Relation de confiance
D’une manière plus ludique, nous avons posé la question de savoir à quel animal chaque répondant associe son supérieur hiérarchique ce qui a permis d’associer à chaque animal son impact sur les conditions de travail et leurs conséquences. Ainsi, le chien et le renard sont les plus cités. Il s’agit là d’une typologie qui désigne plutôt de bons managers, même si le chien est un peu moins stressant que son compère.
Le meilleur manager-animal est le lion. Non seulement il est exemplaire participatif et attentif, mais il suscite du collectif et éloigne l’ennui. De l’autre côté du bestiaire, on trouve les animaux qui rendent malades de leur management : le serpent, stressant et qui ne permet ni autonomie ni reconnaissance, ni bien-être… et le requin, autoritaire, distant, individualiste et stressant.
Ces dernières typologies ont été beaucoup moins citées que le chien et le renard par les répondants, illustrant qu’une relation de confiance est globalement établie aujourd’hui entre les managers et leurs équipes. Les réponses à cette question illustrent une nouvelle fois que, ce que veulent vraiment les salariés, c’est avant tout un manager de proximité. Un cadre qui garde le lien avec eux en faisant preuve de réactivité et de disponibilité par rapport à leurs demandes.
Les réponses semblent ainsi s’inscrire dans la continuité de ce qui était observé en situation « normale », car le principal reproche généralement formulé à l’encontre de l’encadrement, c’est avant tout son absence.
Management ramené à l’os
Comme l’indique Mathieu Detchessahar, professeur à l’Université de Nantes, « le cadre est absent de la scène du travail », absorbé qu’il est par de multiples réunions, mais aussi par la nécessité de s’inscrire dans des projets généraux, de faire du reporting, de piloter des machines de gestion ou de concourir à la lutte des places tout en veillant aux dimensions politiques de son activité.
En fait, ici, les salariés disent assez simplement qu’ils ont le besoin d’une relation régulière et confiante… Ce qui n’est malgré tout qu’une modeste part de l’activité de management. D’une manière générale, s’expriment ici des attentes pour une forme de « management ramené à l’os » d’un manager qui se met à la disposition des besoins de ses collaborateurs dans une logique de leader serviteur ou libérateur.
On pourrait ainsi résumer le management en télétravail par l’idée que l’on est passé d’un management distancié dans une proximité, avant le confinement, à un management de proximité dans la distance pendant le confinement. Comme si on était passé d’une distance relationnelle avant à une distance physique après.
Sauf que cette transition suppose de profonds changements culturels de notre manière de penser le management. Le télétravail a en effet pour conséquence de faire perdre une partie de leur capacité de contrôle formel aux managers, puisqu’ils n’ont plus d’emprise physique et visuelle sur leurs collaborateurs. Ils sont alors poussés à réinvestir la « scène » du travail dans une relation plus horizontale et à se rapprocher du terrain, s’ils ne veulent pas perdre tout contact avec le travail de leurs collaborateurs.
Même si cela peut sembler frustrant pour certains managers, le télétravail ramène la relation managériale à son usage essentiel et sa fonction originelle, qui est tout simplement le management du travail dans ses dimensions subjective, objective et collective.
Retour à l’anormal
Cet enseignement sur le besoin de proximité est d’autant plus essentiel que, manifestement, cette période de confinement a constitué un véritable test à grande échelle pour le télétravail. De nombreuses personnes l’ont découvert et d’autres (salariés, mais aussi dirigeants) ont pris conscience que l’essentiel du travail pouvait être réalisé à distance, avec parfois des gains tant en termes de confort pour le salarié que de productivité pour l’entreprise.
Malgré la relative impréparation à la situation (une personne sur deux dans notre échantillon n’avait jamais télétravaillé) et les conditions difficiles du confinement, cette période ne conduit pas à un rejet de cette forme de travail. Au contraire, globalement parmi les personnes que nous avons interrogées, nombreuses sont celles qui souhaitent plus de télétravail à l’avenir.
Au bout du compte, le confinement semble donc avoir banalisé le télétravail et convaincu bon nombre de salariés d’un certain intérêt. En moyenne, plus de deux tiers des répondants ont envie de plus télétravailler à l’avenir. Car cette période de confinement forcé a été l’occasion d’expérimenter les bénéfices du télétravail.
On peut ainsi penser que si les salariés ont autant apprécié le télétravail dans des conditions qui étaient loin d’être optimales, il leur sera difficile d’y renoncer totalement à l’avenir. Les hiérarchies devront donc intégrer à l’avenir ce paramètre et accompagner cette mutation en redoublant de vigilance sur ce besoin de « proximité à distance » pour que ce développement se fasse dans les meilleures conditions possibles.
Ce texte a été élaboré en collaboration avec Clara Laborie, étudiante en master Management Stratégique des ressources Humaines au sein de Grenoble IAE.
Emmanuel Abord de Chatillon, Professeur, Chaire Management et Santé au Travail, CERAG, INP Grenoble IAE, Université Grenoble Alpes et Damien Richard, Enseignant chercheur en management, Chaire Management et Santé au Travail, INSEEC School of Business & Economics
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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