Pierrick Bourgault : "Pour intéresser les touristes, il faut proposer des sites remarquables mais aussi une vie locale au lieu de la réprimer" - Photo : Katia Renvoisé
Vous pouvez acheter cet article à l'unité pour le prix de 3,99 € en cliquant ICI ou vous abonner à Futuroscopie pour 133 €TTC par an.
Futuroscopie - Vous êtes pessimiste, il me semble, par rapport au sort des néo-ruraux cherchant à entreprendre à la campagne ?
Pierrick Bourgault : Plusieurs études révèlent en effet, chez nos contemporains urbains, un fort désir de changer de vie.
Et on les comprend : travailler aujourd’hui donne parfois l’impression d’une course immobile, chacun devant son écran, pour valider des « projets » dématérialisés, oubliés à peine achevés, insatisfaisants même s’ils sont bien payés - comme l’écrit David Graeber dans son ouvrage Bullshit jobs, un phénomène mondial.
D’où un fort désir de rupture, de revendre l’appartement pour déménager dans un espace dix fois plus vaste.
Les protagonistes de mon roman Journal d’un café de campagne se réjouissent de reprendre un lieu, créer une offre de plats, de boissons, d’accueillir expos et petits concerts…
Ils sont motivés et réussissent plutôt bien dans ce rôle social si précieux, à l’heure où les campagnes déshumanisées remplacent les commerces par des distributeurs (de pain, de pizzas…) et deviennent les dortoirs des villes.
Futuroscopie - Quels sont les principaux problèmes que pose une installation à la campagne ?
Pierrick Bourgault : En mars 2020, lorsque Leila Slimani publie son journal de confinement dans Le Monde, le critique Johan Faerber réplique d’une volée de bois vert : Le Journal de confinement de Leïla Slimani est un conte cruel, dans lequel l’allusion à la « bourgeoisie » revient huit fois.
On songe aux « bobos » qui viennent juste télétravailler, pleins de bonne volonté mais déconnectés du concret.
La matérialité pose en effet problème à ceux qui ont pour métier de dématérialiser, qui cherchent l’appli et le « tuto » pour se dépanner, qui cliquent sur un message au lieu de parler.
Bricoler, repeindre, jardiner, entretenir une maison de 200 m² exige davantage de peinture et de temps qu’un 20 m² parisien. Concrètement, le chauffage est plus onéreux et un budget voiture s’impose.
Autre souci de la vie rurale : au restaurant, chez des amis, évitez le troisième verre afin de ne pas finir en cellule de dégrisement : les contrôles systématiques à la sortie d’un restaurant, d’une discothèque en ont coulé plus d’un.
Si vos enfants apprécient le cannabis, un demi-gramme suffira à les envoyer devant le juge. En 2017, un cultivateur de cannabis à Désertines (Mayenne), a écopé de trois ans ferme. Les tribunaux des grandes villes sont plus cléments et la vie à la campagne obligatoirement saine !
Les entrepreneurs découvriront aussi que les clients sont plus dispersés et leurs revenus moindres, à cause de la désindustrialisation et des emplois perdus.
Les contraintes y sont pourtant plus fortes : lorsque je réalisais le Guide Paris Bars concerts, en rencontrant plus de cinq cents adresses parisiennes sur dix ans, peu ont évoqué les contrôles Urssaf et Sacem : en région, ils sont immédiats !
Enfin, les citadins n’imaginent pas vivre avec une connexion aléatoire et, pour les codes de validation, un téléphone qui capte seulement quand il est posé dans la fenêtre. Quant à la ligne fixe, le harcèlement des démarcheurs - bloctel n’y change rien - laisse un sentiment d’abandon et d’impuissance.
Ce qui rend l’existence des petits commerces et cafés-restaurants d’autant plus admirable.
Pierrick Bourgault : En mars 2020, lorsque Leila Slimani publie son journal de confinement dans Le Monde, le critique Johan Faerber réplique d’une volée de bois vert : Le Journal de confinement de Leïla Slimani est un conte cruel, dans lequel l’allusion à la « bourgeoisie » revient huit fois.
