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Cruise bashing : à quand une concertation et des actions globales ? 🔑

Plus c'est gros... moins ça passe ?


Le « cruise bashing » qui touche l'ensemble des acteurs de la croisière maritime porte à la fois sur la pollution (air, eau, déchets, etc.) que cette activité engendre, mais aussi sur l'impact social, économique, climatique, énergétique qu'elle provoque. La course au gigantisme de certains navires et les choix d'équipements à bord des bateaux interpellent également. Aussi, les solutions proposées par les armateurs sont-elles suffisantes ? S'agit-il uniquement d'un manque de communication de leur part ou plus largement d'un manque de concertation du secteur ? Voici la suite de notre dossier dédié au « cruise bashing ».


Rédigé par le Mercredi 23 Novembre 2022

La solution au cruise bashing passera-t-elle par la concertation ? - DR : DepositPhotos.com, trueffelpix
La solution au cruise bashing passera-t-elle par la concertation ? - DR : DepositPhotos.com, trueffelpix
Nous vous en parlions dans la première partie de notre dossier : le branchement à quai des navires de croisière doit permettre de réduire une partie de la pollution causée par les paquebots lorsqu'ils sont au port.

L'autre axe de développement pour des croisières plus « propres » reste le remplacement des énergies fossiles.

Première solution qui arrive progressivement dans le secteur des croisières : le gaz naturel liquéfié (GNL). Si cette énergie n'est pas la solution miracle, elle permet de diminuer les émissions de CO2 de 20% par rapport au fioul et son utilisation empêche le rejet d'oxydes de soufre (SOx), et limite celui des oxydes d'azote (NOx) et des particules fines.

« C'est une énergie de transition, et nous n'avons pas de meilleure solution à court terme », indiquait Hervé Martel, président du directoire du Grand port maritime de Marseille (GPMM) lors du Blue Maritime Summit, en octobre dernier.

Malgré les points forts du GNL, l'association Transport et Environnement tire la sonnette d'alarme. « Il y a une tendance à la hausse de l'utilisation du GNL - composé majoritairement de méthane - dans le monde et, récemment, l'Organisation météorologique mondiale (OMM) a publié un rapport qui montre une hausse importante de la présence de méthane dans l'atmosphère, souligne Fanny Pointet, responsable du transport maritime en France pour Transport et Environnement.

On sait que ce gaz à effet de serre provient de diverses sources, mais il est absurde d'en créer de nouvelles utilisations dans des secteurs qui n’ont jamais été des utilisateurs traditionnels de gaz, comme le transport maritime (lire à ce sujet le rapport de T&E).

D'autant qu'il existe des risques de fuite de méthane lors de l'utilisation du GNL, qui peuvent rendre le bilan climatique de ce gaz bien pire que d'autres carburants plus conventionnels, comme le diesel marin, qu'il est censé remplacer.

Pour vous donner une idée, sur une échelle de 20 ans, le méthane a un pouvoir de réchauffement 80 fois supérieur à celui du CO2, mais il a une durée de vie plus courte. Sur une échelle de 100 ans, il n'est que 30 fois plus puissant, mais cela reste tout de même important, d’autant plus que les actions pour sauver le climat doivent être réalisées le plus tôt possible pour limiter le réchauffement avant 2050. »


Pas de « solution de décarbonation qui va convenir pour tous les navires »

Alors que faire sur le long terme ? « La perspective à plus long terme sera soit l'utilisation de GNL biosourcé ou de synthèse, soit d’autres carburants comme le méthanol, l’ammoniac, peut-être l'hydrogène directement un jour, expliquait encore Hervé Martel, évoquant l'avenir de l'ensemble des navires de commerce.

Ce qui est certain, c'est que pour les carburants de synthèse, il y aura besoin d'hydrogène. Quoi qu'il arrive, l'hydrogène est la molécule de base », a-t-il ajouté.

« Il est vrai que l'on peut utiliser l'hydrogène sous diverses formes, ajoute Fanny Pointet, dans une pile à combustible, mais aussi pour produire des carburants « verts » (carburants de synthèse fabriqués à base d'hydrogène renouvelable, ndlr) : ammoniac vert, méthanol vert, méthane de synthèse (associé à un processus de capture de CO2).

On le voit par exemple au niveau du Groupe CMA-CGM qui devrait passer du GNL au bio-GNL, avant d'opter pour le méthane de synthèse (ou e-GNL), un produit à base d’hydrogène renouvelable et de capture de CO2 ».


Toutefois l'experte nuance : « certaines de ces solutions ne sont pas encore matures, les carburants de synthèse fabriqués à base d'hydrogène n'en sont qu'aux balbutiements. Et puis, il n'y a pas une solution de décarbonation qui va convenir pour tous les navires. Cela va dépendre du type de navire, de sa fonction, de sa taille, des routes qu'il va emprunter, de la régularité de ses arrêts ».

