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Thierry Marx : "Les politiques se rendent-ils compte de l’état du pays ?" 🔑

Pour Thierry Marx, il est temps de revoir le modèle économique mondial


Issu d'une famille immigrée polonaise et modeste, Thierry Marx a pris l'ascenseur social en s'engageant dans la restauration. Devenu, en quelques années, un chef respecté et multi-étoilé de la cuisine française, la réussite n'a pas éloigné l'ancien responsable des cuisines du Mandarin Oriental à Paris des préoccupations de ses brigades et congénères. Pour Thierry Marx, les chefs d'entreprise doivent accepter les codes et valeurs des nouvelles générations. Il appelle aussi à une refonte de notre modèle économique mondial dépassé, celui de "l'EBITDA merveilleux" qui mène au chaos.


Rédigé par le Mardi 2 Juillet 2024

Il est l'un des chefs français les plus connus du grand public et une figure de la gastronomie dans le monde.

Thierry Marx a pris la parole pendant un peu plus d'une heure lors du dernier congrès des Entreprises du Voyage, pour faire passer quelques messages, lui l'enfant de l'immigration polonaise en France, lui le militant ayant défendu la régularisation des travailleurs immigrés et surtout lui, le manager bienveillant.

Le président de l'UMIH, qui a commencé la cuisine tardivement comme commis, et alors que le Rassemblement national frappe aux portes de Matignon, a préféré ne pas se positionner, mais poser des questions.

"En tant que chef d’entreprise, ce que n’aime pas l’entrepreneur, ce sont les zones de turbulences ; ce n’est pas parce que nous avons l’âme d’un aventurier que nous aimons le risque.

J’avoue que, d’un côté comme de l’autre de l'échiquier politique, nous n'avons pas vraiment eu de réponses à nos questions.

Et il est vrai que la lecture des programmes donne le vertige : est-ce qu’ils ont vu l’état du terrain ? Je me demande s'ils ont vu la situation de la ruralité, l'explosion des charges, les entreprises qui se battent pour rester compétitives.

Nous allons devoir être patients, partager le sentiment avec nos concitoyens : vous pouvez croire au Père Noël, mais prenez le temps de regarder sur le long terme des promesses qui n'engagent que ceux qui les font
," a introduit le chef étoilé.

Une façon de balayer l'absence de positionnement d'un syndicat qui devra composer avec la prochaine majorité, qu'elle soit d'extrême droite ou de gauche, puisque l'extrême gauche n'existe pas en France, selon le Conseil d'Etat.


Thierry Marx : "Les jeunes n'ont plus un rapport sacrificiel au travail"

Et pourtant celui qui dirige le restaurant Onor, tout fraîchement étoilé, est un homme de conviction.

Engagé volontaire dans l'armée française, il n'est pas du genre à s'élever contre la jeunesse, souvent critiquée par des professionnels du secteur, pour sa relation au travail.

"Elle a évolué, il y a très longtemps. Une étude de Relais & Châteaux à la fin des années 1990 annonçait déjà que les générations à venir n’auraient plus un rapport sacrificiel au travail. Sauf que personne n'a pris cette évolution en compte," recontextualise Thierry Marx.

Un changement que les dirigeants n'ont pas tous vu venir, notamment dans l'industrie touristique.

Alors que durant la crise sanitaire, les bureaux se vidaient et les effectifs s'allégeaient pour laisser passer l'ouragan, le redémarrage s'est fait sans de nombreux éléments, partis dans d'autres domaines ayant moins subi les stop and go.

Au milieu de cette relance chaotique, il a fallu composer avec des salariés aux nouvelles valeurs et objectifs de vie.

"Nous devons acter cela et considérer que les gens vont choisir de planifier leur vie. Dans nos offres d'emploi, nous allons devoir considérer cette mutation. Nous devons nous mettre autour de la table et nous questionner sur l'attractivité de nos métiers par l'épanouissement des collaborateurs," considère le chef étoilé.

Exemple concret : son nouvel établissement, localisé à Saint-Ouen, est fermé tous les week-ends.

A lire : Thierry Marx va-t-il révolutionner l’UMIH ?

Thierry Marx : "Le travail n'est pas une valeur, il permet d'atteindre un projet d'épanouissement"

De plus, selon le président de l'UMIH, le secteur ne doit plus regarder derrière lui la voiture-balai du SMIC, comme une contrainte, sous-entendant que l'hôtellerie-restauration doit proposer bien mieux à ses salariés.

Entre les très faibles salaires, les horaires à rallonge, les repos dans la semaine, les coupures... la vie d'un saisonnier ou d'un salarié n'est pas évidente et encore moins au niveau social.

"Il est évident qu'il y a un sujet sur la particularité de nos métiers, puisque nous travaillons quand les gens se reposent. Se pose alors la question : quelle vie sociale vais- je avoir ?

Je pense que nous allons très doucement nous approcher du 4-3, donc 4 jours de travail et 3 jours de repos ; ce sera une solution à l'avenir.

