Dévoreur, Miller dévorait aussi les rencontres. Car, comme le prouve l’intégralité de son oeuvre, cet homme de Brooklyn peu enclin à se couler dans le moule de l’université, de la finance ou d’une quelconque vie professionnelle, était avant tout avide de découverte humaine. Depositphotos.com Auteur ypsg2008
Clochard céleste, Henry Miller n’a tout simplement pas fait la route… Né à l’orée du siècle, il appartient à cette « Lost generation » qui a traversé l’Atlantique dans les années trente et qui, fascinée par le vieux continent, a fait ses classes d’écrivain à Paris dans l’entre deux guerres, dans la foulée des Gertrude Stein et autres Hemingway.
Vagabond à part entière, Miller était plutôt un urbain, raffolant des pavés et des bas fonds des grandes villes, il avait fait siens les lieux interlopes, les hôtels de toute petites catégories, les restaurants minables où il dévorait avec son appétit énorme une nourriture virile et sirotait plus que de raison du vin de mauvaise qualité, payés par un « pigeon » tombé sous son charme.
Dévoreur, Miller dévorait aussi les rencontres. Car, comme le prouve l’intégralité de son oeuvre, cet homme de Brooklyn peu enclin à se couler dans le moule de l’université, de la finance ou d’une quelconque vie professionnelle, était avant tout avide de découverte humaine. Les gens, quelle que soit leur appartenance sociale, leur âge et leurs apparences, constituaient sa géographie touristique.
C’est à travers eux qu’il aimait flâner en quête de personnalités insolites auxquelles accrocher son insatiable curiosité et souvent, en quête de femmes auxquelles consacrer sa sexualité débridée. Avec un talent littéraire « décalé » pour l’époque, Miller mit longtemps à faire admettre sa littérature un brin scandaleuse dans un monde encore régenté par l’académisme et l’hypocrisie puritaine. Accusé de pornographiques, les écrits de ses romans quasi autobiographiques font scandale et restent longtemps censurés par une Amérique blanche, raciste, réactionnaire, ouverte au progrès technique et économique mais fermée à l’évolution des moeurs.
Vagabond à part entière, Miller était plutôt un urbain, raffolant des pavés et des bas fonds des grandes villes, il avait fait siens les lieux interlopes, les hôtels de toute petites catégories, les restaurants minables où il dévorait avec son appétit énorme une nourriture virile et sirotait plus que de raison du vin de mauvaise qualité, payés par un « pigeon » tombé sous son charme.
Dévoreur, Miller dévorait aussi les rencontres. Car, comme le prouve l’intégralité de son oeuvre, cet homme de Brooklyn peu enclin à se couler dans le moule de l’université, de la finance ou d’une quelconque vie professionnelle, était avant tout avide de découverte humaine. Les gens, quelle que soit leur appartenance sociale, leur âge et leurs apparences, constituaient sa géographie touristique.
C’est à travers eux qu’il aimait flâner en quête de personnalités insolites auxquelles accrocher son insatiable curiosité et souvent, en quête de femmes auxquelles consacrer sa sexualité débridée. Avec un talent littéraire « décalé » pour l’époque, Miller mit longtemps à faire admettre sa littérature un brin scandaleuse dans un monde encore régenté par l’académisme et l’hypocrisie puritaine. Accusé de pornographiques, les écrits de ses romans quasi autobiographiques font scandale et restent longtemps censurés par une Amérique blanche, raciste, réactionnaire, ouverte au progrès technique et économique mais fermée à l’évolution des moeurs.
Le colosse de Maroussi, un chef d’oeuvre sur la Grêce
Autres articles
-
Futuroscopie - Crise de la presse, crise du réel, fatigue informationnelle [ABO]
-
Futuroscopie - Les 7 grandes tendances bien-être à découvrir en 2025 [ABO]
-
Futuroscopie - La "cold attitude" un marqueur social qui renverse les codes [ABO]
-
Futuroscopie - De l' "upstream" au "mainstream" : les tendances 2025 version Booking [ABO]
-
Futuroscopie - Personnalisation, IA, surtourisme : Amadeus dévoile ses tendances de voyage [ABO]
… Errant à vingt ans, errant à trente, errant à quarante ans de New York à Athènes, de Brooklyn à Clichy, Miller n’est donc pas un grand voyageur. Mais, il met un jour le cap sur la Grèce où l’attend son ami l’écrivain : Lawrence Durell. Et c’est la révélation !
