Une vingtaine de procédures disciplinaires ont été ouvertes chez Carrefour Voyages - Depositphotos @MPetrovskaya
C'est une fin de mandat qu'aucun dirigeant ne souhaiterait.
Après le signalement d'une fraude éventuelle en fin d'année dernière lors d'une réunion du CSE de Carrefour Voyages, puis une remontée aux ressources humaines du géant de la grande distribution en février 2024, Patrick Métivier a pris sa loupe et son imper pour tenter d'élucider l'affaire.
Dans le cadre d'une enquête interne, le PDG a essayé de comprendre et de révéler l'ampleur cette fraude inédite qui a sévi dans les 167 points de vente de l'enseigne.
Après trois mois de recherches il découvre que le détournement de l'usage de la carte de fidélité, que nous vous avons révélé dans un précédent article, n'est pas l'apanage de quelques brebis galeuses, mais de l'ensemble du réseau. C'est un process systémique et institutionnalisé.
"C'est une grosse affaire, car le véritable sujet n'est pas la fraude. précise un syndicaliste, ayant préféré conserver l'anonymat.
D'ailleurs, je peux vous dire que le dossier est explosif, s'il est porté aux Prud'hommes.
Les torts sont partagés :ce n'est pas tout noir ou tout blanc. En fait il faut d'abord se demander, pourquoi les salariés ont-ils fraudé ?"
Nous avons cherché à répondre à cette question.
Après le signalement d'une fraude éventuelle en fin d'année dernière lors d'une réunion du CSE de Carrefour Voyages, puis une remontée aux ressources humaines du géant de la grande distribution en février 2024, Patrick Métivier a pris sa loupe et son imper pour tenter d'élucider l'affaire.
Dans le cadre d'une enquête interne, le PDG a essayé de comprendre et de révéler l'ampleur cette fraude inédite qui a sévi dans les 167 points de vente de l'enseigne.
Après trois mois de recherches il découvre que le détournement de l'usage de la carte de fidélité, que nous vous avons révélé dans un précédent article, n'est pas l'apanage de quelques brebis galeuses, mais de l'ensemble du réseau. C'est un process systémique et institutionnalisé.
"C'est une grosse affaire, car le véritable sujet n'est pas la fraude. précise un syndicaliste, ayant préféré conserver l'anonymat.
D'ailleurs, je peux vous dire que le dossier est explosif, s'il est porté aux Prud'hommes.
Les torts sont partagés :ce n'est pas tout noir ou tout blanc. En fait il faut d'abord se demander, pourquoi les salariés ont-ils fraudé ?"
Nous avons cherché à répondre à cette question.
Carrefour Voyages rejette la faute sur les salariés !
Revenons brièvement sur le mécanisme de la fraude Carrefour Voyages.
Dans l'épisode précédent, nous vous révélions que la direction d'un des leaders mondiaux du commerce alimentaire s'était aperçue d'un "détournement des règles d’utilisation de la carte de fidélité".
Le programme de Carrefour permet aux clients de récupérer quelques euros, jusqu'à 0,75% du montant total d'un séjour, et pouvoir ainsi alléger l'ardoise de leur caddie.
Or, certains collaborateurs des agences du réseau se servaient d'une carte à leur nom ou avec une identité fictive pour récupérer et utiliser l'argent cagnotté, suite à la vente de produits touristiques.
L'investigation menée par Patrick Métivier met à jour la généralisation du phénomène : pas moins de 103 collaborateurs auraient utilisé ce procédé border line.
La Direction se veut rassurante :"Après une enquête interne, nous pouvons assurer qu’aucun client n’a été lésé et qu’aucune cagnotte client n’a été piratée.
Carrefour Voyages a immédiatement engagé une procédure à l’encontre des salariés concernés.
Parallèlement, précise un porte-parole de l'entreprise, nous avons mis en place un ensemble de mesures permettant de mieux contrôler l'emploi de la carte de fidélité lors d’un achat,".
D'après cette même personne, la société se réserve le droit de poursuivre les collaborateurs incriminés en raison du préjudice subi, notamment ceux qui ont quitté l'entreprise.
Dans l'épisode précédent, nous vous révélions que la direction d'un des leaders mondiaux du commerce alimentaire s'était aperçue d'un "détournement des règles d’utilisation de la carte de fidélité".
