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Guerre : une compagnie a-t-elle l'obligation de rapatrier ses passagers ? 🔑

L'obligation de rapatriement n'est pas minimisée par les circonstances


Cinq jours après l'attaque surprise d'Israël, Air France va mettre en place un vol spécial pour rapatrier les Français présents sur place. Cet avion ne permettra pas de réacheminer l'ensemble de ses clients, ni même nos concitoyens bloqués dans un pays en guerre. Une compagnie doit-elle réacheminer coute que coute ses passagers ayant un billet d'avion retour ? Nous avons fait un point juridique avec des avocats spécialistes.


Rédigé par le Jeudi 12 Octobre 2023

L'obligation de rapatriement n'est pas minimisée par les circonstances, même une guerre - Depositphotos @Flik47
L'obligation de rapatriement n'est pas minimisée par les circonstances, même une guerre - Depositphotos @Flik47
Israël a connu, samedi 7 octobre 2023, une attaque surprise sur son sol.

Le bilan du conflit armé est lourd, avec 1 200 morts et 2 700 blessés du côté israélien, quand 900 Palestiniens ont trouvé la mort dans les frappes de représailles.

Alors que seulement une centaine de voyageurs français étaient recensés par le SETO, lundi dernier, ils ne sont plus que 45 à être sur le chemin du retour.

Sauf que ce chiffre n'est qu'une partie émergée de l'iceberg, puisque de nombreuses personnes ont acheté des vols secs, sans passer par une agence de voyage.

Dorénavant, tout le monde ou presque souhaite quitter le pays.

D'après une rumeur en provenance du Quai d'Orsay, une compagnie ne ferait pas tout ce qui est dans ses moyens pour permettre le retour de nos compatriotes.

Il nous a été rapporté que l'une d'entre elles demande à ses clients de payer leur trajet pour fuir Israël, bien qu'ils aient un billet retour avec celle-ci.

Nous avons interrogé Emmanuelle Llop et Chloé Rezlan, pour en savoir plus sur ce cas et plus généralement, la responsabilité en cas de guerre.


Guerre : Le cas de force majeure dédouane-t-il la compagnie ?

Dans le cas présent pour réacheminer les personnes souhaitant quitter un pays en guerre, la responsabilité est renvoyé... au gouvernement, aussi bien par les compagnies que les agences de voyages.

"Nous nous retrouvons dans un cas de force majeure.

Nous avons basculé dans un mode de gestion de crise, cela rappelle le mois de mars 2020, où il a fallu rapatrier les Français présents dans le monde entier, c'est donc d'un problème qui doit être géré par l'Etat français,
" nous explique un acteur du voyage ayant préféré conserver l'anonymat.

Sauf que dans le même temps, le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères n'a pas appelé les Français à quitter le pays, comme ça peut être le cas dans un pays en guerre.

Dans la dernière mise à jour de son conseil aux voyageurs, le Quai d'Orsay déconseille seulement de se rendre à Jérusalem et dans les Territoires palestiniens.

D'autres Etat, comme le Royaume-Uni déconseille tout voyage, sauf essentiel, en Israël et certains se sont chargés de rapatrier leurs concitoyens, comme le Brésil, la Grèce ou la Pologne.

C'est une nuance importante, dans le traitement des passagers actuellement bloqués sur place.

"Comme le gouvernement n'a pas appelé les Français d'Israël à quitter le territoire, je ne pense pas qu'il soit question de rapatriement.

Les vols ont été suspendus par l'Etat français, donc ceux présents sur place et qui veulent être "rapatriés" doivent s'adresser au gouvernement tricolore, je suppose,
" annonce un autre acteur du tourisme.

L'avis de Chloé Rezlan sur l'obligation d'assistance des compagnies :

L'obligation d'assistance s'impose donc bien, quel que soit l'évènement qui a donné lieu à l'annulation du vol, même (comme ici) des circonstances extraordinaires.

L'exonération ne concerne que l'indemnisation forfaitaire.

Il n'y a a priori pas de "circonstances particulièrement extraordinaires" (pandémie ou guerre) qui pourraient exonérer le transporteur de toutes ses obligations, y compris celles d'assistance découlant de l'article 8 du Règlement, donc de réacheminement ou de remboursement au choix du client.

L'avocat s'appuie sur une décision de la Cour de justice de l'Union européenne datant du 8 juin 2023, opposant Austrian Airlines AG à un passager (surnommé TW dans le procès), dans le cadre d'une obligation d’assistance de la part de la compagnie en pleine pandémie de Covid.

Le cas de force majeure est une notion du droit commun qui nous ne retrouvons pas dans le code du tourisme. Cela pourrait être invoqué dans le cas des vols secs vendus par les agences de voyages, mais qui de toutes façons ne sont pas responsables de la bonne exécution des vols.

L'avis d'Emmanuelle Llop sur le cas de force majeure :

La force majeure est une notion complexe.

Pour les professionnels du tourisme et leurs clients en B2C, on parle de circonstances exceptionnelles et inévitables (CEI), c'est à dire d'une situation résultant d'événements qu'ils ne maitrisent pas même en prenant des mesures raisonnables.

