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Madagascar Airlines : le plan "Phénix 2030" se précise🔑

L’interview de Thierry de Bailleul, CEO Madagascar Airlines


Air Madagascar, rebaptisée récemment Madagascar Airlines n’est plus que l’ombre d’elle-même après des années difficiles dont celles liées au Covid. TourMaG fait le point avec Thierry de Bailleul qui a pour mission depuis le mois de décembre 2022 de faire renaitre, tel un phénix, le transporteur malgache. Son plan « Phénix 2030 » est un véritable défi, une mission intense, mais exaltante pour redonner des ailes à la compagnie nationale, moteur essentiel pour le développement du territoire.


Rédigé par le Vendredi 12 Avril 2024

Madagascar Airlines : le plan Phénix prévoit en première phase de restaurer la flotte ATR - Photo montage avec Depositphotos Auteur pierivb
Madagascar Airlines : le plan Phénix prévoit en première phase de restaurer la flotte ATR - Photo montage avec Depositphotos Auteur pierivb
Embarqué dans la reconstruction presque intégrale d’Air Madagascar, le plan de Thierry de Bailleul, nouveau CEO de la compagnie malgache rebaptisée Madagascar Airlines commence à se concrétiser.

Deux étapes majeures ont été franchies : obtenir la confiance des pouvoirs publics et, tout aussi important, obtenir l’aide d'institutions financières avec un plan de vol sérieux et rigoureux pour un retour à la rentabilité.

Suspension des vols long-courriers, abandon de contrats dispendieux, retour au sein de IATA, investissements et partenariats, Thierry de Bailleul, que nous avons rencontré à Paris, a désormais les coudées franches pour faire revivre et prospérer la compagnie.

TourMaG - Vous avez exercé des responsabilités dans de nombreuses compagnies aériennes renommées : Air France, Qatar, Emirates pour accompagner et développer la croissance. Avec Madagascar Airlines, la mission est plus difficile. C'est un véritable challenge : redresser une compagnie qui va mal ?

Thierry de Bailleul : Oui, et cette mission est le fruit, je dirais, d’inspirations personnelles et d’opportunités.

Vous l’avez rappelé, j’ai servi dans de grandes compagnies : Air France – KLM au moment de la fusion, un moment passionnant et puis Emirates, et une parenthèse dans le monde du vin avant d’être appelé par Thierry Antinori chez Qatar Airways pour occuper le poste de Vice-Président Europe en 2020 basé à Londres… et en plein Covid.

Une période très particulière avec des obligations de réduction d’effectifs et aussi beaucoup de choses assez inédites que je n’avais jamais faites.

Mais en même temps j’avais cette envie qui vient lorsqu’on a fait un peu le tour des grandes entreprises, de connaitre un peu d’adrénaline et de frissons dans ma carrière.

Je ne suis pas allé les chercher. J’ai été contacté par l’entourage du Président de la République de Madagascar, Andry Rajoelina, qui est venu me chercher.

J’ai pris une période de réflexion durant quelques mois et de nouveau le Président a souhaité me rencontrer ici à Paris à l’endroit où nous sommes.

Nous nous sommes entretenus pendant deux heures. "Est-ce que la mission vous intéresse ?" m’a demandé le Président à la fin de notre rencontre.

J’ai dit oui avec une formule qui m’est sortie spontanément : "La mission m’intéresse et je pense que nous pouvons faire renaître ce phénix de ses cendres."

J’ai alors senti une émotion passer chez lui et dès le lendemain j’ai reçu confirmation de ma mission.


TourMaG - Nous étions à quelle date à ce moment précis ?

Thierry de Bailleul : Nous étions en septembre 2022 et depuis c’est un vrai parcours d’obstacles.

Air Madagascar : c’est 20 millions de dollars de perte tous les ans depuis 20 ans.

En 2021, le Covid a mis la compagnie à genou. Elle est entrée en règlement judiciaire et une nouvelle compagnie a été créée : Madagascar Airlines, fusion entre les deux anciennes compagnies, Air Madagascar pour l’international et Tsaradia pour le domestique.

En 2022, cette nouvelle compagnie est partie sur un modèle économique voué à l’échec.

Pas de long-courrier dans un premier temps

Thierry de Bailleul, CEO Madagascar Airlines - DR Air Mada
Thierry de Bailleul, CEO Madagascar Airlines - DR Air Mada
TourMaG - Une des mesures très concrètes et radicales que vous avez tout de suite décidées, c’est de stopper le secteur long-courrier.

