MT Lab : "L'innovation ce n'est pas que de la technologie..."

TourMaG.com - Vous êtes intervenu lors de la convention des EDV Ile-de-France. Finalement la problématique de l'emploi, touche aussi le Canada ?

Martin Lessard : Je pense surtout que les emplois n'étaient pas très bien valorisés et rémunérés. L'industrie vivait là-dessus, sans se soucier de les valoriser.

La pandémie est arrivée, les populations sont restées à la maison tout en continuant à bien gagner leur vie. Ils ont découvert une vie plus agréable sans le travail, puis ils ont pu se rendre compte aussi qu'ils pouvaient être mieux payés dans d'autres domaines...

Les années de non-préparation du tourisme ont été un coup dur.

TourMaG.com - Le MT Lab cherche donc des solutions par rapport à cette pénurie ?

Martin Lessard : Nous répondons aux besoins de nos partenaires.

Le problème des ressources humaines peut être résolu par des décisions politiques et, à ce niveau, nous ne pouvons rien faire. De notre côté nous essayons de voir s'il est possible de répondre aux problématiques de nos partenaires.

L'innovation apparait dans les sous-besoins des acteurs du tourisme.

TourMaG.com - Quels sont les signaux faibles que vous voyez émerger ces dernières mois ?

Martin Lessard : Je vois poindre une demande non pas de solution externe, mais de rendre les employés plus performants, de faire entrer l'innovation en interne mais aussi de conserver les forces vives.

J'ai l'impression qu'il y a eu une prise de conscience : les salariés sont la plus grande valeur de l'entreprise.

Comment les garder et les rendre plus heureux ? Tous nos partenaires m'ont fait passer cette question. Le besoin est collectif. Par le passé, ils avaient des manques dans l'intelligence artificielle, le big data, l'accueil, etc.

Maintenant, nous devons trouver des start-up sur les processus internes, l'optimisation des ressources et l'amélioration en continu.

TourMaG.com - Vous êtes le patron du MT Lab, un enfant du Welcome City Lab de Paris. Vous avez tendance à dire que l'innovation n'est pas que technologique, ce qui peut paraître ambigu ?

Martin Lessard : L'innovation peut passer par la technologie, que ce soit de la high-tech, de la low tech ou de la no tech.

L'innovation ce peut être des processus. De reconnaître qu'il y a un manque et de le combler.

Par exemple nous avons le cas d'une startup nommée Erablee, qui s'est rendu compte qu'il y a une étape où les migrants ont besoin d'aide en arrivant au Canada. Elle vient en soutien, non pas avec de la technologie, mais de l'information et du processus.

C'est une manière de faire de la rétention de main-d'œuvre.

Elle aurait pu convenir à plein d'autres domaines, mais nous sommes allés la chercher pour qu'elle s'attarde sur notre secteur. En vivant du tourisme, elle va alimenter et faire vivre l'industrie, car elle permettra à des personnes de travailler.

Au MT Lab, c'est aussi à ce niveau que nous nous démarquons du Welcome City Lab, nous allons chercher des idées pour les appliquer dans le voyage. Ce n'est pas nécessairement de la technologie mais des nouveaux processus pour rendre plus compétitif le secteur.

TourMaG.com - Vous aviez affirmé que le tourisme durable n'était pas encore une priorité ici. Vous vivez dans un pays entouré de nature, très vert et fragile, à cause de sa proximité avec le cercle polaire. Comment expliquer cette distance par rapport à ce sujet ?

Martin Lessard : A notre niveau, c'est un problème de l'offre et de la demande.

Il y a des start-up dans ce domaine, mais dans le même temps, les acteurs du tourisme ne sont pas prêts à voir les solutions et le marché n'a jamais vraiment décollé.

Le Canada est une terre d'abondance. Nous n'avons pas de conscience environnementale. Vous le voyez, nous sommes entourés de grands espaces, d'une nature omniprésente et luxuriante. Ce n'est pas facile de voir les limites dans un pays d'abondance.

Nous sommes aussi sur un modèle consumériste, copié de celui américain, donc nous voyons moins bien venir, ce virage...

Malgré tout au Québec, la pandémie a fait passer un message à ce niveau. Le ministère du Tourisme local impose aux entreprises déposant une demande de subvention d'avoir un plan de développement durable. Il y a une petite prise de conscience.

Le durable est un levier important au MT Lab, mais les start-up ne perçoivent pas le tourisme comme un secteur viable et les partenaires n'insistaient pas vraiment non plus sur cette problématique. De l'extérieur, le tourisme n'est pas perçu attractif sur les questions du développement durable.

Nous devons le montrer à l'extérieur de l'industrie touristique.

TourMaG.com - L'objectif du MT Lab n'est pas de créer des licornes ?

Martin Lessard : Nous sommes moins entrepreneuriaux qu'entremetteurs.

Nous n'investissons pas dans les start-up pour les accélérer. Je ne dis pas que nous n'investirons pas un jour, mais ce n'est pas notre but premier.