Après dix ans de quasi sédentarité, ce départ constitue en effet pour lui une sorte de voyage initiatique au cours duquel il est non seulement littéralement ébloui par la beauté encore sauvage de ce pays et de ses îles mais où il découvre aussi la beauté d’un peuple. Il en tire un ouvrage époustouflant : Le Colosse de Maroussi qui paraît à Paris en 1941 et constitue toujours l’un des meilleurs livres écrits sur ce pays.
Hymne à une terre que Miller voit en relief et en transparence, le livre, à travers les rochers et les marbres, les colonnes et les statues, ne cesse de mettre le doigt sur l’invisible et « entend battre, comme à Epidaure, le coeur du monde ». Lyrique, enthousiaste, passionné, Henry Miller se demande même comment vivre ailleurs que dans ce pays béni des dieux où l’histoire enchevêtrée avec la mythologie ne se tait jamais.
Après dix ans de quasi sédentarité, ce départ constitue en effet pour lui une sorte de voyage initiatique au cours duquel il est non seulement littéralement ébloui par la beauté encore sauvage de ce pays et de ses îles mais où il découvre aussi la beauté d’un peuple. Il en tire un ouvrage époustouflant : Le Colosse de Maroussi qui paraît à Paris en 1941 et constitue toujours l’un des meilleurs livres écrits sur ce pays.
Hymne à une terre que Miller voit en relief et en transparence, le livre, à travers les rochers et les marbres, les colonnes et les statues, ne cesse de mettre le doigt sur l’invisible et « entend battre, comme à Epidaure, le coeur du monde ». Lyrique, enthousiaste, passionné, Henry Miller se demande même comment vivre ailleurs que dans ce pays béni des dieux où l’histoire enchevêtrée avec la mythologie ne se tait jamais.
Un tourisme d’immersion
Mais attention, en 1940, alors que la guerre s’apprête à déchirer le monde, l’Américain est formel. Les gens qui l’intéressent et pimentent son voyage, ce sont les autochtones, et rien que les autochtones, les vrais Grecs en quelque sorte et surtout pas les étrangers, déjà des touristes, qui, comme lui, visitent le pays. D’emblée, dès les premières pages de ce livre bouleversant de beauté et de révolte, il fait donc part de sa réticence extrême à converser avec ses compatriotes et tout autre anglophone.
Les quelques Américains qui visitent la Grèce à cette époque et leurs mauvaises manières, leur discours convenu et leur sottise, le hérissent d’autant plus que ces gens sans cesse en mouvement, sont toujours sur le départ ou sur le retour d’une visite quelconque.
En bons touristes, les Britanniques ne sont guère mieux. Tout les littérateurs du XIXe siècle se sont plaint d’eux. Le XXe renchérit. Ces touristes ne veulent rien rater de leur voyage. Pire ! Ils dissertent à la va vite avec une sotte arrogance, sur tout ! De quoi excéder l’écrivain que, même les Gréco-Américains rebutent. Vulgaires, ceux-ci le renvoient sans cesse à son « américanitude » qu’il cherche justement à faire oublier.
En fait, pour Miller, seuls comptent les natifs et, parmi eux, son incomparable ami Katzambalis en compagnie duquel il saute de port en port, comme Jack Kerouac sautera de train en train… D’emblée d’ailleurs, Miller prévient : « Je ne me suis pas fait d’amis anglais en Grèce. Les amis que je me suis faits étaient grecs ; je suis fier d’eux et je m’honore de ce qu’ils me tiennent pour leur ami. J’espère que les rares Anglais que j’ai connus en Grèce, se rendront compte en lisant ces lignes de ce que je pense de leur attitude. J’espère qu’ils me considéreront comme un ennemi de leur race » !
Violent, outrageusement sarcastique, Miller incarne donc dès l’avant-guerre, alors que les touristes se comptent par quelques milliers, le désir de se démarquer de ses semblables, notamment de ses compatriotes et de se ranger du côté des autochtones, les seuls individus fréquentables en voyage.
