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Marseille : "C’est surtout la croisière de masse qui est problématique..." 🔑

Interview de Laurent Lhardit, adjoint au maire de Marseille, délégué au tourisme


Marseille est l'une des principales destinations françaises. Reprenant les rênes après des années de gestion métropolitaine, la municipalité se tourne vers un tourisme résolument durable et tance la croisière de masse "incompatible avec ce qu’on est en train de mettre en place".


Rédigé par le Jeudi 2 Février 2023

Surtourisme à Marseille : la calanque d'En-Vau pendant la saison estivale - © Z. Bruyas - Parc national des Calanques
Surtourisme à Marseille : la calanque d'En-Vau pendant la saison estivale - © Z. Bruyas - Parc national des Calanques
Le 10 février 2023, la Ville de Marseille reprend officiellement la compétence tourisme.

Depuis 2016, celle-ci était, dans les faits, déléguée à la Métropole - avec un Office du Tourisme relié à celle-ci. Une délégation qui était renouvelée chaque année.

En 2020 et avec la nouvelle municipalité, la préfecture a voulu remettre de l’ordre dans la politique tourisme de la métropole phocéenne, un sujet particulièrement stratégique pour le territoire.

En décembre 2022, la loi a réattribué la compétence à la Ville. Le prochain Conseil Municipal viendra entériner la décision et enclencher le changement de statut.

L’occasion pour la municipalité, élue sur un programme tourné vers l’écoresponsabilité, la mixité et la participation citoyenne, d’appliquer une politique résolument durable en matière de tourisme avec l’Office du Tourisme comme bras armé, chargé d’appliquer ces nouvelles orientations.

Durable, le choix du mot n’est pas anodin. Le tourisme le sera en termes d’écologie, mais aussi en s’inscrivant dans la durée, hors de la saisonnalité.

Nous avons demandé à Laurent Lhardit, adjoint au maire délégué au tourisme, de nous en dire plus.


Changer la gouvernance dès la mi-février

TourMaG - La compétence tourisme revient à la Ville de Marseille le 10 février 2023, quelles sont les prochaines étapes ?

Laurent Lhardit :
La loi sera applicable quasi immédiatement - en fonction des délais légaux.

Nous allons d’abord mettre en place une équipe de conseillers municipaux pour remplacer les conseillers métropolitains.

Dès la semaine qui suivra, nous pourrons changer la gouvernance : un nouveau comité de direction pourra se réunir et s’installer, et dans la foulée seront élus les président et vice-président.

Suite au vote au Conseil Municipal, nous pourrons aussi commencer à revoir profondément les statuts de l’Office du tourisme - qui datent sérieusement.

"Nous voulons associer les représentants des habitants"

TourMaG - Comment comptez-vous moderniser la gestion du tourisme ?

Laurent Lhardit :
Pour ce qui est de la gouvernance, nous sommes en pleine réflexion. Nous regardons ce qui se fait ailleurs, nous essayons d’adapter les bonnes idées.

Dans le mois qui vient, il va y avoir un audit financier, ce qui est tout à fait banal dans ce cadre.

En termes de gouvernance, nous voulons associer les représentants des habitants, les mairies de secteurs et voir quelles sont leurs problématiques.

La phase deux, c’est de lancer une transition sur le fond. Le nouveau comité directeur va définir les nouveaux enjeux, avec le regard tourné vers un tourisme plus durable, c'est clair.

On envisage un vrai changement de paradigme, et le premier effort à faire, ce sera de proposer d’autres choses, pour présenter Marseille autrement.

L’équipe Gaudin a développé le tourisme il y a 20 ans. Un très bon travail, avec l’hôtellerie notamment, mais qui était surtout axé sur du quantifiable. C’était justifié à une époque où il fallait que les touristes viennent, mais aujourd’hui, il faut réorienter notre stratégie et sortir de la quantité.

Déconcentrer le tourisme

TourMaG - C’est ce qui vous semble prioritaire, on parle beaucoup de surtourisme ?

Laurent Lhardit :
Je pense qu’il faut surtout rééquilibrer en fonction des territoires.

