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Aérien : les consolidations sont-elles une bonne chose pour les passagers ?

Chronique de Jean Belotti


Alors que l'industrie du transport aérien est en pleine effervescence, Jean Belotti passe en revue l'historique et les causes de la concentration croissante des compagnies aériennes. Verra-t-on un jour, face aux monopoles qui font la loi, l'émergence de monopsones (groupements représentatifs des utilisateurs) ? Une analyse qui permet de mieux comprendre les enjeux actuels des alliances qui se nouent et se dénouent au gré des opportunités en Europe et aux États-Unis.


Rédigé par Jean Belotti le Mardi 11 Mars 2008

Ayant déjà longuement présenté les différentes situations de marchés (*) seul un bref rappel introductif devrait permettre de mieux comprendre ce qui se passe sur l’échiquier de l’aérien et d’apporter quelques éléments de réflexion, afin de savoir à qui profitent les rapprochements en cours et annoncés.

On se souvient que ce sont les Etats-Unis qui - ayant constaté les effets néfastes de l’existence de monopoles sur les consommateurs - ont été les premiers à voter, en 1890, la première loi anti-trust, le "Sherman act", puis, en 1914, le "Clayton act", avec comme objectif d’assurer une meilleure concurrence entre les entreprises.

L’acquisition de sociétés en amont ou en aval du processus de production (diversification verticale) ou de sociétés fabriquant le même produit (diversification horizontale) ayant également été interdite, s’est alors développée une croissance dite "conglomérale" consistant à acquérir tous autres types d’entreprises, généralement en difficulté et à l’émergence d’hyper-groupes multinationaux extrêmement puissants.

Retour de monopoles de plus en plus puissants

Composés de dizaines, voire de centaines de filiales aux imbrications les plus variées et subtiles et de participations croisées, il devint quasiment impossible de situer le centre des décisions et de démontrer que deux entreprises concurrentes sur un marché dépendaient, en fait, d’un même holding financier ("Les hyper-groupes suédois" du Professeur Jean Parent).

Force est de constater que cette évolution, dans un cadre de libre concurrence, a conduit au retour de monopoles de plus en plus puissants, qui, comme on le sait, pour maximiser leurs profits, produisent moins et pratiquent des prix élevés.

Le même processus de concentration s’est développé dans le transport aérien. Retenons l’émergence d’alliances globales (fait marquant dans le développement du marché du transport aérien civil) qui couvrent désormais plus de 70% du trafic mondial.

Quels en sont les prodromes ? Dès la fin de la guerre, l’organisation internationale du transport aérien avait été prévue sur la base d’une coopération en précisant qu’il conviendrait d’"éviter le gaspillage qu’entraîne la concurrence excessive entre les compagnies". Puis, est survenue la "deregulation" Carter.

(L’"Airline Deregulation Act" de 1978 autorisa les compagnies à réduire leurs tarifs jusqu'à 50% et à exploiter un certain nombre de lignes nouvelles par an, sans accord de leur administration de tutelle).

Alors que cette loi s'appuyait sur deux postulats de base selon lesquels la concurrence devrait conduire à une baisse des tarifs et favoriser la venue de "nouveaux entrants" sur le marché, les faits ont démontré le contraire.

En effet, une guerre tarifaire se déclencha aussitôt, avec une tarification discriminatoire : une hétérogénéité de la structure des tarifs et des baisses conduisit à d'importants déficits d'exploitation.

Rendre impossible l'entrée de nouveaux concurrents

Sur la structure de l’industrie, le premier effet constaté fut un processus de concentration, à la suite de fusions-absorptions touchant 60% des 230 compagnies américaines. Il en résulta la constitution de monopoles de plus en plus puissants, composés de cinq méga-compagnies, avec des flottes de 600 appareils, se partageant 80 % du chiffre d'affaires total du transport américain.

C’est ainsi qu’avec leurs filiales "charter" et leurs différents accords de coopération (entre elles et avec les compagnies régionales), elles furent en mesure de rendre impossible l'entrée de nouveaux concurrents, en plaçant, de plus en plus haut, les "barrières à l'entrée" (avec la concentration de leurs vols sur les lignes les plus rentables et à fort trafic, la création de réseaux globaux "Hubs and spokes" ; l’accès à des systèmes informatisés de réservation ; le lancement de programmes de fidélisation de la clientèle ; l’utilisation de nouveaux outils de gestion, tel l'"Airline Yield Management" qui permet d'améliorer la recette de chaque vol ; la privatisation des infrastructures aéroportuaires ; la taille et la diversité de la flotte, source d’économie d’échelle ; la surface financière ; ...).