On songe aux « bobos » qui viennent juste télétravailler, pleins de bonne volonté mais déconnectés du concret.
La matérialité pose en effet problème à ceux qui ont pour métier de dématérialiser, qui cherchent l’appli et le « tuto » pour se dépanner, qui cliquent sur un message au lieu de parler.
Bricoler, repeindre, jardiner, entretenir une maison de 200 m² exige davantage de peinture et de temps qu’un 20 m² parisien. Concrètement, le chauffage est plus onéreux et un budget voiture s’impose.
Autre souci de la vie rurale : au restaurant, chez des amis, évitez le troisième verre afin de ne pas finir en cellule de dégrisement : les contrôles systématiques à la sortie d’un restaurant, d’une discothèque en ont coulé plus d’un.
Si vos enfants apprécient le cannabis, un demi-gramme suffira à les envoyer devant le juge. En 2017, un cultivateur de cannabis à Désertines (Mayenne), a écopé de trois ans ferme. Les tribunaux des grandes villes sont plus cléments et la vie à la campagne obligatoirement saine !
Les entrepreneurs découvriront aussi que les clients sont plus dispersés et leurs revenus moindres, à cause de la désindustrialisation et des emplois perdus.
Les contraintes y sont pourtant plus fortes : lorsque je réalisais le Guide Paris Bars concerts, en rencontrant plus de cinq cents adresses parisiennes sur dix ans, peu ont évoqué les contrôles Urssaf et Sacem : en région, ils sont immédiats !
Enfin, les citadins n’imaginent pas vivre avec une connexion aléatoire et, pour les codes de validation, un téléphone qui capte seulement quand il est posé dans la fenêtre. Quant à la ligne fixe, le harcèlement des démarcheurs - bloctel n’y change rien - laisse un sentiment d’abandon et d’impuissance.
Ce qui rend l’existence des petits commerces et cafés-restaurants d’autant plus admirable.
Futuroscopie - Que faudrait-il faire ou changer du côté des politiques publiques pour que les campagnes se repeuplent avec succès ?
Pierrick Bourgault : D’abord, il faudrait cesser de décourager ceux qui y vivent déjà. Le suicide des agriculteurs, l’absence de motivation de leurs enfants pour reprendre la ferme familiale accusent une législation répressive et son application par des contrôleurs tatillons, et aujourd'hui par des algorithmes.
La fausse « simplification », la « transition numérique » imposée, sans aucun interlocuteur humain sont des armes de découragement massif.
Le mensuel La Vigne, pour lequel je travaille, fait l’écho du harcèlement administratif, des kafkaïens dossiers d’aide de France AgriMer ou de l’UE, que les vignerons finissent par abandonner, faute de temps et d’espoir.
La production de vin régresse en France et de nombreuses fermes ne trouvent plus de repreneurs - sinon des investisseurs chinois. La Chine achète déjà des coupes rases en forêt, exportées sans créer d’emplois locaux.
De même, la transmission de ces charmants hôtels provinciaux, est souvent empêchée par des normes exigeantes qui défigurent le lieu, pour une rentabilité affaiblie par Booking et la concurrence de AirBnB. Ne subsistent que les chaînes hôtelières dans les zones commerciales.
Tel cordonnier parti travailler au centre Leclerc, tel boulanger désormais chez Super U confient leur épuisement et se réjouissent de passer le week-end en famille, et non le nez dans la compta.
Les politiques publiques devraient « ne pas emm… les Français » selon l’expression de Georges Pompidou et, dans ces lieux à faible rentabilité, il conviendrait de créer des zones franches. Mon livre Journal d’un café de campagne est un cri d’alerte.
Pierrick Bourgault : D’abord, il faudrait cesser de décourager ceux qui y vivent déjà. Le suicide des agriculteurs, l’absence de motivation de leurs enfants pour reprendre la ferme familiale accusent une législation répressive et son application par des contrôleurs tatillons, et aujourd'hui par des algorithmes.
La fausse « simplification », la « transition numérique » imposée, sans aucun interlocuteur humain sont des armes de découragement massif.