Dans le centre, nous avons des flux à organiser et à l’inverse, dans les terres, il faut gérer la rareté : on doit déconcentrer le tourisme, étendre la fréquentation sur tout le territoire et équiper les secteurs en fonction de chaque spécificité.

Par exemple, on peut imaginer un parcours touristique différent, qui ferait découvrir non plus Notre Dame de la Garde mais le Vélodrome et la Cité Radieuse, qui sont aussi des lieux remarquables à Marseille. Ainsi, on élargit les zones touristiques dans des quartiers moins prisés.

C’est grand, Marseille ! C’est deux fois et demi la ville de Paris, avec une offre très diversifiée : en gros, Marseille c'est un tiers de zone urbaine, un tiers de zone agricole et un tiers de zone sauvage. Il y a des choses magnifiques partout.

S'appuyer sur la téléphonie mobile

TourMaG - Justement, comment comptez-vous réorganiser tout cela ?

Laurent Lhardit :
Nous allons associer étroitement les mairies de secteur. Notre volonté, c'est de créer un schéma durable dans tous les sens du terme : écologique, bien sûr, mais aussi dans la durée, qui profite aux habitants tout au long de l’année et qui s’intègre aux activités de la ville.

Nous allons aussi nous appuyer sur la téléphonie mobile, pour connaître les flux. Dans les limites RGPD évidemment, on ne va pas garder de données personnelles mais mieux appréhender les flux touristiques.

Pour cela, nous voulons connaître la proportion de personnes abonnées hors de la métropole (on ne considère pas encore les Aixois comme des touristes !) mais bornées à Marseille.

Les professionnels seront aussi intégrés à ces réflexions. Jusque-là, il n’y avait aucune représentation des transporteurs, qui accueillent pourtant les touristes. C’est la base !

30% des touristes accueillis sur le territoire - et pas que Marseille, ça déborde sur toute la métropole - arrive par bateaux ! Il est donc important qu’on soit tous autour de la table.

"On ne veut pas de zones dédiées aux touristes"

TourMaG - C’est aussi une manière de créer de la mixité entre les touristes et les habitants ?

Laurent Lhardit :
Marseille attire aussi pour son rythme de vie : nous avons des primo-arrivants qui s’installent, et avec eux, leurs copains qui leur rendent visite. On ne peut pas les identifier par l’hôtellerie, mais via l’usage du téléphone, c'est possible.

Ceux-là aussi veulent vivre à la marseillaise, être pleinement intégrés au quotidien. Ils sont des visiteurs qui participent à l’économie touristique et créent de l’économie plus classique.

On ne doit pas s’occuper que des visiteurs : le tourisme ne doit pas se substituer au commerce du quotidien. Pour une question d’attentes : les touristes ont envie de vivre « comme les vrais Marseillais » et parmi eux, mais aussi pour le bien-être des habitants, tout bêtement.

Il faut éviter les conflits d’usage. On ne veut pas de zones dédiées aux touristes qui ne prennent pas en compte le quotidien des habitants, le tourisme doit s’intégrer dans les activités de la ville.

En réfléchissant à : comment on consomme à Marseille, comment on vit dans la ville, on sert aussi le tourisme. Ce que veulent les touristes et ce dont les Marseillais ont besoin, tout ça se rejoint.

Réflechir au tourisme et à la mobilité dans la ville

TourMaG - Vous pensez à quoi par exemple ? Aux équipements ?

Laurent Lhardit :
Typiquement, je pense aux restaurants. Un client est un client, il n’y a pas d’exclusive entre le touriste et l’habitant.

De même qu’il n’y a pas d’exclusive dans le loisir et la consommation de produits culturels.

Il n’y a pas d’exclusive non plus dans l’usage d’équipements sportifs. Marseille a une image forte liée au sport, et je ne pense pas qu’au foot mais aussi à tout ce qui est lié à la nature : l’escalade, la mer...

Réfléchir à des parcours de cyclotourisme par exemple, c’est réfléchir à la mobilité dans la ville qui servira à plus long terme. C’est là qu’on devient créatif. On peut imaginer une course de vélo en dehors de l’été, ce qui serait une manière d’attirer les touristes hors saison.

