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Motifs impérieux : "Combien de temps allons-nous pouvoir rester en vie ? Je ne sais pas...", déplore Patrick Vial-Collet

Interview de Patrick Vial Collet, le patron des "Hôtels et des Îles" et actionnaire de Corsair


Il y a un peu plus d'un mois, les professionnels de la Guadeloupe se soulevaient pour faire tomber les motifs impérieux. Les grands patrons de l'industrie touristique locale, dont Patrick Vial-Collet, écrivaient à Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer et Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat en charge du tourisme, et contestait la mesure devant le Conseil d'Etat. Un mois plus tard, c'est l'exaspération et la désolation qui règnent en maître. Rencontre avec Patrick Vial Collet, le patron déçu et quelque peu découragé des "Hôtels et des Îles".


Rédigé par le Lundi 15 Mars 2021

"Je crains que les critères qui ont entraîné la fermeture des outre-mer resteront jusqu'à la fin de l'année" selon Patrick Vial Collet - Crédit photo : CCI Îles de Guadeloupe
"Je crains que les critères qui ont entraîné la fermeture des outre-mer resteront jusqu'à la fin de l'année" selon Patrick Vial Collet - Crédit photo : CCI Îles de Guadeloupe
TourMaG.com - Vendredi soir, le Conseil d'Etat se prononçait contre la levée des motifs impérieux pour les métropolitains se rendant en Outre-mer. Comment avez-vous reçu la nouvelle ?

Patrick Vial Collet :
C'est une déception, d'autant plus que dans le même temps, les motifs impérieux ont été levés pour les Français basés à l'étranger.

Le gouvernement dit qu'il veut protéger les outre-mer du virus, mais dans le même temps, économiquement ce sera très compliqué pour nous, puisque nous sommes les seuls territoires à ne pas pouvoir accueillir des touristes.

Le motif pour expliquer cette mesure, c'est que nous avions peur de l'engorgement des hôpitaux. Nous avons eu 40 000 touristes en fin d'année, sans avoir de problème, il faut se poser les bonnes questions.

Que pouvons-nous faire ? Pas grand-chose. Le Conseil d'Etat est la plus haute institution pour conseiller et contester les projets de loi du gouvernement. Il n'y a pas d'appel possible.

Sur le plan juridique ce n'est pas possible de poursuivre notre action. Après sur le plan politique, nous devons trouver une solution pour que le tourisme reparte rapidement. Je suis inquiet, car quel élément nouveau nous permettra de rouvrir l'outre-mer si ce n'est l'immunité collective via la vaccination ? Il n'y en a pas.

"Combien de temps allons-nous pouvoir rester en vie ? Je ne sais pas..."

TourMaG.com - Quels étaient vos arguments devant le Conseil d'Etat pour supprimer les motifs impérieux ?

Patrick Vial Collet :
L'argument principal était la disproportion de la mesure. Le Conseil d'Etat a donné raison à une forme d'anticipation de la dégradation sanitaire du pays, mais ce que nous disions : au moment où le gouvernement applique les motifs impérieux, il n'y a aucune raison de le faire.

C'est à ce niveau que nous ne sommes pas satisfaits de la décision du Conseil d'Etat. Si vous regardez aujourd'hui la situation sanitaire, malgré les motifs impérieux, le variant est arrivé, nous avons beaucoup de cas, sauf que nul ne sait si nous aurions eu plus de contaminations avec les touristes.

D'ailleurs en décembre, quand nous avons eu les 40 000 touristes, il n'y a pas eu l'explosion des cas que tout le monde attendait.

Puis à partir du moment, où les touristes ont été interdits, les contaminations sont reparties en forte hausse. Nous pouvons légitimement nous poser la question : est-ce les touristes qui importent la covid ?

Mon pressentiment est que le virus se transmet essentiellement lors des rassemblements familiaux. J'avais demandé clairement à l'Etat que le tourisme soit un motif impérieux, car il est impérieux pour la Guadeloupe que d'avoir des touristes.

Maintenant, nous n'avons plus qu'à attendre, je vous donne rendez-vous dans 3 semaines ou un mois, pour en savoir plus.

TourMaG.com - Vous craignez un arrêt durable de l'activité touristique ?

Patrick Vial Collet :
Bien sûr, car au moment où les motifs impérieux ont été instaurés, la situation sanitaire était plutôt satisfaisante. Donc je demande : à quel moment et sur quels critères seront-ils retirés ? Je ne sais même pas si le gouvernement le sait ?

