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Marc Touati : Les sanctions peuvent-elles faire plier Poutine et la Russie ?

Interview de Marc Touati, économiste et auteur d'ouvrages sur l'économie


Après une première partie d'interview sur la situation économique mondiale et française, nous avons fait le point avec Marc Touati sur les sanctions envers la Russie. Le pays de l'autocrate Vladimir Poutine connait, depuis une semaine, des décisions à l'encontre de son économie et de ses oligarques, venant d'Europe et des Etats-Unis. Si l'économie russe montre des signes de faiblesse, pour l'heure rien ne semble pouvoir arrêter le locataire du Kremlin. Les sanctions peuvent-elles faire plier la Russie et son peuple ? Le pays de tsars est-il vraiment un nain économique ? Voici, les réponses peu rassurantes de l'économiste.


Rédigé par le Mardi 8 Mars 2022

Pour Marc Touati, que ce soit pour le pétrole ou les matières premières"nous sommes dans une phase spéculative, il n'y a plus de limite à la flambée" - DR
Pour Marc Touati, que ce soit pour le pétrole ou les matières premières"nous sommes dans une phase spéculative, il n'y a plus de limite à la flambée" - DR
TourMaG.com - Après une première partie sur les conséquences du conflit en Ukraine sur notre économie, nous allons aborder celles des sanctions sur la Russie.

Avec une
dette publique de seulement 20% et un coût estimé de la guerre à 20 milliards de dollars par jour, la Russie peut-elle encaisser les sanctions de la communauté internationale ?

Marc Touati :
Oui, la Russie a une certaine marge de manœuvre pour encaisser les sanctions occidentales, c'est d'ailleurs la grande erreur que nous faisons en France.

J'ai été surpris par les remarques de Bruno Le Maire, ce n'est pas en bloquant les yachts des oligarques russes que nous allons arrêter la Russie.

Même au niveau du système Swift (réseau de traitement des transactions interbancaires dans le monde, ndlr) il y a une certaine hypocrisie, puisque nous avons maintenu des banques russes, notamment celles par lesquelles les transactions pour le gaz et le pétrole se font.

Par contre, avec l'effondrement du rouble, les entreprises locales ne pourront pas tenir éternellement. Le baril étant écoulé en dollars, la chute de la monnaie russe va importer de l'inflation dans le pays,

Personne ne sortira gagnant, en cas de conflit long, il faut une résolution diplomatique.

Economie : "Nous ne devons pas croire que seule la Russie va souffrir"

TourMaG.com - Vous semblez dubitatif sur les chances de voir les sanctions faire plier Poutine...

Marc Touati :
L'économie russe peut résister aux sanctions.

Puis nous devons penser à l'après, car les Russes ne vont pas rester les bras croisés, par rapport aux décisions prises par l'Occident.

Dans son discours, Emmanuel Macron a été intelligent jeudi 3 mars 2022, en rappelant que nous ne sommes pas en guerre contre la Russie.

Vous avez plus de 500 entreprises françaises qui travaillent avec le pays de Poutine, 35 membres du CAC 40 sont implantées là bas. La France est même le 1er employeur étranger.

Nous exportons 6,5 milliards d'euros, une somme modique, mais avec un déficit extérieur de 80 milliards, ce n'est pas rien. Puis vous avez aussi, le poids du tourisme russe en France.

Tout cela va laisser des traces durables. Il est désastreux qu'aucune solution diplomatique n'ait pu être trouvée. Je parle en tant qu'économiste et donc des répercussions à moyen terme de ce conflit. Je ne dis absolument pas qu'il faille laisser faire la Russie, c'est un drame humain.

TourMaG.com - Il y aura bien en Europe et en France des conséquences aux sanctions prises...

Marc Touati :
Il y aura un effet boomerang.

Nous ne devons pas croire que seule la Russie va souffrir. Nous voyons déjà l'impact avec le cours des matières premières.

"Nous ne sommes pas armés pour supporter l'adversité"

TourMaG.com - Si nous ne pouvons pas faire plier la Russie, mais est-ce que nous pouvons mettre à genoux financièrement son peuple et ses oligarques ?

Marc Touati :
Les Occidentaux s'imaginent que la population va se retourner contre Poutine, c'est une éventualité, mais nous parlons là d'une population habituée à avoir une vie dure.

Encore une fois, le peuple russe a vécu 70 ans de communisme. Il est habitué à l'adversité et à l'opposition. Nous minorons la dureté de la population.

Imaginez qu'en France, dès qu'il y a eu une augmentation des prix à la pompe, le gouvernement a envoyé des chèques aux Français. Nous ne sommes pas du tout armés, contrairement aux Russes, à supporter l'adversité.

Nous sous-estimons largement la capacité de résistance de la population. Je ne dis pas que l'épreuve sera facile pour eux, mais ils sont plus aguerris que l'Occident.

Hier (jeudi 3 mars 2022, ndlr) Emmanuel Macron l'a reconnu, toutes les sanctions prises ont d'ores et déjà un impact négatif pour nous, avec une hausse de l'inflation. Au contraire de Bruno Le Maire, le président de la République a bien compris qu'il faut une désescalade rapide.

