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Tourisme post-covid : "En 2020, nous entrons dans le 21e siècle du tourisme", selon Sophie Lacour

Interview de Sophie Lacour, DG d'Advanced Tourism et chercheuse


La crise sanitaire provoquée par le coronavirus n'est pas encore totalement derrière nous, le virus court toujours et le secteur du tourisme va devoir apprendre à vivre avec lui. Nous avons échangé avec Sophie Lacour, DG du cabinet Advanced Tourism pour faire le point sur l'adaptation que devrait mener l'industrie touristique sous peine de ne pas être au rendez-vous des attentes des clients.


Rédigé par le Mercredi 13 Mai 2020

Pour Sophie Lacour le 21e siècle débute en 2020 et pourrait bien être féminin - DR
Pour Sophie Lacour le 21e siècle débute en 2020 et pourrait bien être féminin - DR
TourMaG.com - Vous êtes l'une des chercheuses et têtes pensantes du tourisme en France. Comment analysez-vous ce que nous vivons depuis maintenant deux mois dans le monde ?

Sophie Lacour :
Je pense que le 21e siècle commence en 2020, car plus rien ne sera comme avant.

Chaque siècle débute d'une manière différente, après un événement marquant. Pour le 20e, ce fut la fin de la 1ère guerre mondiale en 1918, le 19e siècle en 1810 avec Napoléon Ier, etc.

Nous entrons dans le 21e siècle du tourisme. Le 20e fut celui du tourisme de masse, le nouveau sera peut-être celui du souci de l'autre.

TourMaG.com - Vous pensez vraiment que les modes de pensée et de consommation vont changer d'une façon radicale après l'épidémie ?

Sophie Lacour :
J'en suis certaine, mais personne ne sait dans quel sens tout cela va évoluer.

Je ne peux pas vous garantir que tout sera formidable et que les décisions iront dans le sens du bien-être collectif ou du développement durable.

Par contre ce choc est mondial, donc nécessairement, il y aura un changement sociologique de cette ampleur.

Je vois bien que deux camps se disputent l'évolution possible soit elle sera vertueuse soit le monde va se refermer en devenant fasciste. Je ne peux rien dire sur les tendances.

"Les populations sont malades... nous allons vers un tourisme de convalescence"

TourMaG.com - Pour en revenir au tourisme, comment analysez-vous ce que nous vivons ?

Sophie Lacour :
Il y aura un changement réel dans les deux ou trois ans qui viennent, c'est une certitude, après est-ce qu'il perdura ? Personne ne peut l'affirmer.

Les populations sont malades, elles ont besoin d'être guéris. Nous allons vers un tourisme de convalescence. C'est-à-dire que les clients doivent de nouveau avoir confiance, dans la destination France qui va devoir se reconstruire.

Le tissu économique- à savoir les transporteurs, les hôtels, les activités, etc - va être grandement touché économiquement parlant, nous allons devoir guérir tout ça.

Ce n'est pas être grand sorcier de se dire, que le tourisme va se replier sur lui-même, avec un tourisme local soit en France ou en Europe.

TourMaG.com - Une vision réclamée par de nombreux acteurs depuis quelques années, comme ATD (Acteurs du Tourisme Durable). Le virage vers un tourisme plus durable et local doit être pris contraint et forcé...

Sophie Lacour :
Le problème se situe là justement. C'est pour cela que dans trois ou quatre ans, nous ne savons pas comment le tourisme va évoluer.

Il re-basculera peut-être dans le mauvais sens, celui de ses dérives. Il ne faut pas se leurrer, nous l'avons bien vu, avec les start-up qui travaillaient la question du développement durable, local et de partage, beaucoup échouaient.

Il y a un fossé énorme entre les déclarations, les intentions et les actes d'achat. A écouter la population, tout le monde veut sauver les baleines et les pandas, mais dans les faits, nous en sommes très loin.

Je suis convaincu qu'il y aura un peu plus de durable et de conscience, lors des prochaines années.

