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De retour au Spitzberg, Grands Espaces signe la relance de son activité

Entretien avec Christian Kempf, fondateur de Grands Espaces


Début juillet, la Norvège a rouvert l'archipel du Spitzberg aux voyages, alors que les autres pays de la ceinture arctique - Russie, Alaska, Canada et Groenland - restaient fermés. Une occasion qu'a choisi de saisir l'agence Grands Espaces pour reprendre les croisières polaires durant l'été. Nous avons fait le point avec Christian Kempf, géographe et biologiste, fondateur de Grands Espaces, qui nous explique comment son agence maintient la tête hors de l'eau depuis plus d'un an. Interview.


Rédigé par le Dimanche 19 Septembre 2021

Rencontre avec le seigneur de l'Arctique, le 14 août 2021 à bord du Polarfront au Svalbard - DR : Vincent Lecomte, Grands Espaces
Rencontre avec le seigneur de l'Arctique, le 14 août 2021 à bord du Polarfront au Svalbard - DR : Vincent Lecomte, Grands Espaces
TourMaG.com - Grands Espaces a repris cet été ses croisières d'expéditions polaires dans l'Arctique. Dans quelles conditions ?

Christian Kempf :
La particularité de l'Arctique cet été par rapport à 2019, c'est que la majorité de la zone était fermée : la Russie, le Canada (pour les croisières), le Groenland - sauf à passer 4 jours en mer avant d'y arriver.

La seule ouverture, hormis l'Islande, était la Norvège avec le Spitzberg (ou Svalbard), où au demeurant il n'y a jamais eu de Covid.

En effet, la Norvège a su préserver cet archipel de l'épidémie, où vivent environ 3 000 personnes. 90% d'entre elles ont été vaccinées en juin dernier.

L'ouverture a eu lieu début juillet, ne permettant pas aux "gros" navires, accueillant plus de 100 passagers, d'être armés à temps, car il faut compter environ 30 jours, le temps de rassembler l'équipage, d'avoir l'avitaillement à bord, etc.

Les petites unités, en revanche, peuvent réagir tout de suite et donc, sur les six « petits » bateaux présents dans la zone cet été, trois étaient affrétés par Grands Espaces.

Nous étions très heureux de pouvoir emmener des gens, même si pour certains d'entre eux, le voyage jusqu'au navire s'est apparenté au parcours du combattant...

TourMaG.com - C'est-à-dire ?

Christian Kempf :
Certains clients qui avaient réservé des croisières à bord de plus gros bateaux l'an dernier ont vu leur voyage annulé. Cette année, nous leur annonçons que nous ne pouvons pas les envoyer sur ces mêmes bateaux, mais sur des petites unités, et en plus de cela, au dernier moment certains ont vu leurs vols avec SAS ou Norwegian modifiés ou annulés...

Mais finalement, ils sont tous revenus très heureux. Ils ont vu ce qu'était un vrai voyage : pas un simple contrat, pas seulement de l'argent, mais une véritable aventure au milieu des icebergs, des baleines, des ours, etc., dans un contexte où il a fallu lutter contre le Covid et attendre...

Mes chefs d'expédition m'ont rapporté l'émotion des clients au moment de repartir, et je trouve cela beau, parce qu'on leur donne de l'émotion, ils l'ont attendue !

TourMaG.com - Vous avez donc 3 bateaux basés en Arctique : le Polaris, le Polarfront et le Grand Large ?

Christian Kempf :
Nous n'avons pu faire cet été que 13 voyages seulement, car la saison n'a démarré que le 20 juillet pour se terminer le 28 septembre. D’habitude, ils commencent au mois de mai.

Nous étions les seuls francophones sur place, mais il y avait trois autres bateaux sur place : un norvégien, un américain exploité par un norvégien et un suédois.

"L'année 2022 passera beaucoup par le B2C"

TourMaG.com - Ces croisières estivales vous ont-elles permis "d'écouler" des reports ?

Christian Kempf :
Cet été, sont venus d'abord les gens qui étaient inscrits sur des voyages reportés et qui ont accepté de venir sur un bateau de 10 places au lieu de 75 places.

