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Deux femmes pilotes parlent de leurs parcours : sexisme et regard des passagers !

Deux copilotes de La Compagnie se livrent sur le sexisme ambiant dans l'aérien


En cette journée internationale des droits des femmes, nous avons interrogé deux femmes copilotes de La Compagnie. Emmanuelle et Amandine nous racontent leurs parcours, qui n'a pas vraiment été un long fleuve tranquille : la perception des passagers de voir une femme aux commandes, les embûches et le sexisme latent d'une profession, où les femmes ne représentent que 3% des effectifs à travers le monde. Entre bonne humeur et anecdotes, retrouvez leurs témoignages.


Rédigé par le Jeudi 5 Mars 2020

TourMaG.com - Chacun à ses rêves enfants, la petite Emmanuelle et la petite Amandine rêvait-elle d'être aux commandes d'un Airbus ?

Emmanuelle :
J'ai toujours voulu devenir pilote. Je me souviens que dès mes 6 ans, j'étais fan d'avion. Alors que certaines avaient des posters de chanteuses, chanteurs ou joueurs de foot, les murs de ma chambre étaient tapissés de photographies d'avion.

J'ai toujours baigné dans ce milieu. Mon grand-père était alors mécanicien navigant, à l'époque cela signifiait qu'il était la 3e personne a être présente dans le cockpit.

Puis mon père était aussi un passionné de l'aviation. C'est un virus qui a contaminé toute la famille.

Amandine : Même si à l'image d'Emmanuelle j'ai toujours été entourée d'amoureux de l'aviation, mon père et mon grand-père ayant été pilotes, je n'ai jamais rêvé petite de prendre les commandes.

Je voulais devenir présidente de la République.

Toutefois, j'ai toujours eu une attirance particulière pour ce domaine. J'ai fait quelques rotations avec mon père. La révélation s'est produite à mes 14 ans, lors d'un stage de planeur. Une fois aux commandes, j'ai attrapé le virus qui depuis ne m'a jamais quitté.

Suite à cela, j'ai abandonné mes rêves de présidence, pour vouloir être pilote de chasse dans l'armée. C'était mon rêve ultime mais je n'ai pas été sélectionnée, je me suis dirigée vers l'aviation civile.

"A 15 ans le ciel m'est tombé sur la tête, mon rêve s'envolait loin de moi..."

TourMaG.com - Laissons dorénavant les adolescentes rêveuses, quel fut votre parcours pour devenir pilote officiel ?

Emmanuelle :
Ce rêve ne m'a jamais quitté. Mais à 15 ans j'ai connu une grande désillusion. Le médecin m'a diagnostiqué comme étant myope, à l'époque il y avait une sélection par la vue. Le ciel m'est alors tombé sur la tête, mon rêve s'envolait loin de moi.

Je n'ai pourtant pas abandonné le secteur. J'ai fait des études et je suis devenue agent de trafic, pendant trois ans. Ainsi je coordonnais tout ce qui se passe au sol.

Puis au détour d'une conversation, une personne me dit qu'il est dorénavant possible de piloter avec des verres correcteurs. Ni une ni deux, je passe la visite médicale me rouvrant les portes de mon rêve.

J'ai alors économisé pour me payer mes études, tout en continuant à travailler pour un sous-traitant d'Airbus. Ce fut dur, de cumuler un job et les études, mais rien d'insurmontable. Par la suite grâce au Fongécif, j'ai pu passer ma qualification en Belgique pour piloter un Boeing 737.

Ma formation s'est étalée sur plusieurs années, j'ai dû faire des sacrifices, car je me suis tout payé, je me suis endettée et j'ai passé des nuits entières à étudier.

Amandine : De mon côté, le parcours a été plus linéaire. Suite à l'échec de mes tests pour intégrer l'armée, je suis partie aux USA pour passer le concours de pilote privé et aussi perfectionner mon anglais.

Puis j'ai passé ma licence de pilote de ligne en candidat libre, donc toute seule chez moi.

