Pourquoi Xavier Niel a Free et n'a pas tout compris... au voyage ? 🔑

Le stand-up ce n'est pas donné à tous...

Et ce n'est pas parce que Xavier Niel est un entrepreneur à succès et un gestionnaire hors pair, qu'il est capable d'enchainer les vannes sur scène.

Sa dernière intervention, reprenant un passage de son spectacle "Comment devenir milliardaire", devant la fine fleur nationale des chefs d'entreprise, a plutôt fait un flop.

Facile pour celui qui est devenu riche dans les années 80 en piratant les décodeurs de Canal Plus, puis en se mariant avec la fille de Bernard Arnault, l'une des 5 plus grosses fortunes du globe, de dézinguer les agences de voyages.

Selon ses propos, avant internet, "aller dans une agence de voyages ? Ce n'était pas facile une agence de voyages, c'était un cauchemar l'agence de voyages, ça ne marchait pas, c'était un truc horrible."


Heureusement, Free est venu et a sauvé la France, que dis-je, l'humanité, de cette prise d'otage.

Au-delà de la blague, ces affirmations sont le symbole d'un mal profond.

"Nous n'arrivons pas à communiquer à éduquer sur nos forces. A un moment donné, nous devrons nous réveiller," déplore Frédéric Savoyen, le fondateur d'Eluxtravel.

L'industrie est trop gentille, assez peu visible et mal comprise. Pire : elle est incapable de mettre en avant ses atouts majeurs.

Sauf que bon nombre d'agents ont décidé de la sortir de leur léthargie légendaire pour réclamer "un droit de réponse" que nous leur accordons bien volontiers pour laver l'affront. Non, mais...

Tout d'abord, il est nettement plus facile de s'attaquer à une profession inoffensive qu'aux restaurateurs, agriculteurs ou aux professeurs, fortement syndicalisés.

Et surtout, Xavier Niel véhicule une image partagée par de nombreuses personnes : passer par une agence de voyages, c'est ringard.

"En 1994 déjà, lors de mon BTS Tourisme, tout le monde me disait que le métier d'agent de voyages n'avait pas d'avenir.

30 ans plus tard, les agences sont toujours là et bien là. Pour survivre, l'industrie a du s'adapter, voilà la clé du succès. Comme tout secteur, il est nécessaire de s'adapter au marché, à la concurrence et à la clientèle.

C'est une remise en cause permanente," nous confie Taïna Fagard, la responsable des ventes d'Expedia TAAP.

C'est aussi un peu le sentiment des autres professionnels que nous avons interrogés.

A chaque révolution technologique, les agences de voyages sont sur la sellette, leur avenir est hypothéqué voire totalement compromis. Ce fut le cas avec Internet et une nouvelle fois avec l'intelligence artificielle.

Pourtant, le bataillon de points de vente physique résiste.

"Nous avons régulièrement des personnes dans notre entourage qui nous disent : ah ça existe encore les agences de voyages. Puis finalement, une fois que nous expliquons notre métier, ces personnes sont les premières à solliciter nos services.

Dans ma salle de sports, tout le monde sait que je suis agent de voyages et énormément de sportifs viennent me voir pour que je m'occupe de leurs séjours.

Nous devons dépoussiérer l'imaginaire qui entoure les agences de voyages," affirme Myriam Tord, conseillère chez Versailles Voyages.

Et dépoussiérer l'image de la profession, c'était un peu aussi le rôle de Xavier Niel... dans la téléphonie.

Pourtant, il reste le patron d'un opérateur qui possède pas moins de... 180 boutiques en France, pour choisir un forfait mobile et un téléphone. No comment.

"De prime abord, j'ai envie de dire qu'il est free (libre) de penser ce qu'il veut, mais qu'il n'a pas tout compris.

Nous avons basculé sur le web, nous sommes connectés et nous faisons du Web to Store. C'est au coeur de notre activité. Puis internet est aussi devenu une véritable jungle pour le voyageur.

Ils y trouvent tout et n'importe quoi, bien souvent de mauvaises informations," interpelle Jean-Charles Franchomme, le président-fondateur du CMDV et du Helpdesk.

Une façon de démontrer que cette image qui leur colle aux basques n'est plus d'actualité.

Même si certains se sont lancés sur le tard, la distribution a désormais pris en grande majorité le virage du digital. Et justement, s'il est une personne qui a observé cette évolution, c'est bien Jean-Pierre Mas.

"Il confond l'exercice d'une activité et l'utilisation des technologies.

C'est comme s'il comparaît le téléphone filaire, hyper ringard et le mobile alors que France Télécom est bien passée du premier au second, sans se ringardiser.