Les variants sont sur place, il n'y avait aucune raison qu'ils ne soient pas là. La seule variable sur laquelle travaille le gouvernement pour éviter l'explosion des cas, c'est le nombre de personnes présentes dans les territoires. Pour cela, il utilise les motifs impérieux.

Nous avons un couvre-feu de 22h à 5h du matin, puis si ça ne s'améliore pas, nous aurons le confinement. Combien de temps allons-nous pouvoir rester en vie ? Je ne sais pas.

TourMaG.com - Le Gouvernement a pourtant étendu sa prise en charge des coûts fixes...

Patrick Vial Collet :
Il faut voir comment cela fonctionne pour le secteur du tourisme, avec la possibilité que les coûts fixes soient pris en charge à hauteur de 70 à 80%.

Si nous n'avons pas cela, le calcul est vite fait, nous sommes tous morts.

Nous ne voulons qu'une chose, c'est de pouvoir travailler à nouveau, surtout que la demande est là. Après, le problème auquel nous allons être confrontés, c'est que nous sommes saisonniers, si le gouvernement relâche la pression en basse saison, ce sera dramatique.

Nous allons rouvrir les caisses vides, avec assez peu de touristes, j'en ai peur.


TourMaG.com - L'été dernier vous avez pourtant eu du monde...

Patrick Vial Collet :
Non, car si vous partez du principe que nous avons une haute saison de novembre à avril, donc sortie de cette période, nous bricolons.

Même si nous sommes pleins, nous ne faisons pas la moitié du chiffre d'affaires de la haute saison, avec des prix divisés par deux ou trois. En juillet et août, nous avons pas mal d'Antillais qui rentrent, sauf qu'ils vont dans leurs familles, ce ne sont pas des touristes.

"Je crains que les critères qui ont entraîné la fermeture des outre-mer resteront jusqu'à la fin de l'année"

TourMaG.com - Vous avez l'air désabusé. Pouvez-vous appeler à manifester ?

Patrick Vial Collet :
Je ne cautionnerais jamais les blocages de ceux qui ont la chance de pouvoir travailler, cela n'a pas de sens.

Notre but n'est pas de rajouter de la difficulté à la situation actuelle, heureusement que le tourisme est l'industrie la plus impactée et que cela ne concerne pas tout le monde.

Si nous faisons un acte, ce sera symbolique. D'ailleurs, le gouvernement le sait bien, c'est peut-être pour cela que nous sommes moins écoutés. Après, quand vous voyez la situation des restaurateurs qui ont fermé un jour, pour quelques semaines et depuis, ils n'ont jamais rouvert.

Je crains que les critères qui ont entraîné la fermeture des outre-mer resteront jusqu'à la fin de l'année.

Au moment où nous avons fermé, nous regardions le nombre de personnes dans les hôpitaux, les volumes dans les réanimations, la proportion des variants en circulation, je crains qu'il n'y aura pas d'amélioration significative de ces critères dans les mois à venir.

Ainsi, je ne vois pas pourquoi les motifs impérieux seront retirés alors que la situation s'est empirée. Il serait intéressant de savoir si le gouvernement a fixé les critères pour lever des motifs impérieux.

TourMaG.com - C'est ce que vous demandez au gouvernement ?

Patrick Vial Collet :
Effectivement, nous aimerions qu'il fixe des critères. Nous devons avoir quelque chose d'inscrit dans le marbre, savoir quelles sont les conditions pour lever ces motifs et ne pas avoir le sentiment que cela dépend de l'humeur d'une personne.

Avec des critères, nous saurons à quel horizon, nous pourrons reprendre. Nous voyons la fin de saison approchée.

TourMaG.com - Vous tablez sur une année blanche ?

Patrick Vial Collet :
Tout à fait, ça va être une deuxième année blanche. Nous sommes à l'anniversaire de l'apparition de la covid-19 et rien n'a changé. Selon moi, 2021 sera plus difficile que 2020.

Nous avons dû contracter des PGE, maintenant nous devons les rembourser, c'est la mise à mort du secteur. Seuls les meilleurs d'entre nous survivront.

Vous savez, nous considérons que le tourisme apporte 1 milliard d'euros d'argent frais à l'île, nous considérons que 500 millions ont été perdus, dans le même temps, nous avons contracté autant en PGE.

Nous avons emprunté des recettes, je n'ai jamais fait ça. Malheureusement en 2021, nous pensons que la perte sera équivalente, donc il y aura un effondrement de l'économie.

Je ne vois pas comment, les gens vont pouvoir s'en sortir. Imaginez un peu que les entreprises vont devoir rembourser des recettes qu'ils n'ont pas faites, je suis assez sceptique. Je ne vois pas qui va rembourser les PGE.