Je devais valider 14 matières, pendant le même temps je travaillais chez Dassault au sol. Pour mon mûrissement, j'ai fait de la voltige aérienne, ce fut une véritable révélation pour moi. Une nouvelle passion venait de naître, je le pratique toujours et je m'aligne sur des compétitions régionales et nationales.

Par la suite je suis partie en Angleterre pour obtenir ma licence de vol professionnel.

"J'ai eu des remarques dégradantes comme "on sait pourquoi tu as eu le contrat et pas moi"..."

TourMaG.com - Lors de votre parcours de formation, être une femme représentait-il une difficulté ? Avez-vous connu des épisodes sexistes ?

Amandine :
Je n'ai jamais eu de moment de gêne particulier, il faut dire que j'ai terminé ma formation en 2016. Après aux Etats-Unis, j'étais la seule étudiante, donc femme de toute l'école.

En Angleterre, nous devions être 2 ou 3 maximum, pour une centaine d'étudiants. C'est un milieu très masculin. Dans le monde, seulement 3% des pilotes sont des femmes, ce n'a pas toujours aussi faible.

Après je suis née dans ce milieu, j'y connaissais ces codes. Il n'y a jamais eu aucun problème. La seule petite anecdote qui me vient c'est celle qui s'est déroulée à l'aéro-club de voltige. Une personne vient avec sa fille, elle présente le staff, en arrivant à moi, il me présente comme la femme du coach.

Personnellement, cela ne me dérange pas, mais cela ne montre pas l'exemple aux petites filles. C'est dommageable, car si aujourd'hui nous ne sommes pas nombreuses, c'est aussi car nous pensons que ce n'est pas possible. Cela passera par des petites graines dispersées au quotidien.

Emmanuelle : Au cours de ma formation, je n'ai pas vraiment eu de moment douteux ou de gêne. Après je sais que par le passé des hommes refusaient de parler à des femmes, mais ce n'est plus le cas.

J'ai repris mes études à 25 ans. Je me suis retrouvée avec des personnes plus jeunes. Cette situation a été sans doute les moments les plus compliqués. Ils se demandaient ce que je faisais là, car j'étais une femme, agent de trafic.

Avec les jeunes, cela a été un peu plus difficile, avec des remarques dégradantes comme "on sait pourquoi tu as eu le contrat et pas moi", je pense surtout que ce sont des personnes complexées, et se dire qu'une femme peut être meilleure qu'eux ce n'est pas facile à l'admettre.

TourMaG.com - En tant que femmes copilotes, devez-vous vous imposer dans un cockpit ? Et pensez-vous que vous faites un travail différent de celui des hommes ?

Emmanuelle :
C'est un travail d'équipe, nous sommes sur un pied d'égalité. Vous savez, mon premier contrat je l'ai décroché chez Royal Air Maroc, une compagnie où contrairement aux préjugés, il y a beaucoup de femmes pilotes.

Je me souviens, d'un commandant de bord de la RAM qui m'a dit un jour : il n'y a pas de femme ou d'homme, il n'y a que des pilotes. Je ne pense pas qu'il y ait une différence très importante, même si je pense que nous allons nous attarder davantage sur des petits détails.

J'ai une autre petite histoire, un jour un instructeur me pose une question, je la lui retourne car je ne la comprenais pas. Quinze jours plus tard, il pose à nouveau la même interrogation à une autre femme pilote qui ne la comprenait à nouveau pas, cela nous semblait tellement naturel, que nous ne comprenions pas.

Parfois, quand on nous interroge, il y a des réponses qui nous viennent naturellement, l'expliquer n'est pas facile et à un homme c'est encore plus compliqué (rire, ndlr).

Amandine : Je ne pense pas qu'il y ait une grande différence, j'ai eu à m'imposer en tant que copilote, mais pas en tant que femme face à un pilote.

"Nous (les femmes, ndlr) travaillons plus, pour justifier davantage notre poste"

TourMaG.com - Question qui peut paraître bête en 2020, mais le pilotage d'une femme est-il différent de celui d'un homme ?

Amandine :
Je ne pense pas, certains diront que nous sommes plus rigoureuses ou minutieuses, mais vous savez, je pense qu'il y a des femmes qui sont aussi brutales que les hommes lors des atterrissages.

