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Futuroscopie - Les Routards ne sont plus ce qu'ils Ă©taient... 🔑

Le décryptage de Josette Sicsic (Futuroscopie)


Les Guides du Routard fĂȘtent leurs cinquante ans. L’ñge de raison pour une collection de guides qui a complĂ©tement disruptĂ© le monde Ă©tabli et sage des guides touristiques des annĂ©es soixante-dix et accompagnĂ© l’évolution d’un nouveau type de voyageurs. Des voyageurs incarnĂ©s par un jeune homme aux cheveux longs, sac sur le dos, courant les routes du monde. Il faut donc admettre que le « Routard » a toujours Ă©tĂ© un guide « pas comme les autres » maintes fois imitĂ© mais jamais Ă©galĂ©, comme le prouve sa longĂ©vitĂ©. Mais, il faut aussi admettre que le stĂ©rĂ©otype du Routard a Ă©voluĂ©. En un demi-siĂšcle, le monde a changĂ© et deux gĂ©nĂ©rations ont suivi les pas des pionniers tel Pierre Josse, le rĂ©dacteur en chef pendant 40 ans, avec qui nous faisons le point sur les nouveaux routards.


Rédigé par le Jeudi 6 Avril 2023

Quel profil le "Routard" a t-il aujourd'hui ? - Photo Le Routard
Quel profil le "Routard" a t-il aujourd'hui ? - Photo Le Routard
Paru en 1973, le premier guide du Routard arborait une couverture un poil psychĂ©dĂ©lique : canyon, cactus, ciel aux teintes d’incendie. Repris par Hachette en 1975, il la troqua pour un nouveau « look » dĂ©sormais gravé dans les mĂ©moires de plusieurs gĂ©nĂ©rations de voyageurs : cheveux au vent, sac sur le dos en forme de mappemonde, gros godillots...

Le nouveau globe-trotter auquel Ă©tait attribuĂ©e l’appellation de « routard » affichait un look fĂ©dĂ©rateur. Issu du baby-boom, grandi dans des Ă©coles et des lycĂ©es où la discipline Ă©tait assurĂ©e de main de fer, il constituait bel et bien la premiĂšre gĂ©nĂ©ration accĂ©dant à un monde en paix où, de plus, les Trente Glorieuses lui promettaient le plein emploi.

Alors que la terre ne comptait que 3 milliards d’habitants, ajoutons que cette gĂ©nĂ©ration bĂ©nĂ©ficia d’un progrĂšs technique rĂ©volutionnaire qui lui donna des ailes. EmportĂ©s par les premiers vols charters ou des 2 CV infatigables, les « routards » pouvaient suivre les routes que la gĂ©nĂ©ration nord-amĂ©ricaine du baby-boom leur dĂ©signait.

Elle qui, depuis la fin de la guerre avait vu dégénérer le rĂȘve amĂ©ricain en « cauchemar » avait en effet choisi trĂšs tĂŽt la fuite vers les paradis artificiels que lui offraient drogues et musique et spiritualitĂ©Ì orientale. La « route des Indes » devint ainsi une autoroute que l’on pouvait emprunter en faisant des dĂ©tours par la Syrie, l’Irak, l’Iran, l’Afghanistan, le Pakistan sans le moindre risque.

Avec à leur tĂȘte des rĂ©gimes autoritaires de toutes obédiences, les dangers étaient limitĂ©s à une petite criminalitĂ© de quartier. Ni terrorisme, ni islamisme... les routards sillonnĂšrent des routes parfois plus sûres qu’aujourd’hui, bien que souvent défoncĂ©es, en Asie comme en Amérique du sud, autre destination favorite où les dictatures brillaient par leur omni prĂ©sence mais où le soleil et les plages étincelaient.

Globalement, le monde de la route Ă©tait donc peu segmenté. D’une part, on avait les Nord AmĂ©ricains diplĂŽmĂ©s, radicaux dans leur rĂ©volte mais les poches pleines de chĂšques de voyages en dollars, qui jouaient les pauvres !

De l’autre, moins nombreux, on avait les voyageurs européens dominés par les Anglo-saxons et les Allemands. Souvent diplĂŽmés, mais nettement moins nantis, aprĂšs avoir goûté aux joies d’un joli mois de mai, ceux-ci reculaient la date de leur entrée dans la vie active en s’adonnant aux plaisirs de l’aventure.

