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Futuroscopie : quel avenir pour le tourisme culturel ? 🔑

Le décryptage de Josette Sicsic (Futuroscopie)


Clés de voûte du séjour touristique, musées, festivals, monuments historiques ou contemporains sont amplement promus par les territoires et les opérateurs privés. En fait, sans tourisme culturel, le tourisme ne serait pas du tourisme. Pour autant, après la pandémie et l’effondrement qu’elle a provoqué, fait-on ce qu’il convient pour optimiser notre patrimoine artistique et culturel ? Pour en savoir plus, nous avons interrogé Jean-Michel Tobelem, consultant spécialisé en tourisme culturel.


Rédigé par le Mardi 4 Juillet 2023

Dans le domaine des musées et des monuments, c’est le retour au statu quo, comme si la pandémie n’avait pas révélé les limites du modèle productiviste antérieur reposant sur le triptyque : clientèles internationales, prix d’entrée élevés, expositions blockbusters - Depositphotos.com, Sergieiev
Dans le domaine des musées et des monuments, c’est le retour au statu quo, comme si la pandémie n’avait pas révélé les limites du modèle productiviste antérieur reposant sur le triptyque : clientèles internationales, prix d’entrée élevés, expositions blockbusters - Depositphotos.com, Sergieiev
Futuroscopie - Un retour à la normale est-il en vue ?

Jean-Michel Tobelem :
Ma première remarque concerne la poursuite des tendances à l’œuvre avant la pandémie de la Covid, que cette dernière n’a pas remises en cause dans ses grandes lignes.

Autrement dit, en dépit des prophéties conduisant à une transformation fantasmée de l’industrie touristique - car ne reposant pas sur des données scientifiques - tout laisse à penser que l’après-Covid conduit durablement à une situation de type « business as usual ».

Quant aux (réels) changements s’étant produits dans la dernière décennie, ils tiennent davantage aux évolutions sociétales et démographiques qu’à la pandémie elle-même.

En effet, dans ses grandes lignes, l’essor du tourisme n’a pas été affecté par son arrêt brutal et spectaculaire, mais temporaire.

Les actuelles commandes massives d’avions en témoignent ; de même que la demande irrépressible de voyages, uniquement freinée par la hausse des prix (transport, hébergement, attractions) et les restrictions sanitaires qui peuvent subsister dans certaines parties du globe.

Certes, les flux connaissent une forme de régionalisation à l’échelle des grandes zones géographiques internationales (zone Asie, zone Europe…). Mais les facteurs structurels d’augmentation de la demande touristique ne sont pas prêts de disparaître avec l’accès de nouveaux segments de la population mondiale à l’éducation, aux emplois salariés et à la consommation de masse.

Ce constat d’ensemble peut toutefois être nuancé sur trois points. D’une part, les préoccupations environnementales peuvent conduire à une limitation volontaire des voyages lointains de la part de certaines clientèles particulièrement sensibles à cette thématique, mais qui pourraient rester minoritaires dans les années à venir.

D’autre part, les périodes de confinement ont mis en valeur des territoires considérés précédemment comme peu attractifs (destinations rurales, moyenne montagne, massifs forestiers…) ; alors même que de nouvelles offres touristiques et culturelles accessibles facilement par les clientèles des grandes métropoles pour des courts séjours ou des city-breaks apparaissent (sans nécessiter obligatoirement le recours au transport aérien).

Enfin, une crainte accrue des phénomènes de sur-fréquentation peut conduire certains touristes à rechercher des alternatives convaincantes. Mais l’évitement des pics de fréquentation et de la haute saison ne retirera rien à l’attractivité des hauts lieux du tourisme, qui est fondée sur des facteurs structurels.

Cela ne constitue pas en réalité une surprise (même si c’est une déception pour certains), car l’étude prospective universitaire de type Delphi réalisée avec Bertrand Pauget (université de Winnipeg) avant le déclenchement de la pandémie - et validée par une ré-interrogation de certains experts après cette dernière - indiquait clairement que les personnes interrogées (plus de 300, constituées à la fois de professionnels du tourisme et de la culture, d’universitaires, de chercheurs, de journalistes et de consultants spécialisés) n’envisageaient qu’à la marge une modification du scénario tendanciel de poursuite de la progression de l’industrie touristique sur les bases existantes, accompagnée possiblement d’une moindre attractivité des sites dans lesquels l’expérience de visite est la plus dégradée.


Pas de spécialiste du tourisme au ministère de la Culture

Jean-Michel Tobelem, consultant spécialisé en tourisme culturel - DR
Jean-Michel Tobelem, consultant spécialisé en tourisme culturel - DR
Futuroscopie - Le tourisme culturel est-il loin ou près de ses potentiels ?

Jean-Michel Tobelem :
Pour le reste, et c’est notre deuxième remarque, l’observation du champ culturel semble confirmer la faible incidence de la pandémie sur la stratégie de développement des institutions culturelles.

Dans le domaine du spectacle vivant, on assiste au retour des grands festivals et des concerts géants, malgré le verdissement du discours de leurs organisateurs.