"Les indicateurs ne sont pas tant les décisions gouvernementales, mais plutôt ce que font les populations"

TourMaG.com - Même le gouvernement semble être pris du virus du développement durable, à moins que ce soit pour protéger la SNCF, en interdisant les lignes aériennes domestiques, là où il existe une liaison ferroviaire en moins de 2 heures 30...

Sophie Lacour :
C'est sans doute pour protéger la SNCF, mais je dirais que c'est une question de bon sens. De nombreuses compagnies aériennes vont faire faillite, donc il n'y aura plus d'offres.

Le politique ne prend jamais les devants, il ne fait qu'entériner les faits.

Non seulement, la situation économique des compagnies aériennes est plus que délicate, mais en plus l'instauration de la distanciation sociale risque de remettre en question leur business modèle.

Le gouvernement a donc entériné un fait.

TourMaG.com - Pour vous les décisions gouvernementales ou celles des Français ne sont pas nécessairement prises dans une vision d'avenir...

Sophie Lacour :
En ce qui concerne l'Etat et sur ce sujet précis, il est contraint. A l'arrivée, le consommateur décide, il est souverain.

Il y a un signe intéressant qui permet d'espérer, un changement dans ce sens, il suffit de regarder les réseaux sociaux. La nature y est partout.

La modification de nos paysages, par l'absence de pollution et d'activité humaine, émerveille tout le monde.

C'est un signe sociétal fort. Les internautes disent que la situation est meilleure, ils risquent de vouloir qu'elle perdure. Les indicateurs ne sont pas tant les décisions gouvernementales, mais plutôt ce que pensent et font les populations.

Les réseaux sociaux sont le reflet d'une certaine pensée.

"Si le tourisme de promiscuité est essentiel actuellement, rester entre soi n'est pas une bonne chose"

TourMaG.com - Selon vous, la prise de conscience est sincère, mais se pose la question de sa pérennité ?

Sophie Lacour :
Oui, c'est évident, il y a une prise de conscience de ce qu'est le tourisme, du mal qu'il peut occasionner.

Toutefois, une chose m'alarme en ce moment. Je vois passer des messages très virulent à l'encontre de notre industrie "mort au tourisme", "le tourisme a propagé le covid 19", "restons chez nous".

Cela m'inquiète beaucoup. Le tourisme est l'un des premiers vecteurs de paix dans le monde, les pays qui développent le tourisme sont des régions avec moins de guerres.

Il faut faire attention à ne pas faire basculer l'opinion publique dans l'autre sens. Si le tourisme de promiscuité est essentiel actuellement, mais à terme, rester entre soi n'est pas une bonne chose.

Les rencontres de la civilisation et des habitudes de l'autre sont essentielles.

TourMaG.com - Nous avons pu voir que les touristes n'étaient pas nécessairement les bienvenus avec l'épidémie de coronavirus à travers le monde, les exemples sont nombreux. Peut-on craindre une stigmatisation ?

Sophie Lacour :
Le tourisme bashing monte en puissance depuis quelques années, que ce soit avec les bateaux de croisières, les avions ou les nouvelles pratiques touristiques.

D'un côté l'industrie est montrée du doigt et d'un autre côté, elle est aussi devenue un sujet larmoyant. Nous sommes à mi-chemin entre l'intérêt économique et la peur de la maladie.

Voilà pourquoi 2020 signifie l'entrée dans ce nouveau siècle, parce que cette peur est mondiale.

TourMaG.com - C'est aussi pour cela que les professionnels du tourisme doivent vite se saisir du sujet des tests...

Sophie Lacour :
En effet, ils vont devoir donner des preuves de confiance et de sécurité sanitaire.

L'enjeu à venir sera de montrer aux Français et à la clientèle étrangère, qu'ils prennent soin d'eux en respectant les gestes barrières, qu'ils sont fiables en gestion sanitaire, sans pour autant être anxiogène.

Les évènements virtuels vont-ils perdurer ? "C'est une solution de repli et ponctuelle"

TourMaG.com - La grande transparence imposée par internet et les réseaux sociaux, risque maintenant de toucher plus seulement le produit mais aussi le côté sanitaire des installations touristiques ?

