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Futuroscopie - "Les Canaries ne sont pas à vendre", les raisons de la colère 🔑

Le décryptage de Josette Sicsic (Futuroscopie)


Les manifestations anti touristes ou anti tourisme qui animent le fer de lance du tourisme espagnol : les îles Canaries, n’ont échappé à personne. Très amplement médiatisées par l’ensemble de la presse occidentale, grand public et professionnel, il faut dire qu’elles sont nettement plus impressionnantes que celles qui déchiraient Barcelone avant la pandémie, notamment dans le quartier de la Savonetta et surtout Venise qui mobilisait les activistes anti croisières.


Rédigé par le Jeudi 2 Mai 2024

Décidés à en finir avec la razzia touristique subie par les Canaries dès les années cinquante, qui ont transformé, tout le monde le sait, la destination en destination vedette, certes, mais surtout en une sorte d’épouvantail à touristes - Depositphotos.com  Author mazzzur
Décidés à en finir avec la razzia touristique subie par les Canaries dès les années cinquante, qui ont transformé, tout le monde le sait, la destination en destination vedette, certes, mais surtout en une sorte d’épouvantail à touristes - Depositphotos.com Author mazzzur
Qu’on le veuille ou non, l’activité touristique et les touristes en général posent problème et poseront de plus en plus un problème aussi environnemental qu’économique que civilisationnel.

Les grands récits sont en train de changer. Les modèles touristiques doivent aussi accomplir leur mue.

Culminant le 20 avril avec une foule estimée entre 30 et 70 000 personnes sur l’archipel, les manifestation initiées par plusieurs groupes de militants insulaires appartenant le plus souvent à des associations écologistes locales, faisaient suite à une grève de la faim entamée à Ténérife par des militants de l’association « Canarias se agota » ( les Canaries arrivent au bout), mobilisés contre la construction de deux hôtels de luxe dans une zone protégée sur laquelle il ne semble pas que le gouvernement local soit prêt à appliquer la loi littoral ni à prévoir la reconstruction de l’écosystème.

Décidés à en finir avec la razzia touristique subie par l’Archipel dès les années cinquante, qui ont transformé, tout le monde le sait, la destination en destination vedette, certes, mais surtout en une sorte d’épouvantail à touristes, les Canariens n’en peuvent plus.

Avec des côtes défigurées par des constructions touristiques endémiques et surtout laides, un chaos de commerces bon marché, la beauté de Ténérife ou de La Palma ont été occultées par une promotion immobilière ravageuse sur laquelle les autorités ont fermé les yeux, soumises à la dictature du « toujours plus », y compris à une époque où le diktat devrait être « toujours moins ! ».

De quoi recevoir 16 millions de touristes annuels alors que le nombre d’habitants s’élève à quelque 2 millions et que 16 millions c’est une augmentation de 5 millions en une décennie.

Employant 4 habitants sur 10, ce tourisme permet certes à l’activité toursitique d’atteindre 36% du PIB. Un record !

Mais un record dont les Canariens entendent d’autant plus se passer que même des îles comme Fuerteventura et surtout Lanzarote et El Hierro encore épargnées il y a peu, voient aujourd’hui leur popularité s’accroître.

Le nombre de vols quotidiens s’envolent donc, les prix grimpent, la qualité baisse et les paysages se maculent de nouvelles constructions notamment hôtels et routes peu à peu envahis par un supplément de touristes estimés à 10 à 20% selon les nationalités.


Les Canaries : un archipel en voie de paupérisation

Sauf que, pour Carlos Guillarte, l’organisateur de la révolte et le leader du collectif : « Asamblea de Defensa de nuestra Tierra », le tourisme, loin d’enrichir les autochtones, les appauvrit.

Selon lui, « Aux Canaries aujourd’hui : 80% des recettes générées par l’activité touristique, restent en dehors de la région ».

Pire, toujours selon ses estimations : les Canaries juste derrière l’Extramadur se présentent comme la région espagnole où les indices de pauvreté sont les plus alarmants : malnutrition, délitement de l’éducation, inégalités infantiles…

Et encore pire, un habitant avec un salaire moyen mensuel de 1000 euros ne peut plus aspirer à se loger dignement et doit envisager de déménager ou vivre dans un mobil-home.

