Crash Ethiopian Airlines : "on joue avec notre sécurité" un pilote de Boeing 737 Max - Crédit photo : Depositphotos @canaryluc
La voix est hésitante et avant de répondre à nos questions, le pilote d'une compagnie low cost possédant des Boeing 737 Max, redemande une nouvelle fois que son anonymat soit respecté.
Le sujet est touchy même si "tous les pilotes sont au courant et savent ce que je vais vous dire."
Le commandant de bord, qui témoigne, a piloté pendant 4 mois un Boeing 737 Max entre janvier et avril 2018, bien avant les deux crashs meurtriers.
Il nous a assuré n'avoir jamais eu peur ou d'inquiétudes au moment de rentrer dans le cockpit."Je n'ai jamais eu aucun problème sur les commandes en vol, au contraire, il est bien plus stable que d'autres modèles."
Toutefois lors de l'entretien il nous glisse : "le 737 MAX est une véritable bombe à retardement."
Pour tenter de comprendre ce qui a pu se passer en vol et les possibles défaillances ou responsabilités de Boeing... Nous vous proposons une FAQ.
Le sujet est touchy même si "tous les pilotes sont au courant et savent ce que je vais vous dire."
Le commandant de bord, qui témoigne, a piloté pendant 4 mois un Boeing 737 Max entre janvier et avril 2018, bien avant les deux crashs meurtriers.
Il nous a assuré n'avoir jamais eu peur ou d'inquiétudes au moment de rentrer dans le cockpit."Je n'ai jamais eu aucun problème sur les commandes en vol, au contraire, il est bien plus stable que d'autres modèles."
Toutefois lors de l'entretien il nous glisse : "le 737 MAX est une véritable bombe à retardement."
Pour tenter de comprendre ce qui a pu se passer en vol et les possibles défaillances ou responsabilités de Boeing... Nous vous proposons une FAQ.
Quelles sont les particularités du B737 Max ?
"Pour le 737 MAX, les concepteurs de l'appareil ont conservé la cellule initiale conçue en 1967. Ainsi tout a été gardé, de la cabine aux ailes. Toutefois es moteurs plus gros et plus puissants ont été installés dans la dernière version.
C'est un avion avec une garde au sol plus basse que d'autres modèles. Il faut comprendre que la distance entre les moteurs et le sol est plus réduite.
Comme les moteurs sont plus gros que sur les précédentes versions, pour conserver une garde au sol suffisante, les turbines ont été déplacées vers l'extérieur, ce qui impacte le domaine de vol.
Le domaine de vol rassemble les conditions par lesquelles l'avion se maintient en l'air en sécurité.
Avec le changement de position des moteurs, il est devenu critique c'est cette raison pour laquelle, les ingénieurs ont ajouté un système pour équilibrer l'avion : le MCAS (Maneuvering Characteristics Augmentation System)."
C'est un avion avec une garde au sol plus basse que d'autres modèles. Il faut comprendre que la distance entre les moteurs et le sol est plus réduite.
Comme les moteurs sont plus gros que sur les précédentes versions, pour conserver une garde au sol suffisante, les turbines ont été déplacées vers l'extérieur, ce qui impacte le domaine de vol.
Le domaine de vol rassemble les conditions par lesquelles l'avion se maintient en l'air en sécurité.
Avec le changement de position des moteurs, il est devenu critique c'est cette raison pour laquelle, les ingénieurs ont ajouté un système pour équilibrer l'avion : le MCAS (Maneuvering Characteristics Augmentation System)."
Qu'est-ce que le MCAS ?
"C'est un système informatique invasif sur lequel nous n'avons aucun contrôle.
Le MCAS prend la main sur les commandes s'il détecte un décrochage, signifiant que le nez est trop cabré par rapport à sa trajectoire de vol.
Si votre avion n'est pas en bonne position, il faut réduire l'angle d'attaque, la gouverne de profondeur (trim) est donc sollicitée pour faire piquer le nez de l'avion, pour sortir de l'angle d'attaque critique.
A noter que Boeing n'a jamais expliqué, ni présenté le MCAS aux commandants de bord."
Le MCAS prend la main sur les commandes s'il détecte un décrochage, signifiant que le nez est trop cabré par rapport à sa trajectoire de vol.