De plus, plusieurs "indépendants" furent absorbés ou disparurent progressivement du troisième niveau, celui des dessertes régionales. Certains "commuters" (petites compagnies) en difficulté ne purent assurer leur survie qu'en se liant à un "major", selon différents systèmes, le plus courant étant le "Partage de code" ("Code Sharing"), système dans lequel une compagnie vend des places qui sont réservées sur les avions d'une autre compagnie.

Quant aux tarifs, leur baisse a effectivement été la première manifestation de la "deregulation". Mais, une fois la restructuration accomplie, les tarifs allaient cesser de diminuer pour, dès 1988, reprendre une croissance vers la hausse.

Cela était prévisible. Le processus est bien connu : "Baisse initiale des tarifs, de nombreuses compagnies sont déficitaires, elles sont absorbées par des OPA et OPE, le regroupement conduit à un retour à la situation de monopole d'où reprise de la hausse des tarifs".

Les effets sur la qualité service, sur la sécurité, sur la maintenance, sur la formation des équipages, sur les personnels au sol, sur la circulation aérienne, ne peuvent être cités, ici.

Dérégulation" : ni les compagnies, ni les passagers n’y ont trouvé leur bonheur

Finalement, les effets pervers relevés sont suffisamment connus pour affirmer que les postulats initiaux de la "dérégulation", sont indémontrables. Ni les compagnies, ni les passagers n’y ont trouvé leur bonheur. Il fallait donc trouver autre chose que la concurrence suicidaire ("cut throat competition") initialisée par les compagnies américaines.

C’est alors que la libération du ciel européen - qui s’est réalisée progressivement de 1987 à 1997 - a été accompagnée de ce qui a été nommé la "globalisation". Il s’agit d’un anglicisme qui traduit l'idée d’une coopération à base d’alliances et de prises de participations entre compagnies.

(En Europe, pratiquement toutes les compagnies sur les rangs : ont lié des alliances, par le biais d’accords bilatéraux négociés par les Etats ; ont continué, dans le cadre de la "globalisation", à consolider leurs positions par des accords de coopération dans le transport de passagers, dans le transport de fret et avec l'industrie du voyage ; ont procédé à des prises de participation, souvent croisées, qui, généralement, suivaient des accords de coopération ; ont créé des filiales, souvent ouvertes à d'autres compagnies ; ont réalisé des fusions ; ont participé à des "joint-ventures" avec d'autres compagnies aériennes ou d'autres industries ; ...).

Les manifestations de cette "globalisation" peuvent être considérées comme les prémices d’une coopération, qui allait être encore plus poussée, conduisant à la naissance des "alliances globales" débouchant sur la constitution d’hyper-groupes.

Une concurrence par la guerre des tarifs ne pouvait la conduire qu’à sa perte

Pourquoi ? Eh bien, simplement, parce que cela résulte d’une prise de conscience que l’industrie du transport aérien, étant donné sa sensibilité (à de très nombreux facteurs -géopolitiques, météorologiques, sociaux, économiques,..; aux nombreuses contraintes imposées - augmentation du coût du carburant, taxes de survol, etc....-), a considéré qu’une concurrence par la guerre des tarifs ne pouvait la conduire qu’à sa perte.

C’est donc dans le prolongement naturel de cette préoccupation majeure d’assurer la survie de leurs entreprises qu’ont émergés ces hyper-groupes. Il est vrai qu’acheter :

- du carburant pour une flotte de 1000 avions permet de peser sur les coûts (le baril a dépassé le seuil de 100 US$ et, en quelques jours - le 11 mars 2008 - a atteint 109 US$, ce qui, à ce rythme, ne peut que déclencher une augmentation généralisée des coûts - donc des prix - et des taxes supplémentaires sur les billets d’avion) ;

- des avions par dizaines d’exemplaires permet également d’obtenir d’importantes réductions et diverses facilitations.

Il convient de remarquer que les premiers fondateurs de ces hyper-groupes sont des compagnies déjà intouchables, qui comprirent que pour passer d’une situation d’oligopole couvrant un marché localisé géographiquement à un oligopole à l’échelle mondiale, il fallait achever la construction en cours, c’est-à-dire prendre place sur l’échiquier du marché mondial.