Car, bien entendu, ces « heureux routards » eurent une autre chance, celle de cheminer à travers des paysages épargnĂ©s par le béton oĂč les avions n’atterrissaient pas encore. Pour preuve, le nombre de touristes internationaux Ă©tait de 69 millions en 1960, de 166 millions à peine dix ans plus tard et de plus d’un milliard aujourd’hui !

Seule divergence parmi ce groupe de jeunes gens heureux, juste plus aventureux que la moyenne dont les rĂ©cits berceront plus tard leurs enfants, une marge de « junkies » dont beaucoup resteront sur le bord de la route mais que l’histoire retiendra car les mĂ©dias en firent massivement leur une !


Routards d'aujourd'hui

Pierre Josse : « les nouveaux routards pĂątissent souvent de l’enlaidissement du monde mais ont tendance Ă  croire que le monde d’hier Ă©tait mieux que celui d’aujourd’hui. Ils ont souvent raison mais pas toujours. Certaines destinations en proie aux dictatures et autres turbulences Ă©taient bien pires » 
Pierre Josse : « les nouveaux routards pĂątissent souvent de l’enlaidissement du monde mais ont tendance Ă  croire que le monde d’hier Ă©tait mieux que celui d’aujourd’hui. Ils ont souvent raison mais pas toujours. Certaines destinations en proie aux dictatures et autres turbulences Ă©taient bien pires » 
Cinquante ans plus tard, alors que le tourisme international s’est multiplié par dix et que les jeunes voyageurs seraient environ 300 millions (estimations Wyse), tous les segments de touristes se sont fragmentés et les routards n’ont pas échappĂ© à cette nouvelle donne. Que s’est-il passé ? Selon nos observations et celles de Pierre Josse, voici quelques diffĂ©rences Ă©loquentes sur le monde d’aujourd’hui, sachant cependant que ce qui qualifie un routard depuis cinquante ans est restĂ© la recherche du meilleur rapport qualitĂ©-prix !

â–ș Dans un monde instable, la connexion permanente. La terre s’est rĂ©trĂ©cie. Le Moyen-Orient que l’on traversait sans souci est une poudriĂšre. L’Afrique de l’Ouest n’est plus praticable à l’exception du SĂ©nĂ©gal, de la CĂŽte d’Ivoire, de l’Afrique du sud... Mais, l’Asie s’est ouverte, les pays de l’Est Ă©galement tandis que l’AmĂ©rique latine est frĂ©quentable du nord au sud et que la Chine, destination impĂ©nĂ©trable autrefois, est devenue une grande destination rĂ©ceptive.

Il n’empĂȘche que la peur est là et en dissuade certains. À l’inverse, les connexions mobiles dont nous disposons permettent de sĂ©curiser un voyage, y compris en cas de pertes d’argent, de billets d’avion, de passeports... Les smartphones permettent aussi une connexion permanente avec ses proches alors que dans le passé, les routards attendaient au guichet d’American-Express ou poste restante, d’hypothĂ©tiques missives de leur famille. Une diffĂ©rence de taille !

TrĂšs connectĂ©s aux rĂ©seaux sociaux, les routards version troisiĂšme millĂ©naire se transforment trĂšs souvent en « informateurs », vidĂ©astes, bloggers, influenceurs
 Ă  moyenne ou trĂšs forte dose. Toujours localisĂ©s, ils ont peu de chances de disparaĂźtre des radars.

â–șLes Ă©pidĂ©mies en embuscade. Dans ce monde chahutĂ©, la grande nouveautĂ© provient aussi de la pandĂ©mie comme celle que nous venons de vivre qui peut frapper Ă  tout moment et paralyser la majeure partie de l’industrie du voyage.

FrontiĂšres verrouillĂ©es, aĂ©roports fermĂ©s, avions clouĂ©s au sol sans compter les masques obligatoires, les gestes barriĂšres, les tests, les attestations
 le nouveau routard a beau se montrer parfois insouciant, il a bien compris les nouvelles menaces et n’entend pas en ĂȘtre victime. Il se protĂšge donc plus qu’avant sur le plan sanitaire et va jusqu’à vĂ©rifier le systĂšme mĂ©dical des destinations oĂč il veut sĂ©journer, tout en ne rechignant pas Ă  prendre des assurances rapatriement !

â–ș Des voyages plus courts. Alors que les gĂ©nĂ©rations des annĂ©es soixante-dix Ă©tiraient au maximum leur voyage, en prenant le temps de sĂ©journer longuement sur certaines plages comme Goa en Inde ou Ziguatanejo au Mexique, en vivant sur de trĂšs maigres budgets, les nouveaux routards raccourcissent leur voyage.

