
Pourquoi est-ce si difficile de vendre du train pour une agence de voyages ? @depositphotos Auteur jovannig
Selon un bilan publié par l'Autorité de régulation des transports (ART) fin 2024, la fréquentation des trains en 2023 a atteint pour la deuxième année consécutive un niveau record avec 108 milliards de passagers.km transportés (+6% par rapport à 2022).
Elle dépasse ainsi le niveau de 2019 de 21 % pour les services conventionnés TER et Intercités et de 6 % pour les services de trains aptes à la grande vitesse ( TAGV).
Plus pratique et plus écologique, le train suscite l’intérêt des vacanciers pour se rendre sur leur lieu de villégiature ou faire partie intégrante de l’expérience.
« Il y a une vraie tendance haussière à la prise de commande de billets de train, c’est dans le sens de l'histoire. Cette tendance va toucher une clientèle qui souhaite se déplacer avec une modalité plus douce », observe Yannick Faucon, directeur général VLC Travel de la plateforme de réservation Resaneo.
Un essor qui n’est pas sans mettre les agences dans l’embarras. En effet, le ferroviaire est un produit qui peut être complexe à vendre pour les agences de voyages.
« La première difficulté est d’avoir accès à une base de données avec tous les trains, sur laquelle on peut réserver et gérer l’après-vente. Le marché n’est pas encore prêt pour les agences », constate Isabelle Jaecques, directrice commerciale du réseau Eden Tour, qui observe depuis six à huit mois des demandes régulières de voyages en train.
Elle dépasse ainsi le niveau de 2019 de 21 % pour les services conventionnés TER et Intercités et de 6 % pour les services de trains aptes à la grande vitesse ( TAGV).
Plus pratique et plus écologique, le train suscite l’intérêt des vacanciers pour se rendre sur leur lieu de villégiature ou faire partie intégrante de l’expérience.
« Il y a une vraie tendance haussière à la prise de commande de billets de train, c’est dans le sens de l'histoire. Cette tendance va toucher une clientèle qui souhaite se déplacer avec une modalité plus douce », observe Yannick Faucon, directeur général VLC Travel de la plateforme de réservation Resaneo.
Un essor qui n’est pas sans mettre les agences dans l’embarras. En effet, le ferroviaire est un produit qui peut être complexe à vendre pour les agences de voyages.
« La première difficulté est d’avoir accès à une base de données avec tous les trains, sur laquelle on peut réserver et gérer l’après-vente. Le marché n’est pas encore prêt pour les agences », constate Isabelle Jaecques, directrice commerciale du réseau Eden Tour, qui observe depuis six à huit mois des demandes régulières de voyages en train.
Des difficultés avec l'inventaire train
Pourquoi est-ce si compliqué d’accéder à l’inventaire ?
« Sur le marché français, pendant des années, une agence pouvait très facilement travailler avec une entreprise qui lui apportait uniquement la SNCF. Cela couvrait quasiment tous ses besoins. Aujourd’hui, avec l’ouverture à la concurrence, si elle passe en direct sur le site de la compagnie pour vendre en offline, l’agent de voyages va prendre 15 minutes de son temps pour aller faire un booking qui n'apportera, in fine, pas de commission », analyse Cédric Dufour, head of Commercial Europe de Trainline Partner Solutions.
Autre difficulté : le manque de fonctionnalités. « Les agences veulent simplement vendre un produit qui ressemble à ce qu'un client peut trouver en B2C, c'est-à-dire pouvoir faire de l'achat d'un billet de train sans couture, en quelques clics, et pouvoir revenir ensuite sur son outil pour faire son après-vente », poursuit Cédric Dufour.
Si aujourd’hui les outils ne donnent pas accès à ces fonctionnalités, l'ouverture à la concurrence y contribue. « Les transporteurs sont de plus en plus flexibles pour le permettre. Il faut des agrégateurs et des partenaires technologiques costauds pour pouvoir apporter ce service », explique-t-il.
« Les agences de voyages n'ont pas forcément des outils aussi développés que pour les compagnies aériennes », constate Patrick Métivier, en charge du développement de Rail Charter Service. L’ex PDG de Carrefour Voyages devrait prochainement entrer au capital et intégrer le board de l'entreprise.
Lire aussi : Patrick Métivier (ex- Carrefour Voyages) rebondit chez... Rail Charter Service !
Rail Charter Service répond à des déplacements ponctuels et s'adresse à une cible plutôt événementielle : organisateurs d'événements culturels, festivals, concerts…, mais également des séminaires, des congrès, des voyages d'affaires, ou encore des voyages scolaires… « Nous ne nous positionnons pas comme un concurrent de la SNCF, mais proposons une offre à laquelle la SNCF ne répond qu'à la marge », affirme Patrick Métivier.