"Si nous ne redémarrons pas, nous allons perdre 20 ans de développement touristique"

TourMaG.com - Que demandez-vous de plus de la part du gouvernement ?

Patrick Vial Collet :
Ils ont mis en place du chômage partiel, ils ont nationalisé les salariés, des prêts, des décalages de remboursement des emprunts, mais nous arrivons à un moment où il doit passer à la vitesse supérieure.

Il doit compenser les pertes. Comment s'en sortir alors que nous ne pouvons pas travailler et que les pertes ne sont pas compensées ? Je ne vois pas bien. La prise en charge des coûts fixes compense seulement une partie des choses.

Je ne sais pas vous dire, comment tout cela va se terminer. La situation n'est pas bonne, clairement les entreprises auront du mal à absorber le choc, si nous ne redémarrons pas, nous allons perdre 20 ans de développement touristique.

Nous allons revenir au tourisme de la fin des années 90. La moitié des exploitations fera faillite, ce n'est pas parce que vous avez un PGE qu'il sera possible de tenir.

TourMaG.com - Quel est l'état d'esprit en Guadeloupe ?

Patrick Vial Collet :
Ils se demandent comment ils peuvent s'en sortir. Nous en savons plus quoi faire. Nous pensions que le Conseil d'Etat allait nous donner satisfaction, d'ailleurs cette réponse tardive montre qu'il y avait de l'hésitation.

Je pense que tout le monde se posait la question sur le fait de lever ou non, les motifs impérieux.

Je sens bien qu'il y a une extrême lassitude de la part des professionnels du tourisme ici. Il nous faut de la visibilité, le gouvernement doit anticiper, car ce n'est pas parce que nous levons les motifs impérieux qu'il y aura foule à Orly.

Nous devons pallier aux problèmes, plutôt que de fermer l'activité à chaque montée de l'épidémie.

TourMaG.com - D'autant que vous ne pouvez pas attendre l'immunité collective atteinte par la vaccination...

Patrick Vial Collet :
Le problème étant que cela ne va pas arriver maintenant, même si c'est la solution, nous ne pouvons pas attendre. Je ne vois pas de porte de sortie.

Nous sommes en contact constant avec le gouvernement et le préfet, mais les réponses sont inexorablement les mêmes et personne ne sait quand les motifs impérieux seront levés.

Notre ligne directrice est de nous laisser travailler, en renforçant le contrôle sanitaire en Guadeloupe. Nous ne voulons pas opposer les uns et les autres, nous ne contestons pas la réalité épidémique, nous pensons qu'il y a un moyen d'éviter d'en arriver à tout boucler.

Pour le gouvernement, les services d'urgence ne sont pas en mesure d'encaisser une nouvelle vague de contamination. Notre plus gros problème est de chercher une solution supplémentaire aux tests qui visiblement ne suffisent pas pour contrôler l'épidémie.

La septaine n'a visiblement pas marché, nous avons beau tourner le problème dans tous les sens, nous ne trouvons pas de réponse. Il faut dire les choses : la population en a marre.

Ici, nous avons socialement quelques difficultés, si économiquement cela ne repart pas, alors à la crise sanitaire nous allons rajouter une crise sociale. C'est le pire qui puisse nous arriver, malheureusement nous ne pouvons plus l'exclure.

Nous partons du principe, que même avec les aides, la situation est très dangereuse, car trop de personnes passent à travers les mailles du filet.

Jusqu'où allons-nous continuer avec cette stratégie de fermeture dès que l'état sanitaire se dégrade ? C'est bien beau de dire que l'Etat paye, mais cet argent sera repris quelque part.


Romain Pommier
Publié par Romain Pommier
Journaliste - TourMaG.com

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Commentaires

1.Posté par Pierre le 16/03/2021 09:17 | Alerter
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On est dans une impasse totale , pas de ventes , des aides qui ne sont pas suffisantes , des banques qui s’inquiètent de leurs clients fragilisés et un gouvernement qui ne donne aucun espoir de reprise si ce n’est que de désengorger le secteur hospitalier . Une vraie faillite !! Sur le dos du tourisme des agents de voyages , des hôteliers , des stations de montagne et des restaurateurs ! Cela fait beaucoup de monde pour 4000 lits de réanimation occupés ....il nous coûte cher le lit de réanimation!! Cela ne doit pas se faire sur notre dos , professionnels du tourisme . Merci de prendre des mesures adéquates dans la durée . C’est une question de vie ou de mort aussi !

