Chute sur un bateau de croisière : doutes sur le régime de responsabilité applicable à l’égard de la compagnie de croisière - Depositphotos.com Auteur leungchopan
Depuis un arrêt du 9 décembre 2015, la Cour de cassation considère de manière constante, sur le fondement de l’article L.211-16 du Code du tourisme, que les compagnies de croisière sont soumises à un régime de responsabilité de plein-droit, à l’égard des passagers victimes d’accident corporel à bord de leurs navires, dès lors :
- d’une part, qu’une croisière est incluse dans un forfait touristique au sens du Code du tourisme, au sens de la directive 90/314/CEE du 13 juin 1990 concernant les voyages, vacances et circuits à forfait transposée en droit français aux articles L.211-1 et suivants du Code du tourisme ;
- d’autre part, qu’elles ont qualité d’organisateurs de croisière.
En vertu de cette jurisprudence, une compagnie de croisière est, en cas d’accident d’un passager à bord, responsable de ses conséquences, même en l’absence de faute de sa part.
Et pourtant…
En matière d’indemnisation des dommages résultant d’accidents de passagers survenus à bord de navires, un Règlement européen unificateur existe : le Règlement (CE) n°392/2009 du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relatif à la responsabilité des transporteurs de passagers par mer en cas d’accident, qui limite le régime de responsabilité sans faute aux événements de mer, dont ne font pas partie les accidents individuels tels que les chutes à bord.
C’est sur le fondement de ce Règlement européen, que la Cour de cassation a de nouveau été saisie d’un conflit de régimes applicables à une compagnie de croisière en cas d’accident corporel survenu à bord d’un de ses navires, dans un arrêt rendu le 15 mai 2024.
Pour résoudre ce conflit, la Haute juridiction a interrogé la Cour de justice de l’union européenne (« CJUE ») par voie de question préjudicielle européenne, sur la portée du Règlement (CE) 392/2009, en cas d’accident corporel survenu sur un navire au cours d’une croisière présentant les caractéristiques d’un voyage à forfait au sens de la directive n°90/314/CEE du 13 juin 1990.
- d’une part, qu’une croisière est incluse dans un forfait touristique au sens du Code du tourisme, au sens de la directive 90/314/CEE du 13 juin 1990 concernant les voyages, vacances et circuits à forfait transposée en droit français aux articles L.211-1 et suivants du Code du tourisme ;
- d’autre part, qu’elles ont qualité d’organisateurs de croisière.
En vertu de cette jurisprudence, une compagnie de croisière est, en cas d’accident d’un passager à bord, responsable de ses conséquences, même en l’absence de faute de sa part.
Et pourtant…
En matière d’indemnisation des dommages résultant d’accidents de passagers survenus à bord de navires, un Règlement européen unificateur existe : le Règlement (CE) n°392/2009 du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relatif à la responsabilité des transporteurs de passagers par mer en cas d’accident, qui limite le régime de responsabilité sans faute aux événements de mer, dont ne font pas partie les accidents individuels tels que les chutes à bord.
C’est sur le fondement de ce Règlement européen, que la Cour de cassation a de nouveau été saisie d’un conflit de régimes applicables à une compagnie de croisière en cas d’accident corporel survenu à bord d’un de ses navires, dans un arrêt rendu le 15 mai 2024.
Pour résoudre ce conflit, la Haute juridiction a interrogé la Cour de justice de l’union européenne (« CJUE ») par voie de question préjudicielle européenne, sur la portée du Règlement (CE) 392/2009, en cas d’accident corporel survenu sur un navire au cours d’une croisière présentant les caractéristiques d’un voyage à forfait au sens de la directive n°90/314/CEE du 13 juin 1990.
I. Le Règlement (CE) 392/2009 du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009
- Date d’effet du Règlement (CE) 392/2009 dans l’Union : 31 décembre 2012
Il est, depuis lors, applicable dans tous ses éléments et est invocable devant les Tribunaux.
- Objet du Règlement (CE) n°392/2009 : établir un régime communautaire de responsabilité et d'assurance applicable au transport de passagers.
Ce règlement européen transpose également, sur le territoire de l’Union européenne, certaines dispositions de la Convention d’Athènes de 1974 précitée dans sa version consolidée à 2002.
