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Agences : pourquoi la montagne ça les gagne... pas ? 🔑

Les stations de sports d’hiver et d’autres saisons peuvent-elles mieux se vendre ?


Un nouveau Comptoir TourMag, organisé sous l’imposante réplique de la Tour Eiffel par Partez en France, a consacré ses discussions au thème de la montagne et de ses activités touristiques, en hiver mais aussi dans les autres saisons, et de leur mise en marché dans la distribution. Quel est le niveau actuel et quels sont les freins qui bloquent son développement ?


Rédigé par le Mercredi 19 Octobre 2022

La vente de la montagne par la distribution française est un sujet récurrent qui a du mal à faire son chemin - DR
La vente de la montagne par la distribution française est un sujet récurrent qui a du mal à faire son chemin - DR
Autour de la table : Véronique Halbout, Responsable Groupes et Distribution pour l’Agence Savoie Mont-Blanc ; Céline Jaijko, responsable de la Destination France chez Carrefour Voyages ; Thomas Saison, directeur Marketing de la Compagnie des Alpes et Christian Sabbagh, président d’Orchestra.

TourMag : Contrairement aux années précédentes, il n’y a pas de Village Montagne à l’IFTM, est-ce le signe d’un désintérêt de la distribution pour cette destination française ?

Thomas Saison : Je suis surpris de la faible présence de la montagne dans les salons de tourisme en France, et en particulier à l’IFTM Top Resa, alors qu’elle est fortement représentée dans les salons internationaux, que ce soit Berlin, Londres ou Milan.

Lire aussi : Destination Montagnes-Grand Ski : les inscriptions sont ouvertes

Le Village Montagne de l’IFTM a du mal à trouver son public dans la distribution alors qu’elle doit amener une « parole touristique ». Il n’y a pas de séparation entre une clientèle sportive des skieurs et une clientèle qui va en vacances à la montagne. L’offre montagne packagée a sa place face à des propositions comme la Guadeloupe, La Réunion ou la Croatie.


L'offre de montagne d'été doit évoluer vers la détente

Des loisirs de plein-air en famille évoquant les vacances (©Savoie Mont Blanc)
Des loisirs de plein-air en famille évoquant les vacances (©Savoie Mont Blanc)
TourMag : Comment expliquer ce décalage ?

Thomas Saison : Déjà par le fait que la montagne ne communique pas sur des codes de vacances ; qu’elle ne raconte pas suffisamment la belle histoire de la rénovation des hébergements, notamment en clubs et en hôtellerie.

L’offre de la montagne reste accrochée à une image de location d’appartements où l’on s’entasse dans de petits espaces, alors qu’elle s’est considérablement élargie et améliorée depuis dix ans avec des entreprises comme Belambra, MMV et bien d’autres, mais aussi des chaînes d’hôtels ou des concepts originaux comme le Rocky Pop. La communication sur la dimension vacances n’est pas suffisante par rapport à d’autres destinations concurrentes sur la même période.

Le second point est qu’il est facile d’acheter un séjour sec en France, en s’occupant aussi de son transport et des activités sur place. Cela tient à ce qu’il n’y a pas assez d’offres packagées qui trouveraient leur place dans la distribution.

Les professionnels doivent travailler sur un parcours enrichi, facile à acheter, avec une véritable expérience qui puisse faire écho à la notion de vacances. Cette offre n’est pas assez construite.

C’est d’autant plus le moment que l’offre tout ski ne rencontre plus le même écho, face au coût, à l’apprentissage nécessaire, à la volonté de diversifier ses activités. Même l’été, la communication qui reposait sur un triptyque : randonnée, trail et VTT en direction d’une clientèle très dynamique, doit évoluer plutôt vers la détente pas forcément très active.

Les vendeurs ne connaissent pas suffisamment le produit Montagne pour le vendre avec conviction

La connaissance du produit passe par l'expérience vécue (©Savoie-Mont Blanc)
La connaissance du produit passe par l'expérience vécue (©Savoie-Mont Blanc)
TourMag : Quel est le point de vue d’une agence de promotion touristique comme Savoie-Mont Blanc ?