Amateur de local, tant sur le plan humain que culturel, l’écrivain fait de son périple en Grèce, consciemment ou non, un voyage et non pas une simple pratique touristique. Parmi tant d’autres, il démantèle intuitivement les codes du voyage et comprend qu’il faut se ranger du côté des locaux pour apprécier et optimiser son séjour. Ce qu’il fait tout aussi naturellement en Grèce qu’à Paris. Mais, moins aux USA où son ouvrage « Le cauchemar climatisé » paru en 1954 se fait l’écho d’une autre attitude touristique très contemporaine : le retour au pays natal, histoire de vérifier les sources d’un éventuel malentendu…
Henry Miller appartient donc encore et, à la fois, à la race des écrivains romantiques qui, tout au long du XIXe ont sillonné l’Europe en quête de ses richesses artistiques, tout en annonçant déjà l’arrivée d’une nouvelle génération d’aventuriers qui, pour leur part, prendront plus souvent la route et se griseront dans des paradis artificiels…
Sources : Le colosse de Maroussi • Le cauchemar climatisé L’oeil qui voyage • Big Sur… éditions Folio
Les quelques Américains qui visitent la Grèce à cette époque et leurs mauvaises manières, leur discours convenu et leur sottise, le hérissent d’autant plus que ces gens sans cesse en mouvement, sont toujours sur le départ ou sur le retour d’une visite quelconque.
En bons touristes, les Britanniques ne sont guère mieux. Tout les littérateurs du XIXe siècle se sont plaint d’eux. Le XXe renchérit. Ces touristes ne veulent rien rater de leur voyage. Pire ! Ils dissertent à la va vite avec une sotte arrogance, sur tout ! De quoi excéder l’écrivain que, même les Gréco-Américains rebutent. Vulgaires, ceux-ci le renvoient sans cesse à son « américanitude » qu’il cherche justement à faire oublier.
En fait, pour Miller, seuls comptent les natifs et, parmi eux, son incomparable ami Katzambalis en compagnie duquel il saute de port en port, comme Jack Kerouac sautera de train en train… D’emblée d’ailleurs, Miller prévient : « Je ne me suis pas fait d’amis anglais en Grèce. Les amis que je me suis faits étaient grecs ; je suis fier d’eux et je m’honore de ce qu’ils me tiennent pour leur ami. J’espère que les rares Anglais que j’ai connus en Grèce, se rendront compte en lisant ces lignes de ce que je pense de leur attitude. J’espère qu’ils me considéreront comme un ennemi de leur race » !
Violent, outrageusement sarcastique, Miller incarne donc dès l’avant-guerre, alors que les touristes se comptent par quelques milliers, le désir de se démarquer de ses semblables, notamment de ses compatriotes et de se ranger du côté des autochtones, les seuls individus fréquentables en voyage.
Amateur de local, tant sur le plan humain que culturel, l’écrivain fait de son périple en Grèce, consciemment ou non, un voyage et non pas une simple pratique touristique. Parmi tant d’autres, il démantèle intuitivement les codes du voyage et comprend qu’il faut se ranger du côté des locaux pour apprécier et optimiser son séjour. Ce qu’il fait tout aussi naturellement en Grèce qu’à Paris. Mais, moins aux USA où son ouvrage « Le cauchemar climatisé » paru en 1954 se fait l’écho d’une autre attitude touristique très contemporaine : le retour au pays natal, histoire de vérifier les sources d’un éventuel malentendu…
Henry Miller appartient donc encore et, à la fois, à la race des écrivains romantiques qui, tout au long du XIXe ont sillonné l’Europe en quête de ses richesses artistiques, tout en annonçant déjà l’arrivée d’une nouvelle génération d’aventuriers qui, pour leur part, prendront plus souvent la route et se griseront dans des paradis artificiels…
Sources : Le colosse de Maroussi • Le cauchemar climatisé L’oeil qui voyage • Big Sur… éditions Folio
Retrouvez les autres articles de notre série "La contribution des écrivains voyageurs"
D’hier à demain
Se draper dans l’arrogance du « voyageur » et prendre le parti des locaux, surtout des gens simples, est devenue une attitude courante, voire branchée, permettant de rompre délibérément avec le tourisme standardisé de l’offre traditionnelle. Cette attitude permet aussi de se singulariser et d’afficher sa différence. D’où le succès des chambres et tables d’hôtes et autres échanges d’appartements ou encore le couch-surfing, qui ne sont finalement que des versions revisitées de pratiques touristiques anciennes. Amplifiées et facilitées par la puissance du Web, ces pratiques devraient bien évidemment non seulement survivre mais se diversifier et se développer, d’autant qu’elles sont une alternative économique…
Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.
Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.
Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com
Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.
Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com