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Réassurance publique : où en est le fonds de garantie des opérateurs de voyages et de séjours ? 🔑

Entretien avec Antoine Quantin, directeur des réassurances et des fonds publics de CCR


Officiellement en place depuis le 1er janvier 2022, le nouveau fonds de garantie des opérateurs de voyages et de séjours doit jouer, durant deux ans, le rôle de réassureur - avec la garantie de l'Etat - pour les principaux garants financiers du secteur du tourisme. L'APST, Groupama et Atradius y ont souscrit. A eux trois, ils représentent plus de 90% du marché de la caution des opérateurs de voyage en France. Le fonds, lui, sera géré par la Caisse Centrale de Réassurance (CCR). Mais quelle sera la mission exactement de cet organisme ? Nous avons fait le point avec Antoine Quantin, directeur des réassurances et des fonds publics de CCR. Interview.


Rédigé par le Mardi 22 Février 2022

Antoine Quantin : "Nous sommes encore en phase d'initialisation. Nous recevrons les premiers comptes dans le courant du mois d’avril" - DR : CCR
Antoine Quantin : "Nous sommes encore en phase d'initialisation. Nous recevrons les premiers comptes dans le courant du mois d’avril" - DR : CCR
TourMaG.com - Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots les missions principales de la Caisse Centrale de Réassurance (CCR) ? Quelle est la différence avec CCR Re ?

Antoine Quantin :
Notre métier, c'est la réassurance - c'est-à-dire l’assurance des assureurs - dans de nombreux secteurs.

Que ce soit en assurance dommages aux biens, assurance-vie, assurance de responsabilité civile... les assureurs font appel à la réassurance pour se couvrir face à des risques extrêmes et exceptionnels afin de lisser leurs résultats.

La CCR a la particularité d'être une société anonyme détenue à 100% par l’État français, créée en 1946, avec des missions qui ont évolué.

Le Groupe CCR compte aujourd’hui deux grandes activités : d'abord une activité - via la CCR pour le compte de l’État français - de réassurance publique avec la garantie de l’État, mais aussi de gestion de fonds publics ainsi que des missions d'études pour des entités publiques, tels les ministères.

Tandis qu'avec la filiale CCR Re, nous proposons de la réassurance de marché, en France, mais surtout à l'international dans un environnement concurrentiel.

Catastrophes naturelles, terrorisme, nucléaire... et tourisme

TourMaG.com - Quelle est votre principale activité ?

Antoine Quantin :
Il s'agit de la couverture des catastrophes naturelles. Cette mission de réassurance publique a été confiée par l’État à la CCR, depuis la loi de 1982, qui oblige les assureurs à couvrir ces risques en France. En contrepartie, les assureurs ont la possibilité de se réassurer auprès de CCR.

Il s'agit d'une mission pérenne qui représente 90% de notre chiffre d’affaires.

En parallèle, nous intervenons sur d'autres types de risques, notamment de terrorisme (pour l'indemnisation des dommages matériels, et non corporels indemnisés, eux, par le Fonds de Garantie des Victimes (FGTI), ndlr).

Ce sont des types de risque exceptionnels, pour lequel le marché privé de l'assurance et de la réassurance n'est pas optimal : soit il n'y a pas de capacité financière disponible, soit il y a des capacités disponibles, mais elles ne permettent pas de couvrir de façon adéquate le risque.

Par exemple, sans le régime « cat nat », certaines personnes seraient couvertes pour les catastrophes naturelles, mais d'autres ne trouveraient pas de contrat d'assurance, et d’autres encore trouveraient de l’assurance mais à des prix prohibitifs. Ce régime permet d’assurer la solidarité nationale face aux CatNat.

TourMaG.com - A côté de ces missions pérennes et historiques que sont la réassurance pour les catastrophes naturelles et le terrorisme, la CCR se voit également confier des missions nouvelles. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Antoine Quantin :
L’État peut nous confier de nouvelles missions, comme cela a été le cas au 1er janvier 2022, dans la dernière loi de Finances, où il a modifié la garantie qu'il nous accordait pour couvrir le risque nucléaire. Un nouveau dispositif que nous sommes en train de mettre en place.

Nous pouvons également être amenés à intervenir de façon plus ponctuelle, comme cela a été le cas pour la réassurance des assureurs-crédit au moment de la crise financière de 2008 et à nouveau au moment de la crise sanitaire liée au Covid, pour maintenir le crédit inter-entreprises.