Le mensuel La Vigne, pour lequel je travaille, fait l’écho du harcèlement administratif, des kafkaïens dossiers d’aide de France AgriMer ou de l’UE, que les vignerons finissent par abandonner, faute de temps et d’espoir.
La production de vin régresse en France et de nombreuses fermes ne trouvent plus de repreneurs - sinon des investisseurs chinois. La Chine achète déjà des coupes rases en forêt, exportées sans créer d’emplois locaux.
De même, la transmission de ces charmants hôtels provinciaux, est souvent empêchée par des normes exigeantes qui défigurent le lieu, pour une rentabilité affaiblie par Booking et la concurrence de AirBnB. Ne subsistent que les chaînes hôtelières dans les zones commerciales.
Tel cordonnier parti travailler au centre Leclerc, tel boulanger désormais chez Super U confient leur épuisement et se réjouissent de passer le week-end en famille, et non le nez dans la compta.
Les politiques publiques devraient « ne pas emm… les Français » selon l’expression de Georges Pompidou et, dans ces lieux à faible rentabilité, il conviendrait de créer des zones franches. Mon livre Journal d’un café de campagne est un cri d’alerte.
Futuroscopie - Le tourisme est-il une activité de nature à développer dans le monde rural ?
Pierrick Bourgault : Pour intéresser les touristes, il faut proposer des sites remarquables mais aussi une vie locale au lieu de la réprimer.
Après une carrière parisienne, Anne-Sabine Couder d’Argencie a courageusement ouvert son vaste et charmant salon de thé Les Jardins du Bardado à Saint-Sauveur-en-Puisaye, où elle m’a invité en février dernier pour une dédicace.
Le déjeuner dans village voisin s’est conclu par une contravention de la gendarmerie locale, infligée à la quasi-octogénaire pour stationnement hors des espaces délimités !
De telles mésaventures encouragent à fréquenter plutôt la cafet’ de l’hypermarché : le parking est immense et aucun pandore ne vous verbalisera !
Le tourisme est une activité économique d’avenir qui crée des emplois dans les hôtels et restaurants, pour l’entretien des propriétés. Or la pression immobilière, multipliée par AirBnB, complique l’accès au logement des petits salaires.
Le maire de Ménèrbes, près de Lourmarin me confiait récemment sa difficulté à proposer des logements bon marché dans sa commune, alors qu’un mas avec piscine se loue 12 000 € la semaine.
Dans d’autres communes, la mairie poursuit de ses foudres des maraîchers bio vivant dans une structure légère (yourte ou conteneur), faute de logements bon marché disponibles ; le site change.org présente d’ailleurs une demi-douzaine de pétitions contre cette situation.
Dans les zones côtières de Bretagne maritime, où l’immobilier atteint des records, il est même quasiment impossible de monter un café coopératif comme à Augan, situé dans les terres.
Pierrick Bourgault : Pour intéresser les touristes, il faut proposer des sites remarquables mais aussi une vie locale au lieu de la réprimer.
Après une carrière parisienne, Anne-Sabine Couder d’Argencie a courageusement ouvert son vaste et charmant salon de thé Les Jardins du Bardado à Saint-Sauveur-en-Puisaye, où elle m’a invité en février dernier pour une dédicace.
Le déjeuner dans village voisin s’est conclu par une contravention de la gendarmerie locale, infligée à la quasi-octogénaire pour stationnement hors des espaces délimités !
De telles mésaventures encouragent à fréquenter plutôt la cafet’ de l’hypermarché : le parking est immense et aucun pandore ne vous verbalisera !
Le tourisme est une activité économique d’avenir qui crée des emplois dans les hôtels et restaurants, pour l’entretien des propriétés. Or la pression immobilière, multipliée par AirBnB, complique l’accès au logement des petits salaires.
Le maire de Ménèrbes, près de Lourmarin me confiait récemment sa difficulté à proposer des logements bon marché dans sa commune, alors qu’un mas avec piscine se loue 12 000 € la semaine.
