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Où en est l'innovation dans l'hôtellerie ?

Table ronde


Digitalisation, naissance de nouveaux concepts, émergence des plateformes collaboratives : le secteur de l’hébergement connaît une série de révolutions dont on peine encore à saisir l’exacte portée. Mais chez les clients comme dans les chaînes hôtelières, le conservatisme n’a pas tout à fait dit son dernier mot...


Rédigé par Julien Hirsinger le Mercredi 5 Octobre 2016

© Cyril Etien
© Cyril Etien
Les participants à la table ronde :
  • Olivier Devys - OKKO
  • Mark Watkins - COACH OMNIUM
  • Slobodan Petrovic - MAGICSTAY
  • Serge BACCHUS - AFTM
  • Ludovic Etienne - INSCEHO


Pour parler de demain, partons d'aujourd'hui : où en est l'innovation dans l'hôtellerie ?

Mark Watkins : Nous avons créé il y a dix ans le Comité pour la Modernisation de l’Hôtellerie et du Tourisme Français en partant d’un constat : le retard d’évolution de l’hôtellerie par rapport à l’habitat, à l’immobilier de bureaux ou à des secteurs comme l’automobile. Dix ans plus tard, ce constat n’a pas vraiment évolué : le retard persiste et cela peut s’illustrer de multiples façons.
Prenons l’exemple des moquettes, dont les gens ne veulent plus chez eux, ou des télévisions, qui sont désormais plus petites dans la chambre d’hôtel qu’au domicile de la plupart des clients.
Il y a bien sûr de l’innovation, notamment dans le luxe, mais elle ne se fait pas toujours à bon escient. Je pense par exemple à un grand groupe hôtelier - qui normalement ne devrait pas faire d’erreur - mais qui avait conçu et implanté directement dans un hôtel de 120 chambres une baignoire-douche que les femmes de chambre ne pouvaient pas nettoyer sans devoir y entrer et enlever leurs chaussures... Cela peut paraître anecdotique mais c’est aussi symbolique d’un état d’esprit où l’on n’écoute ni les employés, ni - ce qui est plus gênant - les clients.
On reste dans un marketing de l’offre et on n’arrive pas à évoluer vers un marketing de la demande. Il y a très peu d’études de clientèle dans l’hôtellerie, d’abord parce qu’elles coûtent cher et puis parce qu’on a peur des résultats, qui risquent de contrarier les plans. Et cela se retrouve au niveau institutionnel : le nouveau classement hôtelier de 2008 a été élaboré sans interroger un seul client d’hôtel ! Les critères du classement collent très bien aux gammes de grands groupes hôteliers mais ils sont totalement étrangers à ce que veulent les gens.

"On reste dans un marketing de l’offre et on n’arrive pas à évoluer vers un marketing de la demande."

Olivier Devys : C’est une vraie régression par rapport à une période où l’hôtel était vu comme un lieu de modernité, où les clients pouvaient trouver des idées pour leur propre habitat et avoir des surprises positives en allant à l’hôtel. On est passé à une surprise négative, où le charme, quand il existe, n’est plus que celui du « rétro ».
L’hôtellerie d’aujourd’hui reste massivement semblable à l’hôtellerie d’hier : hôtellerie périphérique, standardisée,industrialisée... Globalement, c’est encore cela la grande majorité de l’offre.
Les motifs d’insatisfaction des clients sont pourtant légitimes et tiennent essentiellement à trois choses : l’état d’entretien des immeubles (la moquette en tôle ondulée, la salle des bains avec des joints noirs que vous n’accepteriez certainement pas chez vous...), l’hospitalité qui a été tuée par un process qui résume le client à une réservation et enfin les prix.
On a continué à augmenter les prix parce que les groupes se sont financiarisés. Les purs financiers y ont pris la place des entrepreneurs et, aujourd’hui, le rapport qualité-prix est extrêmement dégradé.


On peut donc espérer mieux pour moins cher à l'avenir ?

