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Le secteur du tourisme carbure à l'hypocrisie : on admire l’offre d’écotourisme du Costa Rica ou des Lofoten, et on fustige celle de Lacanau et de Valmorel - DepositPhotos.com, miroslav_1
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C’est un post sur Linkedin, comme j'en vois beaucoup à l’heure de mon petit-déjeuner, qui m’a interpellé.
L’auteur y montrait une petite station du Vercors qui faisait tourner un canon à neige sur une piste, qui ne servait qu’à faire de la luge, dans un paysage printanier.
Le contraste de cette neige sortant du canon dans un champ tout vert était saisissant et l’auteur faisant référence à une image de... « fin du monde ».
Ma référence de la fin du monde, c’était la statue de la liberté échouée sur une plage qu’on apercevait à la fin de La Planète des Singes, mais les temps ont changé, et les références aussi, et j’avoue que cette référence à la fin du monde, le jour ou Américains et Russes réinventaient Yalta dans le désert saoudien m’a un peu secoué.
Autant le dire directement, le débat sur le tourisme qui n’est pas durable, me semble de plus en plus hors de contrôle, tant le manque de nuances sur le sujet devient finalement la norme.
Il faut que le débat devienne binaire, il faut opposer les gentils, tenants d’une vision moderne et responsable du tourisme, aux méchants conservateurs, tenants d’une vision ultra-libérale d’un tourisme devenu industriel.
Tourisme durable ou pas : "on voit ce qui est à coté de nous"
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Quel que soit le sujet, finalement l’histoire c’est toujours la même, ce qui ne va pas, ce qui pose problème dans une société, ce qui n’est pas durable dans le tourisme, c’est ce qu’on voit, c’est ce qui est à coté de nous.
C’est la pratique des autres qui sont comme nous, mais qui ne passent pas leurs vacances comme nous, parce qu’ils n’ont pas les mêmes codes que nous, parce qu’ils sont les consommateurs d’un tourisme devenu industriel, alors que nous on aime faire travailler les artisans, on a la bonne idée de ne pas partir pendant les vacances scolaires, on est bien plus malin.
Vacances d’hiver oblige, le débat sur la nécessaire transition des stations de montagne, n’a jamais été autant stérile, tant les acteurs débattent chacun dans leur coin, évitant soigneusement d’inviter le moindre contradicteur, pour être sûr de se faire applaudir par son public, le temps d’une conférence ou d’un bilan de saison.
Lire aussi : Futuroscopie - Réinventons la montagne : oui, mais comment ?
Pour rester en montagne, comme les effets du réchauffement climatique y sont beaucoup plus visibles, alors la solution de facilité sera de produire un lien de causalité, entre la fonte des glaciers et la pratique du ski, d’attribuer la catastrophe de la Berarde à la production de neige de culture pour que des gosses fassent de la luge…
On ne mesure jamais la pratique « invisible » des vacanciers avertis
Il n’y a plus de nuance, et finalement, on reproduit le même niveau d’analyse que ceux qui confondent météo et climat.
Pendant que le sage dénonce les subventions à Ryanair (tiens au fait ils n’ont pas mis leur menace de quitter les aéroports français à exécution), l’idéologue dénonce la famille qui s’entasse une semaine dans un studio cabine pour offrir un séjour à la montagne aux enfants.
Toujours la même histoire : si un truc ne va pas, c’est la faute de l’autre, du SDF, de l’assisté au RSA, de celui qui se fait jeter à 58 ans de son travail et qui touche son allocation chômage pendant que toi tu bosses.
On carbure à la même hypocrisie dans le tourisme, on admire l’offre d’écotourisme du Costa Rica ou des Lofoten, et on fustige celle de Lacanau et de Valmorel.
On va bosser sur plein d’indicateurs, on fera plein de colloques pour débattre de l’intérêt de mesurer le tourisme autrement, mais là encore on va mesurer la pratique de la masse, celle qui se voit, mais jamais la pratique « invisible » des vacanciers avertis qui sont partis à l’autre bout du monde.
Quand je montre aux étudiants une photo de randonneurs en Auvergne, et une photo de gens sur la plage à Hourtin, et que je demande qui de ces vacanciers aura la pratique la plus durable, et bien nos biais cognitifs nous amèneront à désigner les randonneurs.
Le canon à neige pour garantir la pratique du ski, c’est moins bien que de chauffer une piscine municipale, ou une salle d’escalade, mais qui a fait le calcul du coût environnemental de la pratique de l’escalade dans une salle chauffée et éclairée Vs une descente de ski sur de la neige de culture ?
Pendant que le sage dénonce les subventions à Ryanair (tiens au fait ils n’ont pas mis leur menace de quitter les aéroports français à exécution), l’idéologue dénonce la famille qui s’entasse une semaine dans un studio cabine pour offrir un séjour à la montagne aux enfants.
Toujours la même histoire : si un truc ne va pas, c’est la faute de l’autre, du SDF, de l’assisté au RSA, de celui qui se fait jeter à 58 ans de son travail et qui touche son allocation chômage pendant que toi tu bosses.
On carbure à la même hypocrisie dans le tourisme, on admire l’offre d’écotourisme du Costa Rica ou des Lofoten, et on fustige celle de Lacanau et de Valmorel.
On va bosser sur plein d’indicateurs, on fera plein de colloques pour débattre de l’intérêt de mesurer le tourisme autrement, mais là encore on va mesurer la pratique de la masse, celle qui se voit, mais jamais la pratique « invisible » des vacanciers avertis qui sont partis à l’autre bout du monde.
Quand je montre aux étudiants une photo de randonneurs en Auvergne, et une photo de gens sur la plage à Hourtin, et que je demande qui de ces vacanciers aura la pratique la plus durable, et bien nos biais cognitifs nous amèneront à désigner les randonneurs.
