TourMaG.com - Depuis le développement d'internet, réseaux sociaux et autres bloggeurs, qu'est ce qui a changé pour vous ?
Aliette de Crozet : Une idée s'est imposée aux rédactions : on n'a plus besoin de voyager pour écrire sur le voyage. Seule la photo légitime un déplacement. La nécessité d'aller sur place, aujourd'hui, c’est d’abord un coût, financier et temporel.
Le travail de journaliste, c'est-à-dire l'enquête sur le terrain, est déconsidéré. Il y a des exceptions. J’ai eu la chance d’effectuer des reportages pour le site internet d'Atout France – mais la production en a été réduite, pour financer des influenceurs m’a-t-on dit.
J'espère qu'elle va être relancée, car c’est notre légitimité. Sinon, les articles sont conçus selon des grilles préformatées, prémâchées.
De façon générale, nous journalistes nous sommes sentis moins "désirés", même si on continue à nous installer pour le dîner à la table du maire ou du député - qui supplie le communicant de lui obtenir une vidéo YouTube.
Mais tout cela ne repose guère sur des éléments chiffrés. On sait que les réseaux et les blogs participent au sur-tourisme, on ne connait pas trop les richesses qu'ils génèrent, ni leur contre-productivité - on peut ne pas avoir envie de poser avec toute une foule devant un paysage de rêve.
Les prises en charge ont été nettement baissées - il faut bien partager avec tout ce petit monde. Je n'ai rien contre les blogueurs, certains sont sympas, je remarque simplement qu'il est rare - mais cela arrive - d'avoir grâce à eux une info déconnectée d'un intérêt personnel.
Et c’est logique, les blogueurs se font payer. Toutes ces mamans qui promènent et instrumentalisent leurs enfants sous les feux des projecteurs, tous ces couples de mannequins qui se photographient devant un cocktail au coucher de soleil...
Personnellement, cela ne me fait pas vibrer mais on n'est jamais à l'abri de réflexes pavloviens.
Aliette de Crozet : Une idée s'est imposée aux rédactions : on n'a plus besoin de voyager pour écrire sur le voyage. Seule la photo légitime un déplacement. La nécessité d'aller sur place, aujourd'hui, c’est d’abord un coût, financier et temporel.
Le travail de journaliste, c'est-à-dire l'enquête sur le terrain, est déconsidéré. Il y a des exceptions. J’ai eu la chance d’effectuer des reportages pour le site internet d'Atout France – mais la production en a été réduite, pour financer des influenceurs m’a-t-on dit.
J'espère qu'elle va être relancée, car c’est notre légitimité. Sinon, les articles sont conçus selon des grilles préformatées, prémâchées.
De façon générale, nous journalistes nous sommes sentis moins "désirés", même si on continue à nous installer pour le dîner à la table du maire ou du député - qui supplie le communicant de lui obtenir une vidéo YouTube.
Mais tout cela ne repose guère sur des éléments chiffrés. On sait que les réseaux et les blogs participent au sur-tourisme, on ne connait pas trop les richesses qu'ils génèrent, ni leur contre-productivité - on peut ne pas avoir envie de poser avec toute une foule devant un paysage de rêve.
Les prises en charge ont été nettement baissées - il faut bien partager avec tout ce petit monde. Je n'ai rien contre les blogueurs, certains sont sympas, je remarque simplement qu'il est rare - mais cela arrive - d'avoir grâce à eux une info déconnectée d'un intérêt personnel.
Et c’est logique, les blogueurs se font payer. Toutes ces mamans qui promènent et instrumentalisent leurs enfants sous les feux des projecteurs, tous ces couples de mannequins qui se photographient devant un cocktail au coucher de soleil...
Personnellement, cela ne me fait pas vibrer mais on n'est jamais à l'abri de réflexes pavloviens.
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TourMaG.com - Pendant les deux années de Covid, d'autres changements sont-ils intervenus dans vos choix de sujets et leur traitement ?
Aliette de Crozet : Oui, clairement. Le tourisme a toujours été vu par les rédactions comme anecdotique, une récréation entre les domaines sérieux - l'économie et la politique. Ces pages blanches, ou plutôt bleues, permettaient par ailleurs aux journaux de récompenser leurs rédacteurs avec un petit week-end ci, un petit hôtel de luxe là, ou, bingo, une rubrique.
Ou de mettre en avant un hôtel qui allait accueillir une équipe de mode -les fameux "échanges marchandise". Là, ça n'était plus possible. De plus, le tourisme n’apporte pas de pub, en tout cas moins que le luxe et l'automobile.
Il a donc perdu beaucoup de pages. Dans celles qui restaient, la France et ses territoires ont repris le dessus -j'en étais ravie car j'ai toujours travaillé sur la France, même à l'époque où il était plus facile et moins coûteux de partir à l'île Maurice qu'à Belfort.
Mais pour les déringardiser les paysages de notre pays ont été assimilés à ceux de l’étranger -on n'est pas en Thaïlande, mais dans le Lot, pas à Hawaï mais en Auvergne, pas dans le Luberon, mais dans le Colorado, etc...
Ce qui évitait une fois encore de chercher leur identité intrinsèque.. Quoi que déprécié et sous-payé, le journalisme de tourisme demande de vraies compétences. Et d'avoir une grille de comparaisons.