Olivier Devys : Oui, mais il faut pour cela tout remettre à plat et réinventer un business model qui permette de corriger les erreurs.
Je prends un exemple : Okko est une chaîne sans check-in ni check-out car nous avons décidé de laisser faire par la machine tout ce qui n’a pas besoin d’être fait à l’hôtel. C’est un tout petit exemple, mais cela illustre une démarche.
Dans le millefeuille que constitue le produit hôtelier, il faut se demander sur chaque point s’il est préférable de faire comme d’habitude ou s’il vaut mieux essayer de faire différemment, avec toujours une double orientation : « comment améliorer le service client ? » et « comment réduire le prix ? ». Car l’objectif final reste toujours d’offrir plus en faisant payer moins.
Mais cela oblige à tout reprendre à zéro, avec du bon sens, en se fondant sur trois-quatre facteurs sociologiques clés et surtout en se disant « arrêtons de faire comme autrefois » ! Car ce n’est pas parce que ça a marché pendant trente ans que ça marchera éternellement...

Serge Bacchus : Remettre tout à plat : bien sûr, mais est-ce que chaque région du monde a les mêmes besoins ?
On voit par exemple que les marques qui ont essayé de standardiser dans le monde entier un modèle de chambre, ont échoué.
C’est très difficile de standardiser quand on doit satisfaire dans un même hôtel un client américain, un client asiatique et un client africain. Essayez d’imposer une chambre de 11 m2 à un voyageur américain par exemple...

"Aujourd’hui, la seule chose qui compte, c’est votre note et les commentaires clients qui l’accompagnent. Désormais, vous pouvez ouvrir un hôtel quasiment sans marque et être connu du jour au lendemain à travers le monde grâce à des avis positifs."

© Cyril Etien
© Cyril Etien
Olivier Devys : C’est une évidence : on va de moins en moins vers l’hôtel universel et de plus en plus vers des offres segmentées.
Et ce phénomène est amplifié par internet, qui donne au client une visibilité totale sur l’offre disponible. Avant, il fallait avoir des marques puissantes, avec plein d’hôtels à travers le monde. C’était la taille qui vous donnait de la visibilité, ce qui pouvait justifier le recours massif des grands groupes à la franchise. Aujourd’hui, la seule chose qui compte, c’est votre note et les commentaires clients qui l’accompagnent. Désormais, vous pouvez ouvrir un hôtel quasiment sans marque et être connu du jour au lendemain à travers le monde grâce à des avis positifs.


Cette volatilité des réputations est-elle aussi vraie dans le voyage d’affaires que dans le loisir ?

Serge Bacchus : Il y a quand même des limites. Quoi qu’on en dise, le voyageur d’affaires reste très attaché aux marques. S’il va en Asie, il est rassuré d’aller dans un Hilton ou un Hyatt, où il pense pouvoir retrouver un service qui correspond à ses standards.
Mais j’opère quand même une distinction entre les anciennes et les nouvelles générations. Les 20-30 ans sont beaucoup plus sur le créneau innovation/boutique hôtel, avec une importance énorme donnée aux facilités de connexion.
Et concernant l’innovation, justement, je pense qu’il faut mettre un bémol à ce qui a été dit auparavant car le haut de gamme continue quand même à conduire cette innovation. Mais bon, malheureusement, tous les voyageurs ne fréquentent pas les hôtels de luxe...


Dans les autres catégories, faudra-t-il s’habituer à la valse des adresses ?

Olivier Devys : Il me paraît clair que tout le monde ne survivra pas à ces évolutions mais la difficulté, c’est d’accepter que des hôtels vont mourir. Pourtant, je ne vois pas pourquoi, sous prétexte qu’un immeuble a été utilisé pour faire un hôtel, cet usage doit rester ad vitam æternam.
De même que l’on met des voitures à la casse, des tas d’hôtels doivent disparaître.
On le voit très bien à Paris où beaucoup de petits hôtels ferment mais c’est vrai aussi dans d’autres villes, où doivent émerger de nouveaux concepts, moins chers et mieux placés, migrant de la périphérie au centre-ville.

"Tout le monde ne survivra pas à ces évolutions mais la difficulté, c’est d’accepter que des hôtels vont mourir."