Prendre place sur l’échiquier du marché mondial

Ici aussi, il est difficile dans cet écheveau de trouver où est le début du fil composant la pelote, étant donné la complexité des liens les unissant, par l’existence :

- de liens intra-hyper-groupes (aux alliances commerciales s’ajoutent des participations souvent croisées entre compagnies appartenant au même hyper-groupe) ;

- de liens inter-hyper-groupes (participations également souvent croisées entre compagnies appartenant à des hyper-groupes différents).

Ce processus de consolidation continue aussi à se développer dans la conquête du marché arien mondial.

Il en est ainsi, par exemple, aux Etats-Unis où American Airlines et Jet Airways ont signé un accord de réciprocité sur le programme de fidélisation et un accord de partage de codes aériens.

Citons également un rapprochement d’importance, celui de la fusion annoncée de Delta Airlines (troisième compagnie américaine, avec 600 avions) et Northwest (cinquième, avec 411 avions) qui déboucherait alors sur un nouveau numéro un mondial, auquel serait intégré un troisième associé, le groupe Air France/KLM, qui pourrait accompagner financièrement cette fusion.

En Europe, avec Air France - déjà alliée à Delta depuis des années - et à KLM - déjà alliée à Northwest - ce rapprochement est vu d’un bon oeil. En effet si, début 2007, la tentative de rachat de Delta par US Airways (deuxième compagnie mondiale) avait abouti, Air France se serait retrouvée face au plus grand ensemble mondial.

Atlantique Nord : l'un des marchés les plus lucratifs

On apprend qu’Air France et Delta ont signé un accord - dont la mise en place devrait débuter dès le mois d’avril - qui dépasse largement le simple cadre commercial puisqu’il prévoit un partage, à parts égales, des coûts et recettes, donc des profits, sur les principales lignes transatlantiques du marché de l’Atlantique Nord.

Ce marché, le plus important en nombre de passagers est également un des plus lucratifs étant donné les tarifs déjà pratiqués (indépendamment des synergies estimées à plus de 100 millions € dès 2010, les vols réalisés par les deux compagnies représenteraient un chiffre d’affaires de plus de 5 milliards €).

Autre exemple en Europe, Iberia a l’intention de racheter la compagnie espagnole Spanair à son actionnaire actuel, la SAS.

Quant à l’absorption d’Alitalia par le groupe Air France/KLM, ce dernier a ouvert mi-janvier des négociations exclusives avec Air France-KLM qui devraient déboucher sur une offre de reprise ferme par la compagnie franco-néerlandaise pour les 49,9% détenus par l'Etat italien, favorable à ce désengagement de l’Etat. Ceci à condition que les difficultés politiques actuelles ne fassent échouer le projet.

Notons, en passant, qu’alors que les pays "riches" nationalisent leurs principales industries et commencent à absorber celles des autres pays à l’aide des fonds souverains (voir ma chronique de février 2008), l’Italie, dans cet exemple, dénationalise au lieu de renationaliser !

La question que se posent les passagers est de savoir si les principaux avantages qui leurs sont annoncés (un seul billet et un seul enregistrement pour faire le tour du monde et bénéficier des points de fidélisation plus attractifs ; un plus grand choix de destinations ; des correspondances simplifiées et plus rapides) ont vraiment un intérêt réel pour la majorité d’entre-eux ?

De plus, comment ne pas prendre en compte les effets pervers de la consolidation de positions monopolistiques de plus en plus puissantes sur la demande (tarifs, qualité du service, densification du nombre de siège,...)

Parmi les effets sur la qualité service, citons, entre-autres, les retards et les réclamations des passagers.

Les retards

Certes, leurs causes sont nombreuses (voir ma chroniques de novembre 1999), mais la pratique des flux tendus, avec des temps d’escales réduits pour permettre une utilisation maximale des flottes, conduit à des situations dans lesquelles les premiers retards enregistrés en début de journée sont répercutés et augmentés tout le long de la journée.

L’AEA (Association des Compagnies Européennes) relève que l’aéroport de Londres-Heathrow est celui qui enregistre le plus mauvais résultat avec un vol sur trois (35,5%) retardé de 15 minutes, d’un vol sur trois. Le cinquième plus mauvais est Roissy CDG (27,3%).

La qualité du service qui est promise aux passagers ne doit pas porter uniquement sur le déroulement du vol, mais également sur la partie transit dans les aéroports. Certes, on ne peut nier l’existence de certaines améliorations, mais d’importants efforts restent à engager.

