Pagaille aérien : "En 50 ans, je n'ai jamais connu ça !" 🔑

TourMaG.com - Le contexte n'a pas été vraiment évident, avec des grèves à répétition, des pénuries de main-d'œuvre, une offre pas toujours à la hauteur de la demande. Finalement, les compagnies sur le marché français ont-elles connu un bel été ?

Jean-Pierre Sauvage : Le trafic était clairement bien orienté cette année, mais nous n'arriverons peut-être pas au même niveau que 2019.

Pour juillet, les mouvements d'avions opérés en France ont été de 313 000, contre 340 000 en 2019. Nous sommes sur une reprise du trafic à hauteur de 93% de celui pré-pandémique.

Cette année, nous avons observé une grande bouffée d'oxygène venue des voyages loisirs. Le point noir de l'aérien reste le segment affaires, nous sommes encore loin des niveaux de 2019.

Une bonne nouvelle sur cette activité, le retrait incompressible ne se situera pas autour de 30%, mais plutôt de 10%.

Dans le même temps, Orly a justement dépassé cette année de référence. Globalement, ce n'est pas mal, mais est-ce que cela va continuer ? Cette interrogation est très prégnante dans le secteur.

Nous n'avons pas de prédictions chiffrées.

TourMaG.com - Est-ce l'économie, comme le craint l'économiste Marc Touati dans notre journal ?

Jean-Pierre Sauvage : Il y a un attentisme des clients, en raison de la situation économique, avec un impact sur le pouvoir d'achat.

Entre les incertitudes économiques, la guerre en Ukraine et les déclarations du président de la République sur la fin de l'abondance, la situation n'a rien de très encourageant.

En quelque sorte, il nous est promis du sang et des larmes. Il nous faudra jauger les conséquences de ce climat sur la demande, mais nous restons malgré tout modérément optimistes.

TourMaG.com - Autre point de friction des dernières semaines : la hausse très importante des prix. La DGAC a annoncé une augmentation pour juillet 2022 de 43,5 % toutes destinations confondues.

Jean-Pierre Sauvage : L'international long-courrier a lui augmenté de 28,8%.

Cette augmentation suit la courbe d'évolution du brent, en juin nous étions autour des 100 dollars, puis 125 dollars à juillet. Dernièrement, nous sommes redescendus sous les 100 dollars. L'évolution du fuel joue énormément, d'autant plus sur les petites routes.

Les compagnies ne profitent pas spécialement de la reprise du trafic, elles répercutent l'évolution des cours du pétrole. L'autre élément est l'attrition de l'offre face à une offre plus importante, le yield management jouant, les tarifs ont donc augmenté.

TourMaG.com - Le pétrole n'est pas le seul facteur à être orienté à la hausse. Les salariés ont globalement milité pour voir leurs salaires revalorisés, les aéroports souhaitent revoir les redevances aéroportuaires. Allons-nous vers un aérien durablement plus cher ?

Jean-Pierre Sauvage : Certains le souhaitent, mais il y a le risque que nous dépassions le niveau d'acceptabilité du tarif.

Un seuil que nous ne devons pas atteindre.

Le 1er poste de dépense du secteur a été pendant très longtemps celui des RH, autour de 30% des charges, suivi par le pétrole entre 20 et 22%.

Les salaires des personnels augmentent, même si nous n'arrivons pas à attirer plus d'employés, il y a un gros problème à ce niveau d'ailleurs. Malgré tout ce poste est consolidé, ce qui n'est pas le cas avec le kérosène.

Personne ne peut vraiment évaluer la hausse des tarifs dans le temps.

Ce qui est préoccupant aujourd'hui, c'est l'incapacité à satisfaire les développements de trafic. Le terminal 4 d'ADP étant abandonné, les investissements sont uniquement réservés pour la vétusté ou réparer.

Il n'y a pas de grands projets, or il faudrait y penser, toujours en pensant aux fonctionnalités et à l'opérationnel. Aujourd'hui, le compte n'y est pas.

TourMaG.com - Dans le même temps, le syndicat patronal des aéroports annonçait dernièrement une hausse à venir des redevances, Ryanair a aussi expliqué qu'il ne vendrait plus de billet à 10 euros. La dynamique est à la hausse...

Jean-Pierre Sauvage :<span class="podle-arthur"> Ryanair est comme tous les autres, il masque la nécessité d'augmenter ses tarifs, par rapport au pétrole.

Il est un peu facile de dire, alors qu'il sait qu'il ne peut pas faire autrement, ce n'est pas vertueux, mais une nécessité. Après concernant l'UAF, nous avons des discussions avec les aéroports.