Yannick Faucon de Resaneo met le doigt sur d’autres problématiques. « Il y a un manque d'accords entre compagnies ferroviaires, mais surtout un manque de visibilité pour pouvoir réserver sur du long terme. Contrairement à l'offre aérienne, le train n'est pas ouvert un an à l'avance, mais seulement trois mois pour la SNCF par exemple. »
Un problème pour le voyagiste Terres d’Aventure, qui propose près d’une vingtaine de voyages en train. « Quand les clients s'inscrivent à plus de 90 jours, nous estimons le prix du billet de train. Si à la réservation il est plus élevé, c'est pour nous. On prend le risque parce que sinon, on n'y arrivera jamais » détaille Lionel Habasque, PDG du voyagiste.
Resaneo applique la même gestion de l’aérien au ferroviaire. « Des développements ont été mis en place pour pouvoir proposer, à l'instar de ce qui est fait dans l'aérien avec les vols charter, des trains qui ne seraient pas encore ouverts à la vente, mais dont on connaît l’itinéraire et plus ou moins les horaires et les tarifs », explique Yannick Faucon.
« Sur le marché français, pendant des années, une agence pouvait très facilement travailler avec une entreprise qui lui apportait uniquement la SNCF. Cela couvrait quasiment tous ses besoins. Aujourd’hui, avec l’ouverture à la concurrence, si elle passe en direct sur le site de la compagnie pour vendre en offline, l’agent de voyages va prendre 15 minutes de son temps pour aller faire un booking qui n'apportera, in fine, pas de commission », analyse Cédric Dufour, head of Commercial Europe de Trainline Partner Solutions.
Autre difficulté : le manque de fonctionnalités. « Les agences veulent simplement vendre un produit qui ressemble à ce qu'un client peut trouver en B2C, c'est-à-dire pouvoir faire de l'achat d'un billet de train sans couture, en quelques clics, et pouvoir revenir ensuite sur son outil pour faire son après-vente », poursuit Cédric Dufour.
Si aujourd’hui les outils ne donnent pas accès à ces fonctionnalités, l'ouverture à la concurrence y contribue. « Les transporteurs sont de plus en plus flexibles pour le permettre. Il faut des agrégateurs et des partenaires technologiques costauds pour pouvoir apporter ce service », explique-t-il.
« Les agences de voyages n'ont pas forcément des outils aussi développés que pour les compagnies aériennes », constate Patrick Métivier, en charge du développement de Rail Charter Service. L’ex PDG de Carrefour Voyages devrait prochainement entrer au capital et intégrer le board de l'entreprise.
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Rail Charter Service répond à des déplacements ponctuels et s'adresse à une cible plutôt événementielle : organisateurs d'événements culturels, festivals, concerts…, mais également des séminaires, des congrès, des voyages d'affaires, ou encore des voyages scolaires… « Nous ne nous positionnons pas comme un concurrent de la SNCF, mais proposons une offre à laquelle la SNCF ne répond qu'à la marge », affirme Patrick Métivier.
Yannick Faucon de Resaneo met le doigt sur d’autres problématiques. « Il y a un manque d'accords entre compagnies ferroviaires, mais surtout un manque de visibilité pour pouvoir réserver sur du long terme. Contrairement à l'offre aérienne, le train n'est pas ouvert un an à l'avance, mais seulement trois mois pour la SNCF par exemple. »
Un problème pour le voyagiste Terres d’Aventure, qui propose près d’une vingtaine de voyages en train. « Quand les clients s'inscrivent à plus de 90 jours, nous estimons le prix du billet de train. Si à la réservation il est plus élevé, c'est pour nous. On prend le risque parce que sinon, on n'y arrivera jamais » détaille Lionel Habasque, PDG du voyagiste.
Resaneo applique la même gestion de l’aérien au ferroviaire. « Des développements ont été mis en place pour pouvoir proposer, à l'instar de ce qui est fait dans l'aérien avec les vols charter, des trains qui ne seraient pas encore ouverts à la vente, mais dont on connaît l’itinéraire et plus ou moins les horaires et les tarifs », explique Yannick Faucon.
Licence, garantie financière, service après-vente… vendre du train, la bonne affaire ?
Pour Fréderic Pilloud, directeur digital de Digitrips/Misterfly la problématique est de vendre du train sec et non packagé : « La prestation de train est complexe à vendre, parce qu'un client peut le faire lui-même sur n'importe quel site d'un opérateur. Le débat est celui de la rentabilité, sur le loisir comme le corporate. Vendre du train sec est relativement complexe pour ne pas gagner grand-chose. »
Depuis 6 mois, Digitrips s’est ouvert aux agences pour vendre du train en Dynamic Package. D’abord avec les trains Eurostar. « Toutes les offres Eurostar sont désormais référencées chez nous. Cela nous ouvre un réseau de distribution assez grand. D’ici deux à trois mois, quasiment tout le réseau ferré européen sera disponible sur notre plateforme », prévient Frédéric Pilloud.
