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Tourisme et IA, c’est d’abord et avant tout de l’humain ! [ABO]

La chronique de Brice Duthion


Brice Duthion reprend la plume pour TourMaG. Tous les mois, le président - fondateur de l'agence "Les nouveaux voyages extraordinaires" nous partagera sa vision du tourisme et de ses enjeux. Pour cette première chronique de l'année, Brice Duthion revient sur le "bal des Ministres" et l'Intelligence artificielle...


Rédigé par le Lundi 3 Février 2025

Je suis convaincu que les professionnels du tourisme doivent s’intéresser à l’IA, mais sans oublier le reste. Leur première responsabilité est la connaissance des règles et des normes en la matière - Depositphotos.com Auteur eamesBot
Je suis convaincu que les professionnels du tourisme doivent s’intéresser à l’IA, mais sans oublier le reste. Leur première responsabilité est la connaissance des règles et des normes en la matière - Depositphotos.com Auteur eamesBot
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Je suis heureux de reprendre la plume en ce début d’année 2025 sur TourMaG. Pendant près de deux ans, j’ai soumis à votre lecture quelques pistes de réflexion sur les enjeux humains dans le secteur du tourisme. A l’été 2023, j’ai souhaité prendre un peu de distance et de temps pour me consacrer à un nouveau projet professionnel.

Après quelques échanges avec le rédaction de TourMaG, il m’a semblé qu’il était de temps de proposer de nouveau une fois par mois une lecture personnelle sur ces enjeux humains. Qui vont parfois et même souvent bien au-delà des conventions collectives du secteur.

En près de dix-huit mois, de nombreux sujets ont évolué. Les actualités économiques et géopolitiques ont, comme toujours dans notre Histoire, connu des soubresauts ou des cataclysmes. Notre quotidien s’en est d’ailleurs trouvé particulièrement troublé, des massacres du 7 octobre 2023 à la destruction massive de Gaza, de la guerre en Ukraine à la réélection de Donald Trump, de la dissolution surprise de l’Assemblée nationale au succès populaire des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris.

J’aurai sans doute l’occasion de revenir d’une façon ou autre sur ces sujets durant les prochaines semaines. Car on le sait depuis Anaxagore selon une célèbre formule reprise par Lavoisier, « tout est dans tout »…


Le tourisme institutionnel au rythme d’un bal de ministres éphémères

Le tourisme français vient de passer, officiellement, le seuil des 100 millions de visiteurs internationaux.

Gloire et grandeur du pays annoncées il y a déjà dix ans par Laurent Fabius, alors au Quai d’Orsay, pour une fois modestement célébrées au vu de l’instabilité chronique de nos institutions. Atout France promise depuis de nombreux mois, au fil de discours de politique générale au Parlement, à la dissolution dans Business France au nom d’une rationalisation des agences publiques ou parapubliques donc des finances publiques, d’un effort de « mutualisation, de simplification et de déconcentration », d’une « culture de l’évaluation » pour « dépenser mieux » comme l’affirmait l’éphémère Premier ministre, Michel Barnier à l’automne dernier.

La succession de titulaires du maroquin ministériel laisse comme l’impression au-delà d’une profonde incertitude d’un bal des ministres (ou ministres déléguées) se mouvant au rythme d’une musique cacophonique. Non pas un bal des casse-pieds, mais bien une « party » sans vision et sans moyen, une triste fin de soirée entre pauvres hères. Si je voulais paraphraser la célèbre formule d’André Malraux, « entrez ici Olivia Grégoire, Marine Ferrari et Nathalie Delattre au Panthéon des attributions ministérielles » réduites ou de plein droit mais sacrifiées au fil d’une incurie gouvernante puis d’une improbable décision présidentielle de précipiter des élections anticipées aux résultats illisibles et chaotiques.

Les dernières ministres ont donc été prisonnières de postures politiciennes, tant les politiques publiques paraissent paralysées par un blocus parlementaire. On voit plus souvent se précipiter dans les médias de médiocres orateurs de toutes officines pour affirmer leurs « lignes rouges » que pour exprimer leur sens du bien commun. Les lignes peuvent changer de couleur au gré des humeurs de tribuns.

Ligne jaune, ligne verte, ligne brune. Mais après tout qu'importe ! Ces lignes rouges, ou multicolores, sont censées incarner les « valeurs républicaines » et les limites (on parle rarement de la défense de l’intérêt général) à ne pas franchir... Mais qu’ont-ils comme vision et comme projet pour notre pays ?