Intégrer Airbnb à la réflexion

TourMaG - Jouer la mixité entre le touriste et l’habitant, c’est un peu ce qui fait la force d’un Airbnb par exemple ?

Laurent Lhardit :
Oui, penser à relier habitants et touristes, c’est aussi une manière d’intégrer Airbnb à la réflexion.

Pour comprendre et adapter nos politiques publiques à l’offre Airbnb, on doit s’intéresser aux politiques tarifaires de certains hôteliers, au besoin de diversifier l’offre hôtelière

Mais il ne faut pas négliger cette envie de vivre comme l’habitant, de se nourrir comme nous, d’aller acheter son café au même endroit et en ça, le tourisme nourrit le commerce de proximité et renforce une offre existante.

En soignant son image de ville accueillante - et accueillante pour tous, à des prix adaptés à tous, Marseille soigne aussi la vie de ses habitants.

Clef Verte : un outil promotionnel

TourMaG - Pour rester sur l’hébergement, le label Clef Verte est de plus en plus présent à Marseille ?

Laurent Lhardit :
C’est vrai que l’Office du Tourisme s’est déjà bien impliqué sur le sujet. Mais ça fait partie des choses qui doivent évoluer. On ne veut pas voir s’installer de relation de consommation de type : « qu’est-ce que l’Office du Tourisme me propose ? ».

C’est une démarche que les hôteliers doivent prendre eux-mêmes. L'Office du tourisme accompagne, sensibilise, il est là pour discuter, mais c’est à eux de faire ce travail. Et ils le savent, une démarche responsable, c’est bénéfique pour tout le monde et souvent ça se traduit par des économies.

S’inscrire dans un tourisme durable, c'est aussi bénéficier d’une attractivité supplémentaire. On l’a vu très récemment (NDLR : voir l’article : "Plus de 1 000 établissements labellisés Clef Verte en 2023, un record !") mais à Marseille c’est quelque chose qui est vraiment en route. Il y a de beaux engagements, on sent une vraie dynamique et ça attire.

Et en termes de communication, il est clair que valoriser un accueil estampillé tourisme durable, c’est un bel outil promotionnel.

Un vrai défi autour de la désaisonnalisation

TourMaG - Vous parliez aussi de « durée » en évoquant un tourisme plus durable, qu’entendez-vous par là ?

Laurent Lhardit :
Il y a un vrai défi autour de la désaisonnalisation, c’est d’ailleurs une demande générale des acteurs du tourisme, mais Marseille a toutes les cartes en main.

Déjà, il y a le voyage d’affaires qui par nature est désaisonnalisé, c’est un gros dossier pour nous.

Ensuite, on a plusieurs leviers.

Des produits culturels à valoriser dans les périodes creuses

Laurent Lhardit est adjoint au Maire de Marseille en charge du dynamisme économique, de lʼemploi et du tourisme durable - DR Ville de Marseille
Laurent Lhardit est adjoint au Maire de Marseille en charge du dynamisme économique, de lʼemploi et du tourisme durable - DR Ville de Marseille
Typiquement Marseille est une ville festive et on voit une offre musicale qui s’implante, une appétence pour Marseille, qui peut drainer des touristes venus, par exemple, de Toulouse pour un concert et qui vont rester le week-end, mais aussi de très loin et qui en profiteront pour visiter.

On peut aussi parler d’opportunité touristique dans l’arrivée du Printemps Marseillais à la mairie, qui a attisé les curiosités et peut servir à mettre en avant un tourisme social.

Faire un tour des tiers lieux de Marseille, aller voir l’après-M par exemple, c’est quelque chose qui se fait en dehors de toute saison touristique.

Il y a aussi cette curiosité pour une ville forte et rugueuse. C’est un tourisme plus industriel.

Le port et la ville se tournent le dos et ne se connaissent pas. Marseille doit être tournée vers la mer !

Là encore, on mélange besoins des habitants et des touristes : on imagine des visites du port en bateaux, pour que les petits écoliers s’approprient leur patrimoine maritime et que les touristes découvrent un autre visage de la ville.