Autre point intéressant, Digitrips développe les outils pour donner la possibilité à l'agent de voyages de comparer toutes les modalités de transport pour aller d'un point A à un point B.
Dans les faits, une agence pourrait acheter un billet sur le site de la SNCF, de la même façon qu’un particulier. Mais quelle serait la plus-value de vendre un billet sec ? « Soit pour chaque réservation, l’agent prend une commission par exemple 20 euros ou alors il réussit à contracter avec la SNCF et obtient une rémunération », explique Hugo Bazin, co-fondateur de Tictactrip, plateforme de réservation multimodale.
Obtenir une licence auprès de la SNCF ne semble pas si simple. La principale condition reste la fiabilité financière de la société. Après analyse de la situation de l'agence, la compagnie peut lui demander de fournir une garantie équivalente à un ou deux mois moyens de ventes nettes prévisionnelles de titres de transport.
Le contrat dicte également les conditions commerciales de la compagnie ferroviaire détaillées dans la Convention EDV/SNCF en vigueur. Elle prévoit notamment le montant de la rémunération que perçoit l'agence agréée pour l'émission de billets.
Lire aussi : EDV : Quelle est la nouvelle convention de distribution signée avec la SNCF ?
Aujourd’hui fixée à 1% sur les ventes Ouigo et à 2,8% pour les trains grande vitesse. « Dans sa structure de coût, vendre du train aujourd'hui à prix attractif n'est pas rentable pour une agence », analyse Hugo Bazin.
Et c’est sans compter sur le service après-vente. Comme dans le cadre de la vente d’un voyage à forfait, l’agence est responsable en cas de problème.
Mais le défi ne s’arrête pas là ! La SNCF, au travers de GDS ou en direct sur son portail PAO, met à disposition la donnée du train via une API.
« Cette API, on ne l'utilise pas comme on veut. Un ratio « look-to-book » est imposé par de nombreux transporteurs ferroviaires en Europe. C'est le nombre d'appels à l'API que l'on peut faire et le nombre de réservations qui doivent en découler. Par exemple, si la SNCF autorise 100 appels à l'API, pour avoir le droit de faire ces 100 appels, il faut au moins qu’une réservation en découle », explique Hugo Bazin.
« C'est une vraie barrière. Sur l'aérien, il est possible de faire 1200 appels pour une vente », confirme Matthieu Marquenet, CEO de Kombo, plateforme française B2C de réservation de billets de train, bus, avion et covoiturage.
A cela s’ajoute un droit d'accès et des frais d'émission de billets. « A chaque vente, des frais techniques, les frais PAO de l’ordre de 0,75% du prix du billet s’appliquent . La SNCF est le seul opérateur en Europe a imposer des frais sur la vente des billets », affirme Matthieu Marquenet.
« En fonction du GDS, si on vient à modifier le billet, il y a des frais supplémentaires. Très rapidement, on vend à perte », ajoute Hugo Bazin.
Depuis 6 mois, Digitrips s’est ouvert aux agences pour vendre du train en Dynamic Package. D’abord avec les trains Eurostar. « Toutes les offres Eurostar sont désormais référencées chez nous. Cela nous ouvre un réseau de distribution assez grand. D’ici deux à trois mois, quasiment tout le réseau ferré européen sera disponible sur notre plateforme », prévient Frédéric Pilloud.
Autre point intéressant, Digitrips développe les outils pour donner la possibilité à l'agent de voyages de comparer toutes les modalités de transport pour aller d'un point A à un point B.
Dans les faits, une agence pourrait acheter un billet sur le site de la SNCF, de la même façon qu’un particulier. Mais quelle serait la plus-value de vendre un billet sec ? « Soit pour chaque réservation, l’agent prend une commission par exemple 20 euros ou alors il réussit à contracter avec la SNCF et obtient une rémunération », explique Hugo Bazin, co-fondateur de Tictactrip, plateforme de réservation multimodale.
Obtenir une licence auprès de la SNCF ne semble pas si simple. La principale condition reste la fiabilité financière de la société. Après analyse de la situation de l'agence, la compagnie peut lui demander de fournir une garantie équivalente à un ou deux mois moyens de ventes nettes prévisionnelles de titres de transport.
Le contrat dicte également les conditions commerciales de la compagnie ferroviaire détaillées dans la Convention EDV/SNCF en vigueur. Elle prévoit notamment le montant de la rémunération que perçoit l'agence agréée pour l'émission de billets.
Lire aussi : EDV : Quelle est la nouvelle convention de distribution signée avec la SNCF ?
