"Tant que d’autres modèles n’auront pas émergé, il est injuste d’attendre des jeunes qu’ils soient les seuls à se passer d’avion, alors qu’ils n’ont pas encore “profité”" selon Garance Bazin (Anthropologue) - Depositphotos @zrieds
TourMaG.com - Finalement, malgré les soi-disant convictions des nouvelles générations, l’imaginaire autour du voyage ne change pas vraiment par rapport à celui de leurs parents ?
Garance Bazin : Avoir des convictions ne permet pas forcément de révolutionner un modèle bien ancré qui nous est antérieur. Ce qui a perdu du terrain, c’est l’insouciance.
Même les plus adeptes de l’avion ne pourront pas ignorer longtemps les conséquences de notre modèle actuel, même s’ils ne changent pas forcément leurs pratiques.
Selon une étude du CREDOC en 2019, “75 % des 15-24 ans pensent que les conditions de vie deviendront extrêmement pénibles si le réchauffement continue”.
A lire : Les influenceurs "représentent une faille inestimable pour les lobbys aériens"
Nous avons plutôt l’impression d’assister à ce que les Anglo-saxons appellent un “fuck it moment”, c'est-à-dire une impulsion à tout envoyer balader malgré les conséquences, face, ici la peur d’un effondrement climatique.
L’imaginaire et ce qui est vu comme désirable dans le voyage ont peu évolué. Mais pour s’y conformer, les jeunes générations savent qu’ils abiment l'environnement.
On voit une approche nihiliste pessimiste émerger, à base de discours comme “de toute façon on est tous foutus, autant profiter tant qu’on le peut”. Les convictions ne sont pas toujours suffisantes pour s’extraire du modèle valorisé socialement, malgré son coût environnemental.
Saskia Cousin : Rappelons que 90% de la population mondiale ne prend pas l’avion.
Les générations dont nous parlons font partie, comme nous trois, d’une infime classe mondiale extrêmement privilégiée, notamment par la force de son visa.
Garance Bazin : Avoir des convictions ne permet pas forcément de révolutionner un modèle bien ancré qui nous est antérieur. Ce qui a perdu du terrain, c’est l’insouciance.
Même les plus adeptes de l’avion ne pourront pas ignorer longtemps les conséquences de notre modèle actuel, même s’ils ne changent pas forcément leurs pratiques.
Selon une étude du CREDOC en 2019, “75 % des 15-24 ans pensent que les conditions de vie deviendront extrêmement pénibles si le réchauffement continue”.
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L’imaginaire et ce qui est vu comme désirable dans le voyage ont peu évolué. Mais pour s’y conformer, les jeunes générations savent qu’ils abiment l'environnement.
On voit une approche nihiliste pessimiste émerger, à base de discours comme “de toute façon on est tous foutus, autant profiter tant qu’on le peut”. Les convictions ne sont pas toujours suffisantes pour s’extraire du modèle valorisé socialement, malgré son coût environnemental.
Saskia Cousin : Rappelons que 90% de la population mondiale ne prend pas l’avion.
Les générations dont nous parlons font partie, comme nous trois, d’une infime classe mondiale extrêmement privilégiée, notamment par la force de son visa.
Tourisme : "Ce qui est inquiétant, c’est l'incapacité à prendre en compte le désastre qui s’annonce"
TourMaG.com - Qui faut-il blâmer : les influenceurs ou la société ?
Garance Bazin : Les influenceurs sont des produits de la société comme nous tous, ils ne s’inscrivent pas en dehors de la structure dont nous sommes tous issus.
La société produit des normes, qui sont reprises par les individus. Nous ne pouvons pas blâmer uniquement les influenceurs, qui ne sont que les visages de valeurs et de normes diffusées à grande échelle.
Pour aller vers un modèle plus soutenable, les normes doivent changer. Et les influenceurs changeront également en conséquence.
Cela a d’ailleurs déjà commencé, avec des communautés qui n’acceptent plus toujours le surplus de partenariats polluants, et des figures du déplacement vertueux qui prennent en notoriété, comme Louane Man Show ou Tolt en Voyage.
TourMaG.com - Devons-nous nous inquiéter quant à l’avenir du tourisme ?
Garance Bazin : Nous espérons que l'étude encourage une réflexion sur nos imaginaires et ce pourquoi nous voyageons, en allant à terme vers un modèle soutenable.
Saskia Cousin : Tout dépend de ce qu’on entend par "tourisme", et aussi et surtout tout dépend de ce qui nous inquiète.
S’il s’agit de l’avenir de l’industrie du tourisme, ce qui est inquiétant, de mon point de vue, c’est son incapacité à prendre en compte le désastre qui s’annonce. Elle en sera responsable mais aussi victime.