Par contre une chose est sûre, les femmes doivent prouver davantage, car j'ai l'impression que nous sommes attendues au tournant. Personnellement je me mets une pression particulière pour être irréprochable.

Nous travaillons plus, pour justifier davantage notre poste et éviter d'attendre "c'est parce que tu es une femme que tu n'as pas réussi cela...".

Emmanuelle : Il parait que nous sommes plus douces au niveau du pilotage, un peu moins brusque que les hommes. Nous sommes aussi moins compétitrices, nous voulons faire bien les choses, nous sommes "carré".

Nous devons montrer aux gens que nous ne sommes pas arrivées ici par hasard. Après, il arrive que l'on nous mette la pression, peut être plus qu'à d'autres, pour voir si nous avons les nerfs pour assumer.

TourMaG.com - Que diriez-vous à la petite Emmanuelle qui rêvait de devenir pilote à 6 ans ? Et pour vous Amandine ?

Emmanuelle :
Elle a bien fait de ne pas écouter toutes les personnes qui lui ont dit qu'elle n'y arriverait jamais, et je peux vous dire qu'il y en a eu beaucoup. Ce n'est pas personnel, je pense que cela concerne n'importe qu'elle rêve.

Je n'ai eu aucune facilité, aucun piston, la route était longue, finalement j'y ai cru, j'y suis arrivée.

Amandine : Abandonne ton idée de devenir Présidente de la République et fait ce métier extraordinaire d'être pilote de ligne. Je n'ai jamais l'impression d'aller travailler, c'est extraordinaire.

Vous savez beaucoup de pilotes disent, quand nous allons à l'aéro-club nous payons pour aller voler, puis là nous sommes payés pour aller voler, c'est incroyable. Nous sommes payés pour faire ce que nous aimons le plus au monde.

C'est un bureau extraordinaire, dans lequel nous voyons le soleil tous les jours.

"Il est possible d'avoir 3 en math et devenir pilote..."

TourMaG.com - Et maintenant que diriez-vous aux jeunes filles qui se rêvent en pilote ?

Emmanuelle :
Il y a une maxime de Saint-Exupéry que je me répète tous les jours "Fais de ta vie un rêve, et d'un rêve, une réalité". Il n'y a rien d'impossible, mon parcours en atteste.

Que ce soit lors des études ou dans ma vie professionnelle, il n'y a pas eu de frein, même les mathématiques ou les études. Le problème étant que le métier n'est pas valorisé chez les femmes, dès qu'une femme fait des études scientifiques, elle est dirigée directement vers la médecine.

Après, il faut se dire que l'aviation est un virus, soit vous l'avez, soit vous ne l'avez pas. Je ne voyais pas quel autre métier faire. De plus, je pense que le métier était plus physique, il y a quelques décennies.

Je pense que cela se démocratise, ce n'est qu'une question de temps.

Amandine : Il faut y croire, tout est possible. Vous savez, il y a une légende qui court comme quoi, il est important d'avoir fait Maths Sup ou des études d'ingénieur, ce n'est pas vrai.

Par exemple, j'ai fait un bac Economie et Social, et je n'aimais pas les mathématiques, car c'était trop abstrait à l'école, une fois appliqué cela m'a plu.

Il n'y a pas un seul chemin pour y arriver, la motivation est importante.

Il est possible d'avoir 3 en math et devenir pilote, mais pour cela il faut être passionné et impliqué.

La discrimination positive : "ces femmes le payeront un jour ou l'autre..."

TourMaG.com - Avez-vous déjà eu des moments gênants avec un pilote ou des passagers ?

Emmanuelle :
Un jour j'ai une collègue qui vient me voir en courant, après un vol. Elle me dit : heureusement que ce n'était pas toi aujourd'hui aux commandes, car une femme a déclaré que si une femme était aux commandes, elle ne monterait pas.

J'ai trouvé ça vache.

Aujourd'hui, il y a moins de regards suspicieux. Quand je travaillais au sol, une femme commandant faisait une annonce, et 7 ou 8 hommes se sont retournés pour se demander ce qu'il se passait, maintenant je pense qu'ils ont moins peur (rire, ndlr).