Véronique Halbout : Ma mission est d’assurer la promotion des destinations auprès des opérateurs touristiques et je reconnais qu’elle est compliquée car le concept d’une destination de vacances avec une expérience globale - l’hiver autour de la neige et l’été autour de la nature - a du mal à accrocher.

Dans les réseaux de distribution, même quand les offres ont réussi à se glisser dans les programmes des tour-opérateurs, les vendeurs ne connaissent pas suffisamment le produit pour le vendre avec conviction.

Savoie-Mont Blanc a engagé cette stratégie de formation à la montagne et d’eductours sur place auprès d’agents qui n’y ont pratiquement jamais mis les pieds.

Nous avons développé des argumentaires et des outils pratiques comme des fiches stations et un outil digital pour aider à choisir la station en fonction de critères croisés. Nos deux massifs savoyards représentent 112 stations différentes à recommander et le client qui entre en agence a de fortes chances de mieux connaître les stations que le vendeur.

TourMag : Quels types d’actions menez-vous pour pallier cette méconnaissance ?

Véronique Halbout : Nous engageons des partenariats avec de grands réseaux comme Carrefour Voyages ou Leclerc Voyages, mais aussi avec de grands hébergeurs dont les commerciaux citadins vont visiter les CSE ou les agences sans très bien connaître les stations d’implantation de leurs résidences ou hôtels.

Notre objectif est bien qu’ils proposent plus qu’un simple hébergement mais l’expérience complète de la station et de toutes les activités disponibles hors ski, même si cela reste la motivation principale en hiver. La crise de la Covid et l’arrêt des remontées a fait découvrir de nombreuses autres activités de plein-air ou pas. Elles restent encore assez largement méconnues.

"Nous avons fait venir la Montagne à Evry auprès de nos vendeurs"

VĂ©ronique Halbout, Savoie-Mont Blanc, et CĂ©line Jaijko, Carrefour Voyages (Ă  D)
VĂ©ronique Halbout, Savoie-Mont Blanc, et CĂ©line Jaijko, Carrefour Voyages (Ă  D)
TourMag : Le marché de la montagne l’hiver n’a-t-il pas tendance à s’essouffler ?

Véronique Halbout : Il est effectivement en légère baisse du fait du non renouvellement de certaines clientèles plus âgées qui pratiquaient intensément le ski et qui ne sont pas remplacés. On a un vrai besoin de ramener le ski et ses dérivés auprès des jeunes, notamment depuis la quasi-disparition des classes de neige qui formaient une génération de pratiquants et leur donnant l’envie de la montagne.

La Haute-Savoie est le département qui accueille en France le plus les enfants, qui apprennent aussi à vivre en collectivité. Mais la tendance est sur le déclin.

Je n’oublie pas un second défi qui est d’allonger aussi la période de pratique de la montagne en été en gagnant aussi une nouvelle clientèle en quête de nature et activités de plein-air.

TourMag : Quelle est aujourd’hui la place de la montagne dans un réseau de distribution comme Carrefour Voyages ?

Céline Jaijko : Pas suffisante à mon sens, pour les raisons déjà évoquées et notamment le manque de connaissance de la destination Montagne par nos vendeurs pour la promouvoir à sa juste valeur. On a contribué à y remédier avec Savoie Mont-Blanc en faisant venir la montagne à Évry devant une centaine de nos vendeurs.

Parmi eux, à peine une quinzaine était déjà allée skier. On demande dans la distribution que les vendeurs soient force de proposition et racontent leur expérience ou une expérience. C’est compliqué à ce jour avec la montagne quand les clients la connaissent mieux qu’eux.

TourMag : Les outils disponibles sont-ils suffisamment utilisés ?

CĂ©line Jaijko :
Ils ne sont pas assez connus et notamment l’outil digital de Savoie-Mont Blanc qui permet déjà de bien cibler la station par rapport aux premières questions posées aux clients. C’est bien, mais ça ne suffit pas. Nous avons besoin d’embarquer les clients dans une aventure avant même leur départ en étant capable de leur raconter tout ce qu’ils vont pouvoir faire sur place, été comme hiver.