N’est-il pas temps de repenser notre vieux modèle jacobin ?

Qui se retrouve encore dans ces manœuvres indigestes et ces discours débilitants ? Je dois avouer que ces débats stériles m’apparaissent comme stupides. Inutile de dire que le tourisme, malgré le statut de ministre à part entière que le secteur réclamait depuis des décennies et qui objectivement n’a rien apporté au regard de la fragilité des gouvernements, est ignoré par toutes et tous.

Qui se souvient d’un débat de fond sur le sens de l’action publique, sur le rôle des collectivités ? Supprimer des subventions et sabrer dans les budgets consiste-t-il le seul objectif d’une collectivité territoriale, région ou département, souvent en mal de moyens en ce début d’année 2025 ? N’est-il pas temps de repenser notre vieux modèle jacobin dont on se demande s’il est encore vivant ?

Ne pourrait-on pas s’inspirer de certains de nos voisins ? Je pense notamment à l’Espagne dont les performances touristiques sont bien supérieures aux nôtres, notamment au regard du seul prisme des recettes liées aux visiteurs internationaux, donc leurs retombées sur les territoires organisées en communautés autonomes.

Ce sentiment d’abandon marque depuis longtemps, mais peut-être encore plus aujourd’hui, les politiques publiques touristiques en France, au mieux sujettes à une intégration dans un projet illisible et rabougri. Qu’il semble loin le plan de sauvegarde du secteur de 2020.

Le tourisme n’est pas le seul grand « sacrifié » en la matière. Il n’est pas lieu de s’en réjouir. En témoigne le sabordage d’une partie de l’héritage sportif des JOP et la coupe drastique à hauteur de 30% « promise » au budget du ministère des sports.

De nombreuses actualités touristiques mais aussi sociales, culturelles ou territoriales

Pourtant, de nombreuses actualités nécessiteraient d’avoir une vision globale pour le tourisme, et plus largement pour l’attractivité du pays, en y intégrant des composantes économiques, sociales ou culturelles.

Serait-il incongru de lancer un débat rationnel sur le tarif d’accès aux monuments nationaux même si l’on peut supposer que les avis sur le sujet de la ministre de la Culture et ceux de ses opposants relèvent davantage de la posture que d’une véritable analyse fondée et argumentée ? Comment ces subsides seraient-ils utilisés ? Et plus largement la tarification et les recettes des sites culturels pourrait-elle être confiée aux collectivités, comme une fiscalité propre et dont elles auraient le libre usage pour rénover des sites patrimoniaux ou culturels ?

Le tourisme comme lien social et vecteur de solidarités peut-il être intégré à une nouvelle politique à destination des espaces ruraux, ces derniers étant le plus souvent réduits à une vision binaire (« Paris et le désert français » dans le discours de François Bayrou devant l’Assemblée le 14 janvier dernier), caricaturés et ramenés aux seuls résultats des dernières élections législatives ?

La France touristique de 2025 est d’abord celle d’un nouvel aménagement du territoire, sans hiérarchie entre centralité et périphérie, qui devrait réduire en cendres le discours jacobin et centralisateur. La France touristique de 2025 pourrait aider à poser lucidement les questions de mobilités dans le pays, de l’organisation cristallaire du réseau à grande vitesse au financement de matériels roulants et à la rénovation des infrastructures (au vu de l’obsolescence du réseau et du matériel roulant TGV, cela ne serait pas inutile).

Pareil questionnement pourrait être proposé, non pas seulement au seul accès aux vacances au plus grand nombre pour lequel des initiatives sont aujourd’hui portées par les collectivités (même si de nombreuses personnes handicapées ou d’aidants de malades en sont encore privés), mais également à la meilleure façon d’intégrer de nouveaux arrivants sur le territoire national.

Au vu de la crise des vocations qui perdure notamment pour les métiers d’exécution, serait-il possible de s’intégrer à la République par un travail dans le secteur du service à la personne, en y intégrant le tourisme, supposerait un apprentissage de la langue, de la culture, des règles et des normes qui nous permettent encore de faire société ?

Les données et l’IA, le nouvel or du tourisme ?

Depuis près de deux ans, un raz-de-marée a submergé l’actualité de notre secteur et bien au-delà du tourisme. Vous l’avez compris, je veux parler de l’IA. Pas un jour ne passe sans que l’on évoque l’IA et même qu’on la présente parfois comme l’avenir de notre société. J’ai d’ailleurs contribué à cette information en donnant de nombreuses conférences sur le sujet depuis près de deux ans.

