Le décryptage du Digital Markets Act (DMA) par Emmanuel Mounier (EU Travel Tech) - Crédit photo Depositphotos @KennyK
TourMaG.com - Depuis quelques mois, deux textes sont en discussion au niveau européen pour légiférer sur le digital. Pouvez-vous nous les présenter ?
Emmanuel Mounier : Il s'agit du Digital Market Act (DMA) et du Digital Service Act (DSA) qui sont deux propositions législatives faites par la Commission européenne.
Ce sont deux règlements.
Le premier est un texte visant à s'assurer qu'il existe une bonne concurrence entre les plateformes numériques, avec le but de traiter les enjeux autour des “gatekeepers”, soit les plateformes systémiques ou les contrôleurs d'accès.
Le deuxième vise plutôt à améliorer la régulation des contenus en ligne, en s'attaquant aux problématiques comme la désinformation, les discours haineux, etc.
Le Conseil de l’UE est parvenu à un accord sur les deux textes en novembre dernier, le Parlement en a fait de même, nous entrons dans une phase de trilogue. Le Parlement et le Conseil se mettent d'accord sur un texte commun.
La France, avec la présidence du Conseil de l'UE, mène les discussions.
Emmanuel Mounier : Il s'agit du Digital Market Act (DMA) et du Digital Service Act (DSA) qui sont deux propositions législatives faites par la Commission européenne.
Ce sont deux règlements.
Le premier est un texte visant à s'assurer qu'il existe une bonne concurrence entre les plateformes numériques, avec le but de traiter les enjeux autour des “gatekeepers”, soit les plateformes systémiques ou les contrôleurs d'accès.
Le deuxième vise plutôt à améliorer la régulation des contenus en ligne, en s'attaquant aux problématiques comme la désinformation, les discours haineux, etc.
Le Conseil de l’UE est parvenu à un accord sur les deux textes en novembre dernier, le Parlement en a fait de même, nous entrons dans une phase de trilogue. Le Parlement et le Conseil se mettent d'accord sur un texte commun.
La France, avec la présidence du Conseil de l'UE, mène les discussions.
DMA : "Internet tel que nous le connaissons va changer avec la mise en oeuvre du DMA"
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TourMaG.com - Quelle est votre position concernant ces textes ?
Emmanuel Mounier : Nous soutenons fortement le DMA car son but est de traiter un problème qui nous est posé depuis longtemps, avec les pratiques anticoncurrentielles de Google.
Ce qui pose problème dans le secteur du voyage, c'est que le moteur de recherche positionne des box favorisant ses propres produits en matière de services au dessus des résultats de recherche organique, qui disparaissent du coup de la page. Ils ont un positionnement préférentiel.
Le DMA vient interdire le traitement de faveur apporté aux propres filiales de ces entreprises. C'est l'objectif, tout le monde est d'accord dessus, il y a juste en ce moment une amélioration de la rédaction de quelques points.
Nous souhaitons que dans la définition du classement des résultats, il n'y ait pas que les réponses organiques, mais tout ce qui est affiché dans la page des résultats. C'est sur ce point que nous essayons de faire bouger les choses.
Ainsi, en cas de recherche pour un quelconque vol, vous n'aurez jamais Google Flights dans un résultat organique de recherche. Il sera mis en évidence en dehors, dans une boîte, de la liste des réponses à votre requête.
Il existe une question très politique dans le DMA.
TourMaG.com - Quelle est-elle ?
Emmanuel Mounier : Quand nous parlons des plateformes systémiques, nous pensons directement au GAFAM (Google, Apple, Facebook/Meta, Amazon et Microsoft). Ils restent la première cible de ce texte.
La Commission depuis le début ménage son allié américain, en disant qu'elle traite les pratiques de certains acteurs et pas seulement les GAFAM qui sont tous américains.
Donc depuis le début l'instance cherche une façon pour viser ces géants, mais pas seulement eux, sans aller vraiment au-delà de ce cercle restreint.
Aujourd'hui, il existe 3 critères quantitatifs pour définir ce qu'est une plateforme systémique à savoir réaliser plus de 6,5 milliards de chiffre d'affaires dans l'espace économique européen, une valorisation boursière dépassant les 65 milliards d'euros et plus de 45 millions d'utilisateurs finaux
Il y a une possibilité pour les plateformes en dessous de ces seuils d'être rattrapé par le champ d'application après une enquête de la Commission.
Emmanuel Mounier : Nous soutenons fortement le DMA car son but est de traiter un problème qui nous est posé depuis longtemps, avec les pratiques anticoncurrentielles de Google.