Le programme de Carrefour permet aux clients de récupérer quelques euros, jusqu'à 0,75% du montant total d'un séjour, et pouvoir ainsi alléger l'ardoise de leur caddie.
Or, certains collaborateurs des agences du réseau se servaient d'une carte à leur nom ou avec une identité fictive pour récupérer et utiliser l'argent cagnotté, suite à la vente de produits touristiques.
L'investigation menée par Patrick Métivier met à jour la généralisation du phénomène : pas moins de 103 collaborateurs auraient utilisé ce procédé border line.
La Direction se veut rassurante :"Après une enquête interne, nous pouvons assurer qu’aucun client n’a été lésé et qu’aucune cagnotte client n’a été piratée.
Carrefour Voyages a immédiatement engagé une procédure à l’encontre des salariés concernés.
Parallèlement, précise un porte-parole de l'entreprise, nous avons mis en place un ensemble de mesures permettant de mieux contrôler l'emploi de la carte de fidélité lors d’un achat,".
D'après cette même personne, la société se réserve le droit de poursuivre les collaborateurs incriminés en raison du préjudice subi, notamment ceux qui ont quitté l'entreprise.
Carrefour Voyages : près de 20 personnes licenciées ?
Pour l'heure nous ne connaissons pas réellement l'étendue de la vague des départs.
Nous savons juste que des employés ont d'ores et déjà démissionné. Des procédures disciplinaires ont aussi été engagées à l'encontre d'autres.
Le siège de Carrefour ne nous a pas répondu à ce sujet.
Selon différents documents que nous avons pu consulter, 7 collaborateurs ont saisi la Commission paritaire permanente de négociation et d’interprétation (CPPNI), afin d'éviter tout licenciement.
Ce n'est que la partie immergée de l'iceberg.
D'après une source, une vingtaine de personnes sont concernées.
"C'est un dossier brûlant. Des salariés ont bien utilisé des cartes de fidélité à leur nom pour payer des courses,," explique une source.
L'importance des sommes en jeu seraient minimes, si l'on tient compte du fait que pourrait concerner jusqu'à 500 salariés, selon certaines sources.
De prime abord, nous pourrions croire que les quelques 103 collaborateurs pointés du doigt par la direction ont utilisé le programme de fidélité à des fins financières, pour payer leurs courses par exemple.
La réalité est sans doute plus complexe.
"Il est vraiment difficile de démontrer l'infraction au regard des documents fournis, ils sont même inexploitables pour quelques-uns.
Entre la pression des managers et les consignes données par la hiérarchie, vous comprenez que le détournement est systémique et que l'affaire n'est pas très claire," analyse un syndicaliste de la branche des agences de voyages.
Nous savons juste que des employés ont d'ores et déjà démissionné. Des procédures disciplinaires ont aussi été engagées à l'encontre d'autres.
Le siège de Carrefour ne nous a pas répondu à ce sujet.
Selon différents documents que nous avons pu consulter, 7 collaborateurs ont saisi la Commission paritaire permanente de négociation et d’interprétation (CPPNI), afin d'éviter tout licenciement.
Ce n'est que la partie immergée de l'iceberg.
D'après une source, une vingtaine de personnes sont concernées.
"C'est un dossier brûlant. Des salariés ont bien utilisé des cartes de fidélité à leur nom pour payer des courses,," explique une source.
L'importance des sommes en jeu seraient minimes, si l'on tient compte du fait que pourrait concerner jusqu'à 500 salariés, selon certaines sources.
De prime abord, nous pourrions croire que les quelques 103 collaborateurs pointés du doigt par la direction ont utilisé le programme de fidélité à des fins financières, pour payer leurs courses par exemple.
La réalité est sans doute plus complexe.
"Il est vraiment difficile de démontrer l'infraction au regard des documents fournis, ils sont même inexploitables pour quelques-uns.
Entre la pression des managers et les consignes données par la hiérarchie, vous comprenez que le détournement est systémique et que l'affaire n'est pas très claire," analyse un syndicaliste de la branche des agences de voyages.
Fraude Carrefour Voyages : A qui la faute ?
Et comme rappelait un responsable syndical, en début d'article, dans ce genre d'affaire la nuance est importante.
