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Ukraine : une nouvelle page de la collaboration spatiale se tourne-t-elle ?

la chronique de Michel Messager


Jusqu’à présent le secteur spatial était l’exemple d’une collaboration solide entre la Russie et les Occidentaux. Cette collaboration, comme dans beaucoup d’autres secteurs, a été balayée par l’escalade des sanctions provoquées par le conflit russo-ukrainien. Ce conflit, outre des retards dans les programmes, voire une mise en sommeil du tourisme spatial, marque certainement un tournant important dans l’histoire du secteur spatial. C’est pourquoi nous y consacrons ces quelques lignes, même si nous savons qu’il est encore prématuré pour en connaître déjà toutes les conséquences.


Rédigé par le Mercredi 27 Avril 2022

L’Europe spatiale, la Russie, seront-elles les grandes perdantes du conflit russo-ukrainien ? Les Etats-Unis seront-ils les grands gagnants ? Allons-nous voir se former un ‘’bloc spatial’’ Chine-Russie-Inde ?  Depositphotos.com Auteur postmodernstudio
L’Europe spatiale, la Russie, seront-elles les grandes perdantes du conflit russo-ukrainien ? Les Etats-Unis seront-ils les grands gagnants ? Allons-nous voir se former un ‘’bloc spatial’’ Chine-Russie-Inde ? Depositphotos.com Auteur postmodernstudio
Avant d’examiner ces conséquences, observons et revenons sur les faits qui se sont déroulés sur le secteur spatial et ce depuis le début de la crise.

Le Conseil de sécurité de l'ONU se réunit le lundi 31 janvier 2022 sur la crise ukrainienne et dès début février, les Occidentaux excluent d'intervenir militairement en Ukraine mais menacent la Russie de sanctions « rapides et draconiennes » en cas d'invasion de l'Ukraine.

Dmitri Rogozine patron de la société spatiale d’État Roscosmos réagit déjà via une série de tweets cinglants : « Voulez-vous détruire notre coopération sur l'ISS ? C'est ce que vous faites déjà, en limitant les échanges entre nos centres d'entraînement de cosmonautes et d'astronautes. - Voulez-vous gérer l'ISS vous-même ? » -. « Si vous bloquez la coopération avec nous, qui sauvera l'ISS d'une désorbitation incontrôlée et tombera aux États-Unis ou en Europe ? ».

Suite à la déclaration du Président Joe Biden, le jeudi 24 mars, annonçant des sanctions économiques de grande envergure contre la Russie et mentionnant spécifiquement que les sanctions « limiteront leur capacité à accéder à la technologie développée à l'Ouest...nous allons couper plus de la moitié des importations de haute technologie de la Russie... cela va dégrader également leur industrie aérospatiale, y compris leur programme spatial global ».

Lire aussi : L’Europe spatiale, grande perdante du conflit russo-ukrainien ?

Bien entendu la réaction ne se fait pas attendre et Dmitri Rogozine monte d’un ton et menace toujours sur Twitter : « Si vous bloquez la coopération avec nous, qui sauvera l'ISS d'une désorbitation incontrôlée et d'une chute sur les États-Unis ou l'Europe. Je vous suggère de ne pas vous comporter comme un irresponsable (…) Pour éviter que vos sanctions ne vous tombent sur la tête. Et pas seulement au sens figuré ».

Roscosmos a suspendu sa coopération avec les partenaires européens

En réponse à ces propos, pour éviter toute escalade et lever toute ambiguïté de sa position, la Nasa publie le communiqué suivant : « La NASA continue de travailler avec tous ses partenaires internationaux, y compris la société spatiale d’État Roscosmos, pour la poursuite des opérations – en toute sécurité – à bord de la Station spatiale internationale ».

De son côté, Josef Aschbacher, le patron de l’agence spatiale européenne, déclare-lui aussi, via un tweet rassurant : « Malgré le conflit actuel, la coopération spatiale reste un pont. L’ESA continue de travailler sur tous ses programmes, y compris sur la campagne de lancement de l’ISS et d’Exomars ».

Une fois encore, la réaction russe ne se fait pas attendre : « En réaction aux sanctions de l'UE à l'encontre de nos entreprises, Roscosmos suspend sa coopération avec les partenaires européens dans l'organisation des lancements spatiaux depuis le cosmodrome de Kourou et rappelle son personnel technique (...) de Guyane française », écrit l'agence dans un communiqué.

S’en suit alors une période d’incertitude. Ainsi, début avril, un Soyouz qui devait s’envoler du CSG afin de placer sur orbite 2 satellites du système de géolocalisation européen Galileo, voit cette mission annulée.

Lire aussi : Conflit Ukraine : vers une mise en sommeil du tourisme spatial ?

Le Royaume-Uni qui devait mettre en orbite des satellites de la constellation OneWeb via une fusée Soyouz et les 36 lancements suivants ont tous été annulés par l’agence. L’opérateur de satellites OneWeb, annonce qu’il allait les reprendre en utilisant les services de SpaceX pour poursuivre le déploiement de sa constellation.