Avant le covid, le tourisme s'imposait comme "un moment en-dehors" qui ne relevait pas de la vie réelle : avec le travail à distance, cela a changé. On ne lit plus une rubrique seulement pour savoir où passer deux semaines en famille. On se demande aussi : est-ce que c'est un endroit où je pourrai m'installer avec un ordinateur quelque temps.
Enfin, le covid nous a fait comprendre que le monde était fermé, qu'il n'y a plus de lieux à l'abri du plastique et de la pollution. En tant que prescripteurs, nous avons une vraie responsabilité de saisir les enjeux écologiques et d’avoir une expertise sur le green.
Enfin, mais cela existait avant le covid, il est encore plus mal vu de se faire plaisir. Pour la presse en général, le bonheur, c'est-à-dire ce sentiment si ténu et passager de se sentir bien quelque part quelques instants, est anecdotique. Ou consumériste. En tout cas que cela ne vaut pas la peine d'y réfléchir.
Aliette de Crozet : Oui, clairement. Le tourisme a toujours été vu par les rédactions comme anecdotique, une récréation entre les domaines sérieux - l'économie et la politique. Ces pages blanches, ou plutôt bleues, permettaient par ailleurs aux journaux de récompenser leurs rédacteurs avec un petit week-end ci, un petit hôtel de luxe là, ou, bingo, une rubrique.
Ou de mettre en avant un hôtel qui allait accueillir une équipe de mode -les fameux "échanges marchandise". Là, ça n'était plus possible. De plus, le tourisme n’apporte pas de pub, en tout cas moins que le luxe et l'automobile.
Il a donc perdu beaucoup de pages. Dans celles qui restaient, la France et ses territoires ont repris le dessus -j'en étais ravie car j'ai toujours travaillé sur la France, même à l'époque où il était plus facile et moins coûteux de partir à l'île Maurice qu'à Belfort.
Mais pour les déringardiser les paysages de notre pays ont été assimilés à ceux de l’étranger -on n'est pas en Thaïlande, mais dans le Lot, pas à Hawaï mais en Auvergne, pas dans le Luberon, mais dans le Colorado, etc...
Ce qui évitait une fois encore de chercher leur identité intrinsèque.. Quoi que déprécié et sous-payé, le journalisme de tourisme demande de vraies compétences. Et d'avoir une grille de comparaisons.
Avant le covid, le tourisme s'imposait comme "un moment en-dehors" qui ne relevait pas de la vie réelle : avec le travail à distance, cela a changé. On ne lit plus une rubrique seulement pour savoir où passer deux semaines en famille. On se demande aussi : est-ce que c'est un endroit où je pourrai m'installer avec un ordinateur quelque temps.
Enfin, le covid nous a fait comprendre que le monde était fermé, qu'il n'y a plus de lieux à l'abri du plastique et de la pollution. En tant que prescripteurs, nous avons une vraie responsabilité de saisir les enjeux écologiques et d’avoir une expertise sur le green.
Enfin, mais cela existait avant le covid, il est encore plus mal vu de se faire plaisir. Pour la presse en général, le bonheur, c'est-à-dire ce sentiment si ténu et passager de se sentir bien quelque part quelques instants, est anecdotique. Ou consumériste. En tout cas que cela ne vaut pas la peine d'y réfléchir.
TourMaG.com - Avec la guerre en Ukraine, êtes vous de nouveau sujette à de nouvelles modifications dans vos façons de travailler ?
Aliette de Crozet : On sentait avec l'assouplissement des mesures sanitaires une envie de fête et d'insouciance... Raté ! Dans mes rubriques, à Peps ou à Santé-Magazine, je mets en avant des lieux, des loisirs, des expériences accessibles à tous et qui nous font du bien : crapahuter sur les rochers, dormir sous une tente, descendre dans une grotte... La France des petits bonheurs...
Sentir à ch aque instant la chance que c'est d'être vivant. Cela ne passe pas forcément par 18 heures de vol et des nuits en 5 étoiles. La France est riche de pépites, des lieux, des hébergements et des gens incroyables, à des prix très accessibles...
Pour les révéler, il faut que les journaux gardent de la place pour les bons moments et fassent confiance à notre expertise à nous, modestes traqueurs de bien-être, de beauté et de bons plans. Or le mot d'ordre est de ne surtout pas prendre de risques.
Ce domaine passionnant, la rencontre de l'autre et des cultures, est devenu très convenu, bordé de toutes parts et hyper- sponsorisé.
Aliette de Crozet : On sentait avec l'assouplissement des mesures sanitaires une envie de fête et d'insouciance... Raté ! Dans mes rubriques, à Peps ou à Santé-Magazine, je mets en avant des lieux, des loisirs, des expériences accessibles à tous et qui nous font du bien : crapahuter sur les rochers, dormir sous une tente, descendre dans une grotte... La France des petits bonheurs...
Sentir à ch aque instant la chance que c'est d'être vivant. Cela ne passe pas forcément par 18 heures de vol et des nuits en 5 étoiles. La France est riche de pépites, des lieux, des hébergements et des gens incroyables, à des prix très accessibles...
Pour les révéler, il faut que les journaux gardent de la place pour les bons moments et fassent confiance à notre expertise à nous, modestes traqueurs de bien-être, de beauté et de bons plans. Or le mot d'ordre est de ne surtout pas prendre de risques.
Ce domaine passionnant, la rencontre de l'autre et des cultures, est devenu très convenu, bordé de toutes parts et hyper- sponsorisé.
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Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.
Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.
Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com
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