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Air Austral : les raisons de la spirale infernale 🔑

A200, Mayotte, ciels fermés... les raisons de la crise d'Air Austral


Dans une précédente interview, pour TourMaG.com, Jospeph Bréma a été clair, Air Austral se trouve dans une situation préoccupante, mais pas désespérée. Les salariés ont un mois pour élaborer un plan de sortie de crise. Si le président du directoire de la compagnie se montre confiant et combatif, il fait face à d'importants trous d'air. Retour sur les raisons de cette nouvelle mauvaise passe. Entre avions immobilisés, service défaillant de l'Etat et fermeture d'espaces aériens... Air Austral doit éviter de nombreux obstacles avant de redécoller.


Rédigé par le Vendredi 9 Février 2024

Lors du salon IFTM Top Resa, nous avions (sans mauvais jeu de mot) rencontré un Joseph Bréma souriant.

Tout juste conforté en tant que président du directoire d'Air Austral, l'homme pensait que le plus dur était passé et qu'il pouvait enfin regarder l'avenir avec enthousiasme.

En l'espace de quelques mois, l'ambiance a considérablement changé.

Le patron du transporteur n'a pas perdu son sourire, mais lors de notre entretien en début de semaine, sa mine était grave... très grave.

Il faut dire que les derniers échos qui nous sont parvenus ne sont pas bons.

Alors qu'il nous rappelait comme un mantra, en octobre 2023, que "notre priorité est de réussir notre plan de restructuration," en ce début de nouvelle année, la compagnie se retrouve de nouveau en situation de crise.

Que s'est-il passé ces 6 derniers mois, pour replonger dans l'inquiétude les salariés et le management ?


Air Asutral "une situation de crise quasiment permanente"

Exemple d'un contournement de l'espace aérien du Soudan et de celui du Niger, par un avion Air Austral - Crédit photo : flightaware
Exemple d'un contournement de l'espace aérien du Soudan et de celui du Niger, par un avion Air Austral - Crédit photo : flightaware
En octobre 2023, Air Austral était sur une bonne lancée, une dynamique qui devait lui permettre de retrouver une marge opérationnelle et un résultat net positif.

Malheureusement, depuis cette interview, les avions à la dérive bleue se sont pris les roues dans le tarmac.

L'activité commerciale n'a pas faibli bien au contraire, la compagnie a réalisé un chiffre d'affaires historique, mais l'opérationnel n'a pas pu suivre le mouvement.

"Nous faisons face à une situation de crise quasiment permanente, liée à des facteurs exogènes.

Air Austal compose avec des évènements géopolitiques contraires, puis fait face à difficultés opérationnelles internes,
" nous explique Joseph Bréma.

Comme l'ensemble des transporteurs desservant les îles de la Réunion et de Mayotte, la compagnie aérienne a dû affronter la double fermeture de l'espace aérien du Soudan, puis du Niger.

En septembre dernier, le régime militaire au pouvoir à Niamey interdisait alors à l'ensemble des "avions français" de voler dans son ciel.

"Nous devons prendre une route qui n'est pas la plus directe, pour éviter ces pays, ce qui entraine des surcoûts en carburant et maintenance.

Nous avons aussi des difficultés d'approvisionnement en équipements aéronautiques et pièces détachées. Autant de facteurs qui impactent nos résultats économiques,
" analyse le dirigeant.

Etant la seule compagnie à posséder des A220 dans la région, Air Austral doit apprendre à se débrouiller seule, perdue au beau milieu de l'océan Indien.

Air Austral : Des surcharges de l'ordre de 15 millions d'euros

Outre les tracas géopolitiques, les pilotes doivent faire face aux difficultés politiques... de la France.

"Nous faisons face à un dysfonctionnement du service de régulation aérienne à Mayotte.

L'Etat français doit mettre à disposition des fonctionnaires pour assurer ce service régalien,
" peste Joseph Bréma.

Les incidents au niveau de la tour de contrôle de l'île font évoluer le programme de vol du transporteur quasiment quotidiennement.

Les salariés doivent jongler avec des annulations et nombreux retards. Tous ces petits grains de sable ne sont pas handicapants, mais irritants.

Gratter son unique pied valide est plus que gênant, alors même que la compagnie se retrouve amputée... d'une partie de sa flotte.

"Autre élément important : l'immobilisation prolongée des Airbus A220-300. Le sujet est mondial pour l'ensemble des transporteurs qui possèdent ce type d'avion.

