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Willie Walsh (IATA) : "Le ciel unique européen est un scandale !" [ABO]

Retour sur l'AG du BAR France (2e partie)


Willie Walsh, le directeur général de l'IATA, était présent lors de l’Assemblée générale annuelle du BAR France, le 21 janvier dernier. Le tout puissant patron de l’association des compagnies aériennes a pu largement prendre la parole. Ciel unique européen, transition vers le net zéro, carburant d’aviation durable, NDC... tous les sujets bouillants ont été passés sur le grill...


Rédigé par le Jeudi 23 Janvier 2025

Absence du ciel unique européen : "un scandale qui incombe aux politiciens"

Willie Walsh (IATA) et Jean-Pierre Sauvage Président du BAR - Photo : C.Hardin
Willie Walsh (IATA) et Jean-Pierre Sauvage Président du BAR - Photo : C.Hardin
Willie Walsh, directeur général de l'IATA, est longuement revenu sur les défis qui attendent le secteur de l'aérien, lors de l'assemblée générale du BAR France, mardi 21 janvier 2025 à Paris.

Voici la suite de verbatims de son intervention, après ceux déjà publiés hier dans nos colonnes.

« J'ai décrit l'Europe comme ayant une demande robuste, mais qui doit relever de grands défis, a lancé Willie Walsh devant un parterre de personnalités du transport aérien et du tourisme.

Cela passera par la capacité du contrôle aérien à améliorer le nombre de retards, la capacité des aéroports à gérer les flux et évidemment cette tendance continue des gouvernements à augmenter les taxes sur les passagers qui impactent la demande intérieure dans certains pays. La France, à cet égard, en est un exemple.

Concernant le ciel unique européen, je considère que c’est franchement un scandale.

Lorsque le projet a été validé il y a vingt ans, il était destiné à multiplier la gestion du trafic en Europe par trois. Il devait réduire les coûts, améliorer la sécurité et surtout, réduire le CO2 sur le marché européen de 10%*.

Une réduction de 10% du CO2 en Europe est un chiffre énorme, surtout quand vous le comparez à certaines des initiatives prises par les politiciens en particulier. Je pense à l'exemple de la France, où l'interdiction des vols court-courriers impacte trois aéroports de province desservis depuis Paris Orly (mais où vous pouvez toujours voler de Paris Charles de Gaulle vers ces destinations.)

Si nous arrêtions tous les vols en Europe de moins de 500 km, nous réduirions le nombre de vols de 24%. C’est énorme. Et pour quels résultats ? Selon Eurocontrol, une réduction de 3,8% du CO2, alors que le bon fonctionnement du ciel unique européen réduirait le CO2 de 10%. Donc, c'est une réduction énorme.

Arrêter tous les vols court-courriers en Europe réduirait le CO2 de 3,8%. Le ciel unique européen réduirait le CO2 de 10% !

Et pourtant, les personnes responsables de l’achèvement du ciel unique européen, c'est-à-dire les politiciens, car c'est une décision politique, refusent d’accélérer sur cette question. Ils préfèrent prendre des initiatives qui auront un impact minuscule sur le CO2.
Franchement, c’est du greenwashing politique !

Pour pouvoir aborder notre impact environnemental, une avancée très rapide vers un ciel unique européen est nécessaire afin que nous puissions obtenir des bénéfices significatifs en matière d’environnement. Tout ce dont nous avons besoin, c'est de la volonté politique pour y faire face. »


* En améliorant notamment les trajectoires des avions pour des routes plus directes et donc plus rapides.


Chaînes d’approvisionnement : le pessimisme du patron de l'IATA

Pour Willie Walsh, « les difficultés d’approvisionnement reste la grande frustration parmi les PDG des compagnies aériennes. Principalement parce qu'un certain nombre d'entre eux voient des opportunités d'étendre leur marché, mais qu'ils ne peuvent pas parce que les avions ne sont pas disponibles.

Cela a un impact sur les prix : nous voyons la croissance de la demande dépasser la croissance de l'offre.

Et que par conséquent, lorsque vous avez une demande croissante et des contraintes d'offre, vous voyez les prix augmenter. Cela a un impact sur le marché aujourd'hui, et aussi sur les consommateurs.

