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Pourquoi le tourisme est-il méprisé par l'intelligentsia ?🔑

Un secteur accusé d'être une économie facile et de rente


Malgré son poids dans l’économie française, le tourisme connaît depuis de nombreux mois des critiques récurrentes et virulentes. Non seulement il ne générerait aucune valeur, mais en plus il suffirait de se baisser pour en récolter les fruits du patrimoine exceptionnel de notre riche histoire. Finalement la France serait l'une des premières destinations touristiques au monde par défaut et surtout par chance. Cette affirmation est-elle vraie ? Nous avons interrogé différents experts sur le sujet.


Rédigé par le Jeudi 29 Février 2024

Le tourisme est accusé d'être une économie facile et de rente selon un article du Monde - Crédit photo : Depositphotos @worldpitou@gmail.com
Le tourisme est accusé d'être une économie facile et de rente selon un article du Monde - Crédit photo : Depositphotos @worldpitou@gmail.com
Le tourisme est au cœur de nombreuses critiques depuis quelques années.

Les médias s'en prennent régulièrement au secteur en raison de ses excès, tels les pics de fréquentation ou les projets anachroniques. Par ailleurs, nos confrères estiment que l'industrie détruit plus qu'elle ne produit d'effets positifs.

Nos confrères du Monde ont récemment publié une tribune intitulée "Le tourisme ne crée pas de valeur : c’est une rente assise sur un legs de l’histoire que les siècles ont tamisée".

Notre article Polémique : le tourisme crée-t-il (vraiment) de la valeur ? publié hier a répondu à la première partie de cette affirmation. Qu'en est-il de cette rente ? Est-elle réelle ?

"(..) La rente, par nature, détourne de la création de valeur, de la recherche, de l’innovation, de la formation," analyse Elsa Conesa, auteur de cette tribune parue dans le journal Le Monde.

Par chance, nous avons un patrimoine naturel et culturel avec lequel peu de pays dans le monde peuvent rivaliser.

Est-ce poids du passé qui fait de la France la 1ère destination mondiale, avec près de 100 millions de voyageurs ?


Tourisme : "la compétition est mondiale" selon Jean-Baptiste Lemoyne

Le premier élément de réponse pourrait venir d'un ministre que nous avons côtoyé au cours des dernières années.

Jean-Baptiste Lemoyne disait souvent en conférence de presse que le tourisme ne doit plus être considéré comme une économie de rente.

"Depuis quinze ans, on considérait grosso modo que le tourisme était une économie de rente – de cueillette : il suffisait de se baisser pour ramasser les recettes !

Aujourd'hui, la compétition est devenue mondiale. Lors de la réouverture des frontières, (après le covid ndlr) tous les pays ont mis des dizaines de millions sur la promotion de sa destination.


La crise nous a fait prendre conscience que le tourisme est une activité qui pèse énormément dans l'économie de nos territoires.

Le Président et les Premiers ministres ont été au rendez-vous des arbitrages : il en allait tout simplement de l'avenir du secteur,
" expliquait alors le secrétaire d'État au tourisme, afin de présenter le bilan de son action ministérielle en matière de tourisme, à l'Assemblée nationale le 8 février 2022.

Cette sortie d'un vieux briscard de la politique n'est sans doute pas la plus convaincante. Et pourtant, Jean-Baptiste Lemoyne a en partie raison. Il suffit de voir la montée en puissance de destinations telles la Croatie ou Dubaï.

L'Emirat est passé de moins de 6 millions de voyageurs en 2005 à plus de 17 millions en 2023.
L'Arabie saoudite est entrée dans la danse et espère attirer 100 millions de visiteurs par an d'ici 2030 (dont 55 millions de visiteurs internationaux).

Et dire que tout le monde se plaint à longueur de colonne de surtourisme en France...

"Le secteur a une image de vacances donc d'oisiveté, donc non productrice,

Dans un monde ultra concurrentiel et ultra connecté, si la France reste la première destination touristique, c'est bien que la qualité de service et la diversité de l'offre répondent mieux à la demande que les concurrents étrangers, sinon les gens viendraient qu'une seule fois,
" estime Yannick Cabrol, le responsable des études économiques de Ernst and Young.

Tourisme : Une vraie concurrence internationale ?

Le tourisme n'est pas une économie de rente. IL est plutôt une économie du désir, de la communication, mais aussi de l'offre.

Au sujet de la concurrence, il convient malgré tout de relativiser : si Paris n'est la France, la métropole fait partie de la short list des villes à voir au moins une fois dans sa vie. Elle n'est pas vraiment en concurrence avec Berlin, Dublin ou encore Washington et Buenos Aires.

Elle fait partie d'une autre caste, celle des destinations de rêve.

Existe-t-il donc véritablement une concurrence ?

"Dans le tourisme d'affaires, la concurrence sur les très gros évènements est bien réelle. Les grandes villes européennes et mondiales sont comparées à longueur de dossier pour savoir, où sera organisé le prochain congrès.