Si votre avion n'est pas en bonne position, il faut réduire l'angle d'attaque, la gouverne de profondeur (trim) est donc sollicitée pour faire piquer le nez de l'avion, pour sortir de l'angle d'attaque critique.
A noter que Boeing n'a jamais expliqué, ni présenté le MCAS aux commandants de bord."
Quel est le problème commun dans les deux crashs ?
"Pour être honnête et juste, je me prononce mais en n'ayant pas tous les éléments. Les boîtes noires n'ont pas livré toutes leurs vérités.
D'après ce que je sais, pour que l'ordinateur de vol comprenne sa situation il a besoin de trois informations : l'angle d'attaque, la vitesse et la position de l'avion.
Dans les cas de Lion Air et Ethiopian Airlines, il y a eu des problèmes de vitesse détectés, lorsque les volets sont rentrés, peu après les décollages.
Cette mauvaise information mise en lumière, le MCAS prend le contrôle sur l'appareil, sauf que les trims sont nettement plus puissants et rapides que sur les autres appareils. Conséquences : les deux Boeing 737 MAX sont allés au tas (se crasher, ndlr).
D'ailleurs, dans le cas de Lion Air, les boîtes noires ont révélé que le pilote tirait avec une grande force sur le manche, mais sa manœuvre n'a pas suffi pour redresser l'avion, car les trims (gouverne) sont bien plus puissantes sur cet appareil. Le 737 MAX est une véritable bombe à retardement.
Si avec le 737 NG (génération précédente) il est possible de contrer les trims à la main, avec le 737 MAX, c'est beaucoup plus difficile."
D'après ce que je sais, pour que l'ordinateur de vol comprenne sa situation il a besoin de trois informations : l'angle d'attaque, la vitesse et la position de l'avion.
Dans les cas de Lion Air et Ethiopian Airlines, il y a eu des problèmes de vitesse détectés, lorsque les volets sont rentrés, peu après les décollages.
Cette mauvaise information mise en lumière, le MCAS prend le contrôle sur l'appareil, sauf que les trims sont nettement plus puissants et rapides que sur les autres appareils. Conséquences : les deux Boeing 737 MAX sont allés au tas (se crasher, ndlr).
D'ailleurs, dans le cas de Lion Air, les boîtes noires ont révélé que le pilote tirait avec une grande force sur le manche, mais sa manœuvre n'a pas suffi pour redresser l'avion, car les trims (gouverne) sont bien plus puissantes sur cet appareil. Le 737 MAX est une véritable bombe à retardement.
Si avec le 737 NG (génération précédente) il est possible de contrer les trims à la main, avec le 737 MAX, c'est beaucoup plus difficile."
Peut-on parler de défaut de formation des pilotes ?
"Au lancement de l'avion par Boeing, les pilotes passant du 737 NG au MAX ont juste reçu un cours sur les différences entre les deux engins, mais en aucun cas, Boeing nous a spécifié l'existence du MCAS.
C'est un système invasif et invisible dans le cockpit, donc ils se sont dits sans doute que cela ne servait à rien de le présenter. Après le crash de la Lion Air, Boeing nous a expliqué comment déconnecter les trims, par une commande mais rien de plus.
La qualité de la formation des pilotes n'est pas à remettre en cause, mais 200 heures de vol ne suffisent pas pour se déclarer pilote, il faut de l'expérience.
Le copilote sur Ethiopian avait seulement 200 heures de vol, ce qui est extrêmement peu, il venait sans doute de sortir de l'école. Dans ce genre de situation, il faut réagir immédiatement.
Avec la pénurie de pilote en Europe notamment, il arrive que le commandant de bord ait 26 ans et le copilote en ait 22. Aux USA les commandants de bord le deviennent avec l'expérience et en gravissant les échelons hiérarchiques, pas seulement grâce à un diplôme. "
C'est un système invasif et invisible dans le cockpit, donc ils se sont dits sans doute que cela ne servait à rien de le présenter. Après le crash de la Lion Air, Boeing nous a expliqué comment déconnecter les trims, par une commande mais rien de plus.
La qualité de la formation des pilotes n'est pas à remettre en cause, mais 200 heures de vol ne suffisent pas pour se déclarer pilote, il faut de l'expérience.
