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La montée en puissance des territoires thérapeutiques : les blues zones pour l’exemple

archive octobre 2017


L’expression est encore inconnue. Ou bien, est-elle seulement connue d’une minuscule catégorie de vacanciers nageant dans les eaux agitées séparant la jeunesse de la vieillesse. Mais, tout donne à penser que les « blue zones » pourraient à l’avenir bénéficier d’une grande notoriété. L’expression qualifie des territoires exceptionnels où la population locale affiche une espérance de vie atypique. Qui plus est, les méthodes nées spontanément dans ces territoires sont en partie modélisables.


Rédigé par le Lundi 11 Janvier 2021

Blue zone : expression créée par un journaliste américain Dan Buettner parti enquêter avec b[une équipe du National Geographic sur les territoires où la population vivait le plus longtemps -  Depositphotos.com IgorVetushko
Blue zone : expression créée par un journaliste américain Dan Buettner parti enquêter avec b[une équipe du National Geographic sur les territoires où la population vivait le plus longtemps - Depositphotos.com IgorVetushko
Mais, qu’est une « blue zone » ?

Une simple recherche sur Google fournit la réponse. Il s’agit tout d’abord d’une expression créée par un journaliste américain Dan Buettner parti enquêter avec une équipe du National Geographic sur les territoires où la population vivait le plus longtemps, c’est-à-dire où les centenaires étaient dix fois plus nombreux qu’ils l’étaient aux USA en 2004, année de l’enquête.

Mais, les journalistes ne sont pas partis au hasard. Ils ont suivi les résultats d’une étude démographique.

Or, première remarque, au moins quatre de ces territoires ont une vocation touristique indéniable et attirent d’ores et déjà un tourisme plus ou moins marginal, séduit par leur patrimoine naturel et humain tout en commençant peu à peu à rechercher des effets réels sur leur santé.

Mais, quels sont ces territoires ?

Les cinq « blue zones » dans le monde

Barbagia, Sardaigne : C’est un petit groupe de villages au cœur d’une région très sauvage et dénudée qui concentre la population de centenaires la plus nombreuse du monde.

Vivant encore quasiment en recluse, cette population se mélange peu, se nourrit essentiellement de produits issus de sa chasse et de sa pêche, de légumes et de graines de la région, boit du vin et du lait de chèvre, prend soin de ses aînés qui ne sont jamais abandonnés et respecte les rituels festifs ancestraux !

Ikaria, Grèce : Cette île dont nous avons parlé dans notre numéro de Juillet 2016 (sans la nommer) compte bel et bien une population locale très âgée rejointe par quelques curistes essentiellement nationaux, venus prendre les eaux dans des sources chaudes situées dans la mer. Lesquelles sont rarissimes dans le monde. De plus, les Ikariens ont la réputation bien méritée de ne jamais se presser. Le slogan de l’île est “No stress”.

Nicoya Peninsula, Costa Rica : C’est la deuxième plus grande concentration de centenaires dans le monde.Très protégée comme le veut la politique environnementale de la destination, Nicoya est d’ores et déjà une destination balnéaire réputée.

Loma, Californie : Là, on vit en moyenne dix ans de plus qu’ailleurs aux USA. Pourquoi ? Loma Linda est pour sa part habitée essentiellement par une population d’adventistes de la septième heure dont la religion obéit en partie aux préceptes alimentaires des Blue Zones.

Okinawa, Japon : Très connu, l’exemple d’Okinawa met en lumière la longévité des femmes vivant sur cette île connue surtout pour son régime alimentaire et par ses très beaux paysages hawaïens.

The power 9 : les neuf atouts de « blue zoners »

Le constat fait et approuvé scientifiquement par une équipe de médecins, nutritionnistes, anthropologues, il est apparu que la longévité sur ces territoires était bel et bien liée à une série de 9 principes rassemblés dans le « Power 9 », une sorte de grille de critères que l’on peut résumer ainsi :

Bouger de façon naturelle : À la base de la longévité, le mouvement. Mais, pas dans des salles de sports et de fitness sous la conduite de coach.Au contraire, il s’agit de continuer simplement à s’activer dans sa vie quotidienne en s’obligeant à réaliser marche, exercices, activités domestiques...