Mark Watkins : Les bonnes idées ne sont pas éternelles et les entrepreneurs de l’hôtellerie les plus clairvoyants ne s’y trompent d’ailleurs pas. Je me souviens quand Paul Dubrule et Gérard Pélisson avaient lancé Formule 1 en 1985, ils avaient eux-mêmes annoncé que ces hôtels avaient vocation à être « bulldozés » au bout de vingt ans ! Ce qui en définitive n’a jamais eu lieu.


Face à ce paysage hôtelier statique, l’hébergement collaboratif peut-il constituer une vraie alternative pour les voyageurs d’affaires en quête de nouveauté ?

Slobodan Petrovic : C’est précisément notre pari puisque, contrairement à des acteurs comme Airbnb, nous sommes uniquement sur le voyage d’affaires.
MagicStay est une plateforme d’intermédiation qui travaille principalement avec des professionnels gestionnaires d’appartements. Nous référençons des appartements sur le marché, disponibles à la location courte durée et moyenne durée. On se considère non pas concurrents mais complémentaires de l’offre hôtelière.
Sur les demandes d’une nuitée pour une personne, par exemple, on est souvent moins concurrentiels. En revanche, on le redevient si le séjour s’allonge. Notre moyenne, c’est six nuitées et la majorité de notre offre est disponible à partir de trois nuits. C’est pourquoi nous allons intégrer les appart’hôtels, chaînes ou indépendants, proposant une prestation semblable sur du très court séjour.


Les voyageurs d’affaires et ceux qui gèrent leurs séjours sont-ils prêts à sauter le pas ?

Slobodan Petrovic : Nous venons de réaliser une étude qui montre que 20 % des voyageurs d’affaires ont déjà eu recours à l’hébergement alternatif et que 42 % d’entre eux y pensent. Il y a une vraie volonté de varier l’expérience et de sortir des standards. Maintenant, tout va dépendre de la typologie de l’entreprise.
Pour les PME et TPE, il y a un réel intérêt, immédiat. Pour les grands groupes, en revanche, la décision est plus longue ; il y a encore quelques barrières à passer même si on sent que la volonté d’y aller est là.

Serge Bacchus : C’est vrai qu’il reste une vraie différence entre les deux types d’entreprises sur cette question de l’hébergement collaboratif. Cette solution attire de plus en plus les petites entreprises mais il reste une réticence pour les grands groupes, notamment pour des questions de sécurité.

"20 % des voyageurs d’affaires ont déjà eu recours à l’hébergement alternatif et 42 % d’entre eux y pensent."

© Cyril Etien
© Cyril Etien
Slobodan Petrovic : Et ce sont des réticences que nous devons aujourd’hui prendre en compte. On va lancer prochainement une démarche sur ce point pour labelliser les appartements sur la sécurité, avec un engagement des propriétaires et des gestionnaires en la matière, que ce soit dans l’équipement, l’assistance, la confidentialité des données...


Du point de vue des hôteliers, cette émergence de l’hébergement alternatif est-elle ressentie comme une vraie menace ?

Olivier Devys : Personnellement, je n’ai aucun problème avec le succès des Airbnb et compagnie, bien au contraire. Cela montre simplement que l’hôtellerie ne remplit plus sa fonction, c’est une piqûre qui peut lui permettre de se réveiller. Et c’est une suite logique de la révolution digitale : à partir du moment où je peux tout découvrir sur mon ordinateur, je ne me restreins plus à une poignée de marques ultra-puissantes.
Les grands groupes ont la certitude qu’ils tiennent le territoire mais quand le client ne peut pas vous affronter de front, il vous contourne !

Mark Watkins : L’hôtellerie se sert de l’hébergement alternatif pour justifier ses mauvais résultats. Mais la pratique du bouc émissaire est une vieille habitude dans le secteur.
Dans les années 70, c’était les chaînes hôtelières, après les résidences de tourisme, les chambres d’hôtes, puis l’émergence des OTA... Pourtant, nos études confirment que ces sites d’hébergement collaboratif apportent avant tout une clientèle additionnelle, qui n’aurait pas forcément voyagé sans cette solution d’hébergement à moindre coût.

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Commentaires

1.Posté par Mathieu VADOT - Consutlant e-tourisme le 21/11/2018 15:27 | Alerter
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Très bon article ! Les analyses sont très justes.

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