Ce qui pose problème dans le secteur du voyage, c'est que le moteur de recherche positionne des box favorisant ses propres produits en matière de services au dessus des résultats de recherche organique, qui disparaissent du coup de la page. Ils ont un positionnement préférentiel.
Le DMA vient interdire le traitement de faveur apporté aux propres filiales de ces entreprises. C'est l'objectif, tout le monde est d'accord dessus, il y a juste en ce moment une amélioration de la rédaction de quelques points.
Nous souhaitons que dans la définition du classement des résultats, il n'y ait pas que les réponses organiques, mais tout ce qui est affiché dans la page des résultats. C'est sur ce point que nous essayons de faire bouger les choses.
Ainsi, en cas de recherche pour un quelconque vol, vous n'aurez jamais Google Flights dans un résultat organique de recherche. Il sera mis en évidence en dehors, dans une boîte, de la liste des réponses à votre requête.
Il existe une question très politique dans le DMA.
TourMaG.com - Quelle est-elle ?
Emmanuel Mounier : Quand nous parlons des plateformes systémiques, nous pensons directement au GAFAM (Google, Apple, Facebook/Meta, Amazon et Microsoft). Ils restent la première cible de ce texte.
La Commission depuis le début ménage son allié américain, en disant qu'elle traite les pratiques de certains acteurs et pas seulement les GAFAM qui sont tous américains.
Donc depuis le début l'instance cherche une façon pour viser ces géants, mais pas seulement eux, sans aller vraiment au-delà de ce cercle restreint.
Aujourd'hui, il existe 3 critères quantitatifs pour définir ce qu'est une plateforme systémique à savoir réaliser plus de 6,5 milliards de chiffre d'affaires dans l'espace économique européen, une valorisation boursière dépassant les 65 milliards d'euros et plus de 45 millions d'utilisateurs finaux
Il y a une possibilité pour les plateformes en dessous de ces seuils d'être rattrapé par le champ d'application après une enquête de la Commission.
DMA : "Booking à l'heure actuelle ne sait pas s'il est un contrôleur d'accès..."
"Si tout va bien, nous pouvons assister à un changement des pratiques anticoncurrentielles à l'été 2023, il y a du muscl dans le DMA" selon Emmanuel Mounier - DR
TourMaG.com - Cela concerne des acteurs du tourisme donc ?
Emmanuel Mounier : Depuis quelques mois, la bourse ne cesse de battre record sur record, les plateformes numériques ont le vent en poupe aussi, donc certains acteurs s'en rapprochent.
La donne change pour Booking.com et Zalando par exemple.
Concernant Booking, l'entreprise est au-dessus des critères financiers, mais il reste une interrogation, qu'est-ce qu'un utilisateur final ? Un travail a été fait par la Commission, mais une ambiguïté demeure.
La Commission a proposé une définition des utilisateurs finaux par type de service, autant elle est assez claire pour tous, elle ne l'est pas pour ceux de l'intermédiation en ligne.
Elle dit : l'indicateur le plus pertinent pour ce genre de plateforme étant le nombre de personnes ayant un compte, mais si ce n'est pas celui le plus pertinent alors il en existe d'autres comme le nombre de visiteurs ou ceux ayant réalisé des transactions.
Si vous prenez les sites de voyages, le nombre de visiteurs peut facilement dépasser pour des acteurs les 45 millions en Europe.
Tout ça pour vous dire que Booking à l'heure actuelle ne sait pas s'il est un contrôleur d'accès, donc s'il entre dans le champ d'application du texte, cela pose problème.
TourMaG.com - Booking.com a un rôle presque hégémonique dans la distribution hôtelière...
Emmanuel Mounier : La réservation en ligne dans le secteur de l'hôtellerie représente 40% du marché (chiffres 2019) et les agences de voyages en ligne environ 25% seulement.
Alors certes, elles peuvent avoir une position importante, mais sur 40% du marché seulement. Ce n'est pas comparable avec Google qui a 95% de celui de la recherche sur internet.
Booking a beaucoup de visiteurs, mais peu de transactions au final, car les utilisateurs vont réserver sur la concurrence. Le consommateur n'est pas enfermé contrairement à Apple ou Google.
Donc vous comprenez bien que la question qui reste en suspens : comment définir la notion d'utilisateur final pour les places de marché. La question en filigrane : quelles plateformes seront incluses dans le champ d'application ?
La Commission semble prendre beaucoup de soin à ne pas braquer les Américains et au risque de ne pas traiter efficacement les problèmes qui existent vraiment, en rendant moins efficace le DMA.
Sachant qu'il est très difficile d'agir contre les GAFAM, car les amendes ne leur font presque rien, notre position étant qu'il nous faut un DMA effectif et fort !
