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"Circonstances exceptionnelles et inévitables" : après le départ, est-il déjà trop tard ? 🔑

Analyse de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE)


La directive des voyages à forfait n'est pas un monolithe fixe et immuable. Le texte est complété et détricoté au gré des jurisprudences de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE). Fin février 2024, la CJUE a rendu une décision complétant la définition des "circonstances exceptionnelles et inévitables". Alors, après le départ, est-il déjà trop tard pour les invoquer ? Voici l'analyse de Chloé Rezlan et Valentine Hedde du cabinet Adeona.


Rédigé par le Mercredi 6 Mars 2024

Un client peut-il annuler un voyage et ne pas verser de frais d'annulation au professionnel du voyage, s'il invoque des circonstances inévitables et exceptionnelles survenues après la résiliation du contrat, mais qui se sont produites avant son départ ? - DR : Depositphotos @aapsky
Un client peut-il annuler un voyage et ne pas verser de frais d'annulation au professionnel du voyage, s'il invoque des circonstances inévitables et exceptionnelles survenues après la résiliation du contrat, mais qui se sont produites avant son départ ? - DR : Depositphotos @aapsky
Les textes de loi européens ou nationaux évoluent au gré du temps et des jurisprudences.

Publiée en 2015, celle qui régit le quotidien des agents de voyages et des tour-opérateurs, la directive européenne des voyages à forfait, a été continuellement complétée ou analysée par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE).

Fin février, l'une des sept institutions de l'Union européenne a rendu une décision au sujet des "circonstances exceptionnelles et inévitables," (CEI).

Cette terminologie remplace la force majeure qui était présente dans le droit du tourisme français.

La notion et son application reposent sur différents points indispensables qu'une récente action en justice en Allemagne a étoffés.

Nous savions déjà que ces évènements doivent porter sur le lieu de destination ou à proximité immédiate, mais aussi avoir un impact important sur l’exécution du contrat ou sur le transport.

Sauf que la dernière jurisprudence de la CJUE intègre une dimension de temporalité sur la survenue des CEI. Alors les circonstances exceptionnelles et inévitables doivent-elles avoir lieu impérativement avant ou après le départ ?

Nous avons demandé à Chloé Rezlan et Valentine Hedde du cabinet Adeona, d'analyser la décision et d'en tirer les conséquences sur l'industrie touristique.


Voyages à forfait : quel est le cas de l'affaire traitée ?

Dans cette affaire, un voyageur a réservé un voyage à forfait au Japon auprès d’un voyagiste, prévu du 3 au 12 avril 2020.

En raison des mesures liées à la propagation de la COVID-19 au Japon, le voyageur a résilié le contrat le 1er mars 2020, justifiant sa décision par le risque sanitaire.

Le voyagiste a facturé des frais d’annulation dont le voyageur s’est acquitté.

Le 26 mars 2020, le Japon a interdit l'entrée sur son territoire. Le voyageur a alors demandé le remboursement des frais d’annulation. Cette demande a été refusée par le voyagiste.

Un tribunal allemand a d'abord ordonné le remboursement des sommes au profit du voyageur, mais la juridiction de renvoi a rejeté cette demande, estimant qu'à la date de la résiliation, il n'était pas possible, selon une évaluation anticipée, de caractériser des « circonstances exceptionnelles et inévitables ».

C’est dans ces conditions que les juridictions allemandes ont transmis ce cas à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE).

Voyages à forfait : sur quelle question de droit la CJUE a-t-elle statué ?

La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a donc été appelée à statuer sur une question de droit très spécifique et touchant les circonstances exceptionnelles et inévitables.