L'industrie représente 2% du PIB ici, soit 4 fois moins qu'en France. L'importance est minime, mais c'est assez significatif pour qu'il y ait de l'innovation. Contrairement à la France, nous n'avons pas beaucoup de repeaters.

Les voyageurs viennent une fois au Québec. Notre enjeu est donc de leur faire vivre la meilleure expérience possible, pour qu'ils en parlent autour d'eux à leur retour.

TourMaG.com - Votre enjeu au MT Lab est de rendre l'industrie touristique locale moins dépendante des solutions américaines ?

Martin Lessard : Le tourisme est par définition traversé par l'innovation.

Avec un secteur aussi morcelé les acteurs se font avoir par une solution nord-américaine venant de San Francisco. Sauf que ces idées viennent de l'extérieur du pays. Elles sont imposées, sans apréhender le marché local.

Nous avons des entrepreneurs avec une culture québécoise, capables d'influencer les prochaines solutions qui vont dominer le secteur. Avant de conquérir le monde, ils se seront imprégnés de notre culture.

Notre rôle est d'amener les start-ups auprès des acteurs BtoB, pour stimuler l'industrie. En montrant le tourisme comme innovant, nous allons attirer des personnes de l'extérieur. Nous devons rendre le tourisme visible car le secteur est trop fermé sur lui-même.

Nous poussons les jeunes pousses à penser différemment et plus grand.

TourMaG.com - Pendant une décennie, leur discours justement était très ambitieux, avec une volonté de se développer très rapidement. Est-ce qu'on ne rétropédale pas avec une vision locale et moins ambitieuse ?

Martin Lessard : C'est ce que nous pensons.

Voilà pourquoi nous n'investissons pas, car nous faisons entrer des solutions existantes dans le secteur, pas des entreprises qui partent de zéro.

Nous venons valider une adéquation au marché. Nous avons des personnes qui nous disent : faire 1 ou 10 million d'euros de revenus par an, ça me convient. Nous encourageons ce genre de raisonnement.

Nous préférons qu'une entreprise vive du tourisme, plutôt que de s'en détourner. Je ne suis pas sûr que le tourisme soit en mesure d'absorber beaucoup d'entreprises qui se développent très vite.

TourMaG.com - Hormis le métavers, dont tous les médias parlent même si personne ne sait ce qu'il en adviendra, nous voyons moins d'innovations marquantes...

Martin Lessard : C'est un effet médiatique.

La révolution internet nous a amenés des vagues d'innovations. Nous avons eu des Google, Facebook, puis dans le tourisme des Uber, Airbnb, Booking, etc. Ces vagues sont arrivées coup sur coup, avec des entreprises prenant le contrôle du monde.

C'est fait. Désormais nous aurons des sociétés plus petites.

TourMaG.com - En France, les acteurs privés voient les start-up comme des concurrentes. L'état d'esprit est-il le même à Montréal ?

Martin Lessard : Il est moins marqué ici. Les premières fois tout le monde me citait Airbnb, et la porte se refermait aussitôt.

Le tourisme est peut-être négligeable, mais c'est pour ça que nous devons arriver à faire quelque chose. Ce que fait le Welcome City Lab, c'est encore plus merveilleux, car il agit dans le pays où le tourisme n'a pas besoin d'attirer les touristes car ils viennent tout seuls.

Le WCL souhaite améliorer l'industrie pour qu'elle s'adapte à l'avenir. Il y a un certain confort en France, avec moins besoin de se remettre en question. Nous sommes devenus plus gros que nos amis parisiens car nous avons un réel besoin d'amélioration de nos entreprises.

C'est pourquoi que cela marche mieux ici.

TourMaG.com - Selon vous, vers quoi va tendre l'innovation dans le futur ?

Martin Lessard : Ma réponse sera plus personnelle, mais je pense que l'innovation va aller vers du low tech.

Nous allons vers une technologie d'optimisation de l'existant, pour que les choses coûtent moins cher : réduire le CO2, etc. Et je pense aussi que les solutions de mobilité sont l'avenir.

Je ne parle pas de la nouvelle voiture électrique, mais plutôt de repenser la mobilité en atténuant les externalités. Nous savons très bien que nous allons vers une contraction du marché, en voyageant moins.

Nous nous dirigeons vers des solutions qui réfléchissent à la contraction économique ou énergétique. Des contraintes sont devant nous et il faudra s'y adapter au mieux.

TourMaG.com - Une société avec des contraintes, est-ce une société qui innove ?

Martin Lessard : C'est quand nous avons des contraintes que nous innovons.

Le monde n'a jamais été aussi innovant que durant la pandémie et, pourtant, nous avions plein de contraintes. Ce n'est pas un monde plus triste.

Par contre, les années de vaches grasses sont derrière nous. Ceux qui accepteront les contraintes vivront bien avec. Au Canada, nous pouvons perdre 0,5 point de PIB généré par le tourisme, ce n'est pas bien grave. Par contre en France, si l'activité se contracte cela peut être une opportunité.

Avec moins de touristes, la France pourrait régler quelques problèmes. La contrainte peut être positive.

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