Car ce type de fraude est plutôt ancien. Dès 2009, une vendeuse d'un supermarché Atac avait été licenciée pour avoir récupéré 40 centimes sur son propre compte, suite à l'achat d'une cliente.
Les Prud'hommes ont par la suite annulé le licenciement et obligé l'entreprise à lui verser des dommages et intérêts.
Dans le cas présent, cette escroquerie systémique cache autre chose.
Après consultation de plusieurs dossiers présentés devant la Commission paritaire permanente de négociation et d’interprétation (CPPNI), nous remarquons que les accusés n'ont pas systématiquement fait l'usage de leur propre carte ou d'une identité fictive pour en tirer un avantage financier.
L'agissement parait erratique et pour des montants parfois ridicules.
Nous avons découvert des exemples de cagnottages pour des opérations de 25 ou 30 centimes. Dans la grande majorité des cas, ils dépassent rarement 10 euros.
"Licencier quelqu'un pour 100 ou 200 euros, c'est un peu abusif. Il est possible de faire autre chose avant, comme infliger un blâme, une mise à pied.
Je trouve les sanctions disproportionnées," juge un autre syndicaliste de la branche ayant été informé de l'affaire.
Car ce type de fraude est plutôt ancien. Dès 2009, une vendeuse d'un supermarché Atac avait été licenciée pour avoir récupéré 40 centimes sur son propre compte, suite à l'achat d'une cliente.
Les Prud'hommes ont par la suite annulé le licenciement et obligé l'entreprise à lui verser des dommages et intérêts.
Dans le cas présent, cette escroquerie systémique cache autre chose.
Après consultation de plusieurs dossiers présentés devant la Commission paritaire permanente de négociation et d’interprétation (CPPNI), nous remarquons que les accusés n'ont pas systématiquement fait l'usage de leur propre carte ou d'une identité fictive pour en tirer un avantage financier.
L'agissement parait erratique et pour des montants parfois ridicules.
Nous avons découvert des exemples de cagnottages pour des opérations de 25 ou 30 centimes. Dans la grande majorité des cas, ils dépassent rarement 10 euros.
"Licencier quelqu'un pour 100 ou 200 euros, c'est un peu abusif. Il est possible de faire autre chose avant, comme infliger un blâme, une mise à pied.
Je trouve les sanctions disproportionnées," juge un autre syndicaliste de la branche ayant été informé de l'affaire.
Fraude Carrefour Voyages : une dérive managériale ?
"Dans tous les dossiers que j'ai consulté, je vois passer la même explication de la part des agents de voyages : la pression managériale.
Les équipes ont des objectifs à remplir et parfois ils sont tels qu'ils ont recours à ce genre de supercherie, pour les satisfaire. Ils se sont mis dans de sales draps, certes, mais il faut aussi comprendre leur quotidien.
Plusieurs fois par semaine, ils reçoivent des mails, pour leur annoncer le classement des meilleures agences, leur rappeler les objectifs, les tancer, etc. C'est une forme de harcèlement, ni plus ni moins," poursuit-il.
Nous avons pu parcourir quelques comptes rendus de réunions de la CPPNI).
Les salariés qui pour certains avaient des appréciations particulièrement élogieuses de leur direction et jusqu'à 15 ans d'ancienneté, ont justifié le recours à cette arnaque par la grande pression mise au quotidien par les responsables.
Ils voulaient atteindre "les objectifs de fidélisation" qui leur étaient demandés.
"Les briefs hebdomadaires répétitifs, avec demande systématique de PDA... plus des points à mi-semaine, conduit, à la frayeur du samedi soir, pour savoir dans quelle case on sera mis le lundi matin.
Vous ajoutez aussi les tableaux rouges, puis les phrases du style "ce n'est pas une option" ou "aucune agence en dessous de 70%" (taux de fidélité ndlr).
Nous sommes dans une société avec la culture du classement. Cette pression nous a conduit effectivement à prendre la mauvaise décision et donc à faire de mauvais choix," s'est défendu une responsable d'agence dans un dossier que nous avons pu consulter.