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- Champ d’application du Règlement (CE) 392/2009 :
Le Règlement (CE) n°392/2009 s’applique, selon son article 2, à tout transport international au sens de l’article 1er, point 9 de la Convention d’Athènes de 1974, dès lors que :
a) le navire bat pavillon d’un État membre ou est immatriculé dans celui-ci ;
b) le contrat de transport a été conclu dans un État-membre ; ou
c) selon le contrat de transport, le lieu de départ ou de destination se trouve dans un État membre ».
Un « transport » correspond notamment, au sens de cet article, à « la période pendant laquelle le passager et ses bagages de cabine se trouvent à bord du navire ou en cours d’embarquement ou de débarquement ».
« Transport international » signifie, en vertu de l’article 1 point 9 de l’Annexe I susmentionné :
« tout transport dont le lieu de départ et le lieu de destination sont, selon le contrat de transport ou l’itinéraire prévu, situés dans deux États différents ou dans un seul État si, selon le contrat de transport ou l’itinéraire prévu, il y a un port d’escale intermédiaire dans un autre État »,
comme c’est le cas des croisières.
- Régime de responsabilité mis en œuvre par le Règlement (CE) 392/2009 :
La nature du régime de responsabilité du transporteur maritime de passagers prévu par ce règlement diffère, selon le fait générateur des dommages corporels subis par le passager.
Dommages corporels résultant d’un événement maritime |
Dommages corporels résultant d’un accident |
|
Préjudice par passager > 25 000 unités de compte |
Préjudice par passager > 25 000 unités de compte |
|
Responsabilité de plein-droit transporteur |
Transporteur présumé responsable |
Responsabilité pour faute prouvée du transporteur |
La prescription des actions en indemnisation de préjudices corporels soumises au Règlement (CE) 392/2009, est de 2 ans à compter de la date du débarquement du navire en cause.
Il résulte de l’article 14 de l’annexe I au règlement (CE) 392/2009, qu’aucune action en responsabilité ne peut être intentée contre le transporteur sur un fondement autre que ce Règlement (et la Convention d’Athènes de 1974 qu’il transpose) en cas de dommage corporel d’un passager.
Une compagnie maritime a qualité de transporteur, selon l’article 1er, point 1 de l’annexe I à ce Règlement européen, dès lors qu’elle assure un transport (international) au sens de cet article.
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À noter : L’application de ce règlement n’était pas invoquée par les parties dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 9 décembre 2015 précité, qui n’a été rendu que sur le fondement des codes des transports et du tourisme, et de la directive 90/314/CEE.
Il résulte de l’article 14 de l’annexe I au règlement (CE) 392/2009, qu’aucune action en responsabilité ne peut être intentée contre le transporteur sur un fondement autre que ce Règlement (et la Convention d’Athènes de 1974 qu’il transpose) en cas de dommage corporel d’un passager.
Une compagnie maritime a qualité de transporteur, selon l’article 1er, point 1 de l’annexe I à ce Règlement européen, dès lors qu’elle assure un transport (international) au sens de cet article.
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À noter : L’application de ce règlement n’était pas invoquée par les parties dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 9 décembre 2015 précité, qui n’a été rendu que sur le fondement des codes des transports et du tourisme, et de la directive 90/314/CEE.
II. La demande d’interprétation du champ d’application du Règlement (CE) 392/2009 adressée à la CJUE par arrêt de la Cour de cassation le 15 mai 2024
Le régime de responsabilité pour faute prouvée mis en œuvre par le Règlement (CE) 392/2009 et son annexe I, régissent-ils la responsabilité d’un transporteur maritime, opérateur d’une croisière présentant les caractéristiques d’un forfait touristique au sens de la directive 90/314/CEE ?
Telle est la question centrale posée par les 2 affaires qui ont été soumises à la Cour de cassation, et qui ont donné lieu à l’arrêt en date du 15 mai 2024 objet de cet article.
Dans chacune de ces affaires, une passagère s’était blessée après une chute à bord d’un navire de croisière, et sollicitaient l’indemnisation de ses préjudices sur le fondement du régime de responsabilité de plein-droit résultant de l’article L.211-16 du Code du tourisme (lui-même issu de la loi de transposition de la directive européenne n°90/314/CEE).
La compagnie de croisière mise en cause revendiquait l’application du régime de responsabilité pour faute mis en œuvre par le Règlement (CE) n°392/2009 et la Convention d’Athènes de 1974.
Dans la première affaire, la passagère plaignante avait formé un pourvoi contre l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 17 novembre 2022, qui avait rejeté ses demandes sur le fondement du Règlement (CE) n°392/2009.
