TourMaG.com - Quel regard portez-vous sur l'industrie du tourisme en France ?
Paul Arseneault : C'est toujours gênant de parler de tout ça, car je me sens un peu comme un imposteur venant du Canada. Ma vision est nord-américaine, avec un monde du business ayant sa propre évolution, où tout gravite autour de l'entreprise.
Pendant de nombreuses décennies, le monde de l'aérien et les transporteurs contrôlaient tout, les tour-opérateurs étaient presque inexistants. Ce monde existe encore et ce n'est pas du tout le cas chez vous.
En France, le rôle de l'Etat et de ses services est nettement plus important, et cela me surprend beaucoup. Tout projet est supporté par des fonds, du pays, de la région ou du département... Ce qui fait que le développement touristique dépend de l'Etat, alors qu'il est sans doute possible de trouver des financements ailleurs.
Par exemple, lorsque nous avons créé le MT Lab, nous nous sommes inspirés du Welcome City Lab qui est une référence mondiale, mais dont le financement est assuré en partie par la Mairie de Paris, donc la présence du secteur public est prégnante.
Cette situation entraîne un problème de gouvernance.
Pour avoir des résultats, nous avons dû adapter le fonctionnement de notre incubateur à la culture nord-américaine. Je ne dis pas que nous avons raison, je constate juste la différence. Nos partenaires privés allouent des sommes non pas pour la location des locaux, mais plutôt pour le développement des entreprises. Il n'y a aucune relation commerciale entre les start-up et les investisseurs.
Quand je viens en France, dans mes conférences, j'interpelle souvent mon auditoire sur la question : pourquoi l'Etat payerait le marketing de la destination ? Cela devrait être aux entreprises privées. Le gouvernement se contenterait alors de favoriser la coopération des différentes filières.
Paul Arseneault : C'est toujours gênant de parler de tout ça, car je me sens un peu comme un imposteur venant du Canada. Ma vision est nord-américaine, avec un monde du business ayant sa propre évolution, où tout gravite autour de l'entreprise.
Pendant de nombreuses décennies, le monde de l'aérien et les transporteurs contrôlaient tout, les tour-opérateurs étaient presque inexistants. Ce monde existe encore et ce n'est pas du tout le cas chez vous.
En France, le rôle de l'Etat et de ses services est nettement plus important, et cela me surprend beaucoup. Tout projet est supporté par des fonds, du pays, de la région ou du département... Ce qui fait que le développement touristique dépend de l'Etat, alors qu'il est sans doute possible de trouver des financements ailleurs.
Par exemple, lorsque nous avons créé le MT Lab, nous nous sommes inspirés du Welcome City Lab qui est une référence mondiale, mais dont le financement est assuré en partie par la Mairie de Paris, donc la présence du secteur public est prégnante.
Cette situation entraîne un problème de gouvernance.
Pour avoir des résultats, nous avons dû adapter le fonctionnement de notre incubateur à la culture nord-américaine. Je ne dis pas que nous avons raison, je constate juste la différence. Nos partenaires privés allouent des sommes non pas pour la location des locaux, mais plutôt pour le développement des entreprises. Il n'y a aucune relation commerciale entre les start-up et les investisseurs.
Quand je viens en France, dans mes conférences, j'interpelle souvent mon auditoire sur la question : pourquoi l'Etat payerait le marketing de la destination ? Cela devrait être aux entreprises privées. Le gouvernement se contenterait alors de favoriser la coopération des différentes filières.
"Benjamin Smith a réussi l'internationalisation d'Air Canada..."
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TourMaG.com - Restons toujours dans le rôle de l'Etat en France. Pensez-vous que Benjamin Smith, directeur général d'Air France - KLM va pouvoir régler le problème Air France ?
Paul Arseneault : Il ne faut pas oublier la réalité économique et sociale entre les deux continents. Le Canada est un pays de 34 millions d'habitants sur un territoire faisant 10 fois la France, et dont la densité est concentrée le long de la frontière américaine, avec 5 grandes villes.
Ainsi la logique du transporteur régional est limité autour d'un grand hub monumental qui est Toronto. Or, Air Canada a été une société d'Etat jusqu'au début des années 90. Pour acquérir sa liberté, la compagnie a dû absorber Canadian Airlines et ce fut une terrible erreur.
Le gouvernement a créé un monstre à deux têtes, avec une base opérationnelle à Montréal, mais toutes les décisions étaient prises à Toronto.
L'entreprise était totalement dysfonctionnelle, puisque le transport régional n'est pas viable et que la concurrence extrême est arrivée avec les accords de ciel ouvert.
Benjamin Smith a réussi à sauver la compagnie en s'appuyant sur les lignes internationales. C'est une stratégie habile. Est-ce qu'il pourra faire la même chose ici ? Je n'en sais pas plus. Les enjeux ne sont pas les mêmes et la culture organisationnelle non plus.
Pour information, les syndicats des bagagistes avaient déposé il y a quelques années un préavis de grève, ce qui est très rare au Canada. Le lendemain le Parlement canadien s'est réuni, le préavis était renversé, la discussion terminée et tout le monde est retourné au travail. Voilà comment nous négocions au Canada.