Les mentalités commencent à changer, mais les personnes qui se retournent parce que je suis femme aux commandes, je l'ai vu et vécu.

Amandine : Le plus marquant pour moi, c'est lorsque je me déplace dans les couloirs et que régulièrement les passagers me demandent un café ou me tendent le plateau. C'est terrible.

Malgré les galons, je leur dis qu'une hôtesse viendra prochainement s'occuper d'eux, ils s'étonnent que je ne sois pas hôtesse de l'air, je leur réponds que je suis pilote et ils s'excusent.

De même, les gens regardent dans le poste et quand ils voient qu'une femme est aux commandes, il y a toujours un petit sourire surpris. L'image et le stéréotype sont très marqués.

TourMaG.com - Pensez-vous que ce doit être à la loi de changer la donne et imposer aux compagnies la présence de plus de femmes dans le cockpit ?

Emmanuelle :
Je souhaite qu'il y a ait plus de femmes, mais l'imposer je ne pense pas que ce soit la bonne réponse au problème, car ces femmes le payeront un jour ou l'autre.

Tout simplement, car les hommes ressortiront toujours que nous sommes privilégiées car nous sommes des femmes. Par exemple, easyJet recrutait il y a queqlues années des femmes, quelqu'un m'a sorti que j'étais avantagée, puisque je suis une femme.

C'est bien, la première qu'être une femme est un avantage (rire, ndlr). Le plus important sera de changer les mentalités et que plus de femmes se présentent.

Vous savez un jour une petite mamie vient me voir après un vol, elle me raconte avoir manifesté en 1968 pour les droits des femmes, et elle m'a dit qu'elle était fière de moi et m'a remercié d'en être arrivé là.

"La qualité du pilote doit prédominer, nous avons la vie de personnes entre les mains..."

Amandine : Je pense que cela va évoluer naturellement.

Aujourd'hui on quitte de plus en plus le stéréotype de la femme hôtesse de l'air et de l'homme pilote, cela permet de semer des petites graines chez les nouvelles générations.

Je ne pense pas que la discrimination positive soit une bonne idée. C'est un métier, où la sécurité est tellement importante, que nous ne pouvons pas se permettre de choisir une personne en fonction de son sexe.

La qualité du pilote doit prédominer, nous avons la vie de personnes entre les mains.

TourMaG.com - Êtes-vous engagées, pour défendre la cause des femmes dans l'aérien ?

Emmanuelle :
Sur la photo j'ai une petite poupée qui n'est pas là pour me rassurer, mais elle représente un message important pour moi. Cela vient de l'initiative d'un site internet "WilloW Willpower" qui raconte l'histoire d'une petite fille qui rêve de devenir pilote.

Cette poupée est à son effigie, nous nous la relayons entre les pilotes femmes, elle nous suit dans notre cockpit, pour montrer qu'à forme de persévérance, elles peuvent le devenir.

Elle a déjà fait plus de 90 000 kilomètres, 9 pays, je l'ai emmené à New York et Las Vegas, mais aussi des jeunes femmes de l'armée.

Je ne peux pas plus m'engager au niveau de la cause des femmes, puisque je suis déjà membre du Comité d'entreprise et syndiquée, pour améliorer la qualité de travail de l'ensemble de mes collègues.

Amandine : Je fais partie depuis quelques années d'une association américaine les Ninety-Nines, créé par Amelia Earhart en 1929. Ce fut la première femme à traverser l'Atlantique. L'objectif est de promouvoir le rôle des femmes dans l'aviation.

C'est un réseau puissant aux USA, un peu moins en France, malgré le fait qu'il y ait une section ici. C'est un réseau d’entre-aide entre les femmes.

Romain Pommier Publié par Romain Pommier Journaliste - TourMaG.com
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Commentaires

1.Posté par Allain Louisfert le 07/03/2020 10:09 | Alerter
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Cet article m'a beaucoup plu, les aviatrices valent les hommes, l'essentiel est d'avoir le virus ! Mon fils est commandant de bord dans une grande compagnie.

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