Le canon à neige pour garantir la pratique du ski, c’est moins bien que de chauffer une piscine municipale, ou une salle d’escalade, mais qui a fait le calcul du coût environnemental de la pratique de l’escalade dans une salle chauffée et éclairée Vs une descente de ski sur de la neige de culture ?
Est-ce vraiment si dur de jouer la transparence ?
On aime Emily in Paris, mais on dénonce Emily in Courchevel !
On fustige Center Parcs parce que des cottages et une bulle tropicale dans la forêt c’est pas bien, mais 3 jours au parc de Plivitce c’est quand même la classe, quand bien même tu auras pris un avion pour y aller, et que ton hôtel est lui aussi en pleine forêt.
Oui mais Plivitce c’est un site inscrit au patrimoine mondial, et pas la forêt en Moselle qui héberge un Center Parcs, qui accueille chaque année des milliers de familles qui pour la plupart habitent à moins de 100 km du site.
Ainsi va le tourisme, on aime garder nos pudeurs de gazelle dès lors qu’il s’agirait de comparer, de hiérarchiser, parce qu’on sait très bien qu’à un moment, tout ce verbiage marketing sur le slow, l’éco, le régénératif, s’effondre face au développement incontrôlé du trafic aérien.
Est-ce vraiment si dur de jouer la transparence et de donner des éléments d’appréciation qui vont permettre des analyses moins cyniques que celles qui nous font dire que skier sur de la neige de culture c’est moins bien que de changer d’hémisphère pour une semaine de vacances ?
On fustige Center Parcs parce que des cottages et une bulle tropicale dans la forêt c’est pas bien, mais 3 jours au parc de Plivitce c’est quand même la classe, quand bien même tu auras pris un avion pour y aller, et que ton hôtel est lui aussi en pleine forêt.
Oui mais Plivitce c’est un site inscrit au patrimoine mondial, et pas la forêt en Moselle qui héberge un Center Parcs, qui accueille chaque année des milliers de familles qui pour la plupart habitent à moins de 100 km du site.
Ainsi va le tourisme, on aime garder nos pudeurs de gazelle dès lors qu’il s’agirait de comparer, de hiérarchiser, parce qu’on sait très bien qu’à un moment, tout ce verbiage marketing sur le slow, l’éco, le régénératif, s’effondre face au développement incontrôlé du trafic aérien.
Est-ce vraiment si dur de jouer la transparence et de donner des éléments d’appréciation qui vont permettre des analyses moins cyniques que celles qui nous font dire que skier sur de la neige de culture c’est moins bien que de changer d’hémisphère pour une semaine de vacances ?
"Il faut arrêter toute cette hypocrisie"
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Il faut arrêter toute cette hypocrisie, ces oppositions, ces postures déterministes.
Le tourisme ne sera jamais durable, c’est un fait, et donc oui il faut le rendre plus responsable, plus acceptable aussi, mais on ne peut pas s’ankyloser dans une posture qui dénonce les externalités négatives du tourisme, sans jamais parler de ses « internalités positives ».
Voyager, prendre des vacances, partir le temps d’une journée ou d’une semaine, ça participe à l’épanouissement personnel, et la société, pour aller mieux, a besoin de citoyens épanouis. Le discours culpabilisant ambiant ne produit rien de performant, pire il fabrique de l’ostracisme qui fracturera un peu plus la société.
L’enjeu c’est celui de l’équilibre entre les externalités et les internalités qu’il faudrait apprendre à mesurer, mais même sans attendre ces nouveaux indicateurs, on pourrait déjà considérer que se fixer comme priorité d’arrêter d’aller chercher des gens au bout du monde, pour se donner les moyens d’aider les publics les plus précaires à partir en vacances, permettrait d’un coup d’un seul, de faire baisser nos externalités et, par là même, de faire grimper nos internalités !
Trop facile sans doute !
Le tourisme ne sera jamais durable, c’est un fait, et donc oui il faut le rendre plus responsable, plus acceptable aussi, mais on ne peut pas s’ankyloser dans une posture qui dénonce les externalités négatives du tourisme, sans jamais parler de ses « internalités positives ».
Voyager, prendre des vacances, partir le temps d’une journée ou d’une semaine, ça participe à l’épanouissement personnel, et la société, pour aller mieux, a besoin de citoyens épanouis. Le discours culpabilisant ambiant ne produit rien de performant, pire il fabrique de l’ostracisme qui fracturera un peu plus la société.
L’enjeu c’est celui de l’équilibre entre les externalités et les internalités qu’il faudrait apprendre à mesurer, mais même sans attendre ces nouveaux indicateurs, on pourrait déjà considérer que se fixer comme priorité d’arrêter d’aller chercher des gens au bout du monde, pour se donner les moyens d’aider les publics les plus précaires à partir en vacances, permettrait d’un coup d’un seul, de faire baisser nos externalités et, par là même, de faire grimper nos internalités !
Trop facile sans doute !
Jean Pinard - Mini Bio
Président de la société de conseils Futourism :
Forestier et géographe de formation, Jean Pinard a toujours travaillé dans le secteur des sports et du tourisme.
Moniteur de kayak, chauffeur de bus, guide, gestionnaire de sites touristiques, directeur de CDT et de CRT (Auvergne et Occitanie), Jean Pinard est redevenu consultant, son premier métier à la SCET, à la fin de ses études.
Forestier et géographe de formation, Jean Pinard a toujours travaillé dans le secteur des sports et du tourisme.
Moniteur de kayak, chauffeur de bus, guide, gestionnaire de sites touristiques, directeur de CDT et de CRT (Auvergne et Occitanie), Jean Pinard est redevenu consultant, son premier métier à la SCET, à la fin de ses études.