Donc j'essaye de m'imaginer une personne qui avait l'habitude de négocier dans de telles conditions, arriver en France, dans une situation plus que tendue. Et pour tout vous dire, je ne suis pas totalement convaincu que les deux parties s'entendent bien.
Paul Arseneault : Il ne faut pas oublier la réalité économique et sociale entre les deux continents. Le Canada est un pays de 34 millions d'habitants sur un territoire faisant 10 fois la France, et dont la densité est concentrée le long de la frontière américaine, avec 5 grandes villes.
Ainsi la logique du transporteur régional est limité autour d'un grand hub monumental qui est Toronto. Or, Air Canada a été une société d'Etat jusqu'au début des années 90. Pour acquérir sa liberté, la compagnie a dû absorber Canadian Airlines et ce fut une terrible erreur.
Le gouvernement a créé un monstre à deux têtes, avec une base opérationnelle à Montréal, mais toutes les décisions étaient prises à Toronto.
L'entreprise était totalement dysfonctionnelle, puisque le transport régional n'est pas viable et que la concurrence extrême est arrivée avec les accords de ciel ouvert.
Benjamin Smith a réussi à sauver la compagnie en s'appuyant sur les lignes internationales. C'est une stratégie habile. Est-ce qu'il pourra faire la même chose ici ? Je n'en sais pas plus. Les enjeux ne sont pas les mêmes et la culture organisationnelle non plus.
Pour information, les syndicats des bagagistes avaient déposé il y a quelques années un préavis de grève, ce qui est très rare au Canada. Le lendemain le Parlement canadien s'est réuni, le préavis était renversé, la discussion terminée et tout le monde est retourné au travail. Voilà comment nous négocions au Canada.
Donc j'essaye de m'imaginer une personne qui avait l'habitude de négocier dans de telles conditions, arriver en France, dans une situation plus que tendue. Et pour tout vous dire, je ne suis pas totalement convaincu que les deux parties s'entendent bien.
"L'intelligence artificielle ne pourra pas remplacer l'expertise..."
TourMaG.com - En 1986, vous annonciez la fin des réseaux de distribution. Plus de 20 ans après, pouvons-nous dire que vous vous êtes trompé ?
Paul Arseneault : Effectivement, je suis même convaincu que nous retournons vers une réintermédiation, pas massive, mais plus sophistiquée.
Le problème est le suivant : nous pouvons tout réserver sur la planète, avec des millions de références, sauf que l'internaute ne peut pas agréger tout ça. Il y a même un retour du réceptif qui avait disparu d'une certaine manière.
Quand je vois la place de TUI ou Transat, avec des milliards d'euros de chiffre d'affaires, visiblement nous sommes loin de la disparition des intermédiaires. L'intelligence artificielle ne pourra pas remplacer tous les intermédiaires.
Le modèle de l'agence de voyages ayant pignon sur rue est révolu, mais l'expertise ne l'est pas.
TourMaG.com - Les réseaux physiques sont-ils amenés à disparaître ?
Paul Arseneault : Nous observons aussi bien en France, qu'au Canada, une transformation des points de vente. Les agences ne sont plus vraiment des lieux avec un bureau et ordinateur, mais des endroits de rencontres. Il y a aussi de plus en plus d'agents autonomes ou associés, affiliés à une bannière pouvant faire la promotion sur n'importe quel lieu (travail, café, etc., ndlr).
Les algorithmes ne feront pas le travail de conseils d'un agent de voyages. Ils permettent juste de classer les profils et de comprendre les attentes. Les consommateurs ne veulent pas en effet être les victimes des algorithmes.
Il y a un besoin d'accompagnement avant, mais surtout pendant le voyage. Les agents vont devoir répondre présent à cette problématique de manière plus forte que ce qu'ils ne le font actuellement. C'est un rôle complexe qui est sous-estimé. Il faut penser à l'espace de conseils lors du séjour.
Imaginez un jour de pluie en République Dominicaine : le voyagiste pourrait alors envoyer un message à son client la veille, pour lui conseiller des activités, c'est un créneau inoccupé.
Paul Arseneault : Effectivement, je suis même convaincu que nous retournons vers une réintermédiation, pas massive, mais plus sophistiquée.
Le problème est le suivant : nous pouvons tout réserver sur la planète, avec des millions de références, sauf que l'internaute ne peut pas agréger tout ça. Il y a même un retour du réceptif qui avait disparu d'une certaine manière.
Quand je vois la place de TUI ou Transat, avec des milliards d'euros de chiffre d'affaires, visiblement nous sommes loin de la disparition des intermédiaires. L'intelligence artificielle ne pourra pas remplacer tous les intermédiaires.
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Paul Arseneault : Nous observons aussi bien en France, qu'au Canada, une transformation des points de vente. Les agences ne sont plus vraiment des lieux avec un bureau et ordinateur, mais des endroits de rencontres. Il y a aussi de plus en plus d'agents autonomes ou associés, affiliés à une bannière pouvant faire la promotion sur n'importe quel lieu (travail, café, etc., ndlr).