En effet, compte tenu du risque de défaut des entreprises, il y avait un risque que les assureurs-crédit, pour assurer leur solvabilité, se désengagent très rapidement du crédit inter-entreprise et que finalement les entreprises ne trouvent plus le moyen de se financer, ni de se couvrir contre le risque de défaut de leurs clients.

Ce dispositif de réassurance a donc permis de maintenir le niveau des encours des assureurs-crédits et à l’économie de continuer à bien fonctionner. Ce dispositif renforce la résilience de l’économie à l’initiative du gouvernement.

Un dispositif rapidement mis en place

TourMaG.com - Comment vous organisez-vous à chaque fois qu'une nouvelle mission vous est confiée ?

Antoine Quantin :
Du fait de nos missions pérennes, nous avons des équipes qui sont des professionnels de la réassurance et sur lesquelles nous nous appuyons pour mettre en place ces dispositifs. Cela nous permet d'être réactifs au service de l’intérêt général.

Nous pouvons parfois nous faire accompagner par d'autres personnes quand il s'agit vraiment de nouvelles branches sur lesquelles nous avons moins d’expérience.

TourMaG.com - Vous évoquiez également une activité de gestion des fonds publics. Qu'en est-il ?

Antoine Quantin :
Nous gérons plusieurs fonds publics, comme le Fonds National de Gestion des Risques en Agriculture (FNGRA) pour couvrir les pertes de récoltes des agriculteurs.

Nous couvrons également le Fonds de Compensation des Risques de l’Assurance de la Construction (FCAC), le Fonds de Garantie des Risques liés à l’Epandage agricole des boues d’épuration urbaines et industrielles (FGRE) mais encore le Fonds de garantie des dommages consécutifs à des Actes de Prévention, de Diagnostic ou de Soins dispensés par des professionnels de santé (FAPDS).

Il ne s'agit pas à proprement parler de réassurance, et cette activité est exercée par délégation de l’Etat et de manière séparée des comptes de la CCR.

Pour autant, il y a un certain nombre de points communs, car ces fonds ont aussi souvent vocation à combler ou à aider à combler une carence du marché.

Alimentés par un certain nombre de ressources, ces fonds vont permettre d'indemniser des victimes ou de financer des actions de prévention, selon leur vocation.

TourMaG.com - Venons-en au nouveau fonds de garantie des opérateurs de voyages et de séjours (FGOVS) qui est géré par la CCR. Comment a-t-il été mis en place ?

Antoine Quantin :
Cela s’apparente un peu à ce qui a été fait pour l'assurance-crédit, en terme de structure, devant les difficultés rencontrées par le secteur du tourisme face à la crise du Covid.

Il y a d'abord eu des premières discussions entre les garants financiers et le ministère de l’Économie et des Finances. Puis nous sommes intervenus dans les discussions au dernier trimestre 2021.

Nous avons pu mettre en place relativement rapidement ce dispositif. D'autant plus que certains des garants financiers du tourisme opèrent également en assurance-crédit, ce qui a permis de faciliter la mise en place de la couverture.

Je rappelle que ce dispositif est commun à l'ensemble des acteurs, nous ne faisons pas du sur-mesure.

Précisons aussi que l’État a fait le choix d'intervenir via un fonds public pour pouvoir inclure les associations professionnelles, comme l’APST. En effet, la réassurance publique est destinée à couvrir les assureurs qui doivent être agréés par l'autorité de contrôle du secteur de l'assurance.

Dans le cas des garants financiers opérant dans le tourisme, tous n'ont pas le statut d’assureur et donc l’État a fait le choix d'un fonds public. Mais les mécanismes sont quasiment identiques.

"Nous prenons en charge 75% de leurs sinistres"

TourMaG.com - Lancé le 1er janvier 2022, il est mis en place pour deux ans, jusqu'au 31 décembre 2023. Pourrait-il être prolongé après cette échéance ?

Antoine Quantin :
La loi de finances le prévoit pour deux ans et si ce fonds devait être prolongé, il faudrait une nouvelle disposition législative. Nous n'aurons pas la possibilité sans habilitation de prolonger le dispositif.

TourMaG.com - Comment se passent les échanges entre la CCR et les garants financiers, notamment en cas de sinistres ?