Thierry de Bailleul : Oui cela a été un peu plus compliqué.

Effectivement, les vols long-courriers effectués en ACMI, coutaient une fortune.

Lorsque je suis arrivé à la fin du premier exercice fin 2022, j'ai constaté 24 millions de pertes, dont 20 sur long-courrier sur 9 mois.

Des pertes énormes qui impactaient aussi le réseau domestique. L’argent manquait pour financer des programmes de maintenance.

Nous nous sommes retrouvés avec seulement deux ATR en état de vol.

Au bord d’une nouvelle cessation de paiement, j’ai donc dû convaincre le Président et également aller contre l’avis de la présidente du conseil d’administration pour arrêter tout cela.

Mon projet et la priorité depuis le départ, c’était de faire le ménage, restructurer et rénover la flotte ATR, remettre les avions en état ou en faire venir de nouveaux.


TourMaG - Des avions de plus grande capacité que les ATR pour le moyen-courrier ?

Thierry de Bailleul : Il y a eu cette idée des jets régionaux les Embraer. Sur le moment je n’ai pas dit non. Mais j’ai été clair avec le gouvernement. Pour que cela soit viable, il faudra baisser le prix du kérosène de 20 à 30%.

Le carburant à Madagascar est très cher. C’est un monopole de Total énergies.

Maintenir un tel niveau de prix avec des jets qui consomment plus ne rendait pas viable leur exploitation.

Le gouvernement n’arrivant pas à faire baisser le prix du carburant, j’ai abandonné l’idée de jet pour que nous nous recentrions sur les ATR.


TourMaG - Quitte à ne pas aller sur des destinations qui nécessiteraient un jet comme La Réunion ?

Thierry de Bailleul : Oui.

Il faut bien comprendre que l’État malgache ne peut plus contribuer financièrement au financement de la compagnie pour des raisons de priorités.

Soutien de la banque mondiale

TourMaG - D’où vont venir alors les financements ?

Thierry de Bailleul : J’ai eu plusieurs rendez-vous avec la Banque Mondiale. Je leur ai présenté mon projet, en étant très transparent avec eux. Ils ont compris que je voulais remettre de l’ordre dans cette compagnie.

Maintenant que le changement de gouvernance est fait, la Banque Mondiale va entrer dans le jeu.

Le gouvernement a approuvé le plan que j’ai baptisé « Phénix 2030 ». J’ai les coudées franches à présent.

Une délégation de la Banque Mondiale a donc débarqué à Tananarive le 15 novembre dernier avec une question "Que peut-on faire pour vous ?".


TourMaG - Quels axes de développement leur avez-vous présentés ?

Thierry de Bailleul : J’ai donné des précisions : restructurer d’abord le secteur domestique, arrêter des locations d’avions que nous louions à deux ou trois fois le prix du marché et renégocier les contrats de leasing, refaire de la maintenance préventive, reconstituer nos stocks de pièces et d’équipements. Assainir en fait.

Mon plan s’appuie aussi sur une re-digitalisation de l’entreprise qui n’avait pas investi dans ce domaine depuis 20 ans.

J’ai fait venir Yvon Quérou, un ancien de HOP! et d’Air France, qui a de grandes qualités et qui a lancé la digitalisation.

Nous sommes revenus dans IATA depuis quelques semaines. Nous sommes donc redevenus membres de IATA, membre du BSP et du IATA Clearing House.

Désormais nous allons pouvoir rentrer tout de suite sur 10 marchés, dont la France, l’Allemagne, l’Italie. Il va y avoir un canal de vente supplémentaire qui va « débouler ».

Aussi nous étions sur deux GDS. J’ai tranché et nous avons tout migré sur Amadeus.


TourMaG - Vous allez donc tirer vos revenus dans un premier temps des vols intérieurs, mais comment faire voyager des gens dans un pays ou 80% de la population vit sous le seuil de pauvreté ?

Thierry de Bailleul : C’est un pays de 30 millions d’habitants. Si vous n’avez ne serait-ce que 2 millions de personnes qui ont un potentiel de voyage c’est fiable.

Mais aujourd’hui, on ne transporte que 300 000 personnes par an. La vérité, c’est que les gens ne voyagent pas, car ils ont perdu confiance dans la compagnie.