Dans d’autres communes, la mairie poursuit de ses foudres des maraîchers bio vivant dans une structure légère (yourte ou conteneur), faute de logements bon marché disponibles ; le site change.org présente d’ailleurs une demi-douzaine de pétitions contre cette situation.
Dans les zones côtières de Bretagne maritime, où l’immobilier atteint des records, il est même quasiment impossible de monter un café coopératif comme à Augan, situé dans les terres.
Autres articles
-
Le futur n’a-t-il plus d’avenir ? [ABO]
-
JO - 5 : bons baisers de Paris ! 🔑
-
Futuroscopie - Cent mille lieux sous les mers, la plongée étend son empire et son emprise 🔑
-
Futuroscopie - Wellness festivals, une nouvelle façon de lier vacances et bien-être 🔑
-
Futuroscopie - Le merchandising des JO en pleine effervescence🔑
Futuroscopie - Les cafés, nos chers cafés, ont-ils justement quelques chances de rouvrir ?
Pierrick Bourgault : De 500 000 dans la France de 1900, il n’en reste que 30 000. Une dégringolade de 20 à 1, si l’on tient compte de la population.
Et les fermetures se poursuivent, à l’heure de la retraite car nombre de tenanciers échouent à vendre - la mise aux normes coûterait trop cher - et préfèrent l’aménager en maison d’habitation.
Quelques restaurants routiers et ouvriers subsistent, proposant un plat chaud et une pause bienvenue aux artisans et chauffeurs.
Des cafés associatifs ouvrent, animés par un groupe de bénévoles et de jeunes retraités. Avec l’aide de la mairie qui finance les travaux, la création d’un café associatif par des bénévoles motivés est possible.
L’obtention des aides, même pour les retraités experts en dossiers, s’avère complexe, Paul de Vaucorbeil, président de la Forge à Guillac (Morbihan) en témoigne. Or l’âge de la retraite repoussé à 64 ans va réduire de deux années cette force vive.
Autre soutien : le projet 1000 Cafés du groupe d’économie sociale et solidaire SOS, met en relation des mairies souhaitant rouvrir leur bistrot et des tenanciers aux compétences multiples, motivés par de nombreuses heures de présence pour un salaire modeste.
L’équilibre est précaire, mais plus d’une centaine de nouveaux cafés existent grâce à cette initiative.
C’est pourquoi je dédie mon livre photographique Au bonheur des bistrots à celles et ceux qui tiennent les cafés ouverts, un défi de chaque jour…
Lire : Journal d’un café de campagne. Pierrick Bourgault. Editions Ouest France.
Pierrick Bourgault : De 500 000 dans la France de 1900, il n’en reste que 30 000. Une dégringolade de 20 à 1, si l’on tient compte de la population.
Et les fermetures se poursuivent, à l’heure de la retraite car nombre de tenanciers échouent à vendre - la mise aux normes coûterait trop cher - et préfèrent l’aménager en maison d’habitation.
Quelques restaurants routiers et ouvriers subsistent, proposant un plat chaud et une pause bienvenue aux artisans et chauffeurs.
Des cafés associatifs ouvrent, animés par un groupe de bénévoles et de jeunes retraités. Avec l’aide de la mairie qui finance les travaux, la création d’un café associatif par des bénévoles motivés est possible.
L’obtention des aides, même pour les retraités experts en dossiers, s’avère complexe, Paul de Vaucorbeil, président de la Forge à Guillac (Morbihan) en témoigne. Or l’âge de la retraite repoussé à 64 ans va réduire de deux années cette force vive.
Autre soutien : le projet 1000 Cafés du groupe d’économie sociale et solidaire SOS, met en relation des mairies souhaitant rouvrir leur bistrot et des tenanciers aux compétences multiples, motivés par de nombreuses heures de présence pour un salaire modeste.
L’équilibre est précaire, mais plus d’une centaine de nouveaux cafés existent grâce à cette initiative.
C’est pourquoi je dédie mon livre photographique Au bonheur des bistrots à celles et ceux qui tiennent les cafés ouverts, un défi de chaque jour…
Lire : Journal d’un café de campagne. Pierrick Bourgault. Editions Ouest France.
Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.
Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.
Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com
Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.
Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com