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Digitalisation : "Le tourisme... est l'un des secteurs les moins avancés", selon Wavestone

L'interview de Ghislain De Pierrefeu, responsable de l'IA et de la data chez Wavestone


Le digital est partout, les mots à la mode se succèdent après les chatbots, l'IA c'est à la blockchain d'être utilisée dans bon nombre de communiqués de presse. Et si la start-up nation n'était qu'une illusion ? Et la transformation digitale pas si bien avancée que ça en France ? C'est à ces problématiques que répond Ghislain De Pierrefeu, le responsable de l'IA et de la data chez Wavestone.


Rédigé par le Dimanche 7 Octobre 2018

Digitalisation : "En France, nous en sommes toujours à l'âge de pierre" selon Ghislain De Pierrefeu, Wavestone - Crédit photo : depositphotos.com @violetkaipa
Digitalisation : "En France, nous en sommes toujours à l'âge de pierre" selon Ghislain De Pierrefeu, Wavestone - Crédit photo : depositphotos.com @violetkaipa
TourMaG.com - Vous étiez invité lors d'une table ronde à l'IFTM Top Resa, mais qu'est ce que Wavestone ?

Ghislain De Pierrefeu :
Nous sommes une société de conseils en transformation qui accompagne les grandes entreprises, dans ce processus sectoriel ou technologique. Nous avons dans notre ADN une branche technique, puisque nous créons nos propres solutions.

Nous essayons de comprendre en profondeur les virages ou disruptions, qui est un mot très à la mode (rire), comme l'intelligence artificielle et le digital, mais surtout regarder comment les entreprises peuvent l'appréhender de façon pragmatique.

TourMaG.com - La digitalisation a touché tous les secteurs. En tant qu'expert et observateur du secteur, où en sommes nous ?

Ghislain De Pierrefeu :
Au niveau du digital, en France nous en sommes toujours à l'âge de pierre, sauf si on s'appelle Google et Amazon. Un exemple tout simple pour illustrer mon propos : regardez le nombre de papiers que nous échangeons avec nos banques ou nos fournisseurs énergétiques. Nous en sommes toujours aux prémisses de la digitalisation et de la dématérialisation, même si cela s'accélère.

Il reste beaucoup à faire, et surtout sur deux aspects du digital. Ainsi, l'expérience client n'est pas assez étudiée et valorisée, notamment la capacité à fournir des applications ou sites qui soient vraiment utilisables par des novices, il y a des vrais progrès à faire.

Concernant la partie immergée, c'est la valorisation des données, les machines derrière l'interface pour mieux cibler les clients, tout ce qui concerne l'intelligence artificielle. A ce niveau tout reste à faire. Pour comparer un peu, il faut regarder du côté d'Amazon, qui est capable d'organiser la livraison d'un objet dans le centre de stockage le plus proche de chez vous, avant même que vous ayez cliqué sur l'icône de la carte bleue.

C'est le rêve de tous les revendeurs d'arriver à ce niveau-là.

"Il y a un décalage entre la communication paillette et la réalité"

TourMaG.com - Sans évoquer l'univers du tourisme, pouvons-nous parler d'un retard de la digitalisation dans la start-up nation qu'est la France ?

Ghislain De Pierrefeu :
Bien évidemment, il existe un véritable miroir aux alouettes. La France se fait plaisir et se gargarise avec la French Tech, qui est objectivement très dynamique, mais nous pensons que grâce à elle, nous sommes très en avance sur le digital et l'IA.

En fait, quand on voit l'avancement des entreprises qui pèsent sur ces sujets, pour moi elles sont toutes à moyen ou long terme en danger, car elles n'ont pas bien saisi l'importance des problématiques.

TourMaG.com - Pourtant, nous recevons un nombre incalculable de communiqués de presse sur l'IA. Vous pensez que les entreprises se raccrochent aux branches, mais sans innover ?

Ghislain De Pierrefeu :
Je pense que beaucoup d'entreprises ont compris le sujet et le mettent en haut de la liste. Il ne faut pas être négatif. Toutefois, nous sommes dans le monde de l'hyper communication et globalement les gens passent plus de temps à communiquer sur les partenariats signés avec 3 start-up, plutôt que sur les changements réels pour les clients.