Il y a donc, dans la population locale, un gisement gigantesque. Également, nous n’étions pas au BSP. Nous n’étions donc que très peu vendus par les marchés extérieurs.

Madagascar Airlines : des Alliances ?

TourMaG - Qatar Airways, compagnie dans laquelle vous avez exercé des fonctions, devrait pouvoir bientôt desservir Madagascar. Y êtes-vous pour quelque chose ?

Thierry de Bailleul : Tout cela est en discussion. On parle avec Qatar, mais aussi avec Emirates avec laquelle nous avons aussi un accord bilatéral.

Aujourd’hui le gouvernement n’a pas tranché. Les discussions ne sont pas terminées.

À l’heure actuelle et concernant Qatar, il s’agit pour l’instant d’un MOU, un Mémorandum Of Understanding.

Il doit y avoir des accords commerciaux avec chaque nouvel entrant. Mon rôle est aussi de nouer des accords commerciaux avec des compagnies aériennes qui font du long-courrier puisqu’aujourd’hui nous ne sommes pas sur ce segment.

Mais ce que nous pouvons amener à ces compagnies aériennes c’est notre réseau intérieur.


TourMaG - Air France est là aussi et sera quotidien sur Madagascar cet été...

Thierry de Bailleul : Nous discutons avec Air France. L’intérêt du tourisme c’est d’avoir une saine concurrence entre plusieurs opérateurs.

Il y a à Madagascar un potentiel touristique véritablement gigantesque. La volonté du gouvernement est de booster le tourisme de manière très forte. Passer de 300 000 actuellement à 1 million de touristes d’ici 2028. Nous voulons accompagner cette volonté politique.


TourMaG - Quand envisagez-vous votre retour au long courrier ?

Thierry de Bailleul :Notre plan d’investissement est de 57 millions de dollars. Il inclut à ce jour principalement la digitalisation, et la rénovation de la flotte moyen-courrier.

Cela n’inclut pas le long courrier qui sera financé dans une phase 2.

La Banque Mondiale a mis plusieurs conditions et notamment celle d’envisager le financement du long-courrier quand nous leur aurons prouvé que l’on peut gagner de l’argent sur le domestique.

Je suis parfaitement d’accord avec cette approche. C’est du bon sens.

Nous sommes dans un pays où beaucoup de choses peuvent arriver même dans une situation ou à l’évidence nous pouvons gagner de l’argent de par notre situation de monopole.

Nous sommes dans une industrie fragile, très exposée à la concurrence. La moindre faute de gestion et c’est la sortie de route.

À la recherche de partenaires financiers

TourMaG - Vous nous parlez de la Banque Mondiale qui va financer le projet, mais cherchez vous d’autres investisseurs ?

Thierry de Bailleul : La Banque Mondiale est prête à nous accompagner dans la durée. Ils ne viennent pas « faire un coup » pour nous lancer simplement et s’en aller.

Ils sont là sur la durée, car Madagascar Airlines fait partie d’un projet plus global qui est la relance économique de l’île qui passe nécessairement par la compagnie aérienne, un élément essentiel de l’aménagement du territoire. Elle sera aussi utile au développement du tourisme, un des moteurs de la croissance sur l’île qui a besoin d’un réseau domestique puissant.

Notez qu’il est très rare que la Banque Mondiale accompagne une compagnie aérienne. Nous sommes un peu l’exception.

Cela nous donne de la visibilité, une certaine assise et un cadre strict de gestion dont je me félicite.

Pour répondre à votre question, la Banque Mondiale n’a pas vocation à rester « ad vitam ».

Nous avons un business plan où nous montrons que l’on gagnera de l’argent en 2025 et nous pourrions même nous auto-financer en 2026. Une situation intéressante pour d’éventuels investisseurs.

Il faut, je pense commencer à faire appel dès à présent pour préparer l’avenir, et avoir des relais de financement.

Notre trajectoire est claire et avec le potentiel qu’il y a dans l’île, il est tout à fait possible de gagner de l’argent.

Nous avons également accumulé 40 millions de dettes. Elle doit être résorbée.

Nous pourrions le faire nous même, mais sur du long terme. Nous avons donc besoin d’un prêt ou d’un partenaire financier qui accepte de rentrer au capital pour payer les créanciers et se payer par dividende. Nous avons des idées à ce sujet.