« Convient-il d’interpréter l’article 12, paragraphe 2, de la directive [2015/2302] en ce sens que, pour apprécier si la résiliation du contrat [de voyage à forfait concerné] est justifiée, seules des circonstances exceptionnelles et inévitables qui sont déjà survenues à la date de la résiliation sont pertinentes ou en ce sens qu’il faut également tenir compte de circonstances inévitables et exceptionnelles qui surviennent effectivement après la résiliation, mais avant le début prévu du voyage ? »

En d'autres mots et pour ceux qui n'ont pas fait de droit : un client peut-il annuler un voyage et ne pas verser de frais d'annulation aux professionnels du voyage, s'il invoque des circonstances inévitables et exceptionnelles survenues après la résiliation du contrat, mais qui se sont produites avant son départ ?

Une question de droit qui pourrait alors donner lieu à de nombreuses batailles judiciaires et des remboursements de milliers de clients par les agents de voyages et les tour-opérateurs.

Le document complet de la Directive 2015/2302 du 25 novembre 2015 :


La réponse de la Cour de Justice de l’Union Européenne

La CJUE rappelle dans un premier temps que, conformément à l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2015/2302 « si des circonstances exceptionnelles et inévitables, survenant au lieu de destination ou à proximité immédiate de celui-ci, ont des conséquences importantes sur l’exécution du forfait ou sur le transport des passagers vers le lieu de destination », un voyageur a le droit de résilier un contrat de voyage à forfait avant le début de ce forfait sans payer de frais de résiliation et d’obtenir ainsi le remboursement intégral des paiements effectués au titre dudit forfait dans un délai maximum de 14 jours.

Elle rappelle que la notion de circonstances exceptionnelles et inévitables s’entend comme « une situation échappant au contrôle de la partie qui invoque cette situation et dont les conséquences n’auraient pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises ».

Il est également rappelé que la directive apporte un éclaircissement de la notion en indiquant qu’« [il] peut s’agir par exemple d’une guerre, d’autres problèmes de sécurité graves, tels que le terrorisme, de risques graves pour la santé humaine, comme l’apparition d’une maladie grave sur le lieu de destination, ou de catastrophes naturelles telles que des inondations, des tremblements de terre ou des conditions météorologiques rendant impossible un déplacement en toute sécurité vers le lieu de destination stipulé dans le contrat de voyage à forfait ».

La CJUE souligne que le droit de résiliation sans frais doit être exercé « avant le début du forfait ».

Elle indique également que pour que le client ait droit à une annulation sans frais du séjour, la survenance de « circonstances exceptionnelles et inévitables » doit être satisfaite à la date de la résiliation et d’autre part qu’elles doivent avoir « des conséquences importantes sur l’exécution du forfait ou sur le transport des passagers vers le lieu de destination ».

Ces conséquences ne se manifestant définitivement qu’à la date prévue, leur appréciation est donc nécessairement prospective.

Cette appréciation doit se faire du point de vue d'un voyageur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.

En ce qui concerne les circonstances survenues après la résiliation du contrat, mais avant le début du forfait, la Cour estime qu'elles ne doivent pas être prises en compte.

Elle souligne que la prise en considération de la situation à différentes dates (date de résiliation et date d’exécution du forfait) pourrait conduire à des résultats contradictoires, ne permettant pas une protection effective du consommateur et laissant substituer une situation d’incertitude qui ne serait dissipée qu’à la date prévue pour le début du forfait.

Les conclusions de Me Chloé Rezlan et Me Valentine Hedde du cabinet Adeona

La Cour répond donc à la question préjudicielle en indiquant que, pour déterminer si des « circonstances exceptionnelles et inévitables » ont eu des conséquences importantes sur l'exécution d'un forfait ou sur le transport des passagers vers le lieu de destination, il faut uniquement tenir compte de la situation prévalant à la date de la résiliation du contrat de voyage et non a posteriori.

"Une solution cohérente qu’il convient de saluer," conclut Me Chloé Rezlan.

Cette décision est plutôt une bonne nouvelle pour les professionnels du voyage qui auraient pu se retrouver avec d'importants problèmes de trésorerie.

En effet, en cas de rendu différent par la CJUE, ils auraient pu se retrouver à devoir rembourser les frais d'annulation de clients ayant constaté la survenue de circonstances exceptionnelles et inévitables après la résiliation de leur contrat.



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