Aujourd’hui fixée à 1% sur les ventes Ouigo et à 2,8% pour les trains grande vitesse. « Dans sa structure de coût, vendre du train aujourd'hui à prix attractif n'est pas rentable pour une agence », analyse Hugo Bazin.
Et c’est sans compter sur le service après-vente. Comme dans le cadre de la vente d’un voyage à forfait, l’agence est responsable en cas de problème.
Mais le défi ne s’arrête pas là ! La SNCF, au travers de GDS ou en direct sur son portail PAO, met à disposition la donnée du train via une API.
« Cette API, on ne l'utilise pas comme on veut. Un ratio « look-to-book » est imposé par de nombreux transporteurs ferroviaires en Europe. C'est le nombre d'appels à l'API que l'on peut faire et le nombre de réservations qui doivent en découler. Par exemple, si la SNCF autorise 100 appels à l'API, pour avoir le droit de faire ces 100 appels, il faut au moins qu’une réservation en découle », explique Hugo Bazin.
« C'est une vraie barrière. Sur l'aérien, il est possible de faire 1200 appels pour une vente », confirme Matthieu Marquenet, CEO de Kombo, plateforme française B2C de réservation de billets de train, bus, avion et covoiturage.
A cela s’ajoute un droit d'accès et des frais d'émission de billets. « A chaque vente, des frais techniques, les frais PAO de l’ordre de 0,75% du prix du billet s’appliquent . La SNCF est le seul opérateur en Europe a imposer des frais sur la vente des billets », affirme Matthieu Marquenet.
« En fonction du GDS, si on vient à modifier le billet, il y a des frais supplémentaires. Très rapidement, on vend à perte », ajoute Hugo Bazin.
Distribution ferroviaire : la concurrence, la voie de sortie ?
En privant la SNCF de son monopole, la loi pour un nouveau pacte ferroviaire, adoptée en juin 2018 stimule le marché à se dépasser, favorisant ainsi l'innovation, la diversité de l'offre et des prix attractifs pour les consommateurs comme pour les entreprises.
« Les nouveaux entrants sont beaucoup plus flexibles et leur rémunération est plus élevée. A terme, si la SNCF veut rester compétitive, elle devra s'aligner, affirme Hugo Bazin. L’ouverture à la concurrence est plutôt une bonne chose pour les grosses lignes.
A l’inverse, le financement des petites lignes non rentables va devenir de plus en plus compliqué pour la SNCF. D'ailleurs, pas mal de lignes sont remplacées par des cars régionaux. »
Pour Matthieu Marquenet, CEO de l'agrégateur Kombo, la SNCF n'a aucun intérêt à vendre des billets ailleurs que sur son site. « Ils affirment vouloir contrôler leur distribution, alors que la réalité est différente. Si tous les Français achètent leurs billets de train sur le site SNCF Connect, il devient impossible pour un nouvel opérateur de vendre des billets de train. »
Un verrou de plus au développement de la concurrence.
« En France, pour maintenir leur position dominante, la SNCF applique des taux de commission très bas. Elle ne veut pas qu'il y ait de concurrent à SNCF Connect. En Espagne, en conquête de marché, la rémunération des distributeurs est plus intéressante », explique le CEO de Kombo à l'initiative d'une association ADN Mobilités avec Trainline et Omio pour « peser face à SNCF et pouvoir négocier le taux de commission de manière assez indépendante pour les plateformes du numérique ».
« Les nouveaux entrants sont beaucoup plus flexibles et leur rémunération est plus élevée. A terme, si la SNCF veut rester compétitive, elle devra s'aligner, affirme Hugo Bazin. L’ouverture à la concurrence est plutôt une bonne chose pour les grosses lignes.
A l’inverse, le financement des petites lignes non rentables va devenir de plus en plus compliqué pour la SNCF. D'ailleurs, pas mal de lignes sont remplacées par des cars régionaux. »
Pour Matthieu Marquenet, CEO de l'agrégateur Kombo, la SNCF n'a aucun intérêt à vendre des billets ailleurs que sur son site. « Ils affirment vouloir contrôler leur distribution, alors que la réalité est différente. Si tous les Français achètent leurs billets de train sur le site SNCF Connect, il devient impossible pour un nouvel opérateur de vendre des billets de train. »
Un verrou de plus au développement de la concurrence.
« En France, pour maintenir leur position dominante, la SNCF applique des taux de commission très bas. Elle ne veut pas qu'il y ait de concurrent à SNCF Connect. En Espagne, en conquête de marché, la rémunération des distributeurs est plus intéressante », explique le CEO de Kombo à l'initiative d'une association ADN Mobilités avec Trainline et Omio pour « peser face à SNCF et pouvoir négocier le taux de commission de manière assez indépendante pour les plateformes du numérique ».