Emmanuel Mounier : Depuis quelques mois, la bourse ne cesse de battre record sur record, les plateformes numériques ont le vent en poupe aussi, donc certains acteurs s'en rapprochent.
La donne change pour Booking.com et Zalando par exemple.
Concernant Booking, l'entreprise est au-dessus des critères financiers, mais il reste une interrogation, qu'est-ce qu'un utilisateur final ? Un travail a été fait par la Commission, mais une ambiguïté demeure.
La Commission a proposé une définition des utilisateurs finaux par type de service, autant elle est assez claire pour tous, elle ne l'est pas pour ceux de l'intermédiation en ligne.
Elle dit : l'indicateur le plus pertinent pour ce genre de plateforme étant le nombre de personnes ayant un compte, mais si ce n'est pas celui le plus pertinent alors il en existe d'autres comme le nombre de visiteurs ou ceux ayant réalisé des transactions.
Si vous prenez les sites de voyages, le nombre de visiteurs peut facilement dépasser pour des acteurs les 45 millions en Europe.
Tout ça pour vous dire que Booking à l'heure actuelle ne sait pas s'il est un contrôleur d'accès, donc s'il entre dans le champ d'application du texte, cela pose problème.
TourMaG.com - Booking.com a un rôle presque hégémonique dans la distribution hôtelière...
Emmanuel Mounier : La réservation en ligne dans le secteur de l'hôtellerie représente 40% du marché (chiffres 2019) et les agences de voyages en ligne environ 25% seulement.
Alors certes, elles peuvent avoir une position importante, mais sur 40% du marché seulement. Ce n'est pas comparable avec Google qui a 95% de celui de la recherche sur internet.
Booking a beaucoup de visiteurs, mais peu de transactions au final, car les utilisateurs vont réserver sur la concurrence. Le consommateur n'est pas enfermé contrairement à Apple ou Google.
Donc vous comprenez bien que la question qui reste en suspens : comment définir la notion d'utilisateur final pour les places de marché. La question en filigrane : quelles plateformes seront incluses dans le champ d'application ?
La Commission semble prendre beaucoup de soin à ne pas braquer les Américains et au risque de ne pas traiter efficacement les problèmes qui existent vraiment, en rendant moins efficace le DMA.
Sachant qu'il est très difficile d'agir contre les GAFAM, car les amendes ne leur font presque rien, notre position étant qu'il nous faut un DMA effectif et fort !
DMA : "Une ombre plane au dessus du de ce texte d'un point de vue juridique"
TourMaG.com - L'objectif du texte est aussi de prévenir l'éclosion de géant s'accaparant tout un marché et ne pas attendre qu'il ne soit trop tard...
Emmanuel Mounier : La notion d'écosystème a été ajoutée aussi bien par le Parlement que le Conseil.
Le problème que posent les GAFAM, c'est leur manière de développer leurs services sur un marché, puis à partir de cette position dominante, ils sont allés sur d'autres marchés.
Et sur ceux-là, ils se retrouvent aussi en position dominante et empêchent à toute concurrence d'émerger. En résumé, les GAFAM enferment les utilisateurs dans un écosystème.
Dans le tourisme, les internautes utilisent Google Flights, parce que le service apparait en bonne position dans le Search. Même si son outil est moins efficient, Google prend une position dominante, grâce à sa position déjà dominante sur un autre marché.
C'est contre ça que nous devons lutter !
Les règles de concurrence actuelle ne permettent pas de lutter contre ce système-là, ils ont trop de pouvoir.
TourMaG.com - Nous l'avons vu par le passé, les amendes n'y changent rien, les législations non plus. Avec le DMA sera-t-il possible de réellement mettre fin à ces positions dominantes ?
Emmanuel Mounier : C'est une bonne question... nous espérons.
Une ombre plane au-dessus du de ce texte d'un point de vue juridique.
Il y a une liste 25 obligations qui seront imposées aux plateformes systémiques, comme l'interdiction de croiser les données d'un service à l'autre. Internet tel que nous le connaissons va changer avec la mise en oeuvre du DMA.
Ce qui est révolutionnaire et qui risque de poser problème, c'est que les obligations seront imposées sans aucune infraction constatée par les GAFAM. Seule leur taille est le juge.
La Commission a décidé de baser ce texte sur l'harmonisation des règles du marché intérieur, alors qu'il aurait pu l'être sur la concurrence. Or certains juristes considèrent que la base juridique peut être contestable.
Emmanuel Mounier : La notion d'écosystème a été ajoutée aussi bien par le Parlement que le Conseil.
