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Transport : comment diviser par 5 les émissions de CO2 d'ici 2050 ? 🔑

Le dernier rapport du Shift Project préconise moins de voyages long-courriers


Pendant que la France attend la nomination d'un Premier ministre qui devrait avoir une grande conscience écologique, il ne reste plus que 3 ans à l'humanité pour agir. L'enjeu étant juste de limiter la casse. Alors que l'industrie touristique n'est pas exempte de tout reproche, le secteur va devoir drastiquement réduire ses émissions de CO2 dans les prochaines années. Le Shift Project a rendu son rapport « Voyager bas carbone » consacré à la décarbonation de la mobilité longue distance. Rencontre avec Béatrice Jarrige, la cheffe du projet et du sujet Mobilité à longue distance du Shift Project qui n'y va pas par quatre chemins...


Rédigé par le Mardi 3 Mai 2022

Le dernier rapport du Shift Project préconise moins de voyages long-courriers, notamment en avion - Depositphotos @IgorVetushko
Le dernier rapport du Shift Project préconise moins de voyages long-courriers, notamment en avion - Depositphotos @IgorVetushko
TourMaG.com - Avant de rentrer dans le vif du sujet concernant le rapport « Voyager bas carbone » du Shift Project, pourriez-vous expliquer ce qu'est cette organisation ?

Béatrice Jarrige :
C'est une association de loi 1901 créée en 2010, à l'initiative d'un groupe d'experts, dont faisait partie Jean-Marc Jancovici.

Ce think-thank vise à promouvoir la transformation de l'économie, en vue de la décarboner. En pleine crise sanitaire, nous avons lancé un plan de transformation de l'économie française.

C'est une démarche d'ampleur, visant à balayer les secteurs de la vie économique pour rendre les usages et les industries propres à horizon 2050.

A cette date chacun des secteurs devra avoir baissé de 5% par an, donc divisé par 5 les émissions de gaz à effet de serre, pour être conforme aux accords de Paris.


"Nous devons passer de 40 millions de tonnes d'émissions à 8 millions d'ici 2050"

TourMaG.com - Alors que l'aérien était en pleine croissance et entend reprendre sa marche en avant, le tourisme tend difficilement vers cet objectif fixé. Quel regard portez-vous sur le secteur ?

Béatrice Jarrige :
Nous n'avons pas une vision d'ensemble du secteur du tourisme, car nous n'avons pas d'analyse dynamique de la chose.

De plus, notre rapport, n'étudie que l'impact des voyageurs français en métropole et en Outre-mer quand nous arrivons à avoir des chiffres. Ainsi, nous n'avons pas le gros morceau du voyage, à savoir les touristes étrangers.

Au-delà de traiter du tourisme, nous abordons surtout le sujet de la mobilité longue-distance, mais comme le transport représente 80% des émissions du secteur, nous avons un bon regard sur l'industrie du voyage.

A lire : Mobilités touristiques : le Shift Project confirme l'urgence d'agir 🔑

Si nous prenons par le petit bout de la lorgnette le secteur, en partant du transport, il est possible de comparer la dernière enquête mobilité et celle qui a eu lieu 10 ans avant. Nous découvrons que la situation ne s'est pas vraiment améliorée.

Le segment des voyages en avion a beaucoup progressé durant cette dernière décennie.

Nous avons interrogé de nombreuses personnalités sur le sujet, comme Julien Buot, Jean-François Rial, Jurgen Bachmann, Jean Pinard, Adrien Aumont, etc.

Je ne sais pas si elles sont très représentatives de l'industrie (rires, ndlr). Par exemple Jean-François Rial, un militant de la compensation carbone, avait eu un échange animé sur ce sujet avec Jean-Marc Jancovici.

Techniquement le train est techniquement très économe en énergie, en raison du faible frottement induit par les rails, en revanche le coût en infrastructures est très conséquent, même par rapport à l'avion.


TourMaG.com - Vous parlez de Jean-François Rial, le chantre de la compensation carbone qui doit être le levier pour atteindre la neutralité carbone, grâce à la technologie. Avez-vous abordé les conséquences de la technologie sur la pollution de l'avion ?

Béatrice Jarrige :
Nous avons abordé ce sujet.

Il y a un an, un rapport du collectif SUPAERO-DECARBO portait sur la question de l'aérien et des technologies. La conclusion de ce projet rappelait que malgré les innovations, nous n'arriverons pas à atteindre complètement les objectifs.

