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Surtourisme : quelle solution quand tout déborde ?

Interview de Jean-Didier Urbain, première partie


Anthropologue du tourisme et linguiste, Jean-Didier Urbain nous a accordé une longue interview que nous publions en trois volets. Dont le premier concerne un sujet éminemment d’actualité : le sur-tourisme et les solutions pour y remédier.


Rédigé par le Dimanche 17 Juillet 2022

Un exemple de surtourisme : l'accès aux Calanques de Marseille, fin février 2021 - crédit : Parc National des Calanques
Un exemple de surtourisme : l'accès aux Calanques de Marseille, fin février 2021 - crédit : Parc National des Calanques
Certains tentent la communication, d'autres, la sentence. Pour empêcher les visiteurs d’être trop nombreux, les professionnels du tourisme sondent, tentent, réussissent parfois, échouent et essayent encore.

Ce qui, hier, était une manne (le nombre) est aujourd’hui synonyme de trop-plein, de tension et de destruction. Ce qui était un territoire touristique est devenu le sur-tourisme.

Mais c’est quoi, le sur-tourisme, et qu'en fait-on ? On régule, on interdit ? On propose des alternatives ? L’un des aspects du travail de Jean-Didier Urbain étant de se pencher sur ces questions, nous nous sommes tournés vers lui pour obtenir des réponses.

TourMaG.com - Après deux ans de pandémie et plusieurs confinements, le sur-tourisme est à nouveau un problème ?

Jean-Didier Urbain :
Le confinement a mis un coup d’arrêt brutal. C’était une expérience de rupture individuelle et collective qui a changé nos pratiques et nos usages.

De là à parler de « monde d’après »... C’est un mirage, c’est comme l’existence de Dieu : c’est dur à prouver !

TourMaG.com - Quels sont ces changements de pratiques ?

Jean-Didier Urbain :
Un repli très clair, et même si ça se réactive, on voit bien que certaines peurs et certains principes sont dans l’air aujourd’hui.

La pandémie a généré des précautions qu’on ne prenait pas, ou moins, la peur de la promiscuité. Malgré la hausse du prix de l’essence, on dit « vive la bagnole » parce qu’on n’est pas avec les autres, on évite le collectif.

Surtourisme : "C’est quand tout déborde et qu’on n’a plus la capacité d’accueil pour ce flux continue"

TourMaG.com - Et pourtant, malgré un retrait du collectif, les touristes sont toujours aussi nombreux en même temps aux mêmes endroits ! C’est quoi, d’ailleurs, le sur-tourisme ?

Jean-Didier Urbain :
Le sur-tourisme, c’est la déviance d’une chose positive qu’est le voyage.

Ce sont des millions de femmes et d’hommes en mouvement en même temps, un peu comme un système cinétique.

C’est quand tout déborde et qu’on n’a plus la capacité d’accueil pour ce flux continue.

Mais, que ce soit en Occident ou dans les pays émergents, on a tous la même intention de voyage. Et c’est bénéfique, on a besoin du voyage pour tous, on a besoin de se rencontrer, ça évite l’ostracisme.
Jean-Didier Urbain
Jean-Didier Urbain

TourMaG.com - Si c’est une déviance, est-ce qu’il y a des moyens de revenir à un tourisme plus apaisé ?

Jean-Didier Urbain :
Le tourisme doit être repensé. Mais il n’en prend pas la voix, sauf dans certains cas très locaux.

Au Galápagos par exemple où il y a un forfait de 5000 visiteurs par an.

On doit réfléchir à la gestion des flux, qui vont être de plus en plus nombreux. Là, on a déjà presque atteint à nouveau les niveaux de 2019. La régulation ou la limitation des flux, c’est un enjeu anthropologique et humain.

Le démarketing ne sera efficace que s’il est complété d’une politique de limitation.

TourMaG.com - L’année dernière, les Calanques de Marseille avait entamé toute une campagne de démarketing, aujourd’hui elles semblent avoir changé de stratégie ?