Le copilote sur Ethiopian avait seulement 200 heures de vol, ce qui est extrêmement peu, il venait sans doute de sortir de l'école. Dans ce genre de situation, il faut réagir immédiatement.
Avec la pénurie de pilote en Europe notamment, il arrive que le commandant de bord ait 26 ans et le copilote en ait 22. Aux USA les commandants de bord le deviennent avec l'expérience et en gravissant les échelons hiérarchiques, pas seulement grâce à un diplôme. "
Il n'y a pas moyen de prendre le contrôle sur l'avion ?
"Après l'épisode de la Lion Air, nous avons été reformés sur les "mémories items", qui sont les procédures que nous devons connaître par cœur en cas de problème.
Prenez l'exemple du "Runaway stabilizer" quand l'avion se met à tourner, nous devons déconnecter le fameux système et attraper le trim.
Après il faut savoir que la présence du MCAS ne change rien à ma façon de piloter, car il n'intervient qu'en cas de décrochage de l'appareil, 99,99999% du temps nous n'avons absolument pas besoin de lui."
Prenez l'exemple du "Runaway stabilizer" quand l'avion se met à tourner, nous devons déconnecter le fameux système et attraper le trim.
Après il faut savoir que la présence du MCAS ne change rien à ma façon de piloter, car il n'intervient qu'en cas de décrochage de l'appareil, 99,99999% du temps nous n'avons absolument pas besoin de lui."
D'où vient la défaillance ?
"Elle est multiple. Vous n'êtes pas sans savoir que la FAA, l'autorité en charge de l'homologation des avions aux USA, a délégué à Boeing une partie de l'inspection de l'appareil. C'est une première faute.
Puis après il y a un problème, qui n'est pas propre à Boeing. Mais notre monde et modèle économique cherchent à réduire au maximum les coûts.
A force de faire des raccourcis technologiques, la sécurité est inévitablement touchée.
J'ai le sentiment que l'on joue avec notre sécurité, oui.
Depuis quelques jours, il y a une rumeur au sein des effectifs des pilotes qui rapporte que le système MCAS se baserait seulement sur 2 informations pour calculer le décrochage, alors que sur tous les autres appareils cela est basé sur 3 sources."
Puis après il y a un problème, qui n'est pas propre à Boeing. Mais notre monde et modèle économique cherchent à réduire au maximum les coûts.
A force de faire des raccourcis technologiques, la sécurité est inévitablement touchée.
J'ai le sentiment que l'on joue avec notre sécurité, oui.
Depuis quelques jours, il y a une rumeur au sein des effectifs des pilotes qui rapporte que le système MCAS se baserait seulement sur 2 informations pour calculer le décrochage, alors que sur tous les autres appareils cela est basé sur 3 sources."
Les systèmes informatiques sont remis en question, vous considérez-vous encore comme pilote ?
"Bien sûr, mais il y a une petite guerre intestine dans l'industrie. Les ingénieurs pensent que les pilotes sont des singes, l'automatisation est poussée pour que les commandants de bord disparaissent des avions.
Les pilotes sont les maréchaux-ferrants du XXIe siècle, un jour nous allons disparaître.
D'ailleurs, il y a une statistique qui donne le nombre de crashs causés par les erreurs humaines, environ 75%, mais aucune n'a été faite sur les accidents évités par les commandants de bord, et je peux vous dire que les cas sont nombreux.
Nous sommes arrivés à un point de bascule. Il y a trop de systèmes informatiques complexes qui doivent éviter les erreurs humaines, sauf que cette fois-ci ce, sont sans doute eux qui ont causé les crashs."
Les pilotes sont les maréchaux-ferrants du XXIe siècle, un jour nous allons disparaître.
D'ailleurs, il y a une statistique qui donne le nombre de crashs causés par les erreurs humaines, environ 75%, mais aucune n'a été faite sur les accidents évités par les commandants de bord, et je peux vous dire que les cas sont nombreux.
Nous sommes arrivés à un point de bascule. Il y a trop de systèmes informatiques complexes qui doivent éviter les erreurs humaines, sauf que cette fois-ci ce, sont sans doute eux qui ont causé les crashs."