Dernièrement, l'Institut Montaigne a publié un autre rapport, avec comme parrain Benjamin Smith, le patron d'Air France. Un tel parrain fait que le document ne doit pas vraiment être hostile à l'aérien, pourtant la conclusion est similaire à celle du collectif.

Pour arriver à l'objectif de réduction des émissions, l'Institut Montaigne évoque la compensation carbone, en plantant des arbres.

Le problème étant qu'il faut que la somme des actions arrive à quelque chose de crédible et que nous ayons suffisamment de place sur le territoire français pour y arriver.

Nous avons étudié l'appréciation des puits de carbone (est un réservoir qui stocke, par un mécanisme naturel ou artificiel, le carbone atmosphérique, explique Futura Science) et nous les avons portés à leur niveau maximal en 2050.

Malgré la compensation, nous arrivons au constat que l'ensemble des secteurs doivent réduire de 5% par an, leurs émissions. Le secteur du transport doit réduire de 40 millions de tonnes de CO2 équivalent par an, donc à la fin il faut arriver à 8 millions de tonnes d'émission par an.

Nous proposons donc de limiter les déplacements de longues distances en avion, notamment par la mise en place d'une taxe progressive indexée sur la fréquence des voyages et la distance parcourue.

Train : "il est nécessaire de tripler le trafic dans les 30 ans ! "

TourMaG.com - Comment atteindre cet objectif de neutralité ?

Béatrice Jarrige :
L'un des principaux leviers étant de développer le train, surtout de convertir et détourner les nombreux trajets faits en voiture par ceux ferroviaires.

Au niveau de l'avion, nos conclusions sont plutôt radicales, car nous estimons qu'une partie des déplacements lointains se fassent deux fois moins souvent, en restant plus longtemps sur place. Puis l'autre soit convertie par des séjours plus proches, comme en Europe et effectués par le train.

Cette transition passera par un développement des réseaux ferroviaires en Europe, une meilleure interconnexion, mais aussi par de nouveaux produits (train de nuit, ndlr) avec un bon niveau de service.


TourMaG.com - Faites-vous état des frictions empêchant le développement du train en France dans le tourisme ?

Béatrice Jarrige :
Tous ces trains de longues distances relativement peu rapides comme ceux de nuit, c'est une bonne chose, mais le véritable enjeu sera les trains à grande vitesse.

En raison des capacités et du faible temps de trajet, permettant d'être un transport de masse qui pourra se substituer à l'aérien. Il est nécessaire de tripler le trafic ferroviaire dans les 30 ans qui viennent.

Au moment de l'ouverture à la concurrence, il serait opportun de faire prendre conscience aux opérateurs qu'il y a bien un marché.

Pour le stimuler, nous pensons indispensable de mettre en place de réductions sur les prix des billets, pour ceux qui en ont le plus besoin, et maintenir des tarifs plus élevés pour les plus aisés.

Nous ne sommes pas allés vraiment en profondeur sur les sujets de financement, car nous nous focalisons surtout sur les consommations d'énergie, les émissions et les compétences.


TourMaG.com - Il y a quand même un problème au niveau des infrastructures ferroviaires en France...

Béatrice Jarrige :
Bien sûr, le problème se situe à ce niveau puis aussi au niveau des dessertes.

Nous préconisons de développer des transversales, comme par exemple Lyon-Bordeaux.

La SNCF a eu tendance à vouloir faire de la marge plutôt que de développer le trafic, jouant un jeu malsain entre le gestionnaire d'infrastructure et le transporteur, ayant des intérêts opposés.

Nos préconisations sont : la modernisation du réseau doit être une priorité et soutenue, l'électrification des lignes, alors que l'hydrogène est un fantasme, puis l'extension.

Il y a actuellement 30 000 km de lignes ferroviaires, nous préconisons de construire 1 500 km dans les années qui viennent, dont le doublement de la ligne Paris-Lyon. Celle-ci est la plus fréquentée du pays.

Dans notre étude, nous avons aussi travaillé sur une adaptation au changement. Même en faisant beaucoup d'efforts, l'augmentation des températures nous allons la subir, il faut s'y préparer !

"Il pourrait y avoir des famines, juste pour permettre à certains de voyager."

