se rapprocher d’une alimentation la plus saine et la plus diversifiée possible.
En effet, les excès de calories, de sucres et de gras (et surtout les fameuses graisses « saturées » présentes dans la plupart des viandes rouges et des corps gras classiques) favorisent le développement d’une inflammation durable dans l’ensemble de l’organisme, délétère pour le métabolisme cérébral. De même, une alimentation non équilibrée expose à des carences en vitamines et sels minéraux essentiels pour le corps et le cerveau.
Profitez donc de la période de confinement pour faire la cuisine avec des produits frais et en évitant les plats déjà préparés, trop riches en calories et en sel. Il s’agit au passage d’une occupation plutôt agréable et créative, qui peut être réalisée avec les autres membres de la famille. Bien sûr, cela nécessite de faire des courses assez fréquemment pour se ravitailler notamment en fruits et légumes frais.
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Une vigilance particulière doit être portée par ailleurs à sa consommation d’alcool, de tabac et d’autres substances nocives, qui augmentent le risque de dépression et dont la consommation peut déraper en période d’isolement et d’inactivité…
4. Bougez quand même…
Un autre aspect physiologique qui joue un rôle important dans la protection contre la dépression : l’activité physique. Il a été prouvé qu’une activité régulière et relativement soutenue réduit les risques, voire même permet de soigner efficacement des dépressions légères. Là aussi, cet effet passe probablement par la sécrétion de substances bénéfiques pour les neurones impliqués dans les fonctions cognitives et émotionnelles.
Pas simple évidemment en période de confinement, mais il existe actuellement beaucoup de tutoriels et de sites pour suivre des programmes d’activités physiques à faire chez soi, et les sorties brèves pour courir restent autorisées. Au moins une demi-heure de ce mini-sport par jour est une bonne base.
5. Laissez venir ce qui vient
Peur, colère, frustration, ennui, tristesse, culpabilité… Ce flot d’émotions dites négatives, car pénibles ou douloureuses, est bien naturel en cette période de bouleversement et d’incertitude majeurs. Ces réactions de notre organisme sont faites pour nous alerter et nous apprendre à nous protéger, elles sont donc inévitables et même profondément humaines et utiles.
Des problèmes peuvent apparaître quand on cherche à leur résister ou à les étouffer : on lutte alors contre soi-même, ce qui est délétère et vain. Le maître-mot est donc l’acceptation, aussi bien vis-à-vis de nos propres émotions que vis-à-vis de la situation que nous vivons et sur laquelle nous n’avons pas de prise. Laisser venir ces états d’âme, les accueillir même comme une partie de soi permet de les rendre moins douloureux et moins durables.
Veillez cependant à ne pas les prendre « au pied de la lettre » : ils ne disent pas la vérité ! Avoir peur ne signifie pas que vous êtes en danger immédiat, se sentir coupable (du fait de votre impuissance par exemple) ne veut pas dire que vous êtes en faute. L’idée est de recevoir ces messages pour ce qu’ils sont, des alertes, et il vous revient ensuite de décider des réponses à donner en prenant un peu de recul. Ceci évite le cercle vicieux de la détresse qui entraîne des ruminations qui elles-mêmes renforcent la détresse.
6. Accordez-vous un droit au plaisir et à la futilité
Accepter les émotions pénibles d’un côté, mais aussi s’ouvrir à d’autres sentiments, plus favorables de l’autre. Le « cocktail du bien-être » est composé de deux tiers d’émotions positives pour un tiers d’émotions positives (plaisir, affection, amour, curiosité, etc.), en termes de durée ou de répétition sur la journée.
Même en période de crise, il est donc indispensable de s’accorder ce droit à l’humour, au divertissement, aux échanges affectifs divers, à la futilité. Vous pouvez à la fois programmer ces plages de détente à heures fixes dans votre emploi du temps, en veillant surtout à vous déconnecter alors de toutes les sources de mauvaises nouvelles de l’actualité et des médias, et vous en octroyer en plus comme de petites récompenses en cas de morosité ou après un effort ou une mauvaise nouvelle.
Faites donc une « provision » de ces plaisirs sains (listes de films, livres, morceaux de musique, jeux, etc.), et piochez dedans selon votre règlement intérieur préétabli. Et surtout, savourez-les pleinement, sans arrière-pensée, moment après moment !
7. Vivez un moment après l’autre
C’est en effet une des bases de la psychologie positive et aussi des méthodes de méditation dites de « pleine conscience » (mindfulness), qui ont fait leurs preuves pour prévenir les rechutes dépressives.
L’esprit humain a la formidable capacité à voyager dans le temps et à mener d’innombrables tâches en même temps, ce qui peut être très utile dans certaines situations. Mais il se laisse ainsi souvent distraire par des souvenirs ou des anticipations au lieu de se concentrer sur le moment présent, avec pour conséquence de ne pas profiter pleinement des moments de calme et de plaisir.
Se concentrer sur les sensations de l’instant, qu’il s’agisse de son monde intérieur (se sentir vivant, habiter son être) ou du monde extérieur (c’est mieux dans la nature, mais on peut aussi le faire devant une belle image ou en écoutant une belle musique…), n’est pas simple pour beaucoup d’entre nous. Mais c’est le moment ou jamais d’essayer, et pour cela de se faire aider si besoin par les nombreux tutoriels ou supports de pratique de méditation.
