Aérien : Vers un oligopole en Europe ?

L'aérien mondial et européen se porte bien.

Les compagnies vont effacer la pandémie et reprendre leur marche en avant.

"En 2024, environ 4,7 milliards de personnes devraient voyager, surpassant le record pré-pandémie de 4,5 milliards en 2019," nous expliquait IATA, en début d'année.

Dans le même temps, les résultats opérationnels devraient suivre, d'autant que les prix des billets se sont envolés, sous l'impulsion de la hausse du pétrole.

Les voyageurs français ont vu les prix globalement augmenter de 8,6%, toutes destinations confondues, en 2023. Une forte hausse qui faisait suite à l'importante flambée inflationniste constatée en 2022 (+21,7), selon le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.

Et à en croire un récent courrier adressé à Margrethe Vestager, la puissante commissaire européenne à la concurrence, la courbe ne devrait pas infléchir avant de longues années.

La missive que nous avons pu consulter est rédigée par les organisations des consommateurs de l'UE.

Elle interpelle l'équivalent de la ministre européenne à la concurrence du danger à venir dans le ciel de l'Union, si rien n'est fait très vite.

Pour ces associations, les instances doivent très rapidement rétablir une plus grande concurrence dans le marché aérien, pour voir se produire les mêmes effets que ceux constatés aux Etats-Unis, en raison d'une trop grande concentration entre les principales compagnies US.

"Le marché intérieur européen du transport aérien est une remarquable réussite de l'Union européenne. Au cours des dernières décennies, la libéralisation a permis d'offrir des liaisons aériennes moins chères, plus sûres et plus complètes dans l'ensemble de l'UE.

Cette évolution est due en grande partie à une concurrence vigoureuse entre les compagnies aériennes, qui s'efforcent constamment de surpasser leurs homologues en développant et en améliorant leurs services.

b[Aujourd'hui, le secteur européen du transport aérien se trouve à la croisée des chemins. De grands groupes de compagnies aériennes, de plus en plus dominants, se sont constitués à la suite de fusions successives.

En 2005, les cinq premiers groupes aériens européens représentaient déjà 47 % du trafic intra-UE, et ce chiffre devrait atteindre 73,5 % en 2024," introduit le courrier. ]b

Une estimation qui se base sur la consolidation à venir et en cas de rachat validé par la Commission européenne d'ITA Airways, SAS et Air Europa. Il reste encore le cas en suspens de TAP Air Portugal.

Et pour voir les conséquences sur le porte-monnaie et la qualité de service, les consommateurs ont pris l'exemple le plus parlant, celui des Etats-Unis.

Là-bas la concentration n'est pas nouvelle, elle date et porte ses fruits, surtout en faveur des actionnaires.

"Cette vague de consolidation des compagnies aériennes (en Europe) pourrait limiter considérablement la concurrence sur des milliers de liaisons, donnant ainsi une plus grande marge de manœuvre aux acteurs dominants du marché pour développer et abuser de leurs positions, au détriment des voyageurs européens.

Le fait que de nombreux aéroports européens soient ou deviendront saturés et que les règles d'attribution des créneaux aéroportuaires de l'UE soient obsolètes ne fait qu'ajouter à ces préoccupations.

Sur d'autres marchés, tels que les États-Unis, un niveau élevé de consolidation et le manque de concurrence qui en résulte ont entraîné une hausse des prix, une baisse de la qualité des services et une diminution du nombre de passagers aériens satisfaits.

Comme l'a récemment déclaré Tim Wu, professeur de droit à Columbia, "plus les compagnies aériennes sont grandes, plus elles sont mauvaises".

Récemment, un tribunal de district américain a bloqué la fusion prévue entre JetBlue et Spirit en raison de préoccupations liées aux inconvénients pour les consommateurs.

La consolidation aux États-Unis a toutefois déjà entraîné des dommages pour la connectivité, les communautés locales et les consommateurs. Dans le même temps, les grands transporteurs américains sont célébrés dans l'industrie du transport aérien pour avoir atteint des marges bénéficiaires historiquement élevées."

Pour éviter ce désastre, l'Europe doit agir en limitant la concentration et en maintenant une saine concurrence.

"Nous, représentants des consommateurs, des passagers, des intermédiaires en billetterie aérienne et des aéroports, demandons donc à la Commission d'examiner attentivement tout effet anticoncurrentiel potentiel lors de l'évaluation des opérations soumises à son examen, indépendamment de toute pression politique.

En cas d'inquiétude sérieuse, la Commission ne doit pas hésiter à utiliser les outils à sa disposition, y compris en considérant ces fusions comme incompatibles avec le marché commun ou en exigeant des mesures correctives significatives," conclut le courrier.

Une lettre envoyée à quelques mois d'une importante redistribution des pouvoirs en Europe, puisque les habitants sont appelés à voter pour élire leurs futurs députés.

Reste à savoir si Margrethe Vestager saura s'inspirer de ces conseils pour agir en faveur des voyageurs.