Les AGV sont nécessaires dans AU MOINS 2 domaines : la gestion globale des déplacements professionnels des entreprises, en respectant leur politique voyage, et dans l'organisation des voyages de ceux qui ont besoin d'être réassurés ou ne veulent pas consacrer leur temps à ça.

Et j'imagine assez mal cette personne acheter son mobilier chez Ikea et passer ses week-ends à l'assembler," affirme avec le sourire, l'ancien président des Entreprises du Voyage.

Une fois la page de la ringardise du secteur ou supposée telle refermée, de nombreux professionnels ont voulu ouvrir celle des naufragés d'internet. La crise sanitaire a été une chance pour une partie de la profession.

"Quand je discute avec mes confrères, les chiffres d'affaires se portent tous bien.

Nous avons de plus en plus d'usagers du web mécontents ou arnaqués qui passent les portes de nos commerces. Nous sommes des experts, comme d'autres," peste Aurélie Orengo Berthet, la créatrice du tour-opérateur Voyage Sauvage.

Alors que Xavier Niel donne des leçons aux agences de voyages, il est amusant de remarquer une chose : la relation client est plus que déplorable au sein de son entreprise.

"Quand il parle de cauchemar, il est bien placé pour en parler avec ses Freebox et son entreprise complètement deshumanisée. Il est impossible de joindre quelqu'un, puis autant à l'époque c'était low cost, autant maintenant ce n'est plus le cas.

Après nous parlons d'un entrepreneur qui a investi énormément dans les nouvelles technologies. Il ne croit qu'en ça, à bien y regarder, il est dans son rôle.

Il ne vit pas dans notre monde," explique Frédéric Savoyen. Il enfile donc à chaque prise de parole le costume de super défenseur du progrès, sans même regarder derrière, ni autour de lui. Alors que les agences sont de plus en plus phygitales.

Le patron d'Eluxtravel invite d'ailleurs le beau-fils de Bernard Arnault à se rendre dans son nouveau flagship sur le boulevard Haussmann, une proposition reprise en cœur par de nombreux professionnels.

Xavier Niel ne réserve pas ses voyages sur Booking ou Misterfly, mais dispose de quelqu'un qui le fait à sa place.

"Il va se faire remplacer et sans doute plus vite que nous.

Nous avons une agilité qu'il ne peut pas avoir, une faculté à rebondir que son Groupe n'a pas, car il est trop gros. L'IA nous allons l'utiliser et l'exploiter.

Il aurait pu, sans avoir un message aussi agressif, englober son entreprise dans cette observation. Ce n'est pas digne d'un grand patron.

Après il peut avoir raison sur un point : la remise en cause n'est pas globale dans l'industrie," tempère, tout de même sous le coup de la colère, Adriana Minchella, la présidente du Cediv.

Comme bien des secteurs, il existe une grande disparité, entre les acteurs en avance et ceux qui se laissent déborder.

A bien y regarder, une fois le voile de l'énervement dissipé, celui qui a investi dans la start-up Ulysse via son fonds d'investissement Kima Ventures, aurait tapé juste en parlant du métier d'agent de voyages.

"Je suis agent de voyages depuis 15 ans, le job a énormément évolué.

Quand j'ai commencé, il fallait appeler les tour-opérateurs, tu passais des heures au téléphone à appeler pour savoir s'il y avait de la dispo, etc. Les devis sur la Polynésie par téléphone prenaient un temps monstre.

Maintenant nous avons les stocks en temps réel, tout le processus de création d'un séjour peut se faire sur leur site, en quelques clics," se félicite Myriam Tord.

Et comme, le changement de mobile et de forfait se fait sur internet dans la très grande majorité des cas, réserver un voyage ne se fait plus d'une seule façon.

Certains passent encore par des humains, c'est sûrement le cas pour l'assistant de Xavier Niel, et cela ne doit pas déboucher sur des moqueries proférées publiquement.

"L’agence est toujours là, c'est un peu l'argument que tout le monde avance pour se rassurer. Ce n’est pas suffisant. Petit à petit elle se fait éclipser.

Je milite pour la création d’une marque forte et nationale "Agence de Voyages". Pour l'épauler et l'installer, un pôle de communication solide serait créé afin de relever les défis.

Chaque agence ou réseau ne peut pas porter sur ses épaules cet effort à un niveau national, mais des structures comme Les Entreprises du Voyage pourraient jouer un rôle clé," propose Alexandre Alary, directeur de DGT Formations.

Il pourrait être possible de créer une charte qualitative avec des obligations de formations, de s'impliquer dans un développement durable du voyage et l'utilisation d'un socle commun d'outils technologiques.