Antoine Quantin :
Au 1er janvier 2022, trois garants financiers ont souscrit à cette garantie. A eux trois, ils représentent plus de 90% du marché de la caution des opérateurs de voyage.

Ils ont adhéré à un système de réassurance en « quote part » : ils cèdent 75% de leurs risques, en nous rétrocédant 75% de leurs primes. En contrepartie, nous prenons en charge 75% de leurs sinistres.

Ainsi, nos relations vont être régulières, notamment en termes comptables, puisque tous les trimestres, les garants nous verseront 75% des primes qu'ils collectent.

TourMaG.com - Ces primes collectées entrent-elles dans votre chiffre d'affaires ?

Antoine Quantin :
La particularité des fonds publics est qu'ils font l’objet d'une comptabilité séparée de celle de CCR. Ce n'est pas du chiffre d’affaires pour CCR, c'est logé directement dans le fonds.

TourMaG.com - Que deviendra l'argent versé dans le fonds de garantie des opérateurs de voyages et de séjours au bout de deux ans, s'il n'a pas été totalement utilisé ?

Antoine Quantin :
Tout ne s'arrêtera pas au bout de deux ans, puisqu’il peut y avoir des sinistres tardifs. Mais à la fin, nous ferons le bilan et l’État décidera de ce qu'il fait des éventuelles sommes restantes.

Des reportings détaillés demandés aux garants

TourMaG.com - Sur les 75% de primes perçues, une partie est reversée aux garants financiers (35%) au titre des frais de gestion...

Antoine Quantin :
Oui, étant donné que dans le cadre de cette réassurance nous n'avons pas de contact direct avec les assurés et que ce sont les garants qui ont en charge la gestion en direct des contrats.

Cela ne nous empêche pas d'avoir un droit de contrôle en cas de sinistre, mais nous n’avons pas la gestion au cas par cas de chaque dossier.

TourMaG.com - Une partie des réserves du fonds ont-elles déjà été constituées ?

Antoine Quantin :
Nous sommes encore en phase d'initialisation, puisque le fonds a été officiellement créé au 1er janvier 2022.

Nous recevrons les premiers comptes dans le courant du mois d’avril. L’État peut, de son côté, via l'intermédiaire du ministère de l’Économie et des Finances, reverser une avance et je pense que cela interviendra dans les prochaines semaines. Ce seront là les deux principales ressources de ce fonds.

TourMaG.com - Le montant maximal de couverture est fixé par le décret paru dans la loi de Finances, à 1,5 milliard d'euros de pertes finales. Savez-vous comment ce montant a-t-il été évalué ?

Antoine Quantin :
L'État a regardé l'encours maximum, au cœur de la crise Covid, et l'exposition des garants financiers. Cela lui a servi de point de repère pour fixer ce montant.

TourMaG.com - De votre côté, connaissez-vous le montant du risque global porté par les garants financiers ayant souscrit au fonds ?

Antoine Quantin :
En lien avec ce dispositif, les garants financiers doivent nous adresser tous les mois un reporting dans lequel ils listent leurs expositions, afin que nous ayons une vision précise de l'exposition maximale théorique.

TourMaG.com - Avez-vous établi un « prévisionnel » pour l'année 2022, compte tenu du contexte financier dégradé de solvabilité des entreprises ?

Antoine Quantin :
Nous faisons bien entendu des exercices de projection, mais nous sommes dans une situation tellement exceptionnelle, il y a tellement d'incertitudes que toute prévision pourrait être très vite démentie.

Nous allons plutôt nous appuyer sur les reportings assez détaillés demandés aux garants pour avoir un suivi de la situation, non pas en temps réel, mais assez régulier pour anticiper les besoins. Notamment, si l’État est obligé d'abonder le fonds, nous devrons le prévenir suffisamment en avance.

TourMaG.com - En cas de sinistre, à quel moment la CCR intervient-elle ?

Antoine Quantin :
Nous n'allons pas débloquer les fonds de façon anticipée, sur la base de l'estimation du coût total du sinistre ; mais au moment de la réception des comptes, sur la base des paiements effectifs.

Et ceci de façon « cadencée », au fur et à mesure des besoins effectifs du garant.

LIRE AUSSI : Réassurance publique : Groupama et Atradius ont souscrit au fonds de garantie tourisme

Anaïs Borios Publié par Anaïs Borios Journaliste - TourMaG.com
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