De plus, les investisseurs internationaux dans le tourisme se positionnent sur telle ou telle capitale, en fonction de leur capacité à dégager des marges.

Elles ne sont pas les mêmes, selon les pays.

A Londres, il est nettement plus facile d'imposer un prix élevé à la clientèle affaires plutôt qu'à Paris. Il y a bien un sujet d'attractivité et de concurrence dans l'industrie touristique,
" conclut Yannick Cabrol.

Au-delà de cet aspect, si Paris et la France jouissent globalement d'une bonne image à travers le monde, cela n'est pas éternel, loin de là.

Et sur ce point, rien n'est joué d'avance.

Une étude d'Omio, un site de réservation de voyages en train, en bus et en avion, nous démontre que la ville lumière fait moins rêver les jeunes.

En tête nous retrouvons Séoul. La ville coréenne se pose comme la destination de prédilection pour les voyageurs de la Génération Z, devant Londres, Los Angeles et... Paris.

"La capitale jouit d'un héritage du passé offrant un patrimoine exceptionnel, une diversité d'activité et expérience.

Il est impossible de dire que nous bénéficions d'une rente assurée et garantie.

La rente serait de ne pas s'intéresser aux flux touristiques et aux problématiques écologiques, alors que tous les territoires s'emparent de ces sujets,
" énumère Simon Thirot.

Tourisme : la France ne jouit pas d'une économie de rente !

Et le conseiller en stratégie pour Eurogroup Consulting de poursuivre.

"La France n'est pas la première destination touristique chez les jeunes.

Une étude d'Atout France nous classait plutôt dans la 2e partie du Top 10. Ainsi, quand un jeune à la capacité de voyager, son réflexe premier n'est pas de venir en France. Or, ce voyageur est celui de demain.

Cette première place n'est pas assurée, dans le temps,
" redoute-t-il.

Notre pays n'est pas installé à vie sur le podium des destinations touristiques. Il va devoir batailler pour rester dans l'inconscient collectif des voyageurs.

D'ailleurs, pour Didier Arino, Paris n'avait pas tellement besoin de l'organisation des JO, car la ville est installée au panthéon du tourisme, même s'il notait une dégradation de son image à travers le monde, en raison des émeutes, des manifestations et attentats.

Le secteur ne doit pas se reposer sur ses acquis.

Et justement cette comparaison sans cesse aux autres marchés a poussé les acteurs à se lancer dans une fuite en avant, grandement critiquable.

"En cherchant à se réinventer continuellement, en voulant être ultra compétitive et à maximiser les marges, cette industrie peut avoir tendance à ne pas offrir de solutions de voyages et d'évasion à des populations éloignées.

Le tourisme social est beaucoup moins présent dans le débat.

A la place de critiquer l'économie de rente, la montée en gamme l'est bien plus,
" ajoute Yannick Cabrol.

Tourisme : "sans administration, ni budget...vous n'êtes pas crédibles"

Ces critiques récurrentes, l'industrie les mérite parfois, comme dans le dossier des naufragés des vacances de plus en plus nombreux.

C'est un point relativement peu relevé par les médias qui préférent attaquer le tourisme de masse qu'ils confondent avec le sur tourisme.

"Le tourisme fait face à une sorte de mépris, il n'est bien souvent que de masse, donc trivial et vulgaire.

Je crois que dans ce pays, si vous n'avez pas d'administration, des milliers de fonctionnaires à votre service et un important budget étatique, alors vous n'êtes pas crédibles.

A une époque, le budget du tourisme dans celui de l'Etat représentait 1/3 de celui de Météo- France, c'est-à-dire... rien,
" croit savoir Stéphane Durand, le directeur général du cabinet de conseil Voltere-by-Egis.

A lire : FUTUROSCOPIE - Stéphane Durand (Voltere-by-Egis) : "Les grands projets touristiques ont du plomb dans l’aile : une nouvelle ère s’annonce"

De plus, le secteur bénéficie d'une image négative dans les sphères intellectuelles ou la haute société.

Il serait sûrement malvenu que le fils d'un grand industriel se lance dans des études en rapport avec le tourisme, considéré comme une activité pas assez "noble." Tout cela rejoint le livre de Julien Barnu, intitulé "Industrie du Tourisme : le mythe du laquais?" et son pendant universitaire.

Pour le polytechnicien et ingénieur des Mines, "dans la culture française, plus que les notions de richesse, d’emplois et de profits, le tourisme évoque l’image d’un pays peu compétitif, ayant davantage de ruines à valoriser que de produits à exporter.

Moins les décideurs politiques le traiteront comme un sujet stratégique et moins la population le considèrera comme tel, et plus il deviendra difficile pour un chef d’État de faire du tourisme une priorité.
"

Notre consœur est tombée comme de nombreux autres dans le dédain facile d'une industrie de masse. Il est si facile de taper sur les artistes célèbres, les auteurs de best-seller ou les têtes d'affiche du box-office.

Ce rôle de punching-ball médiatique ne devrait pas être abandonné dans les prochaines semaines, ni les prochaines années.