Si par tourisme, on désigne les pratiques de loisirs, de vacances, de découvertes et d’aventure, l’immense majorité des humains, dont les Français sont en réalité assez peu concernés par ces vols internationaux.
"Il est injuste d’attendre des jeunes qu’ils soient les seuls à se passer d’avion"
TourMaG.com - Est-ce que les jeunes générations ne sont pas dans un comportement proche de la dissonance cognitive ? Je veux protéger la planète, mais j’ai envie de profiter…
Garance Bazin : C’est une partie du problème.
Les normes de prestige social autour du voyage sont anciennes et promeuvent un modèle polluant.
Tant que d’autres modèles n’auront pas émergé, il est injuste d’attendre des jeunes qu’ils soient les seuls à se passer d’avion, alors qu’ils n’ont pas encore "profité".
D’autant plus quand les générations plus âgées ont déjà profité et continuent à voyager par ce biais sans se poser de questions.
Saskia Cousin : Il est tout à fait normal de vouloir voyager, allez voir de l’autre côté de la colline si l’herbe est plus verte.
Comme les vacances estivales sont la forme moderne des moissons d’antan, le moment où nous récoltons le fruit de son labeur. Le voyage est un rite d’initiation fondamental dans le passage à l’âge adulte – commun à toutes les sociétés humaines dans l’espace et dans le temps.
Le problème n’est pas la volonté de profiter de sa jeunesse pour découvrir le monde. Mais la manière dont l’industrie marchande a colonisé les imaginaires en imposant la norme aérienne. L’enjeu est donc de créer, partager d’autres imaginaires du voyage.
Garance Bazin : C’est une partie du problème.
Les normes de prestige social autour du voyage sont anciennes et promeuvent un modèle polluant.
Tant que d’autres modèles n’auront pas émergé, il est injuste d’attendre des jeunes qu’ils soient les seuls à se passer d’avion, alors qu’ils n’ont pas encore "profité".
D’autant plus quand les générations plus âgées ont déjà profité et continuent à voyager par ce biais sans se poser de questions.
Saskia Cousin : Il est tout à fait normal de vouloir voyager, allez voir de l’autre côté de la colline si l’herbe est plus verte.
Comme les vacances estivales sont la forme moderne des moissons d’antan, le moment où nous récoltons le fruit de son labeur. Le voyage est un rite d’initiation fondamental dans le passage à l’âge adulte – commun à toutes les sociétés humaines dans l’espace et dans le temps.
Le problème n’est pas la volonté de profiter de sa jeunesse pour découvrir le monde. Mais la manière dont l’industrie marchande a colonisé les imaginaires en imposant la norme aérienne. L’enjeu est donc de créer, partager d’autres imaginaires du voyage.
"Les gens ne voyagent pas pour rencontrer d’autres personnes, mais pour se découvrir eux-mêmes"
TourMaG.com - Finalement, le nouveau monde n'est-il pire que l’ancien ?
Garance Bazin : Le nouveau monde tel qu’il est vu sur Instagram n’est pas le vrai monde, et ne dépeint qu’une partie photogénique de la réalité.
Des nouveaux paradigmes émergent lentement, mais sûrement. Et chacun est libre de suivre des personnalités dont la façon de se déplacer est plus proche de la sienne, que ce soit en vélo, train, stop, à pied ou que sais-je.
De nombreux voyageurs ne sont pas sur Instagram et ne suivent pas ce modèle très normé.
De même, nous pouvons espérer que les influenceurs voyages sur la plateforme changent vers une vision plus multiple des destinations, qui intègrent les populations, la langue et la culture, et pas seulement ce qui est joli en photo.
Saskia Cousin : La réduction du monde à quelques images n’est absolument pas nouvelle.
Le pittoresque signifie "ce qui mérite d’être peint" et je ne suis pas spécialement nostalgique des stéréotypes des voyageurs des générations précédentes.
Par ailleurs, l’immense majorité des gens ne voyagent pas pour rencontrer d’autres personnes, mais pour se découvrir eux-mêmes.
Ce n’est pas en soi un problème. Le problème, c’est la manière dont les sociétés d’accueil, et in fine le monde entier peut bénéficier et non pâtir du voyage de quelques-uns.
Garance Bazin : Le nouveau monde tel qu’il est vu sur Instagram n’est pas le vrai monde, et ne dépeint qu’une partie photogénique de la réalité.
Des nouveaux paradigmes émergent lentement, mais sûrement. Et chacun est libre de suivre des personnalités dont la façon de se déplacer est plus proche de la sienne, que ce soit en vélo, train, stop, à pied ou que sais-je.
De nombreux voyageurs ne sont pas sur Instagram et ne suivent pas ce modèle très normé.