Les algorithmes ne feront pas le travail de conseils d'un agent de voyages. Ils permettent juste de classer les profils et de comprendre les attentes. Les consommateurs ne veulent pas en effet être les victimes des algorithmes.
Il y a un besoin d'accompagnement avant, mais surtout pendant le voyage. Les agents vont devoir répondre présent à cette problématique de manière plus forte que ce qu'ils ne le font actuellement. C'est un rôle complexe qui est sous-estimé. Il faut penser à l'espace de conseils lors du séjour.
Imaginez un jour de pluie en République Dominicaine : le voyagiste pourrait alors envoyer un message à son client la veille, pour lui conseiller des activités, c'est un créneau inoccupé.
"Nous sommes arrivés à un point de bascule dans l'opinion concernant le tourisme durable..."
TourMaG.com - En tant que chercheur, qu'observez-vous comme tendance ?
Paul Arseneault : Il y a une grande enquête qui sortira au Canada, plutôt habile je dois dire, pour éviter le green washing. Nous sommes arrivés dans mon pays à un point de bascule, même pour le tout inclus, où les questions environnementales et de développement durable commencent à faire une différence entre deux produits.
La conscience sociale devient de plus en plus importante sur ces thèmes. Nous avons une responsabilité dans le réchauffement de la planète et je pense que les questions environnementales dans le tourisme vont arriver bien plus vite que nous l'avions imaginé.
TourMaG.com - Faire la promotion du tourisme durable est quelque chose de compliqué.... (il nous coupe, ndlr)
Paul Arseneault : Non non, je m'inscris en faux. Il suffit d'aller sur le site de TUI, regarder la colonne de gauche avec les critères pour un séjour, il y a le wifi, le surf, l'éloignement de l'hôtel par rapport à l'aéroport... Il y en a une quarantaine, mais rien sur le développement durable.
TUI est le leader du secteur... Et qui a créé le conseil mondial du tourisme durable ? Eux ! Pourquoi ne mettent-ils pas un petit pictogramme pour permettre aux voyageurs de pouvoir choisir entre un logement plus respectueux ou non.
Ils obligent les resorts à se certifier, mais nous sommes incapables de mettre en place cette initiative. Cela me dépasse totalement. Il y a un blocage sur la question.
Paul Arseneault : Il y a une grande enquête qui sortira au Canada, plutôt habile je dois dire, pour éviter le green washing. Nous sommes arrivés dans mon pays à un point de bascule, même pour le tout inclus, où les questions environnementales et de développement durable commencent à faire une différence entre deux produits.
La conscience sociale devient de plus en plus importante sur ces thèmes. Nous avons une responsabilité dans le réchauffement de la planète et je pense que les questions environnementales dans le tourisme vont arriver bien plus vite que nous l'avions imaginé.
TourMaG.com - Faire la promotion du tourisme durable est quelque chose de compliqué.... (il nous coupe, ndlr)
Paul Arseneault : Non non, je m'inscris en faux. Il suffit d'aller sur le site de TUI, regarder la colonne de gauche avec les critères pour un séjour, il y a le wifi, le surf, l'éloignement de l'hôtel par rapport à l'aéroport... Il y en a une quarantaine, mais rien sur le développement durable.
TUI est le leader du secteur... Et qui a créé le conseil mondial du tourisme durable ? Eux ! Pourquoi ne mettent-ils pas un petit pictogramme pour permettre aux voyageurs de pouvoir choisir entre un logement plus respectueux ou non.
Ils obligent les resorts à se certifier, mais nous sommes incapables de mettre en place cette initiative. Cela me dépasse totalement. Il y a un blocage sur la question.
Le vocal n'est pas encore une réalité
TourMaG.com - Une autre tendance que les géants essayent de nous imposer : les assistants vocaux. Quel avenir pour les voyagistes dans un monde où la réponse à la question sera unique ?
Paul Arseneault : Pour comprendre la réalité du vocal, il suffit de regarder ce que nous utilisons tous pour communiquer, le téléphone. Comment contactez-vous vos amis ? La majeure partie du temps vous leur envoyez un texto et pourtant il est bien plus efficace d'appeler la personne, mais nous privilégions l'écrit.
Et regardez un peu l'utilisation de la batterie du smartphone, le vocal arrive très loin derrière Facebook ou Whatsapp. Je pense qu'il y a encore une marge énorme avant que l'industrie nous impose ce mode de communication.
Paul Arseneault : Pour comprendre la réalité du vocal, il suffit de regarder ce que nous utilisons tous pour communiquer, le téléphone. Comment contactez-vous vos amis ? La majeure partie du temps vous leur envoyez un texto et pourtant il est bien plus efficace d'appeler la personne, mais nous privilégions l'écrit.
Et regardez un peu l'utilisation de la batterie du smartphone, le vocal arrive très loin derrière Facebook ou Whatsapp. Je pense qu'il y a encore une marge énorme avant que l'industrie nous impose ce mode de communication.