Je ne crois pas au « technosolutionnisme » d’experts ou d’entreprises issues de la Tech, manifestant une confiance absolue dans la technologie pour résoudre tout problème organisationnel ou social (qui d’ailleurs peut-être créé par l’usage de technologies antérieures).

Je ne crois pas non plus à l’IA qui incarnerait le mal absolu. Même si certaines dérives liées à son usage par des régimes autoritaires (par exemple le système de surveillance de population généralisé en Chine) et aux différents impacts qu’elle génère (du coût environnemental de ses composants à sa surconsommation énergétique) laissent penser que le règlement européen « EU Artificial intelligence Act » de l’été 2024 n’est qu’une première étape.

Il est fondé sur des obligations de mise en conformité des systèmes d’IA selon leur niveau de risque est une première étape visant à limiter sur notre continent des dévoiements éthiques, commerciaux ou industriels. « EU Artificial intelligence Act » est bienvenu et nécessaire mais sera sans doute rapidement insuffisant.

Maîtriser les règles et les normes de l'IA

Je suis convaincu que les professionnels du tourisme doivent s’intéresser à l’IA, mais sans oublier le reste. Leur première responsabilité est la connaissance des règles et des normes en la matière, au nom du vieux principe juridique que « nul n’est censé ignoré la loi ». Les nombreuses rencontres organisées à toutes les échelles des territoires sur l’IA depuis deux ans ont malheureusement plutôt montré le contraire.

Lire aussi : Tourisme : Quels sont les enjeux juridiques de l'IA ?

Si des solutions techniques sont proposées aujourd’hui aux acteurs du tourisme, notamment par l’usage de l’IA générative (en attendant prochainement l’IA prédictive), je crois que le versant « humain » c’est-à-dire RH de l’IA, doit être compris bien avant tout choix en la matière.

Premier sujet : celui de la constitution d’un « patrimoine de données » propre à chaque entreprise, chaque collectivité ou organisation. C’est vrai pour le secteur du tourisme au sens le plus élargi comme pour l’ensemble des acteurs économiques et industriels, de la grande distribution à l’industrie de l’armement, de l’agriculture à la santé.

Cette approche « patrimoniale » des données, c’est-à-dire que l’on peut transmettre de père en fils (au sens premier de sa définition) implique de disposer de compétences en interne pour le faire, ou le faire faire, selon le principe inaliénable de souveraineté numérique des entreprises (« le fait de maîtriser son système d’information, ses informations et son patrimoine informationnel »).

Cela implique des compétences en « data management ». Inutile de dire que, au vu de la difficulté de disposer de données fiables et harmonisées dans la France du tourisme, cela relève de la mission quasi impossible pour toute TPE du secteur (je reviendrai dans une prochaine chronique sur cette question et la possible mutualisation des données pour les plus petites structures et l’accès à l’information auprès de banques de données du secteur).

Ce qu’il convient de comprendre, enfin, c’est que tout projet IA ne relève nullement d’un miracle ou d’un hasard au sein d’une entreprise ou d’une collectivité, mais d’une gestion de projet collective. A savoir une organisation rationnelle et structurée, qui réclame des moyens humains et financiers, ainsi que le respect a minima de plusieurs étapes.

L’acculturation des dirigeants, des cadres et des salariés en est la première, le diagnostic pour identifier les besoins la deuxième, le choix de l’approche ou de la solution IA la troisième et, enfin, pour terminer, l’expérimentation de la solution. Ces différentes étapes exigent la mobilisation de compétences de chef de projet IA pour y parvenir.

L’IA peut être un formidable outil de découvertes scientifiques. L’IA peut s’avérer être un outil incomparable de désinformation, de propagande voire d’hallucinations. Gare aux acteurs du tourisme de ne pas y tomber. L’IA ne peut pas être synonyme pour eux d’aliénation à la technologie, cette dernière n’étant qu’un moyen et aucunement une finalité organisationnelle. L’IA doit relever finalement d’une vision claire et organisée de l’entreprise fondée sur une confiance en son capital humain.

Brice Duthion est président - fondateur de l'agence "Les nouveaux voyages extraordinaires" (LNVE) spécialisée en conseil, conférences et communication.

Il intervient auprès de nombreux acteurs publics et privés dans ses domaines d'expertise : le tourisme et l'hospitalité, la culture et les patrimoines, les territoires et les politiques publiques.

brice.duthion@gmail.com

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Tags : duthion
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