Avoir un but : Les habitants d’Okinawa le nomme “Ikigai” et ceux du Costa Rica l’appelle “plan de vida”. Dans les deux cas, ces expressions traduisent le fait de se fixer un but donnant du sens au fait de se réveiller le matin. On devrait y gagner 7 ans de longévité supplémentaire.

Les rituels de décompression : Pour évacuer le stress, on a également observé que les habitants des Blue Zones disposent d’une panoplie de gestes et de rituels leur permettant de décompresser. À Okinawa,on consacre quelques minutes tous les jours à se souvenir des ancêtres,une sorte de méditation. A Ikaria, on fait la sieste, en Sardaigne, on fait la fête.

La règle du 80% : “Hara hachi bu”, c’est ainsi que l’on nomme ce principe à Okinawa. Il s’agit d’un mantra datant de 2500 ans, consistant à préconiser de cesser de manger dès lors que l’on a un estomac rempli à 80%.

Plant Slant : Les haricots, lentilles, pois chiches et autres graines sont largement préconisés alors que la consommation de viande est rationnée.

wine @ 5 : À l’exception des adventistes de Californie, la consommation de vin avec modération est commune à tous ces territoires. Deux verres par jour en moyenne à consommer avec des amis de préférence.

De l’importance de la croyance : Croire en Dieu ou en Marx, peu importe, la croyance en une cause, la spiritualité quelle que soit sa forme, semblent favoriser la longévité. Les croyants pourraient gagner de 4 à 14 ans de vie supplémentaire.

L’importance de la famille : On le sait, la famille est un bouclier, une ceinture affective indispensable. Un constat qui s’est vérifié partout. Là comme ailleurs, la vie en couples semble favoriser la longévité.

Les liens sociaux : Enfin, l’appartenance à un groupe quel qu’il soit, mais ayant une utilité, semble renforcer les défenses immunitaires. À Okinawa, on a créé les “moais”, des groupes de 5 personnes proches, censées se protéger mutuellement tout au long de leurs vies. En somme, il s’agit toujours de se protéger de la solitude et de donner un sens à sa vie.

Le Blue zones project à l’honneur

Enfin, pour les acteurs de ces découvertes, le constat ne suffit pas. Il convenait de lui donner une suite en faisant profiter bien d’autres régions du modèle créé́ spontanément sur ces territoires. C’est pourquoi, après une consultation, plusieurs villes américaines se sont portées candidates à une expérience de modélisation de leurs modes de vie.

À ce jour, le Blue Zone Projects a été rejoint par 24 communautés américaines éparpillées en Floride, Oregon, Californie, Minnesota... Que s’y passe-t-il ?

En fait, l’expérience a consisté à identifier un réseau d’opérateurs de la vie locale : écoles, associations, restaurants, espaces sportifs, commerces... désireux de transformer les modes de vie de la population afin de leur permettre de vivre plus longtemps en bonne santé.

Une fois identifiés, ces opérateurs ont été conseillés sur les méthodes, les produits, les activités à mettre en place : les épiceries ont appris à choisir de la nourriture végétale, les clubs de loisirs à organiser des randonnées pédestres, les entreprises à stimuler leur personnel à bouger, s’entraider, consommer une nourriture saine...

Et, si l’on en croit les résultats d’études menées après quelques années d’expérience, ils sont probants : réduction de l’obésité de la population, réduction de la consommation de médicaments, antidépresseurs...

Certes, on ne sait pas si ces nouveaux « blue zoners » ont gagné en espérance de vie... Il est bien trop tôt pour le dire. Les sceptiques pourront également objecter que la nourriture saine est un phénomène connu.