La crise sanitaire a eu un effet positif puisque certaines familles, notre clientèle essentielle, ont découvert la montagne en sortie de confinement. Et même l’hiver suivant, pour ceux qui ont voulu partir sans pouvoir skier, nous avons dû chercher des activités à leur proposer. Les vendeurs ont dépassé la simple location d’appartement qu’ils savent faire. Il faut entretenir ce mouvement.

Le produit Montagne ne génère-t-il pas assez de valeur ajoutée ?

Christian Sabbagh, Orchestra, au centre (©DR)
Christian Sabbagh, Orchestra, au centre (©DR)
TourMag : La montagne est-elle encore associée à une location « sèche » sans grande valeur ajoutée ?

Céline Jaijko : Je ne partage pas cette croyance, car la réalité du panier moyen quand on sait proposer des activités annexes, est très intéressant.

TourMag : Comment un concepteur de solutions technologiques a-t-il été embarqué dans l’aventure de la distribution de la montagne ?

Christian Sabbagh : Avant de répondre, je voudrais indiquer, de mon point de vue, la raison de ce manque de présence de la montagne dans la distribution de voyage : c’est son succès passé.

Lire aussi : Orchestra booste son offre pour vendre la France

La fréquentation était largement suffisante pour que les stations n’éprouvent pas le besoin de se compliquer la vie, de packager des offres, ni de les intermédier. Les chocs récents, le constat d’une baisse parmi les jeunes font plutôt bouger les choses.

TourMag : Comment s’est passée la rencontre avec les stations ?

Christian Sabbagh :
C’est parti de deux domaines skiables, ceux de La Plagne et Chamonix, qui ont éprouvé l’envie de se vendre comme des destinations et de manière aussi simple et complète qu’une destination étrangère.

Ensemble, nous avons travaillé sur deux sujets : comment y arriver et que faire sur place, le tout en proposant des offres packagées. Finalement, pour nous, le sujet technologique est le même. Il a fallu s’adapter aux spécificités, notamment en connectant les acteurs locaux : activités, hébergement, agences immobilières.

Nous avons rendu possible ces ventes directement dans les offices et leur intermédiation dans les agences de voyages qui sont nos clients.

"Il ne faut pas se cacher que le travail est titanesque pour collecter l'offre locale"

Thomas Saison, Compagne des Alpes (©DR)
Thomas Saison, Compagne des Alpes (©DR)
TourMag : Quel bilan peut-on en tirer, en mettant à part les années Covid ?

Thomas Saison : Il est très positif car il y avait plusieurs enjeux : en termes de business, d’abord, en triplant les réservations par rapport à l’ancien modèle ; de positionnement également pour montrer que le territoire est capable de générer des nuitées par lui-même et que les campagnes de promotion puissent trouver leur concrétisation dans la réservation de séjours.

Et aussi en termes de digitalisation des acteurs, pas forcément tous, qui ont compris que le monde du tourisme est digitalisé et que les recherches se font par le nom des stations et donc, autant, y être associés avec la possibilité de réserver une prestation par ce biais.

Alors il ne faut pas se cacher que le travail est titanesque, c’est de la micro-recherche de prestataires dispersés, qui n’ont pas toujours de site et qu’il faut accompagner. Pour réussir, il faut de la constance et accepter que les ruisseaux alimentent les rivières qui pourront devenir des fleuves… et arriver à la taille critique qui entretient le succès.

TourMag : La vente directe en station concurrence-t-elle celle de la distribution en agences ?

Thomas Saison : Pas de tout, elle est complémentaire. Dans tous les canaux de distribution la préférence de marque existe mais elle n’empêche pas la vente dans les autres canaux. Je dirais même qu’elle rassure le client qui ira dans son agence de proximité pour toutes sortes de raison. Nous avons rapidement accompagné les agences physiques et en ligne, y compris à l’étranger, trop heureuses de trouver des packages simples avec des acheminements.

Il est vrai qu’il a fallu retravailler le modèle économique avec des commissionnements plus proches de 10% que de 20%, équivalents à ceux que proposent les hébergeurs. En résumé, dans les stations qui ont adressé le problème, l’offre existe, elle mérite davantage d’être connue et accompagnée des formations nécessaires.