Franchement, nous sommes très frustrés parce que nous voyons ce problème de chaîne d'approvisionnement se poursuivre depuis plusieurs années. Boeing a indiqué qu'il leur faudrait probablement environ cinq ans pour revenir là où ils doivent être.

Ainsi, lorsque nous parlons aux fabricants de cellules, ils sont plus optimistes que lorsque nous leur parlons de moteurs, parce que, comme vous le savez, une partie importante du problème auquel nous sommes confrontés aujourd'hui concerne les moteurs.

Et je crois que nous continuerons à avoir des contraintes autour de l'approvisionnement et de la réparation des moteurs. En particulier avec le moteur GTF, pendant un temps considérable encore.

Je pense que ces difficultés se poursuivront probablement jusqu'à la fin de cette décennie, alors qu'à l'origine, j'avais espéré et attendu qu'elles soient résolues en 2025.

Transition vers le net zéro, "cela va être coûteux"

« La transition vers le net zéro est très complexe, c’est aussi très coûteux, estime Willie Walsh. C’est l'un des problèmes qui est passé sous silence lorsque les hommes politiques parlent de la transition vers le net zéro.

Ils ont créé une attente sur la transition vers le net zéro qui devait être positive pour les emplois et pour les consommateurs.

Personnellement, je pense que cela va avoir un impact très significatif sur les coûts. Si vous regardez notre industrie, nous avons estimé le coût opérationnel de la transition vers le net zéro d'ici 2050 à des milliers de milliards de dollars : 4,7 ou 4,8 trillions de dollars. Cela aurait un impact moyen de 191 milliards de dollars sur les prix du carburant, en moyenne sur la période de 2050.

Pour mettre cela en perspective, nous estimons notre facture carburant en 2025, à environ 250 milliards de dollars. Si vous ajoutez le coût moyen - 191 milliards de dollars - vous constatez que nous allons augmenter le pourcentage de carburant d'environ 25% à 39%.

Notre marge moyenne est de 3,6%. Elle ne permettra pas aux compagnies aériennes d'absorber ce coût supplémentaire. C'est tout simplement impossible. Cela signifierait la faillite de toute l’industrie du transport aérien. Donc, ça n'arrivera pas.

Il faut être honnête avec les consommateurs et leur dire que ce sont eux qui vont payer la facture. Et ce sera cher ! Et cela aura un impact sur les compagnies aériennes, car cela impactera les tarifs. Les compagnies doivent récupérer les coûts supplémentaires associés à cette transition, et elles n'ont pas d'autre moyen de le faire qu'en augmentant les prix des billets. Donc, cela va être un grand défi.

Cela va être coûteux, difficile et cela va prendre du temps. Et je pense que les gens doivent être patients et doivent travailler ensemble pour s'assurer que nous pouvons y arriver. Mais le net zéro 2050, à mon avis, est absolument essentiel. Nous devons le faire. »


Lire aussi : Remboursement Taxe Chirac : Une situation "ubuesque"

Comment inciter à produire plus de carburant d’aviation durable ?

« À propos de cette nécessité de produire plus de carburant d’aviation durable (CAD), regardez ce que fait Airbus et comparez avec la stratégie des compagnies pétrolières en termes d'avenir du SAF, a lancé le dirigeant de IATA.

Airbus n'est jamais allé sur le marché en disant : "Je veux que vous me garantissiez que vous allez acheter mon produit en 2040, 2045, 2050". Ce qu'ils ont fait, c'est qu'ils croyaient en leur produit. Et ils construisent des avions pour l'avenir qui sont meilleurs que les avions produits dans le passé.

Les compagnies pétrolières semblent vouloir cette garantie. Et ces compagnies pétrolières sont extrêmement riches par rapport à l'industrie aérienne, mais elles veulent une garantie de retour. Donc, ce qu'elles disent, c'est que : "nous ne produirons que si vous garantissez d'acheter mon produit". Et je pense que cela doit changer. Si nous sommes tous dans le même bateau, alors nous devons tous être engagés. Et nous devons tous acheter notre produit.

Les politiciens qui exigent que nous fassions plus en termes de performances environnementales continuent d'inciter les compagnies pétrolières à produire de plus en plus de combustibles fossiles. Et ils ne fournissent pas le même type d'incitation aux compagnies pétrolières pour produire des carburants durables.