Sophie Lacour :
Oui, nous entrons dans un monde nouveau. Le désir de transparence va au-delà du tourisme, il suffit de voir la crise des masques, des tests, des vaccins, etc.

Il y a eu un enthousiasme du Global Village, avec une seule culture unifiant les peuples, mais nous nous sommes rendu compte que pas mal de choses ne fonctionnaient pas.

La crise du covid met en avant nos manques, nous n'avions pas de prévention, nous n'étions pas prêts.

TourMaG.com - Tout change, même les modes de pensée des gouvernements. Alors que pendant vingt ans nous étions dans un cycle de dérégulation de l'économie, maintenant nous sommes revenus à l'Etat providence...

Sophie Lacour :
Nous revenons plutôt dans une économie de mère de famille, c'est-à-dire que nous achetons des choses au cas où.

Le tourisme n'est jamais que l'expression de ce que pensent les gens à un moment donné. Le tourisme fait partie intégrante de la société dans laquelle il se développe, donc il va s'inspirer des changements.

Il n'est pas possible de regarder qu'un seul secteur, il faut observer la globalité.

Nous parlons beaucoup des modifications dans notre industrie, mais peu de personnes parlent de la perte de pouvoir d'achat. Elle aura un impact important sur la façon de voyager dans les trois prochaines années.

Les professionnels vont aussi devoir regarder la réduction du pouvoir d'achat, alors que de nombreux observateurs craignent une flambée des prix, ce serait une erreur.

TourMaG.com - En tant que spécialiste de l'innovation dans le tourisme, de quel œil observez-vous le développement exacerbé du virtuel depuis deux mois ? Les salons et les visites des lieux se font sur les écrans ou les casques.

Sophie Lacour :
C'est une solution indispensable pour maintenir le lien avec l'écosystème, mais ça ne fera pas tout.

Une fois que la situation reviendra à la normale, les événements se feront de nouveau en réel et nous abandonnerons le virtuel.

C'est une solution de repli et ponctuelle, car la relation humaine est indispensable.

L'après covid sur le web : "Selon moi nous entrons dans l'ère des femmes, il y a l'émergence des valeurs féminines à travers le monde"

TourMaG.com - Quel autre enseignement allez-vous tirer de la période de confinement ?

Sophie Lacour :
Le lien social a énormément manqué durant ces deux mois, mais il faut aussi se rendre compte que nous étions en train de totalement le détruire au nom de la rentabilité.

Finalement, nous nous rendons compte que le lien social est indispensable.

Il y a un grand besoin de se rencontrer à nouveau. Je ne sais pas si les réseaux sociaux risquent de perdre beaucoup d'utilisateurs après cette crise, mais il y aura sans doute un usage raisonné des réseaux sociaux.

Selon moi nous entrons dans l'ère des femmes. Il y a l'émergence des valeurs féminines à travers le monde que sont le souci de l'autre, la preuve, la convalescence.

Tout ce qui est du domaine du féminin va se généraliser et le tourisme n'y échappera pas. Les postures plutôt masculines, à savoir guerrières ne sont plus à la mode, nous avons tous besoins d'être consolés, guérir et réassurés.

TourMaG.com - Pour finir, vous aviez organisé et accompagné la 2e délégation tourisme du CES Las Vegas en 2020, vous penchez vous sur une nouvelle édition ?

Sophie Lacour :
Bien sûr, je serais de nouveau de la partie pour organiser une délégation et instaurer une lecture touristique du plus grand événement mondial autour de l'innovation.


Romain Pommier Publié par Romain Pommier Journaliste - TourMaG.com
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Commentaires

1.Posté par Aissa Hamada le 25/05/2020 11:16 | Alerter
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Le monde de demain ne sera pas et ne devrait pas être le même qu’avant la crise sanitaire. Un grand nombre de secteurs devront s'adapter, voire changer, et le secteur du tourisme en fait partie. Il devient essentiel de proposer de nouvelles offres et de nouvelles façons de voyager.

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