Lors de Viva Technology à Paris (salon consacré à l'innovation technologique et aux start-up ndlr), j'ai été marqué par le nombre de personnes qui parlent en disant qu'ils ont changé le monde, sauf qu'en tant que consommateur je n'ai pas subi toutes ses révolutions. En réalité cela bouge très doucement, nous sommes toujours à l'âge de pierre dans les services proposés par rapport à ce qui pourrait être proposé.

Il y a un décalage entre la communication paillette et la réalité, car derrière la transformation n'est pas enclenchée en profondeur.

"Aucune entreprise en France a totalement enclenchée son auto-disruption..."

TourMaG.com - Vers quoi doivent tendre les entreprises ?

Ghislain De Pierrefeu :
Cela passe par un véritable pouvoir donné aux responsables technologiques dans les entreprises, qui ne doivent pas se résumer seulement en des incubateurs de trois ou quatre start-up, mais il doit avoir un rôle bien plus important.

Je suis peut-être dur, mais je dois reconnaître que globalement, nous progressons. Sauf que selon moi aucune entreprise en France n'a totalement enclenché son auto-disruption, tournée vers le business de demain.

Prenez l'exemple du groupe Target aux USA, qui faisait du retail sur l'ensemble du territoire, ils se sont posés la question du commerce de demain. Ainsi, ils se sont appuyés sur leur principal atout, ses magasins, avec lequel ils ont couplé l'IA et le digital. La livraison a été revue, elle se fait à domicile de façon plus rapide et dynamique. Et les boutiques sont devenues des showrooms et des espaces de démonstrations.

La Poste a elle aussi entamé cette transformation, en s'appuyant sur son avantage que représente le maillage territorial de ses facteurs, mais pour ça il faut investir très lourdement. En fait, les entreprises doivent continuer à faire ce qu'elles faisaient, tout en devenant des éditeurs de logiciels.

TourMaG.com - Le blocage en France se situe à quel niveau ?

Ghislain De Pierrefeu :
C'est un peu un manque de courage, je ne dis pas que c'est facile, car la transition est compliquée. Il faut bien le reconnaître. Renault est très bon pour construire des voitures, mais mauvais pour créer une interface digitale dans leurs véhicules, pour avoir accès à plein de services, ils ont donc confié cela à Google.

C'est un choix, mais il aurait pu se dire que dégageant pas mal d'argent, ils peuvent investir ces montants pour devenir un véritable acteur du digital. Donc demain la relation avec les utilisateurs de la voiture et celui qui va connaître leurs usages sera tout simplement Google, et non pas Renault.

Il me semble que ces partenariats sont un peu mortifères, aujourd'hui il y a un manque de courage et de lucidité sur l'IA. Il existe aussi un mythe autour de ces nouvelles disciplines, beaucoup de grands comptes qui plutôt que de développer en propre vont chercher la start-up, alors que celle-ci n'a pas nécessairement beaucoup d'avance.

Alerte sur le business travel

Ghislain De Pierrefeu, Wavestone - Crédit photo : Wavestone
Ghislain De Pierrefeu, Wavestone - Crédit photo : Wavestone
TourMaG.com - Les conclusions sont-elles les mêmes dans le tourisme ?

Ghislain De Pierrefeu :
Dans le voyage il y a deux grands volets, celui BtoC qui est très bien avancé, car centré autour des prix, et l'autre BtoB qui est nettement plus en retard.

Ainsi ce dernier qui correspond au business travel, le retard est bien réel, c'est un business BtoBtoC, et donc bien plus lent à digitaliser. Il y a cette relation complexe à 3, entre le client final, l'intermédiaire et le producteur de services. Plus l'écosystème est complexe et plus la transformation est compliquée.

Je suis effrayé par mes observations faites en tant que client, même auprès des agences digitales. Si j'appelle après 22h il n'y a plus personne. Je ne peux pas changer mon billet de transport non plus. Tout ça ne choque personne, car il y a des légers progrès, mais selon moi, ce secteur est l'un des moins avancés.

TourMaG.com - Et pour les réseaux d'agences, qu'observez-vous ?

Ghislain De Pierrefeu :
Pour le coup, les agences de voyages ont bien été secouées par leurs concurrents en ligne. Les agences traditionnelles se sont un peu réinventées, cela s'apparente à du retail et c'est un sujet qui est bien avancé.

Après elles ne sont pas à l'abri d'un Amazon, qui pourrait faire peur à tout le monde, car leurs process sont bien mieux pensés.

"Après le greenwashing, la mode est arrivée à l'IA et maintenant au blockchainwashing..."