L'idée, c'est quand même de se dire que le travail n'est pas une valeur. J'en ai marre d'entendre cela, alors que pour moi le travail est un moyen d'atteindre un projet d'épanouissement,
" poursuit l'adepte de la cuisine moléculaire.

Un changement de vision qui doit infuser et faire changer le management des dirigeants.

Non seulement, les nouvelles générations n'ont plus envie de se sacrifier au travail, mais celui-ci doit mener à un but bien précis.

"Quand une personne qui travaille ne peut pas voir aboutir ses rêves que ce soit d'acheter une jolie voiture, de changer d'appartement ou de payer des études à ses enfants, alors pourquoi elle sacrifierait sa vie à travailler ?

Ce genre de constat est une façon apaisée de se remettre autour d'une table, pour réfléchir sur le coût du travail et sur le fait que le travail puisse émanciper des gens qui sont parfois d'une extraction sociale modeste,
" estime-t-il.

"Cette jeunesse apprend deux fois plus vite que nous" selon Thierry Marx

Cette émancipation par le travail ne peut venir que de deux choses pour Thierry Marx : libérer le coût du travail et la formation professionnelle.

La montée en compétences est aussi indispensable pour les salariés que pour les entreprises, elle offre la possibilité de rester compétitif et surtout de pouvoir mener une carrière, même sans avoir fait réellement d'études.

D'ailleurs la première question que pose le chef, lors d'un entretien, reste : "où vous voyez-vous dans deux ans ?", histoire de tester les ambitions des nouvelles troupes et leur capacité d'évolution.

Pour le chef, nous ne devons pas croire la légende éculée : les jeunes n'ont pas le goût de l'effort.

Rappelons-nous que ce duel générationnel a toujours existé, les anciens tapaient toujours sur la paresse des plus jeunes. Déjà Socrate, au Ve siècle avant Jésus-Christ, soit il y a près de 2 500 ans, disait de la jeunesse qu'elle "méprise l'autorité et bavarde au lieu de travailler."

Malgré des siècles de fainéantise repoussée à chaque génération, l'humain est passé de la roue au smartphone et bientôt à l'exploration de Mars.

"Ils ont leurs propres codes, nous devons savoir les entendre. Il n'y a pas que des jeunes qui gueulent ou qui râlent ; aujourd'hui, j'ai des personnes de moins de 30 ans qui sont associées avec moi. N'oublions pas que cette jeunesse apprend deux fois plus vite que nous.

Quand je fais un cours sur la pâte feuilletée, ces jeunes ont déjà vu 25 vidéos de chefs différents, et me demandent si on fait celle de Ducasse, de Robuchon ou de Bocuse.

Ils sont nés avec un deuxième cerveau dans la poche arrière,
" recadre un chef d'entreprise qui souhaite faire avec les nouvelles générations et pas contre.

Un discours aussi inspirant pour les patrons présents dans la salle que les jeunes ressentent parfois une forme de dénigrement et de réticence dans les entreprises.

"Le modèle économique mondial pose problème" selon Thierry Marx

Cette connaissance universelle et pointue n'est pas le seul atout de cette jeunesse. C'est aussi une génération engagée : quand elle croit à la cause, elle peut se donner bien plus que d'autres, à en croire l'expérience de l'amoureux du Japon.

"Durant le Covid, quand nous avons proposé de faire de la street food pour nos soignants, les volontaires à participer à cette démarche avaient tous moins de 20 ans. Ne tirons pas trop tôt sur cette jeunesse," affirme même Thierry Marx.

Par contre, le rapport au sacrifice et au travail évoluant, le statut aussi change.

Pour ces générations, la vie professionnelle est sans doute moins linéaire. Ainsi, elles peuvent travailler avec acharnement pendant 6 mois, puis partir 4 mois sillonner le monde.

"Nous voyons arriver quelque chose qui vient déréguler nos métiers : l'ubérisation du travail.

Certains nous disent « je suis auto-entrepreneur et je veux bien travailler dans la restauration, mais à mon rythme ». Nous devons prendre en compte cela, être en capacité de proposer des choses à ces personnes, mais il va falloir que l'État joue son rôle.

Il doit nous permettre d'améliorer l'attractivité de nos métiers et ne pas taxer les avantages en nature.

Nous avons posé des questions à différents ministres du Travail, nous avons bien compris qu'ils ne veulent pas réformer le code du travail, sauf qu'il se réforme de fait,
" observe le chef.

S'il convient de revoir nos textes et notre modèle social pour mieux coller aux aspirations des générations à venir, la France ne peut pas avancer seule contre le reste du monde.

Pour Thierry Marx, l'économie mondiale et ses dérives doivent être revues pour intégrer les enjeux futurs. "Je pense que le modèle économique mondial, tel que je l'ai connu, nous pose problème. L'EBITDA merveilleux mène au chaos !

Je crois que le mécanisme de croissance pourrait être réétudié pour se diriger de la croissance en conscience.
Une croissance d'entreprise à partir de laquelle nous pourrions être capables de mesurer son impact social et environnemental.
"

De quoi en faire réfléchir plus d'un, même dans ce monde du tourisme qui a pourtant tant réfléchi au monde d'après...


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