En effet, en 2020, 92% de nos clients ont reporté leurs voyages prévus sur l'année et 85% des voyages prévus sur 2021 ont également été reportés.

Actuellement, nous avons plus de 2 000 personnes qui ont reporté leur voyage sur 2022. C'est un parti que nous avons pris, de reporter de nombreux voyages à destination des pays nordiques, car nous connaissons bien la frilosité de leurs gouvernements. Nous ne souhaitions pas annuler à la dernière minute.

Et puis, nous ne pouvons pas nous permettre de proposer des croisières au rabais, c'est-à-dire que les clients ne puissent pas visiter une communauté d'Inuits, qu'ils soient obligés d'être masqués même sur les zodiacs, etc.

Nos clients l'ont bien compris et ont accepté de jouer le jeu. Le niveau élevé du panier moyen - 8 500€ par personne - y joue également. Car quand un client laisse un acompte de 3 000€ pour un voyage de 8 000 ou 10 000€, il va davantage réfléchir avant de demander un remboursement que pour un week-end à 500€ en Europe.

Par ailleurs, nos clients sont souvent très motivés, ils ont l'intelligence - au sens le plus noble du terme - de s’intéresser à autre chose qu'à l’habituel et s'ils choisissent d'investir une somme importante dans un voyage dans le Grand Nord c'est souvent parce que c'est le voyage d'une vie.

Cependant, malgré une année quasiment blanche en 2020 et de nombreux reports, il y a aujourd'hui une reprise, nous le sentons, même si elle se fera en décalé par rapport aux "grands" croisiéristes...

Cela fausse les objectifs que nous nous étions fixés, de doubler le nombre de voyageurs annuels d'ici les prochaines années.

Néanmoins, nous continuons à nous développer et nous pensons que 2022 devrait bien se passer pour nous, sauf apparition d'un nouveau variant encore plus résistant du coronavirus...

TourMaG.com - Justement, comment se profile l'année 2022 ? Quels sont vos projets ?

Christian Kempf :
L'année 2022 passera beaucoup par le B2C pour Grands Espaces, car je pense qu’une agence de voyages qui nous a promis un groupe de 10 ou 20 personnes ne prendra pas davantage de risques et se contentera de remplir avec ce qu'elle a déjà vendu.

Pour autant, nous souhaitons continuer à développer nos ventes en B2B. Paradoxalement le B2C va prendre une place en proportion plus importante.

L'année 2022 ne sera donc pas une année de prise de risques pour le B2B, mais pour nous oui !

Nous avons pris le parti d'avoir des bateaux de moins de 100 passagers. En Arctique, nous aurons donc l'Ocean Nova, l'Explorer et le Nanook, qui arrivera en avril prochain et qui sera positionné toute l'année au Groenland.

En 2023, un autre bateau de 24 places viendra s'ajouter à notre flotte.

Par ailleurs, nous verrons comment se présente l'hiver à venir, mais généralement nous avons trop de demandes sur la Norvège sur les mois d'hiver (novembre, puis février-mars) et nous utilisons également le Grand Large, que nous positionnons ensuite au Spitzberg l'été.

"Je suis très fier de mon équipe"

TourMaG.com - La Norvège est-elle votre principale destination ?

Christian Kempf :
Non, pour 2022, c'est le Groenland. Mais si l'on communique beaucoup autour de la Norvège et du Sptizberg, c'est parce que c'était ouvert.

Nous sommes petits et très réactifs. Je prends l'exemple de l'Islande. Nous ne sommes pas des spécialistes de la destination, mais dès que nous avons vu que le volcan Fagradalsfjall était entré en éruption en mars dernier, nous avons réalisé dix voyages avec 15 personnes à chaque fois, dès que le pays a rouvert en avril.

TourMaG.com - Comment avez-vous réussi à tenir depuis mars 2020 ?

Christian Kempf :
Il y a trois facteurs qui nous ont permis de maintenir la tête hors de l'eau : nos réserves, la confiance des clients qui n'ont pas demandé le remboursement sous 15 jours de leurs voyages dès mars 2020 et les aides du Gouvernement français, dont nous ne bénéficions plus désormais, depuis que l’activité a repris.