Les échanges ne peuvent pas se résumer seulement à une hausse des tarifs et que les compagnies payent. Tout est mis sur la table, aussi bien la qualité de service, les investissements, etc chaque aéroport à ses spécificités, ce ne peut pas être une hausse générale.

Des aéroports ont peut-être fait des erreurs par le passé, pour faire venir des low cost. Ils doivent s'adapter et mettre des projets de développement adéquat.

Nous sommes dans un champ concurrentiel global. </span>

TourMaG.com - Au-delà des problématiques financières, la pagaille a-t-elle eu lieu ?

Jean-Pierre Sauvage :<span class="podle-arthur"> La DGAC a eu l'intelligence de maintenir le dialogue permanent entre tous les intervenants, permettant de gommer beaucoup d'aspects négatifs, notamment à Roissy - Charles de Gaulle.

Au niveau de la pénurie de main-d'oeuvre. Au niveau des Points d’Inspection Filtrage (PIF), le compte n'y est toujours pas aujourd'hui. Les délais d'attente sont absolument insupportables, à la limite inacceptable, en cas de voyage moyen-courrier.

Le point noir reste le trafic incoming, avec des temps d'attente toujours importants.

A la Police aux frontières, les choses reviennent petit à petit à la normale. Il y a une inquiétude pour septembre, l'époque des mutations, nous ne savons pas si le compte y sera pour assurer le trafic.

De plus, nous avons un problème avec ADP. Augustin de Romanet a présenté des excuses aux compagnies, mais nous voulons un service qui marche et qui ne nous coute rien.

Quand le trieur à bagages est en panne, comme encore au mois d'août, avec 5 000 bagages au tapis, nous devons indemniser les passagers.

Les excuses ne suffisent pas, car nos passagers sont impactés négativement et notre économie aussi. La situation est inacceptable.</span>

TourMaG.com - Après coup, aviez-vous déjà connu une telle pagaille dans l'aérien ?

Jean-Pierre Sauvage : Non, en presque 50 ans dans l'aérien, je n'ai jamais connu ça.

C'est inédit ou alors ma mémoire me fait défaut. En 2021, nous avions eu une 1ère alerte en juillet, avec une explosion de la demande, mais dans un contexte tout autre, avec le covid.

En 2022, tous les signaux allaient dans le même sens, vers une reprise soutenue du trafic. Tout le monde a été pris de cours, nous aurions pu nous préparer pour affronter une situation aussi catastrophique et chaotique.

TourMaG.com - L'Etat a-t-il rempli ses actions régaliennes vis-à-vis de la sécurité et sureté dans l'aérien ?

Jean-Pierre Sauvage : Nous ne demandons pas un interventionnisme étatique.

Il faut surtout que le système fonctionne à tous les niveaux, notamment à la PAF qui engage l'image de la France. Au niveau de la compétitivité, ce n'est pas à moi de juger.

TourMaG.com - Face à ces problèmes à répétition, pourrions-nous craindre que la France soit boudée par les voyageurs étrangers et que l'aérien de notre pays voit ses usagers s'en détourner ?

Jean-Pierre Sauvage : La situation est en voie de normalisation, des progrès ont été enregistrés.

Nous avons une autre inquiétude, avec le nouveau système d'entrée et sortie de l'Europe (EES). Nous ne sommes pas sûrs que tous les moyens aient été mis en place, pour y faire face.

Il fallait se donner du temps, pour pouvoir le mettre en œuvre, dans des conditions acceptables aussi bien pour le passager que les compagnies aériennes.

TourMaG.com - A quoi ressemblera l'hiver ?

Jean-Pierre Sauvage : Pour le moment sur l'hiver, le sujet des compagnies c'est : pouvoir exploiter leurs slots historiques. Certaines n'ont pas pu faire fonctionner le "droit du grand-père", soit d'exploiter au moins 80% des créneaux pour les conserver.

Le règlement 9593 pourrait être révisé, face aux situations exceptionnelles. L'idée est de faire valoir tous leurs slots. Il y pourrait y avoir quelques petits problèmes pour des compagnies.

TourMaG.com - L'été a aussi été marqué par la polémique sur la sécurité des vols d'Air France...

Jean-Pierre Sauvage : Le BEA a fait du zèle.

La communication alarmante, alors qu'une partie de la population n'est pas toujours très à l'aise avec le transport aérien, ce n'est pas toujours justifié. Si c'est pour forcer les compagnies dans leur niveau de sécurité, c'est maladroit.

Il faudrait plus de pédagogie, plutôt que se lancer dans des polémiques qui n'ont pas de sens.