Jean-Didier Urbain :
Le démarketing, c’est la dissuasion. C’est dire « ne venez pas ». C’est une des armes disponibles.

Mais pour que les consciences se modifie, il faut réfléchir à moyen et long terme, ça met du temps. C’est comme la conscience écologique : avant on jetait le papier par terre. Le 1er pas, c'est de voir une poubelle et d’y jeter le papier. Le 2e pas, c’est de chercher la poubelle pour y jeter le papier.

Pour l’instant, on en est encore qu’au premier pas. Le démarketing ne suffira pas à lui tout seul. Il doit être accompagné d’autres mesures, il ne sera efficace que s’il est complété d’une politique de limitation.

TourMaG.com - C’est justement ce que proposent les Calanques actuellement, en imposant des réservations ?

Jean-Didier Urbain :
Oui, c’est la régulation, c'est-à-dire le fait de mesurer le passage.

Les Calanques imposent une réservation pour 400 personnes sur deux calanques, je ne sais pas si c’est la bonne solution, mais c’est mieux que la répression, qui donne toujours des rebelles et de la révolte.

La limite, ce serait la réservation payante. C’est ce que fait l’Angleterre à la City ou ce que fait Venise : les non-résidents doivent payer, et ça, ça n’est vraiment pas possible, c’est la fin du tourisme pour tous.

La déconcentration, c’est le fait de créer une attraction alternative.

TourMaG.com - Quelles autres solutions existent pour réguler les flux touristiques ?

Jean-Didier Urbain :
On a donc la stratégie de la réservation. Ça, c’est l’anticipation : on évite les embouteillages, et en limitant, on suscite aussi l’attente et le désir.

Ensuite, on a la déconcentration. C’est le fait de créer une attraction alternative. Par exemple, « n'allez pas tous au Louvre, allez découvrir la banlieue ». On disperse, on dissémine.

C’est un peu le tourisme des alentours, il est à naître. On en parlait déjà dans les années 80, il n’a pas eu un énorme succès à l’époque.

Il y a aussi le dédoublement, c’est-à-dire recréer à l’identique ou presque un lieu ailleurs pour pouvoir le visiter sans dégrader. C’est ce qu’on a fait notamment pour les grottes préhistoriques.

Enfin, il y a l’interdiction pure et simple. Mais c’est une solution un peu violente.

TourMaG.com - C’est vers la déconcentration qu’il faudrait aller ?

Jean-Didier Urbain :
Au XIXème, avec la naissance de Thomas Cook on a amorcé une industrialisation de la pratique touristique, et les infrastructures des années 80 - 90 ont renforcé cette standardisation.

Désormais il y a une hyper-concentration du tourisme. C’est complètement fou : 95% des touristes se rassemblent sur 5% du territoire mondial !

Il y a beaucoup à faire pour amener ailleurs. Il faut que les professionnels entendent qu’ils doivent changer leurs pratiques. Ils doivent être moins boutiquier et mieux comprendre les touristes.

Les voyagistes et les touristes se connaissent-ils ? C’est justement le sujet de la deuxième partie de cet entretien :

« Le touriste, ça n’est pas un gisement naturel », bientôt publié dans la rubrique Voyages Responsables de TourMaG.com

Les Césars du Voyage Responsable

Rappelons que TourMaG et le Petit Futé organisent "Les Césars du Voyage Responsable".

Forts d’une audience mensuelle de plusieurs millions d’internautes, les deux titres assureront la promotion BtoBtoC des projets candidats.

Cet événement débutera en septembre 2022 avec la phase des votes qui durera jusqu'en février 2023.

La cérémonie des Césars du Voyage Responsable, quant à elle, aura lieu en mars 2023.

Si vous souhaitez candidater, prenez rendez-vous ci-dessous avec Fabien da Luz, DG associé de TourMaG.com.

A lire aussi : Césars du Voyage Responsable : “Il y a une urgence à agir dans notre métier…”



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