Et franchement, ce n'est pas acceptable. Maintenant, je comprends pourquoi. Parce que nous utilisons encore aujourd'hui d'énormes quantités de combustibles fossiles, et nous continuerons à le faire.
Et c'est là que, je pense, nous, dans l'industrie aérienne, devons être un peu plus bruyants. Nous ne sommes pas le seul problème.

Certaines personnes nous dépeignent comme le problème en termes de performances environnementales. Oui, nous avons une contribution significative en termes de CO2, environ 2,5% du CO2. Aujourd'hui, à mesure que d'autres industries se décarbonisent, cela augmentera. Et oui, il y a un impact non-CO2.

Mais lorsque nous parlons de carburant d'aviation durable, il est important de souligner qu'il s'agit d'un carburant durable disponible pour l'aviation, mais également disponible pour d'autres industries. La raffinerie produisant ce carburant durable ne le produira pas uniquement pour l'utilisation des compagnies aériennes.

Elle le produira pour le transport routier, pour les petites et moyennes voitures, les camions. Elle le produira pour l'industrie chimique. Elle le produira pour toutes les industries qui utilisent aujourd'hui des combustibles fossiles liquides.

Donc, peut-être que c'est l'une des erreurs que nous commettons lorsque nous parlons de carburant d'aviation durable, de faire penser que nous voulons quelque chose de spécial pour l'industrie du transport aérien. Ce n'est pas le cas. »

NDC : décevant en termes d’évolution

Pour Willie Walsh, « la NDC a été décevante quant à son évolution, mais pour les compagnies aériennes qui l'ont adoptée, cela a été très réussi.

Il me suffit de regarder en arrière, ma propre carrière chez British Airways, qui a été l'une des premières compagnies à adopter la norme NDC et cela a été très réussi.

Cependant avec des marges si minces pour les compagnies, l’investissement requis pour passer d'un modèle que nous avons aujourd'hui à un modèle NDC est un risque que nous ne sommes pas prêts à prendre. Et je pense que c'est compréhensible.

Toutefois, je pense que le passage à une nouvelle forme moderne de vente au détail pour les compagnies aériennes doit se produire, parce que les consommateurs l'exigeront. La façon dont nous opérons aujourd'hui, qui est basée sur l'informatique héritée, l'architecture, l'infrastructure, remontant aux années 60, n'est pas durable à l'avenir
».

Les taxes, une solution pour l’environnement ?

Enfin, selon le DG d'IATA, « les taxes n'arrangeront rien. Elles n’arrêteront pas les avions de voler, mais elles empêcheront certaines personnes de s'asseoir dans ces avions.

Cette année, nous estimons que le taux de remplissage moyen des sièges sera d’environ 84%. Ce que nous avons vu avec les taxes, en rendant les billets plus chers, c'est que certaines personnes ne pourront pas voler.

Avec les taxes, au lieu d’avoir un taux de remplissage de 84%, vous aurez peut-être un taux de remplissage de 78%.

L'impact environnemental, zéro ! L'impact sur l'économie, énorme ! L'impact sur les consommateurs, énorme ! L'impact sur les gens en général, énorme ! Parce que les personnes qui ont pu profiter des opportunités fantastiques que la connectivité offre seront exclues de cela.


Nous pourrions revenir à la situation de l'industrie que j'ai rejointe, où seuls les riches pouvaient se permettre de voler : les vols continueraient d'opérer.

Nous pourrions avoir une situation, à nouveau, à l'avenir avec des taux de remplissage comme dans les années 60 : les vols seront toujours là. Ils produiront toujours du CO2. Ils produiront toujours du bruit.

Nous devons baser les décisions sur le résultat souhaité, et si celui-ci consiste à améliorer la performance environnementale, alors il faut faire un effort concerté pour augmenter la production de carburant d'aviation durable pour garantir qu'il y ait un avenir durable pour l'aviation. Ce qui permettra aux gens de continuer à profiter de la connectivité qu'ils ont, et aux marchés de continuer à profiter des avantages économiques qu'ils obtiennent aujourd'hui ».

Christophe Hardin Publié par Christophe Hardin Journaliste AirMaG - TourMaG.com
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