Et les quelques mails dont nous avons pris connaissance témoignent d'un management oppressant, voire toxique, sur la thématique de la fidélisation et donc de l'usage du programme par les clients.
b[Un agent de voyages stipule que l'instruction d'utiliser des cartes fictives n'émanait pas de son responsable du point de vente, mais d'une strate plus élevée de la hiérarchie, sans vouloir dénoncer quiconque.
Il rapporte que pour éviter toute remontrance de la Direction, une carte était scotchée sur l'écran d'ordinateur de l'agence, afin de gonfler artificiellement le taux.
Les équipes ont des objectifs à remplir et parfois ils sont tels qu'ils ont recours à ce genre de supercherie, pour les satisfaire. Ils se sont mis dans de sales draps, certes, mais il faut aussi comprendre leur quotidien.
Plusieurs fois par semaine, ils reçoivent des mails, pour leur annoncer le classement des meilleures agences, leur rappeler les objectifs, les tancer, etc. C'est une forme de harcèlement, ni plus ni moins," poursuit-il.
Nous avons pu parcourir quelques comptes rendus de réunions de la CPPNI).
Les salariés qui pour certains avaient des appréciations particulièrement élogieuses de leur direction et jusqu'à 15 ans d'ancienneté, ont justifié le recours à cette arnaque par la grande pression mise au quotidien par les responsables.
Ils voulaient atteindre "les objectifs de fidélisation" qui leur étaient demandés.
"Les briefs hebdomadaires répétitifs, avec demande systématique de PDA... plus des points à mi-semaine, conduit, à la frayeur du samedi soir, pour savoir dans quelle case on sera mis le lundi matin.
Vous ajoutez aussi les tableaux rouges, puis les phrases du style "ce n'est pas une option" ou "aucune agence en dessous de 70%" (taux de fidélité ndlr).
Nous sommes dans une société avec la culture du classement. Cette pression nous a conduit effectivement à prendre la mauvaise décision et donc à faire de mauvais choix," s'est défendu une responsable d'agence dans un dossier que nous avons pu consulter.
Et les quelques mails dont nous avons pris connaissance témoignent d'un management oppressant, voire toxique, sur la thématique de la fidélisation et donc de l'usage du programme par les clients.
b[Un agent de voyages stipule que l'instruction d'utiliser des cartes fictives n'émanait pas de son responsable du point de vente, mais d'une strate plus élevée de la hiérarchie, sans vouloir dénoncer quiconque.
Il rapporte que pour éviter toute remontrance de la Direction, une carte était scotchée sur l'écran d'ordinateur de l'agence, afin de gonfler artificiellement le taux.
Carrefour Voyages : des consignes données en haute instance ?
Nous comprenons aussi que de nombreux voyageurs ne voulaient pas adhérer pour quelques centimes d'euros. Les vendeurs indiquaient alors les chiffres de la fausse carte.
Autant d'arguments qui nous poussent à rappeler la vision managériale de Thierry Marx.
"Il ne faut pas mettre de pression excessive sur les collaborateurs, mais leur donner du pouvoir.
José Gutman, un de mes professeurs, les plus inspirants nous avait fait un exercice. Il prenait une bouilloire, la remplissait d'eau, il bouchait tous les trous, la branchait et demandait : ça explose quand ?
Personne ne savait et lui non plus, mais voilà ce qui arrive quand vous mettez trop de pression sur vos équipes, ça va exploser, sauf que vous savez ni quand ni comment" nous confiait, le chef reconnu et patron de l'UMIH.
La solution d'une enquête n'est pas toujours aussi simple qu'il n'y parait... mais nul n'est censé ignorer la loi.
Autant d'arguments qui nous poussent à rappeler la vision managériale de Thierry Marx.
"Il ne faut pas mettre de pression excessive sur les collaborateurs, mais leur donner du pouvoir.
José Gutman, un de mes professeurs, les plus inspirants nous avait fait un exercice. Il prenait une bouilloire, la remplissait d'eau, il bouchait tous les trous, la branchait et demandait : ça explose quand ?
Personne ne savait et lui non plus, mais voilà ce qui arrive quand vous mettez trop de pression sur vos équipes, ça va exploser, sauf que vous savez ni quand ni comment" nous confiait, le chef reconnu et patron de l'UMIH.
La solution d'une enquête n'est pas toujours aussi simple qu'il n'y parait... mais nul n'est censé ignorer la loi.