Les océans étouffent, envahis par des dizaines de millions de tonnes de plastique qui y ont été déversées, mais les sociétés semblent étrangement dans le déni. La pollution est devenue dans l’esprit de beaucoup un phénomène quasiment normal, que l’on ne voit plus.
Le plastique a pris une telle place sur les côtes qu’il peut désormais être considéré comme un nouveau type de sédiment, qui se déplace et s’accumule dans notre environnement côtier pour in fine contaminer l’ensemble du vivant.
Invisible plastique
Sur la plage de la baie de Balnakeil, 3 à 5 kg de plastique sont ramassés quotidiennement, soit 1 à 1,5 tonne par an. Les visiteurs ne voient pourtant pas beaucoup de plastique sur cette plage perdue au bout de l’Écosse, car de nombreux résidents ont pris l’habitude de ramasser ce qu’ils y trouvent. Ce ramassage anonyme est probablement l’effort de nettoyage global le plus important, avant les actions communautaires ou professionnelles.
Pour estimer la quantité de plastique marin flottant, les équipes scientifiques utilisent des filets qui sont traînés à l’arrière de bateaux. Les particules de plastique capturées sont ensuite comptées et en fonction de la distance parcourue et de la taille du filet, une concentration est estimée. Ces mesures se font généralement en haute mer et par temps calme, loin des conditions au cours desquelles nous observons les déplacements majeurs de plastique. Aux environs du Cape Wrath, les mesures relèvent environ 20 plastiques par kilomètre carré. Or dans la baie de Balnakeil, nous ramassons l’équivalent de 70 plastiques par jour sur la plage, pour une surface bien inférieure à 1 km2.
Pour comprendre l’origine de cette différence, nous avons donc essayé de reproduire les conditions connues en mer dans la zone grâce à un modèle océanographique simulant la marée et le vent. Il nous montre que lorsque la marée monte dans la baie, elle aspire un très grand volume d’eau et donc de plastique au large, vers l’intérieur des terres. Au cours des différents cycles, le plastique va donc se concentrer de plus en plus dans la baie.
En parallèle, un vent récurrent très puissant pousse les plastiques en direction du Nord-est, donc de la plage. Par temps calme, si le plastique se déposait uniquement le long de la ligne de marée haute, très peu s’accumulerait car les marées suivantes seraient capables de le remettre en mer.
Néanmoins, le vent puissant et constant pousse les plastiques vers l’intérieur des terres, les rendant inaccessibles aux marées successives. C’est donc la combinaison des tempêtes, de la marée et du vent qui concentrent la pollution plastique dans certaines zones côtières et créent des accumulations majeures. Seules d’autres tempêtes, les plus fortes, ont le pouvoir de remobiliser et rendre cette pollution accessible.
Plastic@Bay CIC
Comprendre le cycle côtier du plastique
Il est désormais communément admis que le plastique a des effets néfastes pour la santé et la survie de l’écosystème global. Ses particules ont été retrouvées dans tous les types d’organismes, y compris les humains. Selon WWF, nous en ingurgitons en moyenne 5 grammes par semaine.
Ce matériau ne se dégrade par ailleurs réellement que par l’exposition aux UV de la lumière naturelle. Le plastique enfoui reste donc intact et peut lentement polluer pendant des milliers d’années, voire plus. Les effets de sa concentration sur certaines plages sont marquants : leur identification est donc primordiale pour pouvoir nettoyer ces zones d’accumulation très régulièrement.
Ce nettoyage constitue un moyen peu cher de « diluer » la concentration globale de plastique dans l’océan. Pour être efficaces, nous avons calculé qu’il faudrait nettoyer tous les 4 jours, être immédiatement présents après les fortes tempêtes et ainsi récupérer le plastique accumulé depuis des décennies.
Grâce à cette méthode, le stock local de plastique enfoui baisse au cours des années. Les plages avoisinantes ne sont plus nourries par l’éventuelle remobilisation du plastique de la Baie de Balnakeil durant les plus fortes tempêtes. Il est donc essentiel qu’elle se généralise, que les États se saisissent du nettoyage professionnel des plages. C’est indispensable à la fois pour ne plus dépendre du bon vouloir de volontaires et gagner en efficacité, d’autre part pour réaliser des évaluations réalistes de la pollution, qui intègrent son coût réel et contribuent au débat sur les 99 % de plastique manquant.
Julien Bailleul, Enseignant-chercheur en géologie sédimentaire et analyse de bassin, UniLaSalle
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.