Le rapport au temps est essentiel dans l’épreuve que nous traversons. Nous savons qu’elle s’achèvera, mais nul ne sait quand exactement. Compter les jours en espérant que tout sera réglé demain génère de la frustration et de l’angoisse. Les professionnels de l’isolement (astronautes comme Thomas Pesquet ou grands voyageurs comme Bertrand Piccard) nous apprennent bien qu’avec un emploi du temps quotidien et une vision « au jour le jour », les longs tunnels paraissent subjectivement beaucoup plus courts et tolérables.
8. Donnez du sens à l’expérience vécue
Le confinement et la pandémie constituent une véritable épreuve, comme les humains en traversent quasiment tous dans leur vie, une fois ou plus souvent.
Toutes catastrophes ou tout stress intenses peuvent fragiliser voire traumatiser psychiquement, d’autant plus fortement qu’ils sont vécus dans l’incompréhension et sans clé d’analyse sociale, philosophique, voire spirituelle. La crise actuelle provient d’une épidémie comme l’espèce humaine en a traversé des milliers dans son histoire, et nous rappelle que nous ne sommes pas surpuissants face aux forces de la nature, même les plus microscopiques comme ce coronavirus.
Il sera temps, une fois la vague passée, de réfléchir aux conséquences de ce rappel au réel, souvent dénié par la société de l’hypersécurité et de l’hyperconfort à laquelle nous avons cru pouvoir nous habituer depuis quelques décennies, au moins dans nos pays occidentaux.
Mais, dans l’immédiat, donner du sens aux efforts longs et douloureux à fournir ne peut apporter que plus de résistance, pour ne pas dire plus de sérénité. Les soignants directement aux prises avec la maladie et des conditions de travail terribles trouvent du courage dans la certitude que leur peine est utile, voire indispensable pour sauver des vies, avec une réalité immédiatement concrète.
Rester chez soi, sans rien faire pendant plusieurs semaines, n’est évidemment pas comparable, mais représente aussi un défi qu’il faut associer à la même démarche collective, voire altruiste. Certes vous vous protégez vous-même en limitant vos contacts physiques, mais vous le faites aussi pour que d’autres, plus fragiles notamment, ne tombent pas malades ou puissent être soignés dans de bonnes conditions.
Ce rappel doit être constant pour faire face au découragement et au sentiment d’absurdité qui peut nous envahir de temps à autre.
9. Gardez le contact
Dans la même idée, le vécu collectif, voire fraternel, de la crise est une des clés essentielles pour la traverser au mieux. Certes, le sentiment de solitude n’est pas le même pour tout le monde, et nous voyons même en ce moment des patients souffrant habituellement de phobie sociale ou d’agoraphobie qui vivent plutôt bien la situation de confinement !
Mais les échanges sociaux et affectifs demeurent un des besoins humains les plus essentiels, comme la respiration et l’alimentation. Et l’isolement social est un des facteurs de risque de la dépression. Il est donc essentiel de garder des liens, au moins téléphoniques ou numériques, avec ses proches, au travers d’appels réguliers, surtout si vous vivez seul.
Cette démarche est facilitée par le fait que la situation exceptionnelle que nous connaissons est la même pour tout le monde en même temps, et cela dans le monde entier. Aucune difficulté donc à appeler vos grands-parents, vos collègues ou vos amis, même ceux que vous n’avez pas vus depuis 20 ans, pas besoin de trouver de faux prétextes. Cette occasion (espérons-le) ne se représentera peut-être jamais !
10. Pensez à vous faire aider si nécessaire
Le psychiatre que je suis ne peut que rappeler que la dépression constitue un trouble psychologique parfois sévère, pour lequel il existe des solutions thérapeutiques, d’autant plus efficaces qu’elles sont mises en œuvre rapidement. Elle peut toucher n’importe qui, et ne doit pas être vécue dans la honte ou la culpabilité.
Même pendant la pandémie, de nombreux professionnels de santé, médecins, psychiatres ou psychologues, poursuivent leur activité, notamment en télémédecine. Des dispositifs ont même spécifiquement été mis en place, par téléphone ou téléconsultation, pour répondre à ce type de besoin dont on sait qu’il va être important.
Ainsi, si vous sentez que vous risquez de « craquer », si votre sommeil ou votre appétit se dérèglent durablement, si vous êtes angoissé ou très triste une grande partie du temps, avec des idées sombres voire suicidaires, n’hésitez pas à contacter votre médecin traitant, un autre thérapeute qui vous connaîtrait déjà, ou sinon un des dispositifs d’écoute spécifiques.
En cas de grande urgence, confiez-vous à vos proches, et rappelez-vous qu’il est possible de consulter un psychiatre à tout moment dans la plupart des services d’urgence des hôpitaux, qui restent tous ouverts pendant la pandémie. Il est aussi possible d’appeler le 15 pour avoir des conseils d’orientation immédiats.
Antoine Pelissolo, Professeur de psychiatrie, Inserm, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.