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Tour du monde des réceptifs : après les incendies, les kangourous profitent d'une certaine accalmie en Australie

Interview de Sébastien Cros, fondateur et DG d'ACROSS Australia-Oceania


Face à une situation de confinement (presque) généralisée au niveau mondial, la rédaction de TourMaG.com s'adapte. Tandis que les tour-opérateurs sont sur le pont pour faire rentrer les voyageurs et que les agences de voyages tentent de convaincre leurs clients de reporter les séjours, les réceptifs se démènent pour leur survie, loin des aides de l'Etat Français. Nous avons décidé de prendre de leurs nouvelles. Aujourd'hui, direction l'Australie avec Sébastien Cros, fondateur et DG d'ACROSS Australia-Oceania.


Rédigé par le Mardi 28 Avril 2020

Après les incendies dévastateurs ayant tué des milliers d'animaux, la faune australienne retrouve un peu de répit - Crédit photo : Sébastien Cros
Après les incendies dévastateurs ayant tué des milliers d'animaux, la faune australienne retrouve un peu de répit - Crédit photo : Sébastien Cros
TourMaG.com - Vous êtes de l'autre côté du monde, à Adélaïde en Australie, un pays qui a fait la Une des journaux lors des incendies géants, mais qui retrouve son anonymat médiatique...

Sébastien Cros :
En parlant d'anonymat, je dois dire que depuis le début de la crise du coronavirus, j'étais frustré de ne voir aucun sujet sur les réceptifs, alors que les tour-opérateurs et les agences de voyages sont régulièrement à l'honneur.

Mis à part sur TourMaG.com et la série le "tour du monde des réceptifs", personne ne parle de nous.

Le sentiment de frustration a été accentué par le fait que nous sommes quelque part les banquiers de certains acteurs du tourisme et cette crise nous impacte tout autant, mais sans aucune caisse de résonance.

Malheureusement, nous n'avons pas la trésorerie de nos partenaires et nous allons vivre sur nos réserves. Seuls resteront après cette crise les meilleurs et les plus costauds.

TourMaG.com - D'ailleurs ce rôle de banquier, vous l'avez aussi avec les fournisseurs...

Sébastien Cros :
Nous sommes coincés entre deux fronts, avec d'un côté les TO et de l'autre les fournisseurs, sauf que si un acteur se plante, nous avons la mauvaise place.

Il faut savoir que les tour-opérateurs nous payent 30 jours après le séjour, malheureusement nous avons déjà subi un dépôt de bilan avec Best tours en 2010, ce qui m'a coûté 50 000 dollars.

TourMaG.com - Une situation qui pourrait se répéter, en raison d'une crise économique sans précédent. Craignez-vous cela ?

Sébastien Cros :
J'ai confiance dans nos partenaires. Ils sont très solides, ce sont que des grands noms du paysage touristique français, donc je suis serein.

Après pour resituer, nous travaillons principalement sur deux marchés que sont la France et l'Italie, soit parmi les pays les plus touchés par le coronavirus.

Nous devions lancer l'Allemagne cette année, mais nous devons reporter cela. Je suis convaincu qu'il y aura un avant et un après-virus dans le tourisme.

Je m'attends à un tsunami dévastateur dans le secteur des réceptifs et partout sur la planète.

L'avenir qui se dessine pour nous sera très étrange car les petites structures pourront mieux survivre que les grosses. Tout comme les agences en BtoC auront un avantage indéniable sur les tour-opérateurs seulement tournés vers le BtoB.

"Les incendies nous ont finalement mis en condition pour la suite des événements"

TourMaG.com - Comment expliquez-vous cela ?

Sébastien Cros :
Tout simplement parce que les clients ne vont pas rentrer dans une agence avant un long moment.

Il y a une peur de l'extérieur, de la foule et des lieux bondés. Nous avons déjà connu cela avec les Gilets Jaunes.

Par exemple en 2017 et 2018, nous avons connu des années exceptionnelles, puis nos ventes se sont ralenties avec les manifestations.

Le climat politique et économique n'était pas sain en France, donc les Français ne se rendaient pas dans les agences et n'anticipaient pas leurs vacances. Alors que dans le même temps, les sites qui revendent nos voyages n'ont pas connu ce phénomène.

Les habitudes de consommation ont été modifiées, les clients se rendaient moins dans les centre-villes, je pense que le Covid-19 peut accentuer cette dynamique.

TourMaG.com - L'année 2020 s'annonce particulière pour l'Australie car avant le coronavirus, vous avez connu une importante contre-publicité avec les incendies. D'ailleurs, l'agence Tierra Latina nous confiait avoir vu les ventes augmenter sur l'Amérique Latine, lors de ces événements. Qu'avez-vous observé ?

Sébastien Cros :
Je suis assez triste de ne pas avoir anticipé la réaction des voyageurs.

Nous avons ressenti un ralentissement des réservations pas seulement sur le marché français, mes confrères ont observé la même tendance.

Dès octobre et novembre, les images ont massivement circulé sur les réseaux sociaux avec une ville de Sydney sous la fumée des feux.