Même les Chinois pour le moment ont « mis en pause » leur collaboration avec Roscosmos

De son côté, dans un communiqué de presse intitulé "Suspension des lancements Soyouz opérés par Arianespace et Starsem", celui-ci précise : « Concernant le lancement ST38 opéré pour OneWeb depuis Baïkonour, il a été reporté sine die suite aux conditions posées par Roscosmos pour poursuivre les opérations ».

ExoMars 2022, sous le signe d’une coopération entre l’Agence Spatiale Européenne et son homologue russe Roscosmos, qui devait décoller depuis Baïkonour en septembre semble désormais compromis puisque l’ESA communique officiellement « que les sanctions et le contexte général rendaient un lancement en 2022 très improbable ». Sachant que le prochain créneau d’envol vers Mars demandera 2 ans d’attente au mieux.

Ces quelques exemples montrent les conséquences d’un tel conflit, mais il ne faudrait pas pour autant passer sous silence les conséquences pour la Russie.

Lorsque l’URSS s’est démantelée, elle a laissé derrière elle une partie importante de son industrie spatiale dans les "nouvelles républiques" et notamment en Ukraine. Ce qui explique, que des sites spatiaux ukrainien comme Dnipro, Yuzhmash et Yuzhnoye n’ont pas été jusqu’à présent bombardés ou visés par des attaques de missiles, démontrant ainsi que le plan de la Russie est de les reprendre dans son giron.

La Russie consciente de son retard en matière spatiale, comptait rattraper celui-ci en s’appuyant sur de nombreux programmes de coopération notamment avec la Nasa, la Chine et l'Agence spatiale européenne.

C’est pourquoi, le 12 avril, jour national des cosmonautes et de la célébration de l'anniversaire du premier humain en orbite, Vladimir Poutine et son homologue biélorusse Alexandre Loukachenko se sont rendu sur le nouveau site spatial de Vostotchnyi. L’occasion était belle pour Vladimir Poutine d’affirmer la volonté de la Russie dans le développement de son programme spatial, notamment dans la relance de son programme lunaire en affirmant « les capacités modernes de la Russie, avec des atterrissages au Pôle Sud lunaire, des expériences ambitieuses et des programmes pour gagner des compétences sur le moyen et long terme ».

Bien évidemment, Poutine a omis de préciser que l'agence spatiale russe comptait sur les technologies européennes et américaines pour mener à bien ces missions, or aujourd’hui la Russie spatiale est isolée, même les Chinois pour le moment ont « mis en pause » leur collaboration avec Roscosmos.

l’Europe sera t-elle la plus touchée par cette situation ?

Quand on lit l’article de Charly Pohu sur le site Businessam.be, on observe déjà ce que pourraient être les conséquences futures : « L’envoi de satellites dans l’espace est en plein boom aux États-Unis, mais le secteur a besoin de fusées, et certains de ces lanceurs sont russes. Suite à la guerre en Ukraine et aux sanctions qui pleuvent sur la Russie, il est probable que les entreprises de satellites doivent arrêter de travailler avec des acteurs russes.

La question suivante se pose alors : vers qui se tourner pour les remplacer ? ...SpaceX, Astra Space et Rocket Lab, mais est-ce que ce sera assez pour remplacer les lanceurs russes ? Des représentants du secteur ont des doutes sur la capacité de ces entreprises à suivre la demande... A court terme, les producteurs et exploitants de satellites devraient donc bel et bien s’attendre à un embouteillage
».

L’Europe spatiale, la Russie, seront-elles les grandes perdantes du conflit russo-ukrainien ? Les Etats-Unis seront-ils les grands gagnants ? Allons-nous voir se former un ‘’bloc spatial’’ Chine-Russie-Inde ? L’Europe spatiale va-t-elle devenir plus dépendante des Etats-Unis ?

Autant de questions que l’on peut se poser suite à ce conflit et dont on aura les réponses dans plusieurs mois.

D’ores et déjà, de nombreux spécialistes sont près à penser que l’Europe va être la plus touchée par cette situation. Avec la fin des lancements via les fusées russes Soyouz et les retards déjà enregistres par Arian 6 et Vega C, l’Europe va en effet devoir revoir ses plans non seulement à court terme mais aussi à moyen terme. Ceux qui profiteront de cette situation seront les sociétés privées et notamment SpaceX.

En mettant à mal, la collaboration internationale, une page de l’histoire spatiale est en train de se tourner.

Michel Messager - DR
Michel Messager - DR
Michel MESSAGER est directeur associé de Consul Tours, société de conseil travaillant pour une clientèle privée et institutionnelle dans les secteurs du tourisme.

Il est Membre Fondateur de l’Institut Européen du Tourisme Spatial et de l’AFST (Association Française des Seniors du Tourisme).

Il est l’auteur de deux livres sur le Tourisme Spatial, le premier publié en 2009 à la documentation française et le second sorti en 2021, "Histoire du Tourisme Spatial de 1950 à 2020" chez Amazon, ainsi que de nombreux articles sur le sujet.

Il est considéré actuellement comme l’un des spécialistes en la matière. Il intervient fréquemment sur ce sujet à la radio et à la télévision, ainsi qu’au travers de conférences dans de nombreux pays, notamment au Canada où il réside quelques mois par an.

Il conseille notamment des entreprises du "new space" et des fonds d’investissements sur les projets financiers en matière du Tourisme Spatial.

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