De même, nous pouvons espérer que les influenceurs voyages sur la plateforme changent vers une vision plus multiple des destinations, qui intègrent les populations, la langue et la culture, et pas seulement ce qui est joli en photo.
Saskia Cousin : La réduction du monde à quelques images n’est absolument pas nouvelle.
Le pittoresque signifie "ce qui mérite d’être peint" et je ne suis pas spécialement nostalgique des stéréotypes des voyageurs des générations précédentes.
Par ailleurs, l’immense majorité des gens ne voyagent pas pour rencontrer d’autres personnes, mais pour se découvrir eux-mêmes.
Ce n’est pas en soi un problème. Le problème, c’est la manière dont les sociétés d’accueil, et in fine le monde entier peut bénéficier et non pâtir du voyage de quelques-uns.
Voyage : "Rendre le proche désirable passe aussi par le rendre accessible"
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TourMaG.com - Est-ce que le tourisme ne risque pas de se faire placardiser par les pouvoirs publics à ne pas vouloir bouger assez vite ?
Saskia Cousin : Ce que je vois aujourd’hui, c’est surtout l’emprise de l’industrie sur les pouvoirs publics.
Si certaines collectivités sont actives depuis longtemps sur les questions sociales et écologiques, à l’échelle nationale, l’abandon des politiques de vacances et l’inféodation à des entreprises qui concernent pourtant peu de citoyens est extrêmement préoccupante.
TourMaG.com - Comment faire bouger les imaginaires, si même les plus jeunes générations n’y arrivent pas ?
Garance Bazin : Il faut promouvoir un tourisme durable et vertueux qui ne soit pas punitif, qui mettent en avant ce qu’on gagne à changer de manière de se déplacer.
Il faut surtout que cela soit accessible à tous. Aujourd’hui il est souvent moins cher d’aller une semaine en Thaïlande que de passer le même temps en Corse. Rendre le proche désirable passe aussi par le rendre accessible.
A lire : Le tågskryt, ou quand le train devient instagrammable...
Il serait bon que les individus les plus admirés ne soient pas les promoteurs d’imaginaires polluants, comme c’est le cas avec des pop stars ou footballeurs qui paradent en jet privé.
A terme les individus seuls ne peuvent pas tout, et face à des acteurs aussi puissants que le milieu aérien et les voyagistes, c’est aux pouvoirs publics de prendre les choses en main et mettre les lois en adéquation avec l’urgence climatique.
Pour cela il faudrait taxer le kérosène comme c’est le cas de l’essence ou de l'électricité, entre autres choses.
Saskia Cousin : La responsabilité est collective, publique et politique.
Nous ne pouvons faire porter aux jeunes générations les conséquences délétères du système et des imaginaires produits par leurs ainés – en particulier ceux qui sont aujourd’hui en responsabilité.
Il faudrait des décisions et organisations des mobilités indépendantes des industries, à l’échelle mondiale, mais aussi à l’échelle des continents ou des pays.
Saskia Cousin : Ce que je vois aujourd’hui, c’est surtout l’emprise de l’industrie sur les pouvoirs publics.
Si certaines collectivités sont actives depuis longtemps sur les questions sociales et écologiques, à l’échelle nationale, l’abandon des politiques de vacances et l’inféodation à des entreprises qui concernent pourtant peu de citoyens est extrêmement préoccupante.
TourMaG.com - Comment faire bouger les imaginaires, si même les plus jeunes générations n’y arrivent pas ?
Garance Bazin : Il faut promouvoir un tourisme durable et vertueux qui ne soit pas punitif, qui mettent en avant ce qu’on gagne à changer de manière de se déplacer.
Il faut surtout que cela soit accessible à tous. Aujourd’hui il est souvent moins cher d’aller une semaine en Thaïlande que de passer le même temps en Corse. Rendre le proche désirable passe aussi par le rendre accessible.
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Il serait bon que les individus les plus admirés ne soient pas les promoteurs d’imaginaires polluants, comme c’est le cas avec des pop stars ou footballeurs qui paradent en jet privé.
A terme les individus seuls ne peuvent pas tout, et face à des acteurs aussi puissants que le milieu aérien et les voyagistes, c’est aux pouvoirs publics de prendre les choses en main et mettre les lois en adéquation avec l’urgence climatique.
Pour cela il faudrait taxer le kérosène comme c’est le cas de l’essence ou de l'électricité, entre autres choses.
Saskia Cousin : La responsabilité est collective, publique et politique.
Nous ne pouvons faire porter aux jeunes générations les conséquences délétères du système et des imaginaires produits par leurs ainés – en particulier ceux qui sont aujourd’hui en responsabilité.
Il faudrait des décisions et organisations des mobilités indépendantes des industries, à l’échelle mondiale, mais aussi à l’échelle des continents ou des pays.