D’une part, parce que les tarifs aériens ayant baissé, ils peuvent se permettre de revenir plusieurs fois sur une destination. D’autre part, parce que la situation Ă©conomique mondiale ne les autorise pas Ă Ì€ l’optimisme en matiĂšre d’emploi et qu’il vaut mieux se mettre rapidement sur les rangs de la course à l’embauche.

â–ș Des voyages mĂ©ritant un paragraphe sur un CV. Autre nouveautĂ© : alors que les routards des années soixante-dix avaient plutĂŽt tendance à occulter leurs annĂ©es d’errance, les nouvelles gĂ©nĂ©rations en font un paragraphe de leur curriculum-vitae.

Une pratique hĂ©ritĂ©e de la tradition du voyage de fin d’études pratiqué par les Anglo- Saxons, destiné à prouver que le futur candidat à un emploi a su complĂ©ter ses Ă©tudes par la découverte plus ou moins approfondie de certains pays.

â–ș Travailler en voyageant. Bien Ă©videmment, la grande diffĂ©rence rĂ©side dans cette nouvelle population de « tĂ©lĂ©travailleurs » qui emportent leurs bureaux avec eux et s’installent au soleil afin de pratiquer sur leurs Ă©crans toutes sortes de jobs : rĂ©daction, compta, codage, dĂ©codage, architecture, design, animation
 tandis que d’autres exercent des petits mĂ©tiers Ă©phĂ©mĂšres : Ă  la ferme, dans des restaurants, des hĂŽtels, comme moniteurs sportifs ou encore dans des ONG, rĂ©munĂšres ou non, mais leur permettant de prolonger leur voyage et d’afficher une expĂ©rience supplĂ©mentaire.

â–ș Éco anxieux, mais moins politisĂ©s. Les nouveaux globe-trotters sont enfin nettement plus sensibles à la cause environnementale que les anciens et tentent plus ou moins de ne pas contribuer à la dĂ©gradation gĂ©nĂ©ralisĂ©e de la planĂšte, en essayant de rĂ©duire leur consommation d’avion et de voiture.

Plus nombreux qu’hier, certains prolongent leur sĂ©jour en pratiquant de petits « jobs ». Sur le plan politique cependant, ils sont cependant gĂ©nĂ©ralement moins politisĂ©s que leurs ainĂ©s, plus dĂ©sabusĂ©s vis-à-vis des gouvernants donc plus adeptes des mouvements citoyens que du « grand soir ».

â–șEn quĂȘte de bien-ĂȘtre. PandĂ©mie et stress obligent, le nouveau globe-trotter ne se contente pas toujours d’un simple sĂ©jour au soleil et de quelques « pĂ©tards » pour aller mieux et se refaire une santĂ©. Il opte aussi pour les sĂ©jours de « Wellness » plus officiels tels qu’on les pratique sur les plages du Kerala dans des resorts ayurvĂ©diques et autres stations himalayennes.

â–ș Nostalgie : Les baby-boomers reprennent la route. Notons pour finir que, quasiment inexistants autrefois, les « vieux » routards nĂ©s durant le baby-boom ont tendance à se multiplier Ă  l’ñge de la retraite. Une façon pour ces globe-trotters de la premiĂšre heure de renouer avec leur jeunesse, des destinations et un mode de vie passĂ©s.

Une façon Ă©galement de vivre en vacances avec de maigres retraites issues de carriĂšres professionnelles chaotiques. Une façon enfin de profiter de ce qui leur reste de bonne santĂ©Ì et de ne pas s’avouer vaincus par l’ñge.

Lire : Chroniques vagabondes. Pierre Josse. Editions Hachette.

Josette Sicsic - DR
Josette Sicsic - DR
Journaliste, consultante, confĂ©renciĂšre, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les consĂ©quences sur le secteur du tourisme.

AprĂšs avoir dĂ©veloppĂ© pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualitĂ© oĂč elle dĂ©code le prĂ©sent pour prĂ©voir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.

Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com

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Tags : routard, sicsic
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Commentaires

1.Posté par Fredo le 06/04/2023 09:17 | Alerter
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Le routard a bien changé en effet. Il continue à faire la morale à tout le monde mais maintenant il met les agents de voyage du Vietnam (par exemple) et de France en concurrence via sa publicité et donc sa caution. Les normes sociales et fiscales étant comme chacun sait trÚs différentes. De vrais liberaux libertaires des années 60... Vive les boomers !

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