En effet, entre autres, comment ne pas considérer comme anormal - et très désagréable à supporter par tous les passagers - que très (trop) souvent, ce n’est qu’après plusieurs longues minutes, l’avion étant arrêté, que les portes s’ouvrent afin de permettre le débarquement ?

Comment ne pas s’étonner également que - dans un aéroport international - les passagers soient obligés - même sur un des premiers vols de la journée - de quitter l’avion pour embarquer dans un bus qui mettra une quinzaine de minutes, après une succession d’arrêts et redémarrages secouant inconfortablement les passagers massés debout, pour laisser passer un avion ou d’autres bus, avant d’atteindre la salle de débarquement ?

Comment accepter le peu de considération qui est faite aux passagers qui, la compagnie ayant supprimé un vol, doivent - dans un aéroport international - attendre pendant 5 heures le vol suivant, sans qu’ils puissent avoir accès à un salon de repos ?

Comment ne pas s’étonner qu’un passager qui vient de traverser l’Atlantique en 6 heures, ne puisse quitter l’aéroport que 2 heures après l’atterrissage, soit le tiers du temps de vol ?

Les réclamations des passagers

Un rapport émanant de la trentaine de CEC (Centres Européens des Consommateurs) indique :

- qu’avec 2700 réclamations reçues en 2005, elles sont passées à 5000 en 2006 ;

- que les droits des passagers - malgré des règlements (voir ma chronique "droits des passagers" de décembre 2007) sont de moins en moins respectés.

Pour conclure que les pratiques et politiques des compagnies aériennes deviennent de plus en plus douteuses, il s’appuie, entre-autres, sur les constats suivants :

- une mauvaise connaissance de la part des consommateurs de leurs droits ;

- le manque de pouvoir contraignant des autorités nationales désignées dans le secteur pour faire respecter les règles (en France il s’agit de la DGAC) ;

- le manque de procédures simplifiées permettant une action judiciaire contre les compagnies aériennes pour les cas transfrontaliers ;

- seuls 40% des litiges ont été résolus à la satisfaction des passagers.

À cet égard, il convient de faire remarquer que les passagers pénalisés ont encore plus de difficultés à obtenir réparation du préjudice subi - notamment en cas de correspondance annulée - dès lors que plusieurs compagnies sont concernées.... celles, précisément , des alliances globales !

On est loin des situations déclarées de "saine concurrence"

Certes, il y a Bruxelles qui déclare veiller au grain et sanctionne, de temps à autres, une entente tarifaire entre deux grands groupes !

Mais il serait intéressant de savoir pourquoi il n’y a focalisation que sur de rares ententes ponctuelles entre deux compétiteurs, alors que les consolidations décrites (fusions-absorptions, participations croisées, accords divers, tarifs et services communs, ,..) sont, en fait, des ententes globales permanentes.

On est loin des situations déclarées de "saine concurrence" et du contrôle de l’interdiction de "position dominante". L’avis d’une agence de notation le confirme :i["seule la rationalisation des capacités excédentaires de la réduction du nombre de concurrents peuvent corriger un déséquilibre entre l’offre et la demande et améliorer le niveau des prix"


Finalement, l'impérieuse nécessité de rationalisation du système conduira, inéluctablement, vers une concentration, de plus en plus importante de l'industrie et force est de retenir que l’ultra-libéralisme :

- dans une première phase, a conduit au renforcement des plus forts et à la disparition des plus faibles ou, à tout le moins, à leur asservissement à des maîtres, seuls aptes à leur apporter leur activité quotidienne ;

- dans une deuxième phase, a généré une prise de conscience des plus forts, qui ont développé une coopération de plus en plus poussée, en vue de renforcer leur position de domination du marché mondial.

Pour équilibrer les relations entre l’Offre et la Demande, il n’y a plus qu’à espérer, face aux monopoles qui font la loi, l’émergence de monopsones (groupements représentatifs des utilisateurs).

(*) pages 452 à 494 - "L’économie du transport aérien"

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Commentaires

1.Posté par Gilles Gompertz le 25/03/2008 11:56 | Alerter
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A l'Ouest de notre village gaulois, rien de nouveau : le Groupe Air France représente sensiblement 75% du transport aérien français. Le marché et les pouvoirs publics semblent satisfaits de cette situation, qui n'a pas fondamentalement changé, que ce soit avec l'application du Traité de Rome ou les frémissements d'Open Sky transatlantique.

Croyez-vous qu'un peu de consolidation de plus ou de moins changera la donne dans la mère patrie du TGV ?



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