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Julia de Funès : risque, sens, confiance pour miser sur l'humain 🔑

La philosophe est intervenue lors du Congrès Selectour à Amman


Ne venez pas parler à Julia de Funès, philosophe et fondatrice de Prophil conseil (cabinet de conseil en philosophie), des coachs en développement personnel pour booster l'innovation au sein des organisations. N'évoquez pas non plus les team building "pâte à modeler" ou autres activités "infantilisantes" pour souder le collectif. Celle qui a fait l'unanimité à l'occasion du congrès Selectour, a abordé pendant plus d'une heure, les thématiques de l'attractivité, de la fidélisation, du management, en faisant un pas de côté. Pour ceux qui n'ont pas fait le voyage à Amman, voici les points clés à retenir. Morceaux choisis !


Rédigé par le Jeudi 7 Décembre 2023

"La crise, meilleure contrainte pour que l'esprit innove"

Julia de Funès, philosophe et fondatrice de Prophil Conseil : "Les entreprises se sont fourvoyées dans des gadgets "bonheuristes". C'est très agréable d'avoir un cadre de bureau fun et cool. Mais penser que ce genre d'artifices va rendre les collaborateurs heureux, c'est les prendre pour des imbéciles" - Photo JDL
Julia de Funès, philosophe et fondatrice de Prophil Conseil : "Les entreprises se sont fourvoyées dans des gadgets "bonheuristes". C'est très agréable d'avoir un cadre de bureau fun et cool. Mais penser que ce genre d'artifices va rendre les collaborateurs heureux, c'est les prendre pour des imbéciles" - Photo JDL
Comment innover, comment rester créatif ? Pour Julia de Funès "les plus grandes innovations, les plus grands progrès ont toujours été précédés d'un moment de crise."

Face aux crises que traverse le secteur du tourisme, il y a des opportunités à saisir.

Elle s'explique : "L'esprit est un muscle. Pour faire gonfler les muscles de son corps, il faut une contrainte. Si l'esprit ne se frotte pas à une contrainte d'envergure, il est très compliqué d'élargir ses cadres de pensée, de transformer ses paradigmes, de repenser ses manières de faire et d'agir.

La meilleure condition pour que l'esprit innove et progresse, c'est lorsqu'il rencontre une contrainte."


Sur le risque : "l'idéologie précautionniste est mortifère pour nos organisations"

Nos sociétés dérivent vers "un précautionnisme aigu où le moindre risque est à abolir. Et quand on attend le risque zéro pour agir, on n'agit absolument jamais.

Cette idéologie précautionniste est mortifère pour nos organisations. Nous constatons que l'inflation législative est forte pour abolir tous les risques. Dans ces conditions, on accélère les procédures à tout va. Evidemment il faut des procédures, mais le poison est dans la dose, pas dans la chose.

Quand le process devient la priorité absolument au détriment du sens, nous tombons dans l'absurde. Le surdosage procédural mécanise les comportements et engourdit les intelligences.

Cette logique-là n'est plus audible pour la nouvelle génération".

"Le management est devenu un process en France"

Sur le management, Julia de Funès porte un regard critique sur la promotion des managers en France.

"Si vous êtes bon dans votre métier, vous deviendrez presque automatiquement manager. Or ceux qui travaillent très bien n'ont pas forcément envie d'être manager, ou ils n'ont pas forcément les compétences.

C'est le seul mode de reconnaissance qui a été trouvé pour récompenser ceux qui travaillent très bien. Et pourtant cette posture va exactement à l'inverse du charisme du leadership."


Elle fustige également les formations qui proposent des formules toutes faites et stéréotypées pour devenir un bon manager. Elle cite Nietzsche qui explique que nous avons tous en nous-mêmes "une potentialité charismatique qui s'actualise en fonction du cheminement individuel."

Elle explique : "le charisme est davantage une affaire d'authenticité que de technicité. Quand le manager est dans l'authenticité de son message, il est davantage impactant".

A lire aussi : EnquĂŞte CDMV : le tourisme attire toujours, mais les frustrations demeurent...

Bonheur au travail, QVT : les entreprises se sont fourvoyées dans des gadgets "bonheuristes"

Julia de Funès a également abordé le bien-être au travail et la Qualité de Vie au Travail (QVT). Elle ne passe pas par quatre chemins : "toutes les tentatives qui cherchent à homogénéiser le bonheur sont au mieux vaines, et au pire tyranniques. Les pires idéologies ont toujours été conduites pour le bien de l'humanité."

Elle poursuit : "Laissez les gens gérer leur bien-être. C'est subjectif et c'est une affaire entre soi et soi-même."

Pour la philosophe, le bonheur est une affaire existentielle très compliquée et "les entreprises se sont fourvoyées dans des gadgets "bonheuristes". C'est parfois presque Disneyland. Il y a les bonbonnières, les rooftops végétalisés avec les tomates cerises, les pots de miel, les baby-foot, les smoothies bio...