Le tourisme australien n'a pas pris conscience des images catastrophiques véhiculées par les médias, même s'ils ont touché des zones désertiques, avec très peu d'habitants.

Puis le 3 janvier 2020, Kangaroo Island, un lieu emblématique du tourisme en Australie, est parti en fumée. A partir de là, les ventes se sont stoppées.

Là-dessus le virus est arrivé. Les incendies nous ont finalement mis en condition pour la suite des événements.

J'ai dû me séparer de certains collaborateurs face au manque d'activité. C'est à ce moment-là que vous voyez qu'il est important de bien choisir ses partenaires et nous avons des liens extraordinaires avec eux.

"Nous réfléchissons à prendre en charge les tests covid-19"

TourMaG.com - Vous parlez des compagnies aériennes je suppose ?

Sébastien Cros :
Elles ont pour un certain nombre, je ne donnerai pas de noms, totalement lâché les tour-opérateurs du jour au lendemain.

Nous avions près de 300 clients bloqués en Australie, pendant 15 jours, nous étions à leurs côtés jour et nuit pour assurer le rapatriement des touristes français.

C'était très tendu, nous avons même eu des appels de voyageurs qui n'étaient pas passés par une agence, ils étaient totalement perdus. Dans ces moments-là, nous voyons le poids et l'importance des acteurs du tourisme.

Petit à petit l'Asie, qui représente la plaque tournante pour les vols vers l'Australie, fermait ses frontières ou imposait une quarantaine pour les voyageurs.

Seule Qatar Airways a joué le jeu et maintenu de nombreux vols.

TourMaG.com - Le mois de mars se résumant à s'occuper des rapatriements, que se passe-t-il maintenant ?

Sébastien Cros :
La situation est bizarre actuellement.

Les professionnels prennent conscience qu'il sera très compliqué de sortir de l'Europe même cet été.

Je pense même qu'il ne sera pas possible de se rendre en Australie jusqu'au début de l'année 2021.

Cette analyse repose sur le fait que nous avons près de 6 661 cas pour 75 décès et depuis quelques jours, nous n'avons plus de nouvelles contaminations. Chaque état adopte ses propres règles par rapport à la situation.

Là où les mesures ont été les plus fortes, ce sont à Sydney et Melbourne en raison de la densité démographique, avec notamment l'interdiction d'accéder aux plages et de respecter la distanciation sociale.

D'ici un mois, les Etats vont alléger petit à petit les mesures et nous allons pouvoir à nouveau voyager entre la Nouvelle-Zélande et l'Australie.

TourMaG.com - Donc selon vous, le gouvernement va fermer ses frontières au-delà de l'Océanie pour ne plus importer de cas ?

Sébastien Cros :
C'est un peu ma crainte, je pense que nous allons nous protéger des autres. Ce sera terrible pour nous.

Je doute que le pays laissera entrer des voyageurs sans être sûr à 100% qu'ils soient sains. J'ai peur qu'il y ait l'instauration d'une quarantaine, pour éviter toute contamination.

Nous anticipons ces possibles mesures en tablant sur une année 2020 blanche et des exercices à venir difficiles pour les antipodes. Nous sommes dans une totale inconnue.

TourMaG.com - Le tourisme plonge dans la plus grande crise de son histoire. Il va devoir se montrer proactif et peut-être lui-même mettre en place des tests pour montrer aux pays que leurs voyageurs ne sont pas porteurs de la maladie. Qu'en pensez-vous ?

Sébastien Cros :
C'est une solution à laquelle nous réfléchissons actuellement. Nous regardons les dispositions et le coût pour mettre en place des tests reconnus par les autorités sanitaires du pays.

Mes équipes se renseignent avec le ministère de la Santé afin que tout se fasse dans les règles, c'est l'avenir du secteur.

Je crains que la liberté de voyager que nous avons connue est révolue. Il va falloir encore plus assurer la sécurité sanitaire de nos voyageurs. C'est pour cela que selon moi, demain le tourisme sera différent, avec des voyages encore plus sur-mesure.

"Nous allons revoir notre politique touristique pour continuer à soigner la planète"

TourMaG.com - En avez-vous parlé avec vos partenaires tour-opérateurs ?

Sébastien Cros :
Nous allons le faire très prochainement.

Le rôle du réceptif est de prendre en charge les clients des tour-opérateurs à destination, j'appellerais mes partenaires pour partager les coûts des tests.

Il serait assez fou de ne pas se pencher sur cette solution. D'autant que le virus semble pouvoir muter ou du moins s'adapter. Nous allons devoir sans doute apprendre à vivre avec, car il pourrait perdurer dans le temps.

TourMaG.com - Comment imaginez-vous le tourisme d'après ?

Sébastien Cros :
Le bouleversement va être très important, il faut arrêter de penser comme avant et se réinventer. En tant que réceptif, il va être important de discuter avec nos partenaires pour voir comment l'argent circule.

Je ne pense pas que les professionnels soient prêts à se poser la question, il en va de notre survie sur le long terme.

TourMaG.com - Avant de voir si loin, la crise a eu quel impact sur votre entreprise ?