L'Airbus A220 jouit de deux problèmes majeurs : la non-fiabilité des moteurs Pratt & Whitney et la corrosion des coques.

L'alliage utilisé pour constituer la cellule de l'avion, même s'il a été certifié, il résiste mal à l'environnement marin, or nos avions sont stockés à 200 m de la mer,
" développe le président du directoire.

Un avion sur les 3 en service au sein de la flotte d'Air Austral est perpétuellement immobilisé depuis maintenant 10 mois.

D'après le dirigeant, le motoriste serait dans l'incapacité de fournir un moteur de remplacement ou de réparer ceux défaillants. Ces dernières années, de nombreuses compagnies ont connu des pépins lors de l'utilisation de cet appareil.

Il y a un an, Air Sénégal a préféré envoyer à la poubelle une commande de cinq Airbus 220.

Air Austral : vers un contentieux avec Airbus ?

Entre les loyers à verser pour l'appareil et l'absence de recette, pour l'entreprise, le préjudice est immense.

L'équation posée par l'A220 est tellement complexe, que la question du maintien de ces avions dans la flotte se pose réellement.

Malgré l'urgence de la situation, la sortie des appareils ne pourra pas se faire à court terme. En attendant, le président souhaite obtenir des indemnités pour couvrir les dommages estimés à près de 10 millions d'euros.

"Nous sommes en discussion avec Airbus.

Pour moi la responsabilité du constructeur est engagée. Quand nous avons signé un contrat d'acquisition de 3 appareils, nous n'avons pas acheté des planeurs, mais des avions avec des moteurs.

Nous avons fait une demande de compensation financière auprès d'Airbus et Pratt & Whitney,
" affirme le dirigeant.

A l'heure actuelle, les avocats sont en charge des négociations dites à "l'amiable". En cas d'échec, Air Austral portera l'affaire devant la justice.

Et comme les emmerdes volent en escadrilles, la compagnie a du affronter, courant décembre, les caprices d'un de ses B787.

En reprenant l'ensemble des déboires et aléas ayant frappé l'exploitation de la société, les surcharges ont atteint "15 millions d'euros" sur la seule année 2023.

Une somme qui aurait permis de mettre du vert dans la conclusion du bilan comptable.

Air Austral : "un risque de défaut à très court terme"

C'est une partie du problème pour la compagnie.

Le budget 2023 prévoyait un retour aux bénéfices à hauteur de 5 millions d'euros. Sauf que ce scénario idyllique n'a jamais eu lieu.

Pour évaluer l'étendue des dégâts, Aérogestion a été mandatée durant deux mois pour auditionner et faire un panorama de l'entreprise. Quelques pages de ce rapport ont fuité dans la presse réunionnaise.

Les conclusions y sont accablantes.

Elles font état d'une trésorerie en "dégradation très rapide", d'un risque de "défaut à très court terme, en semaine voire jours," et de niveaux d'alerte franchis auprès de "la DGAC, du CIRI, de votre commissaire aux comptes et nombreux fournisseurs."

Le fameux plan de restructuration aurait été insuffisant et même inexistant, sur bien des aspects (flotte, productivité, management, social...).

Pour remédier à cela, le cabinet de consulting dont le fondateur n'est autre que Marc Rochet a prescrit une cure d'austérité draconienne, à mettre en œuvre dès que possible.

Il convient au directoire d'établir les besoins en trésorerie, de trouver de la new monnaie, de reconstruire un nouveau budget "réaliste et rigoureux" avant fin février et pour terminer de définir des objectifs de réduction drastique de coûts et économies ciblées.

Des directives que semble vouloir appliquer Joseph Bréma.

"Avec l'ensemble des salariés, nous allons élaborer un plan de sortie de crise. Nous allons y travailler au cours des 4 prochaines semaines.

Nous allons discuter et négocier avec eux, sur les efforts qu'il convient de faire en termes de salaire. Le top management le fera aussi, la direction doit montrer l'exemple.

Dans certains services, il y a sans doute des ajustements au niveau des effectifs, mais pas de PSE,
" nous a avoué le responsable.

De plus, des coupes auront lieu dans le réseau, pour ne garder que les lignes rentables.

La flotte sera légèrement réduite. Dans les prochaines semaines, les équipes vont s'atteler pour démontrer aux actionnaires de la compagnie que celle-ci peut être viable et qu'elle mérite de voler.

Reste à savoir, si ces derniers voudront bien remettre au pot, un peu plus d'un an après avoir déboursé 50 millions d'euros.


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