C'est très agréable d'avoir un cadre de bureau fun et cool. Mais penser que ce genre d'artifices va rendre les collaborateurs heureux, c'est les prendre pour des imbéciles."


Quant au poste de Chief Happiness Officer, que l'on voit fleurir au sein des organisations, c'est selon elle, ni plus ni moins qu'"un emploi fictif !".

Alors les entreprises ont-elles la possibilité de rendre heureux leurs salariés ? Elle répond : "C'est parce que les collaborateurs ont des possibilités d'agir dans leur entreprise qu'ils vont se sentir plus performants, plus épanouis et heureux au travail.

Le bonheur n'est pas une condition de performance, mais la conséquence d'une action ou d'une performance possible. Il ne faut pas inverser le paradigme, la cause et la conséquence".

Comment engager un collectif ?

Comment engager un collectif ? Cette question, toutes les entreprises se la posent. Julia de Funès pose trois conditions à l'engagement et à la création du collectif.

1 - Le travail individuel doit venir en appui du collectif : "sans travail individuel très fort, le collectif n'arrivera strictement à rien. Si 60% des réunions ne servent à rien, c'est parce que souvent personne n'a bossé individuellement le dossier. Résultat : les participants se retrouvent passifs pendant deux heures."

2 - Une direction commune : "Cette condition est très souvent évoquée dans les team building, elle est essentielle mais elle ne peut être la condition unique à l'engament du collectif. Cela n'a jamais suffit à créer une solidarité."

3 - Le risque pour l'individu : "Il n'y a aucun collectif, aucune solidarité véritable, sans la conscientisation pour l'individu d'un risque. C'est une condition incontournable.

La conscience du risque crée de la solidarité. Cela ne veut pas dire qu'il faut manager par la peur, mais il ne faut pas édulcorer le réel. On peut entendre le mot risque au sens de menace, mais aussi au sens d'une opportunité ou d'un intérêt."

Le potentiel d'action : Ă  l'heure de l'IA, "ne pas juste ĂŞtre un rouage de l'entreprise"

A l'heure où les entreprises ont du mal à attirer les jeunes générations, Julia De Funès met en avant "le potentiel d'action".

Les nouvelles générations souhaitent être acteurs et auteurs de leur vie professionnelle. Ils ne veulent pas être juste un numéro ou un rouage de l'entreprise.

Les conditions de l'action passent, pour Julia de Funès, par trois choses : la prise de risque, le sens et la confiance.

  • La prise de risque :
"Dans une entreprise, on ne peut pas bien sûr prendre des risques inconsidérés. Mais si dans son périmètre, on ne laisse pas aux collaborateurs la possibilité de prendre des risques, c'est qu'on n'a pas à faire à des sujets mais à de bons petits soldats et à de bons petits rouages."

  • Le sens :
Julia De Funès rappelle que les métiers se sont technicisés par nécessité concurrentielle. Or la technique est un moyen et, le sens, la finalité. "Plus on technicise les métiers, plus vite on les dé-finalise, d'où la nécessité pour les managers de donner encore plus de sens car aujourd'hui nous ne voyons plus tout de suite la finalité de ce que nous sommes en train de faire.

Les gens ont besoin de savoir Ă  quoi ils servent.
Même dans les métiers les plus censés comme le médical, on rencontre la problématique du sens car les taches sont tellement technicisées, les process tellement nombreux qu'on n'a plus le sentiment de prendre soin des malades."


Elle ajoute que le travail ne doit plus être considéré comme une finalité : "travailler pour travailler, cela n'a strictement aucun sens. Si toutes les entreprises ou presque ont des problèmes d'attractivité, de fidélisation, c'est que l'entreprise ne constitue plus une finalité comme nous le considérions il y a quelques années.

Les entreprises qui rencontrent le moins de problèmes de recrutement sont celles qui ont une raison d'être très forte."


  • La confiance :
"Le management est obligé de faire confiance, on ne peut plus être dans une logique de contrôle permanent.

Il faut faire confiance, c'est très rentable pour les entreprises et le management. Il y a des moments de contrôle et des moments de confiance, mais les deux en concomitance, ce n'est pas possible".


Exemple cité par Julia de Funès : le télétravail. "Les études montrent que les gens ne travaillent pas moins. Le télétravail est un gage de confiance. On reconnait l'autonomie de la personne et c'est très valorisant.

Cela ne veut pas dire que le télétravail n'a pas d'inconvénients et je ne parle pas du télétravail 5 jours sur 5, qui est impossible à gérer. Je parle de l'hybridation. Le présentiel n'a jamais garanti un collectif très fort. Quand on vous a fait confiance, vous vous êtes sentis réhaussé.

A l'heure de l'intelligence artificielle, cela me semble important. La machine aujourd'hui est incapable de faire preuve de ces trois choses-lĂ  : risque, sens et confiance. Il faut donc cultiver ce que nous avons en propre pour ĂŞtre des sujets agissants !"



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