IA : à quoi bon voyager si tout est prévu d’avance ? [ABO]

C’est une pub qui avait marqué les esprits il y a une vingtaine d’années.

Dans la lutte sans merci que se livraient, et se livrent encore, les deux géants du paiement en carte bleue, Mastercard lançait une pub qui mettait en avant tout ce qui n’avait pas de prix.

On y voyait ainsi un père et son fils en bateau et la pub nous disait que « refaire le monde avec son fils, ça n’a pas de prix » ; même chute, pour un fils en voyage avec son père en Égypte, tombant en admiration devant les pyramides de Gizeh !


Le message de Mastercad qui avait marqué les esprits voulait dire que même si certaines choses n’ont pas de prix même avec une carte bleue, et bien on ne peut pas tout acheter !

Si je parle de cette pub dans ce billet, c’est parce qu’à force de lire que l’Intelligence artificielle personnalisera des propositions de vacances, elle finira bien par nous inventer des vacances parfaites, parce que sans surprise. Et je me dis que des vacances sans surprise, ce sont des vacances sans âme.

Les souvenirs de vacances ça n’a pas de prix, et ça ne s’achète pas à l’avance !

Les plus beaux souvenirs de vacances sont le plus souvent des souvenirs de rencontres imprévues, et c’est bien d’ailleurs le sens originel du voyage.

Quand on demandait à Montaigne, pourquoi il avait tant voyagé, il répondait : « Je sais bien ce que je fuis mais je ne sais pas ce que je cherche ». Voilà toute la sagesse du voyage !

Ce qui nous fait voyager au fond, c’est une ignorance, une absence de préjugé. A quoi bon voyager si l’on sait déjà tout  ?

A quoi bon voyager si tout est prévu d’avance ? A quoi bon voyager si l’IA fabrique nos albums souvenirs avant même d’être parti en voyage ou en vacances ?

J’endosse le costume de boomer sur le sujet de l’IA avec un brin de provoc', et je l’assume car je dois avouer que je fatigue un peu face aux injonctions de celles et ceux qui nous promettent qu’avec l’IA, rien ne sera plus jamais comme avant dans le tourisme. On a déjà entendu ça il y a peu avec le Métavers et on n’a pas été déçu !

Oui l’IA est un nouvel outil qui va nous faire gagner un temps monstre, notamment dans des tâches répétitives et pas forcément épanouissantes.

Mais cette idée que l’IA dans le tourisme, révolutionnera le voyage parce qu’elle nous proposera le programme le plus « ouf » afin de vivre des vacances les plus parfaites qui soient, parce que toute votre semaine sera pré-programmée, minutée afin de vivre partout des expériences augmentées, c’est juste un mythe : celui d’une vie zéro défaut, d’une vie pré-balisée qui n’offre aucun écart, aucune prise de risque !

Open AI vient de sortir GPT-4b, son nouveau modèle IA spécialisé dans l’optimisation de l’architecture des protéines.

Pour lutter contre le vieillissement de nos cellules somatiques, le défi thérapeutique proposé par l’IA c’est, pour faire court, de ne plus mélanger les aliments entre eux, de manger à des heures très précises y compris la nuit, des aliments administrés in vivo avec la garantie d’une vie en parfaite santé parce que nos cellules vieilliraient moins vite.

En termes savants, j’ai lu que les scientifiques californiens qui bossent sur ce sujet appelaient ça la reprogrammation épigénétique.

Tu manges mieux donc tu vieillis moins, mais comme l’IA, elle, mange beaucoup d’énergie, et bien si tu habites la Californie, tu rajeunis, mais à la rue, parce que ta maison a fini par brûler dans un incendie que les pompiers n’ont pas pu éteindre, parce que la flotte refroidissait les microcentrales nucléaires construites pour alimenter les serveurs de GPT !

Dans le tourisme on n’est pas loin de penser que l’IA pourrait proposer des vacances parfaites dans la même veine qu’on pourrait se nourrir parfaitement, avec comme principe que la perfection, c’est d’être sûr que si tu vas à Rio, tu n’oublies pas de monter là-haut… et de faire tout ce que te dit la chanson, sauf que là c’est GPT qui te le dit sans accent.

Pour reboucler avec la pub de Mastercard, qu’est-ce qui n’a pas de prix quand on est en vacances ?

Suivre le programme préformaté que GPT aura écrit en fonction de ta personnalité, ou rencontrer au hasard des gens dans le train que tu as pris avec ta carte Interrail et qui, au soir du premier jour de ton voyage, t’embarquent dans un trip que tu n’avais absolument pas prévu ?

Lire aussi : Voyage en train : tourisme et mobilités sont indissociables ! (Jean Pinard)

Les rencontres que tu n’avais pas prévues - parce que c’est l’essence même du voyage de rencontrer des gens inconnus - ça ne s’achète pas, mais surtout ça ne se prévoit pas.

C’est en cela que je suis très critique à l’idée que l’IA révolutionnera le voyage et le tourisme. Évidemment que l’IA va permettre d’améliorer, à la marge, les taux d’occupation des hébergements, qu’elle va pousser la stratégie du yield à son paroxysme, mais l’IA c’est une machine à standardiser, quand on veut nous faire croire qu’elle va au contraire personnaliser les vacances.

Sauf à être fan du déterminisme social qui ne fait que reproduire les inégalités entre les gamins quand il s’agit de choisir son orientation scolaire ou de partir ou pas en vacances, la fonction algorithmique de l’IA consistera dans son usage touristique à envoyer les mêmes catégories de voyageurs dans les mêmes endroits.

L’IA générative c’est une sorte de miroir sur soi-même, qui ne te fera prendre aucun risque pour tes vacances, et qui te proposera des expériences augmentées par sa capacité à te faire rencontrer une catégorie de gens que tu croiserais tous les jours dans ta sphère sociale, mais à 3 000 km de chez toi.

Cette référence aux vacances idéales me fait dire qu’avec l’IA, la tarte tatin n’aurait jamais existé.

Après, si les modèles d’analyse de l’IA vont jusqu’à me donner des coins aux morilles pour éviter de rentrer bredouille, alors je suis prêt à changer d’avis, et à devenir fan des Emma, Lena et autres Anne Kerdi qui font tant parler d’elles dans le petit monde du tourisme institutionnel, à en oublier que ce qui serait révolutionnaire, ce serait de proposer quelques jours de vacances aux 40% de gamins français auxquels LENA ne propose rien d’autre pour occuper leur temps libre, que de s’inscrire aux activités du centre de loisirs ou de la MJC de leur quartier...

Lire aussi : Le boom des influenceuses virtuelles dans le tourisme : l’impact de l’IA en 2025

Président de la société de conseils Futourism :

Forestier et géographe de formation, Jean Pinard a toujours travaillé dans le secteur des sports et du tourisme.
Moniteur de kayak, chauffeur de bus, guide, gestionnaire de sites touristiques, directeur de CDT et de CRT (Auvergne et Occitanie), Jean Pinard est redevenu consultant, son premier métier à la SCET, à la fin de ses études.