"Il n'y a jamais de grève dans le tourisme. Il n'y a pas de nuisance, donc il est invisible.

C'est un secteur très diffus qui marche très bien, malgré les attentats, les émeutes ou les manifestations, la résilience de l'activité y est très forte.


Finalement, personne n'est là pour le défendre, je pense sincèrement que nous manquons cruellement de lobby,
" conclut Stéphane Durand.


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Commentaires

1.Posté par Violier Philippe le 29/02/2024 09:22 | Alerter
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les élites n'ont jamais supporté la perte de leur privilège de circuler
d'ailleurs les élites ne font pas de tourisme, elles voyagent
et vers des destinations où elles pratiquent l'entre soi

2.Posté par Yves Brossard le 29/02/2024 14:04 | Alerter
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Le choix des mots, de la démographie et de l’emploi

Le thème de l’article est très intéressant, car nos industries françaises souffrent parfois d’une insuffisance d’attention de la part de nos élus. Et il faut en rechercher les causes.

Les mots n’ont-ils pas leur importance ? Le touriste fait du tourisme et à ce titre tout le monde se considère comme connaisseur du tourisme, y compris les élus. Or le tourisme est l’affaire des consommateurs du tourisme, et d’eux seulement.
Pour leur part, les professionnels des industries touristiques développent leur activité dans les industries touristiques, y compris d’ailleurs la presse professionnelle spécialisée. Les lobbyistes, qui nous manqueraient, ne devraient-ils pas recourir systématiquement à l’expression « industries touristiques » lorsqu’ils défendent nos métiers et nos emplois ?

En conclusion de l’article, rédigé par Romain Pommier, est cité Stéphane Durand, lequel déclare :« Finalement, personne n'est là pour le défendre, je pense sincèrement que nous manquons cruellement de lobby ».
N’est-ce pas le mal français de déléguer sa responsabilité en ne s’impliquant pas, et en laissant aux autres le soin d’agir, en espérant que l’action des autres leur bénéficiera ? Aux syndicats par exemple de « faire le boulot »…

Il y a des lobbies, mais l’émiettement géographique naturel des industries touristiques rend difficile les actions « coup de poing ». Et les poids lourds français de dimension internationale sont eux-mêmes sujets à l’émiettement géographique international puisque les industries touristiques lourdes, comme l’hôtellerie de chaîne, se pratiquent à l’échelon international. Sans compter que dans les industries touristiques françaises, aussi, il y a des poids lourds, et des poids légers ; et pas beaucoup de poids moyens.

Pourtant l’actualité juridique vient nous rappeler parfois que les lobbies existent : quand le syndicat professionnel UMIH, le GNC, et d’autres, ou le groupe ACCOR par exemple, montent au créneau pour dénoncer l’un des articles législatifs du DMA (Digital Markets Act) produit par l’Union européenne, considérant que le DMA renforce la puissance des plateformes internationales de réservation d’hôtels (en situation d’oligopole) au détriment de l’emploi en France, il y a bien une preuve de l’existence de lobbies (ou défenseurs de l’emploi en France et de l’investissement dans les industries touristiques françaises).



Il y a eu, bien sûr, une époque, en France, où les industries touristiques (dont les industries de remontées mécaniques font partie) ont fait l’objet de toutes les attentions de la part des pouvoirs publics : le développement des stations d’altitude s’est fait dans le cadre d’une politique volontariste de l’État et des Collectivités ; idem pour le développement des stations du littoral du Languedoc-Roussillon et de l’Aquitaine. C’était une époque ou l’aménagement du territoire était associé à l’objectif de maintien démographique, et au développement de l’emploi et du pouvoir d’achat. Et nul doute que le soin fiscal que les Parlementaires apportent aujourd’hui encore à préserver les stations de montagne exposées à la faiblesse éventuelle future de l’enneigement, comme à préserver l’emploi dans les Outre-mer, démontre que les élus ont une conscience aigüe de l’importance économique et sociale des industries touristiques.

Certes, la disparition des importantes opérations d’aménagement est regrettable, en ce sens qu’une relance de celles-ci contribuerait grandement à préserver les territoires de développements anarchiques nuisibles à la qualité de l’environnement. Elles favoriseraient la réduction de l’artificialisation des sols, et contribuerait à l’emploi en réduisant l’écart de compétitivité économique avec les pays à bas coût, par la mise en commun d’un grand nombre d’équipements et de services collectifs.

Je cite l’article : «Il serait sûrement malvenu que le fils d'un grand industriel se lance dans des études en rapport avec le tourisme, considéré comme une activité pas assez "noble"». 
Sans doute parce les industries touristiques sont tantôt capitalistiques dans les zones génératrices de rentes de situation, tantôt à risque parce que la rentabilité est souvent fragile dans les zones ouvertes à la libre concurrence, ou exposées aux aléas climatiques. Mais elles offrent toujours l’opportunité d’une ascension sociale, sans avoir fait d’études « nobles ».

Yves Brossard, Président du syndicat professionnel UMIH Guadeloupe

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