La croisière de masse, "incompatible avec ce qu’on est en train de mettre en place"

TourMaG - Tournons-nous vers la mer justement : comment envisagez-vous vos relations avec la croisière, sachant que vous souhaitez mettre en place une politique de tourisme durable ?

Laurent Lhardit :
Nous avons un projet politique qui est de développer un tourisme durable et de ce point de vue le secteur de la croisière pose question.

C’est surtout la croisière de masse qui est problématique. Leur modèle économique doit évoluer, il n’est pas durable au sens de la durée, et plus viable aujourd’hui. Et pour ce qui est de Marseille, ce concept de base de massification, c’est tout simplement incompatible avec ce qu’on est en train de mettre en place.

Il y a un processus de mise en bulle, les voyageurs ne sortent pas d’un parcours tracé qui va d’un lieu surexploité à un autre. On aimerait que les professionnels de la croisière fassent preuve d’imagination pour créer d’autres circuits.

Par ailleurs, les retombées économiques pour Marseille sont très limitées.

Le Club de la croisière "n’est pas le bon interlocuteur"

TourMaG - il y a des tensions entre la Ville et le secteur de la croisière, où en sont vos relations ?

Laurent Lhardit :
On ne discute pas avec le Club de la croisière. Pas de polémique : c’est un organisme de promotion et il n’est pas le bon interlocuteur, tout simplement.

Par contre, nous parlons avec le Grand port maritime de Marseille, qui, est un interlocuteur privilégié, et surtout avec les compagnies elles-mêmes. Et le principal problème qui se pose avec elles, c’est le manque de données : il nous faut plus de transparence pour trouver des solutions ensemble.

Comme je disais à l’instant, se pose le sujet de la massification. Mais pour avancer, nous avons besoin d’avoir les chiffres : combien de voyageurs arrivent à Marseille, combien viennent en ville, tous au même endroit, etc.

Se pose aussi la question de la pollution, et de l’effet de stress généré par quatre bateaux le dimanche. On reçoit beaucoup de plaintes et de courriers de gens qui n’en peuvent plus.

C’est un sujet à part entière et à propos duquel nous avons une volonté claire. Pour autant, notre position n’est pas radicale et nous avons besoin qu’autour de la table il y ait une ambiance de confiance et pour cela, que les compagnies soient transparentes. Pour l’instant ça n’est pas le cas.

L’Office du Tourisme sera un lieu de discussions

TourMaG - Pour finir, revenons sur le rôle de l’Office du Tourisme : une fois mis en place, les statuts, la gouvernance et la direction, quelle est la suite ?

Laurent Lhardit :
Le sentiment que j’ai, c’est que dans cette phase de transition, l’Office du Tourisme a en son sein toutes les compétences nécessaires. Nous avons un personnel de grande qualité.

Le prochain gros projet a une fonction d’identification et d’étude. Questionner les Marseillais sur leur rapport au tourisme dans leur ville, et questionner les touristes sur la qualité de l’accueil.

Ensuite, il s’agira de suivre la feuille de route.

Les grands principes que nous allons suivre c'est : la déconcentration, étendre le tourisme sur l’ensemble de la ville, éviter le surtourisme. Tout cela demande de la méthode.

Nous allons discuter avec les agents, il y aura des interlocuteurs en direct entre la Ville et l’Office du Tourisme pour que les remontées se fassent de manière plus fluide.

L’Office du Tourisme sera un lieu de discussions. Avec un groupe de travail qui va poser les problématiques générales et faire remonter les questions des professionnels, le tout en lien avec les services administratifs de la Ville.

TourMaG - Si le tourisme durable devient la direction à prendre, en matière de RSE, est-ce que l’Office du Tourisme est exemplaire ?

Laurent Lhardit :
Nous allons le découvrir ! Nous ne sommes pas encore rentrés là-dedans.

Une des premières choses à faire est de rassembler l’ensemble du personnel, lui expliquer les nouvelles orientations et lui dire que tout cela ne sera possible qu’avec eux et l’ensemble des acteurs du tourisme.

Le reste viendra quand on aura mis en place tout ça.

Juliette Pic Publié par Juliette Pic Responsable rubrique Voyages Responsables - TourMaG.com
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