Plus généralement, on évoque la force majeure qui répond (en droit commun) à la même définition. En résumé il s'agit d'événements extérieurs, imprévisibles et insurmontables.

Le fait qu'une région du monde soit régulièrement touchée par des événements de conflits, d'attentats etc. n'empêche pas que ces événements représentent des CEI pour les agences/les TO et les voyageurs: le contrat et les services prévus vont être impactés, modifiés ou empêchés par ces événements incontrôlables.

Il en va de mĂŞme partout mĂŞme en France avec les actes terroriste et on continue Ă  vendre toutes ces destinations cependant.

Israël : Qui se charge de réacheminer les passagers ?

Ainsi, la compagnie même dans une zone en guerre et dans la mesure du possible doit bien réacheminer ses passagers.

Le problème auquel font face les Français, tout comme les professionnels du tourisme et les transporteurs, c'est le manque de lignes aériennes pour rentrer.

Air France a annoncé la suppression de ses vols jusqu’à nouvel ordre, même si elle va assurer un vol spécial, le jeudi 12 octobre 2023, entre Tel-Aviv et Paris-Charles de Gaulle.

Et de nombreuses compagnies sont dans le mĂŞme cas, Delta, American Airlines ou encore Turkish ont suspendu leurs vols, rendant l'Ă©vacuation des voyageurs et ressortissants encore plus complexe.

Pour l'heure, El Al, la compagnie nationale israélienne poursuit son programme vers Paris. Elle a même rajouté une fréquence.

Des solutions existent, elles ne sont pas toutes directes.

Sauf que le cas qui nous est rapporté stipule que la compagnie refuse de rapatrier ses passagers, puisque ses vols sont annulés, mais elle ne veut pas non plus que ses clients embarquent sur El Al.

Ces personnes se retrouvent donc Ă  devoir payer leurs propres billets retours, pour fuir un pays en guerre.

L'avis d'Emmanuelle Llop sur la reprotection :

La compagnie a l'obligation de rembourser les billets ou de reprotéger les passagers (dans le cas des billets secs) sur un prochain vol disponible dans les meilleurs délais (et dans des conditions de transport comparables) à une date ultérieure convenue, sous réserve de disponibilités .

En résumé : quand ses vols reprendront.

La reprotection est prévue dans des conditions "comparables" implique que la compagnie pourrait également reprotéger ses passagers sur une autre compagnie (voir l'article 8 du Règlement 261/2004).

Et pendant le temps d'attente, notamment pour les passagers qui résidaient à l'hôtel, la compagnie doit organiser les hébergements (article 9).

Si la compagnie ne peut pas reprotéger les passagers sur ses propres vols, faute de disponibilité, ou alors si les propositions d'autres compagnies sont disproportionnées financièrement, personne ne lui reprochera pas de ne pas le faire compte tenu des circonstances.

Vol annulé : Une compagnie doit-elle obligatoirement proposer un vol dans les mêmes conditions ?

Pour un des professionnels interrogés et concernés par la situation, le problème est complexe.

Autant les compagnies remboursent sans difficulté, leurs passagers, autant les places pour les vols retours sont un bien rare.

"Il y a un problème de responsabilité, imaginez qu'un vol commercial soit percuté par une roquette. C'est au gouvernement d'affréter des vols, pour supporter la responsabilité en cas d'incident.

Puis dans la région, vous avez aussi des porte-avions... Il y a une grande tension.

A cela vous ajoutez le fait que les vols de la compagnie nationale israélienne sont pleins. Il y une file d'attente monstre à l'aéroport pour essayer d'obtenir des billets,
" nous témoigne-t-il.

Des prix qui doivent, nous n'en avons pas la preuve, sans doute s'envoler, en raison de la faible offre et en mĂŞme temps de la forte demande.

Vous l'aurez compris, les vols directs sont quasiment réduits à néant, par contre il existe toujours des trajets avec une ou plusieurs correspondances.

S'ils peuvent légalement proposer, reste alors la question de la responsabilité de l'entreprise en cas d'incident majeur, comme une attaque par un missile.

Dans ces conditions, la compagnie aérienne pourrait-elle proposer un réacheminement avec une correspondance au lieu de laisser des personnes dans la terreur ?

L'avis de Chloé Rezlan sur les vols avec correspondance :

Idéalement, les transporteurs doivent assurer des conditions de transport similaires, au trajet prévu. Sauf qu'en tout état de cause, j'imagine que les passagers ne leur en tiendront pas rigueur de leur proposer des vols avec correspondances.

Comme l'a rappelé la CJUE dans une décision du 8 juin dernier, un « réacheminement », au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 261/2004, ne saurait se limiter, pour le transporteur aérien effectif concerné, à proposer au passager aérien de l’amener vers sa destination finale par le vol qui suit celui que ce transporteur aérien a annulé.

Une telle offre peut comprendre d’autres vols, y compris ceux avec correspondances, opérés éventuellement par d’autres transporteurs aériens
appartenant ou non à la même alliance aérienne et arrivant à un horaire moins tardif que le vol qui suit le vol annulé (voir, en ce sens, CJUE, 8 juin 2023, aff. C-49/22).


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