« La sobriété énergétique passera par la décroissance des énergies fossiles »

Pour autant, toutes ces innovations et ces projets paraissent difficilement compatibles avec la « sobriété énergétique » demandée à l'heure actuelle.

« Vu le prix du combustible, au contraire, il y a un moment que les armateurs la recherche, commente Jean-François Suhas. Je pense que la sobriété énergétique passera par la décroissance des énergies fossiles et l'arrivée de carburants comme le méthanol, l'e-méthane, mais aussi la connexion à quai, les voiles...

Il faut continuer en ce sens et le seul moyen de la garantir passera par l'innovation et les bateaux neufs. Bien sûr, à la différence d'une voiture que l'on va changer tous les 7 ans en moyenne, un navire va rester dans le circuit un peu plus de vingt ans.

Mais la chance que nous avons, c'est qu'il y a eu un renouvellement phénoménal sur les 5 à 10 dernières années, qui garantit un résultat. Pour le reste, je suis moins partisan de la décroissance, notamment en terme d'emploi ou en ce qui concerne la qualité de vie des gens qui ont envie de voyager
 ».

Autre acteur essentiel de cette transition : les chantiers navals. A Saint-Nazaire, les Chantiers de l'Atlantique n'ont de cesse d'innover pour proposer aux armateurs des navires qui vont consommer moins d'énergie et donc moins de carburant.

Pour rendre les navires plus performants, tout est étudié : forme, design, peintures et revêtement... Plusieurs entreprises françaises travaillent également au développement de technologies à voile pour des petits navires de croisières.

La course au gigantisme pose question

Néanmoins, malgré leurs propositions, au final, les constructeurs ne font que répondre à un carnet de commandes dicté par les armateurs. Et les navires à voile ne représentent pas la majorité des commandes !

« Personne ne nous pousse à faire de gros bateaux, mais si les clients n'étaient pas contents du produit, on ne les ferait plus », expliquait Patrick Pourbaix, directeur général France de MSC Croisières lors d'une conférence sur le salon IFTM Top Resa, en septembre dernier.

A propos de la taille grandissante des navires, le DG reconnaît des raisons « d'économie d'échelle », mais aussi des évolutions dans les envies de voyages des passagers qui ont conduit à créer le concept de « village flottant ».

Et si, selon lui, il n'existe pas de projets de navires plus gros que ceux déjà existants - on pense notamment au dernier MSC World Europa ou au futur Icon of the Seas de Royal Caribbean - la question d'une course au gigantisme interpelle. Car même si ces paquebots géants ne représentent qu'une partie de la flotte de certains armateurs, leur taille et les équipements dont ils sont dotés (patinoire, piste de karting, nombreuses piscines...) suffisent à susciter le débat.

« La longueur des navires n'a pas beaucoup changé depuis 50 ans, c'est plutôt la hauteur et la largeur », resitue Jean-François Suhas. A Marseille, si le port n'a pas instauré de quotas, il limite cependant le nombre de bateaux à 4 à 5 maximum, en fonction de leur taille, dans une zone dédiée à la croisière.

« Nous ne souhaitons pas réguler, mais faire du qualitatif, poursuit Jean-François Suhas. A ce propos, nous recevons déjà 25% de bateaux au gaz, qui ne sont pas neutres sur le plan carbone, mais neutres pour la santé, puisque le gaz permet d'éliminer une grande partie des SOx, des NOx et des particules ».

« Le gigantisme de ces navires fait qu'il est compliqué de les décarboner, rappelle tout de même Fanny Pointet. Plus le bateau est grand et plus il consomme d'énergie, et plus il va être difficile de réduire à 100% ses émissions.

Et puis, en fonction du type de navire, il sera plus compliqué d’utiliser certains carburants verts. Par exemple, du fait de sa toxicité et des odeurs qu'il dégage, je ne pense pas que les constructeurs opteront tout de suite pour des navires de croisières fonctionnant avec de l’ammoniac à base d'hydrogène vert
 ».

De son côté, Jean-François Suhas reconnaît tout de même que son « rêve serait de recevoir plus de bateaux de luxe ».

A Marseille, en 2022, environ 25% des escales sont qualifiées de « premium », c'est-à-dire qu'elles portent sur des bateaux de moins de 1 000 passagers et de moins de 250 mètres de long qui, pour la plupart, proposent des croisières à la semaine à partir de 3 000 ou 4 000 € et jusqu'à 10 000€.

Le Club de la Croisière vise 50% d'escales premium en 2026 ou 2027. Mais la réalité du marché fait que i[« si l'on veut avoir un impact sur l'économie locale, il faut faire venir des milliers de gens, il faut avoir des volumes
 », précise Jean-François Suhas.

Faudra-t-il choisir entre rentabilité ou durabilité ?