Comme tant d’autres, le journaliste enfonce le clou et, de toute évidence, exploite un excellent créneau marketing en publiant un ouvrage sur le régime alimentaire des Blue Zones : The Blue zone solution. Une méthode qui ne diffère pas beaucoup du très populaire régime crétois qui, depuis les années soixante dix, fait connaître ses vertus et constitue l’un, parmi tant d’autres, des atouts de l’île grecque, bien qu’elle insiste particulièrement sur le fait que les meilleurs régimes alimentaires soient à 95% basés sur des produits naturels végétaux et 5% seulement de produits d’origine animale.

Peut-on modéliser ces exemples à des fins touristiques ?

Si de telles communautés ont pu s’épanouir aux États-Unis, rien ne dit qu’elles connaîtront le même sort en Europe. Les Américains dont les origines remontent aux premières communautés de Quackers ont une plus grande propension à reproduire des modèles communautaires aux teintes utopiques.

Cependant, compte tenu de la montée en puissance d’une demande de bien vivre en bonne santé, quelques territoires touristiques pourraient fort bien profiter de la formule née spontanément dans les « blue zones » pour modifier leur offre et l’adapter aux attentes d’une société occidentale en quête de jouvence.

C’est déjà le cas de l’île d’Okinawa au Japon que Japan Airlines vient de décider de promouvoir auprès de la clientèle européenne. C’est aussi le cas de la péninsule de Nicoya au Costa Rica où se développe une offre de resorts et d’hôtel proposant toutes sortes d’activités de développement personnel, massages, régimes diététiques divers, dans un cadre naturel en bord de mer particulièrement préservé qui fait partie intégrante de l’image de marque de la destination.

Quant à Ikaria, l’île grecque, peu développée sur le plan touristique, elle commence à proposer yoga, méditation et autres séances de “mindfulness” à petite échelle, très recherchés par une clientèle occidentale. Depuis plusieurs années, une nord Américaine offre aussi des stages de cuisine ikarienne qu’elle vend à une clientèle de baby-boomers plutôt aisés.

Mais, on ne peut pas dire que, pour le moment, l’île soit débordée par un tourisme de “blue zoners”. Le manque d’hébergements touristiques conjugué à la pénurie de plages de sable étant probablement à l’origine de cette situation.

Entre risques et bienfaits : le juste milieu

Cependant, certains habitués de l’île voient tout de même dans la petite affluence des « blue zoners » un mauvais signe qui ne laisse rien présager de bon pour l’avenir du tourisme insulaire. Et, le récent reportage que France 2 lui a consacré dans le journal du 20 h (le 10 octobre) n’arrangera rien.

On imagine sans mal que là comme ailleurs, la perspective de voir affluer des hordes de vacanciers en quête de longévité va probablement entraîner des changements pénalisant l’atmosphère inimitable de cette île et les habitudes de sa population, dont une partie va vouloir fort légitimement profiter du phénomène pour s’adonner à un petit commerce de jouvence.

Jouvence en crèmes, en tubes, en soins divers, en tavernes proposant un régime alimentaire labélisé́ « Blue zone » et autres tours de l’île sur le thème du « mindfulness ». C’est la loi du genre. A moins que les Ikariens ne flairent le piège et résistent à la tentation de vendre une partie de leur âme au diable.

À l’heure actuelle, les tentations sont bien réelles, surtout pour les jeunes générations frappées par les crises économiques qui voient dans le tourisme une opportunité de gagner leur vie. Mais, à la réflexion, n’ont-ils pas raison d’exploiter ce créneau ? Un créneau indéniablement porteur qui ne peut faire de mal et au contraire peut faire du bien et permettre de contrer les effets terribles de l’industrialisation de la nourriture, le délitement de l’agriculture et de l’artisanat,la perte du lien social,le matérialisme toujours galopant...

Nous n’avons jamais été capables en France de produire une véritable offre de tourisme pour seniors. Voici une solution à condition de ne pas utiliser le terme de senior mais celui de “blue zones” !

Josette Sicsic. Octobre 2017

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