2.Posté par Dubiel le 16/03/2021 11:10 | Alerter
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Je suis de tout coeur avec vous,c est honteux merci de vous battre

3.Posté par Yves BROSSARD le 16/03/2021 12:17 | Alerter
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La réponse négative du Conseil d’Etat à propos de la levée des « motifs impérieux » s’inscrit dans une logique de politique sanitaire, sans nier les conséquences économiques catastrophiques pour les industries touristiques. C’est en cela qu’un pas très important a été franchi par le Conseil d’Etat, lorsqu’il évoque dans son ordonnance les conséquences : « L’obligation de justifier d'un motif impérieux pour tout déplacement entre le territoire métropolitain et les Antilles… a pour effet principal d'interdire l'arrivée des touristes sur ce territoire ».

Il convient d’en prendre acte : ce n’est pas au Conseil d’Etat de proposer les solutions d’indemnisation, mais au gouvernement qui a interdit « l’arrivée des touristes sur ce territoire ».

Patrick Vial-Collet a un dynamisme exceptionnel, à titre personnel, et la représentativité, en ce qu’il représente à la fois la CCI et le groupe hôtelier le plus important de la Guadeloupe ? S’il a engagé un recours devant le juge des référés du Conseil d’Etat, c’est bien parce qu’il constate que les intérêts sanitaires sont pris en compte par le gouvernement et son représentant, mais que les intérêts économiques ne le sont pas. Et, naturellement, il ne défend pas les intérêts des seuls hôteliers mais ceux de toutes les industries de la mobilité, aériennes, touristiques, ou dépendantes de la venue et de la présence de voyageurs en Guadeloupe. Ces intérêts économiques collectifs sont négligés depuis trop longtemps, malgré le fait qu’il soit « en contact constant avec le gouvernement et le préfet ». Et comme il le souligne très justement, les troubles économiques pourraient menacer également l’ordre social. Cette préoccupation majeure devrait inviter les décideurs à méditer les événements sociaux de 2009, à la Guadeloupe tout particulièrement, et ses effets négatifs durables jusqu’en 2016.

Lorsque la discussion échoue avec le pouvoir exécutif, il est légitime d’en appeler à l’arbitrage du pouvoir judiciaire. Et maintenant que le Conseil d’Etat a admis le fait de « l’interdiction de la venue des voyageurs », il faut aborder la question de l’indemnisation économique, de manière sérieuse.

Lorsque Patrick Vial-Collet souligne très justement : « Nous ne voulons pas opposer les uns et les autres, nous ne contestons pas la réalité épidémique, nous pensons qu'il y a un moyen d'éviter d'en arriver à tout boucler. », il fait sans doute allusion à la performance de la campagne vaccinale menée à la Guadeloupe. Nul ne doute que si 100% des personnes fragiles étaient déjà vaccinées à la Guadeloupe, et que 50% de la population l’était déjà, l’inquiétude de la population, ou des autorités, serait bien plus modeste. C’est sur ce seul indice de performance que l’on entend juger l’ARS de la Guadeloupe.

Quant à l’aspect économique de l’indemnisation, il y a toujours deux voies en perspective : toutes deux déjà empruntées par Patrick Vial-Collet, celle de la discussion préalable, puis, en cas d’échec, celle de l’arbitrage judiciaire.

Nul doute que l’indemnisation des industries de la mobilité de la Guadeloupe, ou des Outre-mer en général, ne pourra pas se faire en deçà de ce qui a été prévu pour indemniser les stations de ski équipées de remontées mécaniques, interdites de touristes par interdiction de fonctionnement des remontées mécaniques, comme les Outre-mer ont été interdites d’arrivée des voyageurs sur leur territoire par l’effet de la justification indispensable de « motifs impérieux » de voyage.

Reste à déterminer qui doit être indemnisé : à l’évidence toutes les industries de la mobilité, aériennes, touristiques, ou dépendantes de la venue et de la présence de voyageurs en Guadeloupe (ou dans les Outre-mer affectés par la justification des « motifs impérieux »). Mais aussi les entreprises du voyage de la métropole (agences de voyages et tour-opérateurs) qui subissent également un préjudice grave du faite de la « fermeture » des Outre-mer (les agences réceptives étant inclues dans les entreprises des Outre-mer).

Quant à la limite évoquée - jusqu’à présent - d’une indemnisation limitée aux seules entreprises réalisant plus d’un million d’€ de chiffre d’affaires par mois, je crains qu’elle soit très éloignée de l’attente des entreprises.

Entre les privilèges déjà consentis aux stations de haute altitude, et l’altitude du chiffre d’affaires qu’il aurait fallu atteindre, je pressens que les représentants de nos professions vont participer à de nombreux sommets de négociation.

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