La croisière doit-elle alors choisir entre rentabilité ou durabilité ?

« Nous n'avons pas attendu le cruise bashing pour avoir une vraie politique de durabilité, se défend Emmanuel Joly, General Manager pour la France et l'Italie de Royal Caribbean.

Cela fait 30 ans que nous travaillons sur des navires beaucoup plus efficients et nous avons communiqué nos plans jusqu'en 2050. Le Groupe est actuellement en train d’identifier les objectifs qui vont être mesurés scientifiquement par un organisme extérieur et qui vont valider tous nos objectifs ».

« Les navires de croisière sont souvent considérés à tort comme le moteur du surtourisme alors qu'ils jouent un rôle plus modeste que le tourisme terrestre, ajoute Kevin Bubolz, Managing Director Europe de Norwegian Cruise Line.

L'idée fausse selon laquelle les croisiéristes envahissent les villes sans dépenser et sans contribuer à l'économie locale est également répandue. Dans l'ensemble, les passagers de navires de croisière contribuent de manière significative aux économies locales.

La composition de la clientèle joue bien sûr un rôle : sur nos navires en Europe, nous proposons un produit de qualité supérieure et nous attirons des clients du monde entier dont beaucoup font un voyage unique en Europe et apportent une contribution plus que proportionnelle aux communautés locales
 ».

Vers la création d'un label international ?

Lors de la conférence dédiée au « cruise bashing » sur le salon IFTM Top Resa, la question de la création d'un label permettant d’identifier et d'unifier les bonnes pratiques des croisiéristes est revenue sur la table.

« C'est une très bonne idée, a commenté Hervé Bellaïche, directeur général adjoint de Ponant. Malheureusement, nous avons du mal à la mettre en œuvre car je pense que nous ne sommes pas suffisamment organisés. C'est à la CLIA de mettre en place ce type de label, mais aujourd'hui, ils ne le font pas », a-t-il regretté.

« Nous pourrions effectivement créer un label ou bien reprendre un des labels qui sont en train de se mettre en place », a nuancé Patrick Pourbaix, citant notamment l'initiative qu'est en train de monter le SETO (Syndicat des Entreprises du Tour-Operating) à destination des voyagistes et qui s'apparenterait à un fonds de dotations.

Mais avec des bateaux qui naviguent à l'international, l'idée devient plus complexe. « La problématique, c'est qu'il s'agit d'un sujet international, géré aux États-Unis car 60% du marché de la croisière est aux États-Unis, et pourtant l'initiative devra venir de l'Europe et on n'y est pas encore », a souligné Hervé Bellaïche.

Cruiseline, de son côté, travaille au lancement d'un « score écologique » par navire et par pays afin d'informer au mieux ses clients.

« Quel est le green score de chaque navire ? Nous sommes en train de travailler là-dessus, a résumé Pierre Pelissier à l'IFTM. Nous n'allons pas chercher à informer nos clients sur le bilan carbone, mais plutôt sur ce qui est fait - filtration, pollution, émissions, etc. - afin de les informer sur les investissements et les équipements réalisés par chaque compagnie ».

« Réinventer la croisière en mettant de nouvelles contraintes »

Pour Jean-François Suhas, la solution au cruise bashing passera par la concertation. « Il faut se mettre autour de la table pour voir comment on peut réguler et sur quelles bases : par rapport aux émissions ? Par rapport aux pics de pollution estivaux ? »

Il poursuit : « on sait qu'on ne doit pas dépasser 2 tonnes de CO2 par an et par habitant, alors pourquoi ne pas communiquer sur la consommation énergétique par passager et laisser les clients qui dépassent compenser comme ils le souhaitent, plutôt que d'interdire ?

Je pense qu'il vaudrait mieux réinventer la croisière en mettant de nouvelles contraintes et en faisant des sauts de puce : vitesse de navigation plus basse, itinéraires moins lointains, peu de navigation au final et connexion à quai. Il y aura toujours le désir de la mer, alors pourquoi interdire la croisière ? Pour mettre les voyageurs dans des voitures, des bus ou des avions ?

D'autant plus qu'un jour, les bateaux pourront devenir neutres en carbone, parce qu'il y a la place sur un navire pour de nouveaux équipements, alors que sur les avions ou les camions, cela s’avère plus compliqué...
 »

LIRE AUSSI : Le secteur maritime souhaite se mettre autour de la table avec le Maire de Marseille

De son côté, Patrick Pourbaix trouve cela plutôt sain d'être attaqué : « nous pouvons apporter les bonnes réponses », indique-t-il, même s'il attend toujours de recevoir une invitation du Maire de Marseille à se réunir autour d'une table.

Alors qui fera le premier pas ? On attend toujours...

Anaïs Borios Publié par Anaïs Borios Journaliste - TourMaG.com
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