Le problème que posent les GAFAM, c'est leur manière de développer leurs services sur un marché, puis à partir de cette position dominante, ils sont allés sur d'autres marchés.
Et sur ceux-là, ils se retrouvent aussi en position dominante et empêchent à toute concurrence d'émerger. En résumé, les GAFAM enferment les utilisateurs dans un écosystème.
Dans le tourisme, les internautes utilisent Google Flights, parce que le service apparait en bonne position dans le Search. Même si son outil est moins efficient, Google prend une position dominante, grâce à sa position déjà dominante sur un autre marché.
C'est contre ça que nous devons lutter !
Les règles de concurrence actuelle ne permettent pas de lutter contre ce système-là, ils ont trop de pouvoir.
TourMaG.com - Nous l'avons vu par le passé, les amendes n'y changent rien, les législations non plus. Avec le DMA sera-t-il possible de réellement mettre fin à ces positions dominantes ?
Emmanuel Mounier : C'est une bonne question... nous espérons.
Une ombre plane au-dessus du de ce texte d'un point de vue juridique.
Il y a une liste 25 obligations qui seront imposées aux plateformes systémiques, comme l'interdiction de croiser les données d'un service à l'autre. Internet tel que nous le connaissons va changer avec la mise en oeuvre du DMA.
Ce qui est révolutionnaire et qui risque de poser problème, c'est que les obligations seront imposées sans aucune infraction constatée par les GAFAM. Seule leur taille est le juge.
La Commission a décidé de baser ce texte sur l'harmonisation des règles du marché intérieur, alors qu'il aurait pu l'être sur la concurrence. Or certains juristes considèrent que la base juridique peut être contestable.
DMA : "un démantèlement des GAFAM est rendu possible"
TourMaG.com - Vous craignez donc que les géants du web mettent tout en oeuvre pour étendre le plus possible le temps avant la mise en application du texte ?
Emmanuel Mounier : C'est un peu ça.
Les GAFAM pourraient aller devant la Cour de Justice de l'Union européenne, une fois que le texte sera promulgué, pour dire que le texte n'est pas valide.
Par ailleurs, des mécanismes de frein ont été mises en place par le texte pour limiter les risques économiques et les dommages collatéraux, il se peut que les géants du web cherchent à les utiliser.
L'un des enjeux des discussions en cours reste de rendre le texte le plus juste juridiquement pour éviter toute contestation, notamment face aux moyens importants dont dispose les GAFAM.
Après la présidence française veut arriver à un compromis avec le Parlement européen fin mars au sujet du DMA, préalablement aux élections présidentielles.
Suite à cet accord, il faut envisager un délai de 6 mois avant l'adoption formelle, à cela vous rajoutez entre 2 et 6 mois pour l'entrée en vigueur (en fonction du résultat des négociations en cours). Les acteurs visés ont 2 mois pour s'autodésigner.
Si tout va bien, nous pouvons assister à un changement des pratiques anticoncurrentielles au cours de l’année 2023. Les recours devant la Cour de Justice ne sont pas suspensifs.
En cas de refus, une amende pouvant aller jusqu'à 10% du chiffre d'affaires total peut être infligée, (20% avec un seuil minimal de 4% réclamés par le Parlement) et un démantèlement est possible.
Il y a du muscle dans ce règlement.
Emmanuel Mounier : C'est un peu ça.
Les GAFAM pourraient aller devant la Cour de Justice de l'Union européenne, une fois que le texte sera promulgué, pour dire que le texte n'est pas valide.
Par ailleurs, des mécanismes de frein ont été mises en place par le texte pour limiter les risques économiques et les dommages collatéraux, il se peut que les géants du web cherchent à les utiliser.
L'un des enjeux des discussions en cours reste de rendre le texte le plus juste juridiquement pour éviter toute contestation, notamment face aux moyens importants dont dispose les GAFAM.
Après la présidence française veut arriver à un compromis avec le Parlement européen fin mars au sujet du DMA, préalablement aux élections présidentielles.
Suite à cet accord, il faut envisager un délai de 6 mois avant l'adoption formelle, à cela vous rajoutez entre 2 et 6 mois pour l'entrée en vigueur (en fonction du résultat des négociations en cours). Les acteurs visés ont 2 mois pour s'autodésigner.
Si tout va bien, nous pouvons assister à un changement des pratiques anticoncurrentielles au cours de l’année 2023. Les recours devant la Cour de Justice ne sont pas suspensifs.
En cas de refus, une amende pouvant aller jusqu'à 10% du chiffre d'affaires total peut être infligée, (20% avec un seuil minimal de 4% réclamés par le Parlement) et un démantèlement est possible.
Il y a du muscle dans ce règlement.