Sébastien Cros :
Nous sommes solides fort heureusement, même si j'ai dû me séparer de certains collaborateurs.

Le gouvernement nous est venu en aide.

Nous allons restructurer pour tenir sur du moyen terme. Pour tout vous dire, j'ai déjà établi des plans jusqu'en avril et juin 2021, avec la première rentrée d'argent en mars 2021.

TourMaG.com - Il y a un sujet qui nous inquiète beaucoup en France et qui doit être encore plus problématique pour vous, c'est l'aérien...

Sébastien Cros :
Cela va être très compliqué, j'ai un grand doute sur un retour rapide des avions dans le ciel. Il est plus facile d'arrêter que de repartir, car la machine est grippée, cela ne va pas se faire en claquant des doigts.

Je suis stressé car nous avons seulement deux compagnies domestiques, dont l'une qui est à deux doigts de déposer le bilan (Virgin Australia, ndlr).

Si nous nous retrouvons avec un seul transporteur, les prix des billets risquent d'exploser.

TourMaG.com - Le coronavirus a fait prendre conscience à une partie de la population française l'importance de protéger la planète et que le tourisme de masse n'était pas une bonne chose. Avez-vous ces mêmes débats en Australie ?

Sébastien Cros :
Nous avons un problème majeur par rapport à vous, puisque pour venir ici, il est nécessaire de prendre l'avion et pour de nombreuses heures.

Après les incendies ont entraîné une prise de conscience sur l'impact que nous avons sur la planète et l'importance de se mettre à l'écotourisme.

Plus personnellement j'ai aussi pris conscience de nombreuses choses. Quand vous voyez notre monde, sans population dans les rues, avec la faune qui se réapproprie les villes, la pollution qui s'efface.

Au sein d'ACROSS, nous allons revoir notre politique touristique pour continuer à soigner la planète, en modifiant la manière de voyager.

"Nous allons devoir responsabiliser le client"

TourMaG.com - Réfléchissez-vous à revoir la façon de faire voyager vos clients ?

Sébastien Cros :
Bien sûr, nous avons entamé des réflexions, même si nous ne pourrons pas limiter l'usage des moteurs diesel, en raison des étendues à traverser.

Nous allons adapter les circuits pour des distances plus courtes, des groupes plus restreints où le client sera amené à prendre son temps et à devenir acteur de son séjour.

Nous allons devoir responsabiliser le client, pour qu'il n'ait pas l'impression de voyager de manière superficielle. Ce n'est pas un coup marketing, le virus n'a pas seulement réveillé les jeunes générations, il y a une prise de conscience globale.

TourMaG.com - Pensez-vous vraiment que la population va conserver une trace de cet épisode douloureux qu'est le coronavirus ?

Sébastien Cros :
J'y crois et je ferais passer le message ici, avec nos guides. Nous devons prendre conscience que la terre allait mal et qu'elle nous a envoyé un signal.

Finalement la fuite en avant n'est pas une bonne chose, la course vers l'argent n'apporte pas toujours que des bonnes choses, il ne faut pas l'oublier.

J'ai beau être un entrepreneur, je pense que nous ne devons plus raisonner seulement sur les chiffres et la croissance.

TourMaG.com - En tant que réceptif, vous avez une partie de vos équipes qui sont françaises. Quelle est la situation pour eux ?

Sébastien Cros :
Malheureusement ils ne sont pas concernés par les mesures du gouvernement. Ces dernières ne s'appliquent que pour les résidents permanents.

Je regarde comment faire pour les épauler et les aider, ce n'est pas une situation facile. J'essaye aussi de faire prendre conscience auprès des autorités, comme le gouverneur de l'Australie-Méridionale et des personnalités du tourisme, que le pays s'est construit grâce aux étrangers et aux Européens.

J'entends certains qui souhaiteraient fermer l'Australie au monde entier pendant un an ou un an et demi.

Mon objectif est de faire prendre conscience que l'industrie touristique australienne ne pourra pas vivre seulement avec la clientèle domestique ou néo-zélandaise.

Le coup de coeur de Sébastien Cros en Australie :

"Les Flinders" est une région que j'aime énormément. C'est une chaîne montagneuse et un parc national qui se trouvent à 600 km au nord d'Adélaïde.

Le paysage pourrait ressembler au mythique centre rouge, mais avec nettement moins de touristes.

Les rochers y sont ocres, la faune très importante avec beaucoup de marsupiaux, des eucalyptus de toutes les formes envahissent les plaines.

Le moment le plus spectaculaire étant la nuit tombée. Il suffit de lever les yeux au ciel pour voir la Voie lactée dans toute son immensité.

C'est un lieu magique et authentique.

Sinon mon petit paradis sur Terre se situe à seulement 2 minutes de chez moi, plus précisément sur la zone côtière de Semaphore.

Je prends mon kayak de mer et je vais au milieu des otaries. Je suis en pleine nature, avec ces animaux tout autour de moi, ça m'apaise.

Retrouvez le "Tour du monde des réceptifs" sur la carte interactive :


Romain Pommier Publié par Romain Pommier Journaliste - TourMaG.com
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