Dans la seconde affaire, la compagnie de croisière avait formé un pourvoi contre l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 14 novembre 2023, qui à l’inverse, l’avait condamnée à indemniser la passagère blessée, après avoir écarté l’application dudit règlement européen.
L’interprétation du champ d’application du Règlement (CE) 392/2009 dont dépend l’issue de ces affaires ne s’imposant pas avec une évidence suffisante, la Cour de cassation a, dans son arrêt du 15 mai 2024, interrogé la CJUE sur ce point par voie de question préjudicielle, comme le prévoit l’article 267 b) du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne.
Telle est la question centrale posée par les 2 affaires qui ont été soumises à la Cour de cassation, et qui ont donné lieu à l’arrêt en date du 15 mai 2024 objet de cet article.
Dans chacune de ces affaires, une passagère s’était blessée après une chute à bord d’un navire de croisière, et sollicitaient l’indemnisation de ses préjudices sur le fondement du régime de responsabilité de plein-droit résultant de l’article L.211-16 du Code du tourisme (lui-même issu de la loi de transposition de la directive européenne n°90/314/CEE).
La compagnie de croisière mise en cause revendiquait l’application du régime de responsabilité pour faute mis en œuvre par le Règlement (CE) n°392/2009 et la Convention d’Athènes de 1974.
Dans la première affaire, la passagère plaignante avait formé un pourvoi contre l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 17 novembre 2022, qui avait rejeté ses demandes sur le fondement du Règlement (CE) n°392/2009.
Dans la seconde affaire, la compagnie de croisière avait formé un pourvoi contre l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 14 novembre 2023, qui à l’inverse, l’avait condamnée à indemniser la passagère blessée, après avoir écarté l’application dudit règlement européen.
L’interprétation du champ d’application du Règlement (CE) 392/2009 dont dépend l’issue de ces affaires ne s’imposant pas avec une évidence suffisante, la Cour de cassation a, dans son arrêt du 15 mai 2024, interrogé la CJUE sur ce point par voie de question préjudicielle, comme le prévoit l’article 267 b) du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne.
III. Conclusion
Il appartient désormais à la CJUE de trancher la question de savoir, si le Règlement (CE) 392/2009 régit le régime de responsabilité applicable aux actions en indemnisation de passagers victimes d’accidents à bord de navires contre des compagnies maritimes opératrices de croisières.
La réponse à cette question aura nécessairement un impact considérable, sur le niveau de risque juridique encouru par les compagnies maritimes opératrices de croisières et, par voie de conséquence, sur le niveau des primes d’assurance que ces opérateurs devront souscrire.
Elle aura en revanche un impact limité sur le niveau d’exigence attendu de ces opérateurs en termes de qualité des services rendus aux plaisanciers réalisant une croisière sur leurs navires.
La réponse à cette question aura nécessairement un impact considérable, sur le niveau de risque juridique encouru par les compagnies maritimes opératrices de croisières et, par voie de conséquence, sur le niveau des primes d’assurance que ces opérateurs devront souscrire.
Elle aura en revanche un impact limité sur le niveau d’exigence attendu de ces opérateurs en termes de qualité des services rendus aux plaisanciers réalisant une croisière sur leurs navires.
1 Sauf cas de force majeure, fait d’un tiers, faute de la victime ou circonstances exceptionnelles et inévitables (Article L.211-16 du Code du tourisme)
2 Article 1er du Règlement (CE) 392/2009
3 Article 1 de l’annexe I au Règlement (CE) n°392/2009
4 Articles 3.1 et 3.2 de l’annexe I au Règlement (CE) 392/2009
5 Article 16 de l’annexe I au Règlement (CE) 392/2009.
2 Article 1er du Règlement (CE) 392/2009
3 Article 1 de l’annexe I au Règlement (CE) n°392/2009
4 Articles 3.1 et 3.2 de l’annexe I au Règlement (CE) 392/2009
5 Article 16 de l’annexe I au Règlement (CE) 392/2009.
Avocate au barreau de Paris, Maître Julie MANISSIER conseille et défend une clientèle majoritairement professionnelle, tout particulièrement en droit des affaires, responsabilité civile, transports et du tourisme et en droit de l’Union européenne.
Maître Julie MANISSIER a acquis une expertise particulière en responsabilité des opérateurs des transports et du tourisme, en accompagnant depuis plusieurs années des opérateurs de croisières.
Maître Julie MANISSIER a acquis une expertise particulière en responsabilité des opérateurs des transports et du tourisme, en accompagnant depuis plusieurs années des opérateurs de croisières.