Quel modèle pour le long-courrier ?

TourMaG - À terme et si tout va bien, avez-vous déjà envisagé quel serait le type d’appareil long-courrier que vous pourriez opérer aux couleurs de Madagascar Airlines ?

Thierry de Bailleul : Pour l’aéroport de Tananarive, il y a deux types d’avions qui « passent ». C’est un aéroport en altitude, avec des températures extrêmes à certains moments qui limitent l’emport de charge, une piste courte et des obstacles naturels tels que des collines tout autour. La totale.

Dans ces conditions, les avions les plus intéressants seraient l’A330-200 et le B787 – 8 ou 9.

Sur le marché de l’occasion, il y a des A330 en excellent état à des prix très intéressants.


TourMaG - Comment envisagez-vous de commercialiser les vols long-courriers ? Plutôt sur un modèle French Bee à vocation éco et éco premium ou un modèle Air Caraïbes avec de la business ?

Thierry de Bailleul : C’est un peu tôt pour arrêter une décision à ce sujet. Nous avons déjà à restructurer le moyen-courrier.

Cependant si nous devions reprendre le long-courrier en 2026 après avoir démontré notre capacité à être "dans le vert", il nous faut y réfléchir. Je pense qu’il y a la place pour un avion bi-classe avec une vraie classe business.

Il y a un trafic business avec beaucoup d’entreprises européennes implantées à Madagascar.

Le tourisme « premium » s’est aussi développé avec un segment tour-operating qui voyage en business.


TourMaG - Il y a donc à terme, des perspectives de recrutements. Vous allez recruter à Madagascar ?

Thierry de Bailleul : Oui. Nous avons nos propres pilotes. Certains qui volaient sur long-courrier vont être reconvertis sur ATR, les avions régionaux.

Il y a une culture d’excellence technique dans la compagnie et c’est un de nos atouts.

Nous avons eu récemment le renouvellement de notre certification IOSA. Malgré les difficultés, les procédures de sécurité des vols ont été parfaitement maintenues.

Un rapport IOSA, c’est plus de 1000 points de contrôle, avec un excellent score qui a impressionné les personnes qui ont mené l’audit.

Six ATR en 2025

TourMaG - Pour l’instant et à ce jour, vous vous concentrez sur le moyen-courrier. Quel est le plan de flotte pour les mois qui viennent ?

Thierry de Bailleul : Nous sommes descendus très bas avec seulement deux ATR, car les autres étaient cloués au sol.

Nous allons remonter à 3 ce mois-ci, à 4 en juillet, à 5 en septembre et à 6 entre fin décembre et avril.

Nous serons donc à 6 appareils en avril 2025 avec environ 280 vols par semaine.

Et si nos plans se déroulent bien, il n'y a aucune raison qu’on ne se développe pas encore plus sur notre réseau moyen-courrier.

Mais chaque chose en son temps. Nous venons de très loin. Nous devons avancer pas à pas. Il faut que la culture interne de l’entreprise évolue pour aller vers une culture de la performance.


TourMaG - 2025 est donc une année décisive ?

Thierry de Bailleul :Il y a cette année des étapes très importantes. Dès les mois de juillet et août, nous devrons avoir une amélioration sensible dans la qualité de l’exploitation.

Avoir une excellence opérationnelle avec des avions qui tournent, ce qui nous permettra alors de mieux mettre en avant le produit.

Nous allons redonner des uniformes à tout le monde. C’est un beau symbole. Nous allons remettre à neuf les agences en ville et dans les provinces et un tout nouveau site web va sortir en septembre.


TourMaG - Pour finir, vous qui êtes un bon connaisseur de l’aérien. Vous voyez les difficultés de certaines compagnies françaises qui desservent l’Outre-mer. Marc Rochet dans nos colonnes, recommandait de fortes synergies pour ne pas dire plus entre ces compagnies, notamment celles qui opèrent au départ d’Orly. Qu’en pensez-vous ?

Thierry de Bailleul : Ce sont des dossiers difficiles avec des dimensions politiques, mais je suis d’accord avec cette vision. Il y a une réalité économique. Des alliances très fortes entre ces compagnies sont, je le crois nécessaires.

Christophe Hardin Publié par Christophe Hardin Journaliste AirMaG - TourMaG.com
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