Commençons par l’hiver et le ski qu’il est plus facile d’illustrer avec des images fortes, et on poursuivra sur les autres saisons.

"Nous avons aujourd'hui les offres d'une dizaine de stations connectées sur Orchestra et d'autres arrivent"

Chamonix-Mont-Blanc ©French-Moments
Chamonix-Mont-Blanc ©French-Moments
TourMag : En matière de communication, ce ne sont pas les organismes qui manquent pour parler de la montagne : France Montagnes, l’Association des Maires de Stations, Domaines skiables, l’Ecole du Ski Français, les différents clusters… qu’est-ce qui pêche ?

Véronique Halbout : La bonne nouvelle est que tous ces organismes se parlent mieux et coordonnent davantage leurs efforts. Il faut reconnaître que chacun partait un peu en ordre dispersé sur les mêmes marchés.

Depuis deux ans, sous couvert d’Atout France et d’Auvergne-Rhône-Alpes Tourisme, une campagne pan-européenne regroupe tout le monde de manière unifiée et complémentaire, en mutualisant les moyens, sur les marchés britannique, belge et néerlandais. Il manque encore la construction collective d’un plan d’actions.

Thomas Raison : En revanche, en matière de production de l’offre, l’initiative appartient aux stations et domaines skiables. C’est le niveau pertinent pour intégrer les acteurs locaux qui fait la richesse des propositions.

TourMag : Orchestra a-t-il d’autres stations qui frappent à la porte ?

Christian Sabbagh : Nous en avons aujourd’hui une dizaine avec l’extension des domaines. Chamonix, en fait, c’est toute la Vallée du Mont Blanc, et les Trois Vallées sont en cours d’implémentation station par station.

Les Pyrénées sont aujourd’hui sollicitées pour ne pas se limiter au massif alpin, et je dirais même que l’expérience doit s’étendre à d’autres territoires touristiques qui ne font pas partie de la montagne, dès lors qu’ils sont pertinents localement. La marque territoriale est importante pour susciter un intérêt précis du voyageur.

Thomas Saison : La maturité de nombreux territoires touristiques est suffisante pour qu’ils s’engagent dans une production plus complète : acheminement, plus hébergement, plus activités sur place. Le dernier exemple est justement les Trois Vallées à l’occasion du Championnat du monde de ski en 2023 qui sera le support d’une production touristique associée et complète.

Je rajoute que les plans marketing des territoires intègrent de plus en plus le retour sur investissement de la promotion et que l’outil Orchestra apporte une réponse.

Les stations souhaitent le retour des Alpy Days montés par Travel Factory et Savoie-Mont Blanc

Les Alpy Days de Travelski à La Plagne (©Travelski)
Les Alpy Days de Travelski à La Plagne (©Travelski)
TourMag : Que manque-t-il encore pour que l’on se rapproche d’un monde parfait ?

Céline Jaijko : au premier chef, renforcer la formation des vendeurs, leur faire vivre l’expérience pour qu’il puisse la raconter à leurs clients.

TourMag : J’ai vécu la naissance de la station des Arcs avec une formidable action de promotion auprès des agents de voyages, combinée entre la SNCF et les promoteurs pour emmener des trains entiers de vendeurs participer à des championnats festifs, destinés à faire connaissance avec un produit nouveau…

Véronique Halbout : Ce genre d’opérations a été menée dans un passé récent avec Travel Factory et Savoie Mont-Blanc : les Alpy Days à La Plagne et aux Arcs, lancés en 2010, qui se sont arrêtés Covid oblige et dont la réapparition serait une bonne nouvelle.

Mais pour ce faire, j’appelle les dirigeants des réseaux de distribution à nous suivre en acceptant de libérer leurs employés pour participer à cette découverte.

Céline Jaijko : Nous nous efforçons de pousser dans cette direction en ayant créé le label Expert Montagne attribué à tous ses vendeurs qui ont suivi la formation et qui ne demandent ensuite qu’à participer à des expériences sur place.

Lire aussi : Comment mieux distribuer le produit France dans les agences ?



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