Nous prenons un pari, il n'y a pas le choix, mais nous ne savons pas s'il va marcher. La démocratie n'a pas de prix, mais ça va nous coûter cher. Eux, peuvent tenir le choc.

TourMaG.com - Vladimir Poutine a encore rappelé récemment que la chute de l’URSS fut la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle. Il garde un souvenir amer de cette période et de la déliquescence de son pays. Vous ne pensez pas qu'en cas d'effondrement de l'économie russe, le peuple peut se retourner contre Poutine ? Par peur de revivre la chute de l'URSS ?

Marc Touati :
Il n'est pas possible de comparer l'URSS avec la Russie d'aujourd'hui.

Qu'est-ce qui a provoqué une crise en URSS, comme en 1998 en Russie ? Le pays était surendetté, avec un prix des matières premières bas, donc il était dans l'incapacité de rembourser.

En 2022, la Russie est très peu endettée, avec des exportations affichant sur les étiquettes des montants très élevés. A la chute de l'URSS, il n'y avait pas d'économie de marché, le seul secteur qui s'est diversifié pendant le communisme, c'est l'économie parallèle.

Avec la chute de la fédération en 1992, l'économie parallèle a pris le pouvoir. A l'époque, il n'y avait pas de structure économique, donc les situations ne sont pas comparables.

Actuellement, le pouvoir économique est détenu par une poignée d'oligarques, il manque réellement d'ouverture.

Pétrole : "il n'y a plus de limite à la flambée..."

TourMaG.com - La Russie est le 2e exportateur de pétrole brut au monde. Le pays est globalement isolé du monde, quelle sera l'incidence sur le cours du pétrole ? Peut-il dépasser des records historiques ?

Marc Touati :
Les conséquences sont palpables, puisque nous avons dépassé les 115 dollars, jeudi dernier.

Nous sommes dans une phase spéculative, il n'y a plus de limite à la flambée. Malheureusement cela peut continuer. Le cours peut continuer à augmenter, il peut franchir des records historiques.

Le baril à 150 dollars va entraîner une telle déflagration de la croissance
qu'après, la demande sera bien moindre. Nous nous retrouverons alors avec une offre bien supérieure à la demande et le prix baissera.

Le prix d'équilibre se situe à 75 dollars le baril.

Les autres pays producteurs vont augmenter leurs capacités, mais la production n'est pas extensible. Nous nous retrouvons un peu dans la même situation qu'en 2008.

TourMaG.com - Est-ce que les sanctions visent le pétrole russe ?

Marc Touati :
Jusqu'à preuve du contraire, nous ne nous passons pas du pétrole russe, il n'y a pas de blocus.

Il n'est pas interdit de commercer avec la Russie, 70% des banques russes sont sortis du système Swift, donc 30% peuvent toujours l'utiliser. De plus, les établissements bancaires ciblés par l'Europe passent par le système chinois.

C'est tout le paradoxe, les plus grands bénéficiaires de la hausse des matières sont les pays producteurs du pétrole, du gaz, du blé... là où la Russie est très présente.

Parallèlement à cela nous poussons les Russes dans les bras des Chinois. Ils vont développer les échanges commerciaux plus à l'est. La Chine n'attendait que ça et nous sommes très dépendants des Chinois. Nous sommes allés trop loin dans la spécialisation de nos échanges.

La Russie un nain économique ? "C'est complètement faux"

TourMaG.com - Contre la Chine, nous ne pouvons rien faire, puisque le pays rachète de la dette américaine depuis des décennies...

Marc Touati :
Nous devons marcher sur des oeufs. Si nous nous mettons la Chine à dos, alors nous aurons un très très gros problème, ce sera un arrêt complet de nos économies.

Actuellement, nous sommes dans un piège. Nous devons trouvons une solution rapide.

Plus les sanctions vont durer, plus l'impact sera important pour l'économie.

TourMaG.com - La Russie avec le PIB de l'Australie est un nain économique par rapport à sa population...

Marc Touati :
C'est complètement faux de dire ça.

Le problème c'est que nous nous focalisons sur le PIB en valeur, sauf qu'en parité de pouvoir d'achat (ce taux exprime le rapport entre la quantité d'unités monétaires nécessaire dans des pays différents pour se procurer le même « panier » de biens et de services, selon l'INSEE) nous arrivons à 4 000 dollars de PIB, soit 3,1% du PIB mondial. La France est à 2%.

C'est un raccourci et ça nous rassure de dire cela.

Quand vous êtes aussi important sur le marché des matières premières, il n'est pas possible de dire que le pays est un nain économique. Il ne faut pas sous-estimer les forces économiques de la Russie.

Par contre toute l'économie russe repose sur l'économie de la rente, depuis 30 ans, grâce aux gisements de pétrole, de gaz et autres. Son principal problème, c'est qu'elle n'a pas développé autre chose que cette économie.

Romain Pommier Publié par Romain Pommier Journaliste - TourMaG.com
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