Et puis je dois dire que je suis très fier de mon équipe. Ce sont quand même des hommes et des femmes que j'ai embauché il y a un certain temps pour accueillir des clients et leur fournir un bon service.

Or, depuis un an et demi, la relation avec les clients est plus financière qu'autre chose. C'est plus de la gestion de reports que de la vraie organisation de voyages et nous ne sommes pas des négociateurs...

Mais au final, toute l'équipe est là, terriblement motivée. Et cela vient en partie du fait que nous avons fait partir toutes les personnes de l'équipe de réservation - qui le voulaient et le pouvaient - dans le Nord cet été.

Nous avons également mis en place toute une série de projets d'entreprises durant les (presque) deux ans d'arrêt : nouveaux navires, projets de dirigeables polaires à partir de 2025, etc. Mais nous en reparlerons plus tard...

"Cette année, il y a encore moins de banquise"

TourMaG.com - La croisière souffre d'une mauvaise image en termes de protection de l'environnement. Quel est votre regard sur ces critiques, notamment vis-à-vis des expéditions polaires ?

Christian Kempf :
Il faut d'abord savoir que nous prenons des précautions vis-à-vis des animaux, notamment en termes d'approche : les animaux ne sont pas dérangés par les touristes.

Nous sommes également obligés par les autorités norvégiennes d’utiliser du fuel léger, de compenser toutes les émissions et de ne jeter aucun déchet en mer : tout doit être ramené à Longyearbyen.

TourMaG.com - Le Spitzberg a-t-il souffert de la crise liée à la pandémie ?

Christian Kempf :
Il y a en effet des sociétés touristiques locales qui n'ont pas survécu à un an de fermeture et qui n'ont pas eu d'aides comme en France.

A Longyearbyen, le tourisme représente en temps normal 140 000 nuitées d’hôtels. Il y a 65 000 croisiéristes, dont 25 000 pour des croisières d'expédition, qui laissent en moyenne 500€ sur place. Ce qui veut dire que les services locaux, les commerces, les excursionnistes ont souffert.

Au niveau de l'environnement, on voit également des changements mais qui ne sont pas liés à la pandémie.

Cette année, il y a encore moins de banquise, les glaciers reculent toujours... Depuis la première fois où je me suis rendu au Spitzberg en 1973, c'est incroyable comme cela a changé.

J'ai exceptionnellement eu l'occasion de le survoler ces dernières année, et désormais on voit les lacs glaciaires partout, il y a tout qui fond ! C'est vraiment impressionnant et en même temps, on se sent impuissant, sauf bien sûr à changer nos habitudes de tous les jours.

Quand Grands Espaces a démarré les voyages là-bas en 1998, nous y allions au mois d'août, parce qu'il y avait de la banquise partout.

Maintenant, la banquise est par 83 degrés de latitude Nord en août, c'est-à-dire qu'elle se situe 500 kilomètres plus au Nord. Donc aujourd’hui, en tant qu'organisateurs, nous conseillons aux gens de venir au mois de juin et non plus en juillet-août.

TourMaG.com - Et quid de votre activité en Amazonie ? Avez-vous toujours un bateau là-bas ?

Christian Kempf :
Oui, nous avons la Jangada.

L'Amazonie a été très touchée par le Covid et Manaus encore plus.

Nous avons donc décidé de maintenir le salaire de notre équipage et nous avons pris des mesures pour laisser le bateau au large de Manaus, sur le fleuve, pour le protéger. Nous en avons fait un hôtel flottant durant quelques temps, pour en tirer quelques revenus.

Mais étant donné que les voyages interrégionaux sont à nouveau autorisés au Brésil, dès ce mois de septembre, nous proposons des voyages pour les Brésiliens.

En 2022, nous espérons pouvoir reprendre nos activités classiques. D'ailleurs, je suis étonné par le nombre de nos clients francophones qui ont réservé en Amazonie. Il y a aussi des agences - américaine et allemande - qui nous ont réservé le bateau. Il y a un véritable engouement pour ce poumon vert.

Anaïs Borios Publié par Anaïs Borios Journaliste - TourMaG.com
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