Dans le domaine des musées et des monuments, c’est également le retour au statu quo ante auquel on assiste (y compris avec le phénomène des grandes expositions), comme si la pandémie n’avait pas révélé les limites du modèle productiviste antérieur (reposant sur le triptyque : clientèles internationales, prix d’entrée élevés, expositions blockbusters).

Ce dernier - caractérisé par le ciblage prioritaire des clientèles internationales lointaines (asiatiques en particulier) - connaît pourtant deux types de fragilité. D’une part, il semble peu compatible avec les ambitions affichées par ailleurs en termes de réchauffement climatique et de préservation des ressources de la planète, qui incitent à limiter les vols intercontinentaux.

D’autre part, il est peu résilient lors de la survenue de crises, dont on sait par ailleurs qu’elles peuvent être de multiples natures : économique, sociale, sécuritaire, diplomatique, environnementale, sanitaire, etc. (puisque - temporairement - les recettes propres s’effondrent : billetterie, boutique, restaurant…).

C’est précisément pour aider les directions générales des établissements à bâtir des modèles de développement intégrant les problématiques actuelles que nous avons mis au point la matrice PERFS (Pertinence, Ethique, Résilience, Faisabilité et Soutenabilité) présentée dans l’ouvrage « Politique et gestion de la culture ».

Il faut convenir à cet égard que tant le ministère de la Culture que les grands établissements publics et le Centre des monuments nationaux apparaissent plus à même de pratiquer une économie de rente rendant possible l’établissement de tarifs élevés pour une clientèle internationale difficile à fidéliser (ce qui explique la faiblesse de la médiation offerte dans certains grands monuments tels que l’Arc de Triomphe ou la Sainte Chapelle) que d’œuvrer au développement de projets culturels de territoire.

C’est ce dont témoignent par exemple l’absence de politique de valorisation d’un lieu de réputation internationale tel que le château d’Ecouen - musée national de la Renaissance (situé à 25 kilomètres de Paris), qui attire généralement de l’ordre de 60 000 visiteurs seulement par an dans une région qui compte douze millions d’habitants (sans compter les touristes français et étrangers) ; ou encore les difficultés annoncées pour le château de Villers-Cotterêts - Cité internationale de la langue française, en l’absence de stratégie identifiée de développement touristique du territoire concerné.

Pour notre part, à titre d’illustration, nous avons localisé une centaine de lieux potentiels de visite à moins de cent kilomètres de la capitale, dénués pour l’essentiel de visiteurs faute de politique volontariste d’accessibilité, de mise en valeur et d’aménagement touristique du territoire.

Mais est-ce si étonnant lorsqu’on sait que le ministère de la Culture ne compte pas de spécialiste du tourisme parmi ses milliers de salariés ?

Autrement dit, l’exploitation de la rente du tourisme culturel, qui conduit à une concentration des flux sur une poignée de musées, de monuments et de sites archéologiques, n’est pas accompagnée d’une montée en puissance de sites d’importance moindre, mais non négligeable pour autant, dans la lignée d’un possible (mais introuvable à ce jour) effet de « ruissellement ».

Cela occasionne une situation sous-optimale du point de vue économique. Mais cela témoigne également d’une capacité moindre à créer de la valeur (sociale, citoyenne, éducative et culturelle) à partir des sites culturels.

Allonger la durée de séjour des touristes

Futuroscopie - Quelle politique pour l’innovation touristique ?

Jean-Michel Tobelem :
Ce qui nous conduit à notre troisième remarque, portant sur les politiques de soutien à l’innovation touristique par les pouvoirs publics.

Pour ce qui nous concerne, la présentation d’un projet de facilitation de vente de la destination France dans toutes ses composantes, comportant plusieurs volets se rapportant à l’intérêt général (développement touristique de nouveaux territoires, limitation de l’empreinte carbone des séjours, essor du tourisme social) a déjà suscité l’intérêt d’OT, de CDT et de CRT.

Fondé sur une algorithmique mise au point avec l’aide de chercheurs de haut niveau de l’université Paris Saclay (classée au premier rang dans le monde s’agissant des mathématiques) et une approche inédite du géographe Patrick Poncet en termes de sciences sociales et de compréhension fine du fonctionnement du système touristique, ce projet apparaît comme innovant à bien des égards.

Or s’il y a bien un enjeu touristique pour notre pays, ce n’est pas celui d’accueillir 100 millions de touristes étrangers, mais plutôt celui d’allonger la durée de séjour des touristes en leur proposant des voyages plus riches en contenus de toute nature (visites, activités, événements, shopping, etc.), le tout accompagnée d’une haute qualité de service ; et dans le même temps de favoriser la création d’emplois et de richesses par la mise en valeur de territoires à la fois accessibles et riches en potentialités, mais que le manque d’outils techniques de planification et d’organisation du séjour pénalise (sans oublier la concurrence stérile entre marques de territoire qui peinent à exister sur le plan touristique).

C’est précisément ce que vise le projet entrepreneurial que nous portons avec Patrick Poncet.


Le dernier ouvrage de Jean-Michel Tobelem : « Politique et gestion de la culture : publics, financement, territoire, stratégie » vient de paraître chez Armand Colin.

Josette Sicsic - DR
Josette Sicsic - DR
Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.

Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.

Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com

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Tags : mobilité, sicsic
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