TourMaG.com - Les acteurs font-ils évoluer la chose ou se contentent de suivre ?

Ghislain De Pierrefeu :
Il y a une volonté de faire évoluer les choses c'est réel, mais les dirigeants voient l'IA comme une source de revenus en plus, seulement comme un outil pour l'up-selling (proposer un produit avec une plus grande marge, ndlr) .

Alors ça marche dans un premier temps, mais cela ne résout pas le fossé croissant entre les fournisseurs et les clients, au lieu de se focaliser sur la connaissance et l'utilisateur client.

Il ne faut pas seulement raisonner marketing, mais plutôt identifier les faiblesses dans la relation client, car ces entreprises vont mourir, par l'intermédiation d'un nouvel acteur. Les agences doivent impérativement penser aux points de friction, et de mécontentement des clients, au risque de voir les voyageurs réserver par eux-mêmes.

TourMaG.com - L'IA est-elle une réalité ?

Ghislain De Pierrefeu :
Bien évidemment, dans le business modèle d'Amazon, l'intelligence artificielle est à 90% dans sa réussite.

Je suis un grand défenseur de cette technologie, sauf que de nombreuses entreprises l'utilisent en mode paillette, pour mettre en avant des chatbots ou des partenariats avec des start-up, mais ne communiquent pas réellement sur la transformation de la vie des clients ou de l'entreprise.

TourMaG.com - Vous parliez des bullshits de la digitalisation lors de l'IFTM Top Resa, que vouliez-vous dire ?

Ghislain De Pierrefeu :
Il suffit de parcourir Linkedin, la moitié des informaticiens est devenue Data scientists, et tout le monde de l'IA. On confond un peu valeur et image technologique, juste pour faire le buzz, mais derrière en creusant souvent il n'y a pas grand-chose.

Après le greenwashing, la mode est arrivée à l'IA et maintenant au blockchainwashing. Il faut d'abord réfléchir aux cas d'usage, et comment répondre à un besoin client, puis après voir quelle technologie adopter. Il y a beaucoup de pipeau autour de ces sujets.

"Il y a une contestation populaire sur le harcèlement publicitaire"

TourMaG.com - La blockchain est la nouvelle techno à la mode, tout le monde communique dessus, mais sans réalité économique...

Ghislain De Pierrefeu :
En effet, la seule réalité économique reste pour le moment la cryptomonnaie, mais il y a énormément de bonnes choses intéressantes dans la blockchain.

Il ne faut pas perdre de vue que cela pose énormément de question sur la protection de la donnée, car à partir du moment où toutes les transactions sont tracées et ineffaçables, alors le droit à l'oubli passé à la trappe.

Puis cela pose la question du contrôle. Se priver d'intermédiaire reste une utopie. Aujourd'hui très peu de personnes ont réussi à créer du business autour, mais tout le monde en parle et en fait, sans se poser la question des cas d'usages.

Il y a un véritable intérêt sur la traçabilité des marchandises, sauf que pendant ce temps, ce sont plutôt des éditeurs qui essayent de tirer de la valeur.

TourMaG.com - Le parti pris par l'Europe et la France de légiférer sur la données et contre les GAFAM, est-ce une bonne chose ?

Ghislain De Pierrefeu :
Je trouve cela très intéressant, et mon sentiment a été très fluctuant à ce sujet. Les Chinois et les Américains ont eu raison de ne pas mettre trop de cadres sur les données personnelles, afin de favoriser l'innovation, mais aujourd'hui il y a une contestation populaire sur le harcèlement publicitaire.

Les internautes en ont marre d'être targetté à longueur de journée, sans en voir les bénéfices. Il y a un retournement de situation, autour du sujet sur la privatisation des données. Il y a matière à exister sur de l'IA éthique, sans avoir des milliards de données, rattraper le retard sur Google sur les volumes de données, ce n'est pas possible, il faut établir l'étalon ailleurs.

Il est possible de refaire son retard, mais avec l'Europe, seul ce n'est pas possible. Il est possible de percer sur certaines thématiques de l'IA, notamment par rapport à l'intrusion.

L'Estonie est très avancée à ce niveau, ils ont donné une responsabilité civile aux robots, et sur l'éthique de l'IA, cela peut constituer le chemin à emprunter.

Romain Pommier Publié par Romain Pommier Journaliste - TourMaG.com
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