TourMaG.com - Si nous devions passer à l'électrique tous les avions qui partent et arrivent à Roissy étaient électriques, il nous faudrait entre 10 et 15 centrales nucléaires pour les alimenter selon Julien Etchanchu. Comment alimenter toutes ces infrastructures en électricité ?

Béatrice Jarrige :
Le sujet est plus pour la voiture que le train.

La voiture même bien utilisée consomme deux fois plus d'énergie que le train. Si nous nous contentons seulement de tout passer en électrique sans diminuer le trafic, ni modifier le profil des véhicules, alors nous allons avoir de grandes difficultés à tout alimenter.

Il suffit de voir le temps que nous mettons à construire un réacteur EPR. Nous fixons une double contrainte dans notre rapport carbone et énergétique, car la production de l'énergie est un vrai sujet.

Même en construisant des nouvelles centrales dès maintenant, en 2050 nous arriverons juste à stabiliser la part du nucléaire sans aller beaucoup plus loin. Il sera nécessaire aussi d'appuyer sur le développement du solaire et éoliens.

Le secteur de la mobilité longue distance sera donc en concurrence avec les autres sur la consommation d’électricité.

Pour tout vous dire, si nous n'entrons pas dans une phase de sobriété au niveau de la consommation de voyages en avion, alors rien que pour la France, il serait indispensable de couvrir entièrement 3 départements français en culture.

Cela permettra juste de produire les biocarburants nécessaires pour assurer ces trajets.


Nous pourrions nous retrouver avec des famines dans quelques années, juste pour permettre à certains de voyager.


TourMaG.com - C'est à la puissance publique d'organiser cette transition ?

Béatrice Jarrige :
Les Etats doivent se charger de cette transition, c'est une évidence.

Même s'il est nécessaire de laisser une marge de manœuvre aux collectivités et aux acteurs privés, les grandes directions doivent être données par l'Etat.

J'étais choquée d'entendre Elisabeth Borne, lors des assises du transport aérien, dire que le trafic aérien allait doubler dans les 10 ou 15 ans qui viennent, comme si elle n'avait aucun levier dessus. Elle entérinait juste cette tendance.

Il faudrait que l'Etat se positionne, en assumant de réduire et ne plus développer l'aérien, pour que les acteurs s'organisent aussi.

"Nous allons enchainer les crises les unes après les autres..."

TourMaG.com - Si je comprends bien, il n'y a pas de substitut à la baisse de l'usage de l'avion, à part le train...

Béatrice Jarrige :
Nous préconisons de limiter cette activité.

L'avenir n'est pas de voir ce secteur croître de 8% par an, bien au contraire.

Il faut faire admettre qu'il n'est plus possible de faire croitre ce marcher indéfiniment. Tout comme, il n'est plus tolérable de voir des Chinois venir à Paris pour quelques jours, juste pour admirer la Joconde.

Cette stratégie touristique n'a plus de sens. D'ailleurs nous avons aussi proposé toute une série de remise en questions du secteur, pour lui permettre de réduire son impact.

Cela passe par transformer l'offre touristique en cohérence avec les enjeux, tout en englobant l'ensemble de la filière pour que ces propositions soient visibles.

Par exemple, les touristes étrangers génèrent deux tiers des émissions de GES (Gaz à Effet de serre) du tourisme en France alors qu’ils n’y représentent qu’un tiers des nuitées touristiques.

Il va falloir étendre les séjours, favoriser les activités à vélo et améliorer l'usage des transports décarbonés à destination. Les hébergeurs devraient être mis à contribution en fournissant plus de services sur place pour éviter aux voyages de transporter trop de choses.

Ce changement majeur ne sera rendu possible qu'en obligeant les organismes de promotion du tourisme en France à réorienter leur communication vers les publics français, mais aussi en favorisant la diffusion de nouveaux récits sur le voyage.

Evidemment que le sujet de la clientèle internationale sera un très gros sujet pour l'aérien et le secteur.

Il est indispensable d'anticiper et se préparer, pour baisser le niveau des émissions progressivement, plutôt que de se retrouver dans l'urgence et devoir prendre des décisions plus radicales.

Si nous ne faisons rien, nous allons enchainer les crises les unes après les autres, nous ne sommes pas organisés pour y faire face.

Romain Pommier Publié par Romain Pommier Journaliste - TourMaG.com
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