Sans compter les problèmes liés aux pénuries d’eau exagérément gaspillée par les touristes, en piscines, golfs, douches…

Les origines de la colère :

- Le projet de construction d’un hôtel de luxe sur la plage de La Tejita, parfaite pour les surfers, et celle d’un complexe de villas de luxe « La Cuna del alma » dans le port de Adeje, tous deux à Tenerife. Aucun des deux projets pour le moment a avancé, grâce à la mobilisation.

- Autre motif de colère : les palinodies gouvernementales après l’éruption du volcan de Cumbre Vieja à La Palma qui l’a autorisé à décréter la nécessité de reconstruire d’urgence des résidences touristiques. Contre l’avis des autochtones.

- A Fuerteventura, par ailleurs, les projets d’extraction de terres rares mobilisent contre eux.

- Tandis qu’à la Grande Canarie, la gestion déplorable des énergies renouvelables confiées à des entreprises étrangères n’en finit pas de provoquer la colère des riverains.

L’urgence de changer de modèle

Bien au delà du prétexte que constituent les deux nouvelles constructions citées plus haut, les Canariens exigent donc plus. Beaucoup plus. Ils exigent en particulier que la conservation des espaces naturels soit bel et bien assurée, sans trahir les lois en vigueur.

Tandis que l’eau de mer très menacée devrait faire l’objet d’une politique de renouveau des stations d’épuration.

- Autre revendication majeure : l’instauration d’une écotaxe comme il en existe déjà aux Baléares et qui, selon les locaux, constitue le seul moyen d’entretenir un cadre de vie acceptable pour tous les habitants et les touristes.

- Enfin, les Canariens réclament la mise en place d’un moratoire sur les résidences de vacances et la régulation de l’achat de propriétés par des étrangers. De étrangers en vacances, précisent-ils, et pas de modestes exilés politiques fuyant la misère de leur pays.

Des réclamations pour le moins naturelles que leurs luttes parviennent de temps à temps à gagner. Ainsi, un projet de Cité du cinéma proche des dunes de sable de Fuerteventura a été annulé in extremis.

Et, les autorités s’alarment bel et bien aujourd’hui devant la pression mise par la presse internationale sur le tourisme canarien, allant jusqu’à se demander s’il faudrait ou pas boycotter la destination. Ce qui pénaliserait grandement l’archipel dont les Britanniques sont les premiers clients !

On change le récit !

Si la nécessité de changer de modèle ne fait plus mystère, notamment pour les destinations désignées à la vindicte populaire, cette nécessité est d’autant plus urgente que les mentalités changent dans notre monde en transition géopolitique et économique où le bipolarisme d’hier ne règne plus.

Le tourisme comme tous les secteurs d’activités est d’autant plus touché qu’il est montré du doigt et désigné comme le coupable idéal de cette dégradation permanente de la planète.

Notamment à cause de ses flux aériens qui ne ralentissent pas et ambitionnent de doubler dans les années à venir. Sans que pour autant, ils soient compensés par l’arrivée de nouveaux appareils plus économes en émissions de CO2.

Notamment encore, à cause d’un discours double et contradictoire qui consiste à s’extasier sur les projets grandioses de l’Arabie Saoudite et en même temps à vanter les « mesurettes » prises par certaines destinations pour faire reculer la pression touristique.

Amsterdam interdit de nouveaux hôtels ! La presse est sur le pont et crie victoire. Venise fait payer une taxe d’entrée. dans le centre-ville et il n’est pas un média qui ne s’extasie pas sur une stratégie dont tout le monde sait qu’elle est une hypocrisie de plus pour déjouer les risques de sortir du classement du patrimoine mondial de l’Unesco !

L’opinion est donc bien prise en otage par des discours contradictoires peu réfléchis et pensés à leur juste mesure. Et c’est cela que combattent aussi les activistes des Canaries qui feront très probablement des émules tant l’urgence est grande.
Nous y reviendrons…

Sources : eldiario.es ; El Pais ; El Mundo ; RFI ; BFM

Josette Sicsic - DR
Josette Sicsic - DR
Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.

Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.

Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com

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